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Date : 20200612


Dossier : IMM-5111-18

Référence : 2020 CF 687

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SUKHMANDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Sukhmandeep Singh, cherche à faire annuler la décision par laquelle un agent des services frontaliers (l’agent) a rejeté sa demande de permis de travail postdiplôme (PTPD). L’agent a refusé la demande, car il a conclu que le demandeur avait travaillé sans autorisation. Le demandeur a affirmé que cela était déraisonnable, parce qu’en vertu des politiques du défendeur, il était autorisé à travailler. Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de tous les éléments de preuve et qu’il a mal interprété les politiques pertinentes.

[2]  Il y a un débat au sujet de l’admissibilité et du poids de certains éléments de preuve déposés par les deux parties en l’espèce concernant les évènements clés qui ont mené à la décision. Les parties ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir si la décision est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’une partie des éléments de preuve du demandeur n’est pas admissible, et qu’une partie des éléments de preuve du défendeur, plus petite toutefois, devrait se voir accorder un poids moindre. Je conclus que la décision est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’agent et des mesures législatives et politiques s’appliquant à la présente affaire.

I.  Contexte

[4]  Le demandeur est un citoyen de l’Inde. Il a étudié au Canada depuis 2016, d’abord au Cambrian College of Applied Arts and Technology de Sudbury (Ontario), dans un programme qu’il a terminé en avril 2017, et ensuite à l’Université du Manitoba dans un programme qui s’est échelonné de septembre 2017 à septembre 2018. Il avait obtenu des permis d’études l’autorisant à poursuivre ses études au Canada, et le dernier de ces permis était valide jusqu’au 31 décembre 2018.

[5]  Le 4 septembre 2018, le demandeur a reçu deux lettres datées du 31 août 2018 (ci‑après appelées les lettres du 31 août) de l’Université du Manitoba; ces lettres précisaient qu’il avait satisfait à toutes les exigences pour obtenir ses deux certificats et que la date officielle de sa remise de diplômes serait le 16 octobre 2018.

[6]  Le 9 octobre 2018, le demandeur s’est rendu au point d’entrée à Emerson (Manitoba) pour faire une demande de PTPD. Il a été interrogé par un agent des services frontaliers de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a refusé sa demande. Selon les notes de l’agent, le demandeur a affirmé avoir travaillé après qu’on l’eut informé qu’il avait terminé ses études, et qu’il ne s’était pas inscrit à un autre programme ou qu’il n’avait pas poursuivi ses études dans un autre établissement. Les notes précisent aussi que le demandeur travaillait jusqu’à la date de l’entrevue, le 9 octobre 2018. Étant donné qu’il travaillait sans autorisation, le PTPD ne lui a pas été accordé. Le demandeur a été informé qu’il devait quitter le Canada dans un délai de 10 jours.

[7]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[8]  La présente affaire comporte deux questions en litige :

  1. Quels éléments de preuve sont inadmissibles dans la présente demande?
  2. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[9]  La norme de contrôle qui s’applique à la décision de l’agent au sujet de l’admissibilité à un PTPD est celle de la décision raisonnable. Cela a été établi dans des décisions antérieures (Komljenovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 460, au par 17, citant Osahor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 666, au par. 11), et est conforme aux directives énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10]  Compte tenu du paragraphe 144 de Vavilov, il n’y a aucune raison de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires au sujet de la norme appropriée ou de l’application de cette norme. La présente affaire est similaire à l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, où la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 24, qu’appliquer le cadre d’analyse de Vavilov pour juger une affaire dont les arguments ont été présentés en fonction de l’approche de Dunsmuir (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9) n’entraîne aucune injustice, parce que les résultats auraient été les mêmes selon les deux cadres d’analyse.

[11]  Lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour se demande « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). Elle doit être intrinsèquement cohérente et rationnelle (Vavilov, au par. 85).

[12]  Selon ce cadre d’analyse, une décision sera probablement jugée déraisonnable s’il est impossible à la Cour de comprendre, lorsqu’elle lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Vavilov, au par. 103). Il incombe au demandeur de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov, au par. 100) :

Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[13]  Le cadre d’analyse de Vavilov « insist[e] également sur la nécessité de développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel » en souscrivant à une démarche de contrôle judiciaire qui s’avère à la fois respectueuse et rigoureuse (Vavilov, aux par. 2, 12 et 13).

III.  Discussion

A.  Quels éléments de preuve sont inadmissibles dans la présente demande?

[14]  Les deux parties soutiennent que les affidavits de l’autre partie ne sont pas admissibles, en totalité ou en partie. J’examinerai chaque demande à tour de rôle avant d’aborder la question de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

(1)  La preuve du demandeur

[15]  Le défendeur soutient que certains des documents déposés par le demandeur n’avaient pas été soumis à l’agent, et qu’ils ne sont donc pas admissibles dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Plus particulièrement, le défendeur renvoie aux pièces des affidavits du demandeur, ainsi qu’à l’affidavit souscrit par l’ami pour lequel il travaillait. Essentiellement, les documents en question se rapportent à la période où le demandeur affirme qu’il travaillait pour son ami, ainsi qu’aux renseignements de l’Université du Manitoba que le demandeur a obtenus à la suite de la décision de l’agent.

[16]  Le demandeur soutient que ces renseignements devraient être admis, étant donné que les affidavits du défendeur remettent en question sa crédibilité, et qu’il devrait avoir le droit de déposer de nouveaux éléments de preuve pour aborder cette question. Le demandeur soutient que la situation s’apparente à l’exception connue qui permet la présentation d’autres éléments de preuve pour traiter des allégations de manquement à l’équité procédurale. Le demandeur n’invoque aucune décision judiciaire à l’appui de son argument, mais soutient qu’il devrait être accepté conformément aux principes fondamentaux.

[17]  Je ne suis pas convaincu. La jurisprudence indique clairement que, sous réserve de certaines exceptions limitées, dont aucune ne s’applique en l’espèce, une demande de contrôle judiciaire du bien‑fondé d’une décision administrative doit être décidée en fonction des renseignements dont disposait le décideur, et aucune partie n’a le droit de déposer des renseignements supplémentaires pour renforcer sa position (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright]). Le demandeur ne peut présenter de nouveaux renseignements qu’il aurait sûrement dû fournir au décideur initial. De même, le défendeur n’a pas le droit de fournir des renseignements du décideur qui auraient sûrement dû être inclus dans la décision initiale.

[18]  En l’espèce, le demandeur soutient que les nouveaux éléments de preuve devraient être admis afin de lui permettre de répondre à une contestation de sa crédibilité qui découle des éléments de preuve du défendeur. Il y a plusieurs réponses à cela. Premièrement, certains des éléments de preuve ont été soumis avant l’affidavit du défendeur, et ne peuvent donc pas constituer une réponse à une contestation de sa crédibilité. Deuxièmement, dans la mesure où la crédibilité est remise en cause en l’espèce, ce qui fait l’objet de discussions ci‑dessous dans le contexte des éléments de preuve précis qui se rapportent au caractère raisonnable de la décision, les nouveaux renseignements ne sont pas particulièrement convaincants ou utiles. Ils n’aident pas la Cour à assumer son rôle dans le cadre du contrôle judiciaire.

[19]  Dans l’arrêt Access Copyright, la Cour d’appel fédérale a fondé son analyse sur les « divers rôles joués par les juridictions de révision et par les tribunaux administratifs dont les décisions font l’objet d’un contrôle judiciaire » (au par. 14). Cela est conforme à l’approche adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov (voir les par. 13 à 28). L’une des principales différences est que la cour de révision ne doit pas devenir un juge des faits à la place du décideur initial. Dans la mesure où la crédibilité est pertinente dans une affaire, la décision à cet égard relève généralement de la compétence exclusive du décideur administratif (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319). Dans la mesure où la crédibilité de l’auteur d’un affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire est en litige, elle peut être évaluée en tenant compte de l’ensemble de la preuve, plus particulièrement la transcription de tout contre‑interrogatoire sur l’affidavit.

[20]  Il n’est pas nécessaire de statuer sur l’argument soulevé par le demandeur selon lequel une autre exception devrait être reconnue quand la question de la crédibilité est en litige, étant donné que je conclus que les éléments de preuve ne sont pas particulièrement utiles à l’examen de la crédibilité du demandeur. Comme il a été mentionné ci‑dessus, cela ne cadre pas non plus aux autres exceptions énoncées dans Access Copyright.

[21]  En l’espèce, je conclus donc que les éléments de preuve suivants présentés par le demandeur ne sont pas admissibles : pièces « G », « J » et « K » de l’affidavit du demandeur daté du 3 janvier 2019; pièce « A » de l’affidavit du demandeur daté du 2 mai 2019; et l’ensemble de l’affidavit de Sahil Sharma daté du 2 mai 2019, y compris les pièces.

[22]  Il existe d’autres arguments se rapportant à certains aspects de la preuve du demandeur; il convient toutefois davantage de les traiter dans l’analyse relative au caractère raisonnable de la décision de l’agent.

(2)  La preuve du défendeur

[23]  Le demandeur soutient que certaines déclarations figurant dans les affidavits de l’agent vont au‑delà de ce qui est indiqué dans ses notes et qu’elles équivalent à une tentative de « renforcer » ses motifs en les ajoutant dans ces affidavits. Plus particulièrement, le demandeur renvoie au témoignage de l’agent selon lequel, pendant l’entrevue, le demandeur [traduction] « [lui] a confirmé verbalement à de nombreuses reprises qu’il avait continué de travailler jusqu’au 9 octobre 2018 inclusivement ». De plus, le demandeur souligne le témoignage de l’agent selon lequel dès qu’il a été informé que sa demande de PTPD était rejetée parce qu’il avait travaillé en violation des règles, le demandeur est devenu mécontent et a changé son histoire, affirmant qu’il [traduction] « n’avait pas travaillé ».

[24]  Le demandeur souligne que les notes de l’agent ne font pas mention de ces témoignages, et qu’elles équivalent à une tentative de renforcer les motifs de l’agent. Cela n’est pas permis : Seemungal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 524, au par. 21 [Seemungal], et Abdullah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1185, au par. 12 à 15 [Abdullah].

[25]  Le défendeur reconnaît qu’il n’est pas acceptable pour un agent d’étayer ou de corriger une décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire, mais soutient qu’en l’espèce, les affidavits de l’agent fournissent simplement un contexte et expliquent le raisonnement, ce qui est permis (Pompey c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 862, aux par. 25 et 32; Kalra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 941, au par. 15 [Kalra]). Le défendeur précise que les affidavits de l’agent visent simplement à expliquer ce qui s’est produit durant l’entrevue et qu’ils ne visent pas à ajouter des éléments aux motifs de rejet du PTPD énoncés dans les notes de l’agent.  

[26]  Je conclus que, malgré le fait que certaines déclarations figurant dans les affidavits de l’agent vont au‑delà de ce qui est indiqué dans les notes, cela n’a pas pour effet de rendre inadmissible l’ensemble de la preuve de l’agent. Contrairement à la situation dans les décisions citées par le demandeur, les affidavits de l’agent, en l’espèce, ne visent pas à corriger ou à compléter la décision faisant l’objet du contrôle. Ils visent plutôt à donner des précisions sur ce qui s’est produit durant l’entrevue sans modifier ou accentuer l’analyse ou la conclusion.

[27]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les affidavits de l’agent comprennent certains renseignements nouveaux et supplémentaires qui vont au‑delà de ce qui est indiqué dans les notes, et plus particulièrement la référence de l’agent aux témoignages répétés du demandeur selon lesquels il a travaillé jusqu’au 9 octobre 2018, et au fait que le demandeur a changé son histoire durant l’entrevue. Ces deux énoncés équivalent à de nouveaux faits et ne sont pas permis. Pour ce motif, je n’accorderai pas de poids à ces aspects des affidavits.

[28]  Toutefois, je conclus que les affidavits sont par ailleurs admissibles. L’agent explique son processus de prise de notes, y compris le fait qu’il transcrit ses notes écrites à la main dans son ordinateur, et qu’il les transfère ensuite dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC) du défendeur. Il explique également que, puisqu’il n’est pas en mesure d’imprimer les dossiers à partir de ce système, il les a copiés dans un document dans son ordinateur, afin de produire les notes qui ont été soumises dans le cadre du dossier de la demande de contrôle judiciaire. Ces explications n’ont pas pour but de renforcer ou d’améliorer par ailleurs la décision faisant l’objet du contrôle. Les faits de la présente affaire peuvent être distingués des affaires Seemungal et Abdullah citées par le demandeur. La situation en l’espèce est similaire à celle dans Kalra, où il a été décidé que l’affidavit d’un agent peut être utilisé pour « donner plus de détails sur les renseignements qui se trouvaient dans les notes » (au par. 15).

[29]  En me fondant sur l’analyse ci‑dessus, j’écarterai les renseignements précis supplémentaires qui figurent dans les affidavits de l’agent, mais je n’exclurai pas ces affidavits. Comme je l’ai mentionné, il existe une contradiction flagrante dans la preuve au sujet de ce qui s’est passé durant l’entrevue, et elle sera abordée dans la prochaine section lors de l’analyse du bien‑fondé de la décision.

B.  La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[30]  Le demandeur soutient que la décision était déraisonnable, et ce, pour deux principaux motifs : (i) il nie avoir dit à l’agent qu’il avait travaillé jusqu’au 9 octobre 2018 et il soutient que sa preuve devrait être privilégiée à celle de l’agent; (ii) l’agent a mal interprété le droit applicable en ce qui concerne la question de savoir si le demandeur était autorisé à travailler pendant la période pertinente et, par conséquent, sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas le droit de travailler est déraisonnable.

(1)  Devrait‑on privilégier la preuve du demandeur à celle de l’agent?

[31]  En ce qui concerne la première question, il existe une contradiction dans la preuve dont la Cour est saisie. Le demandeur soutient avoir confirmé qu’il avait seulement travaillé le 8 et 9 septembre 2018. Il précise que, durant l’entrevue, il a dit à l’agent qu’il ne se souvenait pas des dates précises où il avait travaillé en septembre, mais que c’était environ un mois avant l’entrevue (qui a eu lieu le 9 octobre 2018). Cet aspect du récit du demandeur est abordé dans le passage suivant de son affidavit daté du 3 janvier 2019 :

[traduction]

14.  L’agent des services frontaliers m’a interrogé et m’a demandé si j’avais travaillé pendant mes études, ce à quoi j’ai répondu que je n’avais pas d’emploi à temps partiel et que je faisais quelques quarts de travail de livraison pour mon ami Sahil qui était embauché par Skip the Dishes. L’ASF m’a ensuite posé des questions sur ma situation actuelle, soit si j’avais travaillé. J’ai répondu que j’avais récemment réussi mon permis de formation de classe 1 pour travailler comme camionneur afin d’être prêt à obtenir un emploi en tant que camionneur […] J’ai ensuite répondu à l’agent que j’avais fait quelques quarts de travail pour Sahil comme livreur chez Skip the Dishes en septembre. J’ai dit à l’agent que de mémoire, je ne me souvenais pas des dates précises. Il en est ainsi parce que les renseignements sur le quart de travail étaient dans le compte de Sahil. L’agent a répondu : « Peut‑être que tu as travaillé pour eux hier? » J’ai répondu non et que je ne me souvenais pas des dates exactes, mais c’était un mois auparavant. L’agent ne m’a pas cru et m’a informé que je n’avais pas le droit de travailler après l’achèvement de mes études […].

[32]  En contre‑interrogatoire, le demandeur a confirmé avoir dit à l’agent qu’il ne se souvenait pas des dates précises où il avait travaillé et qu’il n’était pas certain si c’était avant ou après avoir reçu ses relevés de notes officiels le 20 septembre 2018. Il a continué de nier avoir dit à l’agent qu’il avait travaillé jusqu’au moment de l’entrevue.

[33]  En revanche, les notes de l’agent indiquent que le demandeur avait affirmé avoir travaillé jusqu’à la date de l’entrevue le 9 octobre 2018, et cela est confirmé dans l’affidavit de l’agent. En contre‑interrogatoire, l’avocat du demandeur a demandé à l’agent s’il avait inscrit dans ses notes que le demandeur avait affirmé avoir travaillé le 9 octobre, mais avant qu’il réponde à la question, l’avocat a demandé une courte pause, et a ensuite mis fin au contre‑interrogatoire.

[34]  Le demandeur soutient qu’on devrait privilégier sa preuve plutôt que celle de l’agent, et il a souligné un certain nombre des problèmes dans la façon dont l’agent a préparé les notes qui figurent au dossier. Le demandeur soutient que les notes n’ont pas pour but d’être une transcription textuelle de ce qui a été dit pendant l’entrevue, ni un résumé des questions et des réponses posées; elles résument plutôt simplement l’analyse et les conclusions de l’agent. Par conséquent, les notes devraient être écartées à titre de preuve de ce qui est véritablement ressorti de l’entrevue. Le contre‑interrogatoire de l’agent a été en grande partie consacré à cette question, laquelle a été reprise au cours de la plaidoirie. Il s’agit du fondement de l’argument du demandeur selon lequel on devrait accorder plus de poids à sa preuve qu’à celle de l’agent.

[35]  Je n’en suis pas convaincu.

[36]  Premièrement, la description par l’agent de la façon dont il prend normalement ses notes et les intègre au SMGC ne permet pas de contester leur exactitude globale. L’agent a précisé qu’il prend des notes à la main pendant l’entrevue, qu’il les transcrit ensuite dans un document Word. Étant donné que le SMGC est programmé pour [traduction« mettre fin à la session » après un certain temps, il n’a pas ajouté ses notes directement dans le système. Une fois qu’il a terminé le document Word, il ne fait que le copier dans le SMGC. Lorsqu’il a été tenu de produire des notes dans le cadre du dossier de la demande de contrôle judiciaire, l’agent a recopié les notes du SMGC dans un document Word, parce qu’il n’était pas en mesure d’imprimer les notes directement du SMGC. Rien de tout cela ne met en doute l’exactitude des notes.

[37]  Deuxièmement, l’agent n’a pas l’intention de rédiger une transcription textuelle, mais visait plutôt à mettre en évidence les points essentiels de l’entrevue avec le demandeur. Les autres notes de ce type ne sont pas toujours préparées ainsi, mais cet élément en soi n’est pas une indication d’absence de fiabilité. Il pourrait être plus prudent que les notes d’entrevues suivent étroitement les questions posées et les réponses obtenues, mais le fait que ces notes en particulier ne soient pas structurées de cette manière n’est pas un motif pour préférer le récit du demandeur à celui de l’agent.

[38]  Troisièmement, la preuve de l’agent concorde pour dire que les notes ont été préparées en même temps que l’entrevue et qu’elles reflètent fidèlement ce que le demandeur lui a dit à l’entrevue. Comme il sera décrit plus en détail ci‑dessous, les notes reflètent l’analyse des faits de l’agent compte tenu des exigences des lois et des politiques, et elles mettent en évidence les principaux points.

[39]  La jurisprudence de la Cour établit qu’on doit généralement accorder beaucoup de poids aux notes d’un agent, parce qu’elles reflètent le document contemporain de l’interaction par un agent formé qui n’a aucun intérêt personnel dans l’issue de l’affaire (voir le résumé de la jurisprudence dans Waked c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 885, au par. 22).

[40]  De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les efforts du demandeur pour mettre en doute la preuve de l’agent ont été faits d’une façon qui est injuste parce qu’elle ne respecte pas la règle énoncée dans Browne c Dunn (1893), 6 R 67 (CL R-U). En résumé, cette règle prévoit que, si une partie qui désire mettre la crédibilité d’un témoin en cause en déposant des éléments de preuve contradictoires ou incompatibles, elle doit attirer l’attention du témoin sur ces éléments de preuve en contre‑interrogatoire (voir Bokhari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 354, au par. 27). Le demandeur n’a pas fait cela pendant le contre‑interrogatoire de l’agent, ce qui nuit à ses efforts de remettre en cause la preuve de l’agent.

[41]  Si nous revenons sur la question de la preuve en l’espèce, les notes et le contre‑interrogatoire de l’agent confirment que le demandeur a affirmé avoir travaillé jusqu’au moment de l’entrevue le 9 octobre 2018. Nul ne conteste les autres conclusions de l’agent, notamment le fait que le demandeur avait reçu deux lettres datées du 31 août 2018 de l’Université du Manitoba indiquant qu’il avait terminé ses études et qu’il ne s’était pas inscrit à d’autres cours ou à un autre programme d’études.

[42]  Je préfère les éléments de preuve de l’agent à ceux du demandeur, et je ne suis pas convaincu par les tentatives du demandeur de remettre en doute la fiabilité de cet élément de preuve.

[43]  Cela est suffisant pour régler l’affaire, étant donné que le demandeur a convenu que s’il avait travaillé après avoir reçu ses relevés de notes, la conclusion de l’agent serait inattaquable. Toutefois, je vais traiter ci‑dessous de la deuxième question en litige, à la lumière des arguments présentés relativement à cette question.

(2)  L’interprétation des lois et politiques pertinentes par l’agent est‑elle déraisonnable?

[44]  L’essentiel de l’argument du demandeur sur ce point se fonde sur le fait qu’il était encore théoriquement [traduction« inscrit » à son programme d’études quand il travaillait, et que l’agent a mal interprété les lois qui régissent la situation. Cela rend la décision déraisonnable.

[45]  Le demandeur soutient qu’il avait encore le droit de travailler après avoir reçu les lettres du 31 août. La politique de [traduction« travail hors campus et achèvement d’un programme d’études » (la politique sur le travail hors campus) du défendeur prévoit qu’un étudiant peut travailler à temps partiel pendant la période suivant la fin des cours et des examens, et précédant la réception d’une confirmation écrite de l’achèvement du programme de son établissement. Il existe d’autres exigences, mais aucune n’est pertinente en l’espèce. Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il avait travaillé sans autorisation. La question cruciale est énoncée dans le passage suivant du mémoire supplémentaire des faits et du droit du demandeur :

[traduction]

En ce qui concerne les motifs de l’agent selon lesquelles le demandeur avait travaillé sans autorisation, le demandeur a fourni à l’agent une copie de ses relevés de notes officiels datés du 20 septembre 2018. Il est soutenu que le relevé officiel de l’Université du Manitoba est la confirmation écrite de l’achèvement du programme qui a permis au demandeur de recevoir un permis de travail postuniversitaire et c’est ce même document qui lui a fait perdre le droit de travailler à temps partiel en l’avisant qu’il avait terminé ses études. À première vue, les lettres du 31 août en soi ne permettent pas au demandeur d’obtenir un permis postuniversitaire et ne peuvent être interprétées comme des lettres d’achèvement.

[46]  Le demandeur soutient qu’il était toujours inscrit à son programme après avoir reçu les lettres du 31 août. Il renvoie à la lettre de l’Université du Manitoba datée du 15 mars 2018, qui précise qu’il est inscrit dans un programme de gestion appliquée des ressources humaines à temps complet [traduction] « débutant le 18 septembre 2017 et se terminant le 14 septembre 2018 ». Il soutient qu’il s’agit de la preuve qu’il était toujours [traduction] « inscrit » à un programme d’études à temps plein quand il travaillait et que la conclusion de l’agent selon laquelle il avait travaillé sans autorisation n’est donc pas raisonnable.

[47]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’alinéa 186v) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], qui établit les règles régissant le travail pour les titulaires de permis d’études. Les notes de l’agent ne contiennent aucune référence à cette disposition et ne donnent pas à penser qu’il l’a appliquée. Le Règlement doit l’emporter, et toute politique incompatible avec le Règlement ne devrait pas être appliquée.

[48]  De plus, le demandeur compare la lettre détaillée et précise d’achèvement du programme qu’il a reçu du Cambrian College avec la teneur succincte et la formulation générale des lettres du 31 août de l’Université du Manitoba. Il soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que les lettres du 31 août étaient le genre de confirmation d’achèvement du programme auquel faisait référence la politique sur le travail hors campus.

[49]  Le défendeur soutient que la question soumise à la Cour n’est pas celle de savoir si l’interprétation qu’a fait l’agent des règles était correcte, mais de savoir plutôt si elle était raisonnable, puisque cette question concerne l’interprétation faite par l’agent de sa loi constitutive (en l’espèce, le Règlement) et l’orientation stratégique qui a été fournie aux agents pour les aider à appliquer la loi. Le défendeur soutient que l’agent, en l’espèce, a appliqué la bonne politique et les bonnes règles, et l’interprétation qu’il en a faite, ainsi que l’examen des faits, était raisonnable.

[50]  Les arguments du demandeur à l’égard de ce point ne me convainquent pas. L’interprétation faite par l’agent des politiques pertinentes est raisonnable, et son raisonnement est limpide, à la lecture de la décision.

[51]  La conclusion de l’agent se fonde sur deux conclusions principales : (i) le demandeur a travaillé sans autorisation après avoir reçu la confirmation de l’Université du Manitoba qu’il avait terminé son programme d’études; et (ii) conformément au paragraphe 200(3) du Règlement, un PTPD n’a pas pu être délivré parce que le demandeur a travaillé sans autorisation.

[52]  En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur a travaillé sans autorisation, l’agent devait de tenir compte de l’alinéa 186v) du Règlement. Toutefois, l’agent avait également le droit de tenir compte de la politique sur le travail hors campus, qui prévoit ce qui suit :

Les étudiants peuvent travailler hors campus à temps partiel dans les cas suivants :

  ils répondent aux critères d’admissibilité du permis de travail hors campus [R186(v)]

  ils ont satisfait aux dernières exigences de leur programme d’études, mais n’ont pas encore reçu la confirmation écrite de la part de l’établissement indiquant qu’ils ont terminé le programme avec succès (p. ex. relevé de notes, lettre officielle, courriel officiel);

  ils n’ont pas présenté une demande de permis de travail (p. ex., permis de travail postdiplôme ou permis de travail accompagné d’une étude d’impact sur le marché du travail valide) ou une demande de prorogation du permis d’études, et ne sont pas inscrits à un autre programme d’études

Ils peuvent travailler jusqu’à la date à laquelle ils reçoivent la confirmation écrite de leur établissement d’enseignement indiquant qu’ils ont terminé leur programme d’études (p. ex. courriel, lettre, relevé de notes ou diplôme), pourvu que leur permis d’études demeure valide pendant cette période. […]

Lorsque l’étudiant reçoit une confirmation écrite de son établissement d’enseignement indiquant qu’il a terminé son programme, il n’est plus autorisé à continuer à travailler au Canada, puisqu’il ne répond plus aux critères d’admissibilité énoncés à l’alinéa R186v). Il doit présenter une demande pour changer son statut (p. ex., changement pour un statut de visiteur) ou quitter le Canada avant que son permis d’études ne devienne invalide, conformément à l’article R222.

[Souligné dans l’original.]

[53]  Les notes de l’agent contiennent l’analyse requise par la politique sur le travail hors campus. L’agent a conclu que les lettres du 31 août reçues par le demandeur constituent une confirmation écrite de l’achèvement du programme et que le demandeur a avoué avoir travaillé après la réception de ces lettres. Par conséquent, il a travaillé sans autorisation.

[54]  Le demandeur conteste cette conclusion, et souligne le fait qu’il ne pensait pas que les lettres du 31 août suffisaient pour respecter les exigences d’obtention d’un PTPD. Par conséquent, il a attendu de recevoir ses relevés de notes pour se rendre à la frontière et présenter une demande. Son argumentation confond les deux programmes et établit entre eux un lien qui n’existe pas. Je n’ai pas à trancher la question de savoir si les lettres du 31 août étaient suffisantes pour permettre au demandeur d’avoir droit à un PTPD, et il ne s’agit pas d’une question pertinente pour juger si le demandeur a travaillé sans autorisation comme titulaire d’un permis d’études. L’agent n’a pas commis d’erreur en centrant son analyse sur la politique précise qui régit cette question, étant donné la situation particulière du demandeur. La politique sur le travail hors campus aborde les exigences et les limites du travail étudiant pendant la période suivant la fin des cours et des examens et précédant la réception de la confirmation d’achèvement du programme. Il s’agit précisément de la situation dans laquelle se trouvait le demandeur pendant la période pertinente.

[55]  À mon avis, la conclusion factuelle de l’agent selon laquelle les lettres du 31 août constituaient un avis au demandeur du fait qu’il avait terminé son programme d’études est raisonnable. La partie pertinente de la première lettre énonce ce qui suit : [traduction« J’ai le plaisir de vous informer que le département des études prolongées de la faculté d’éducation professionnelle et permanente de l’Université du Manitoba a jugé que vous aviez rempli toutes les exigences pour obtenir un Certificat : Gestion des ressources humaines » (en caractères gras dans l’original). La deuxième lettre indique que le demandeur a [traduction« rempli toutes les exigences » d’obtention de [traductionl’« Attestation de réussite : Succès au Canada » (en caractères gras dans l’original).

[56]  Les lettres du 31 août fournissent d’autres renseignements sur le moment où le certificat sera disponible et précisent que le relevé de notes [traduction] « indiquera que vous avez obtenu votre diplôme après la date officielle de la remise des diplômes ». Toutefois, cela ne met pas en doute la confirmation précédente selon laquelle le demandeur avait terminé ses programmes avec succès.

[57]  Les notes de l’agent indiquent clairement qu’il avait tenu compte de ces lettres dans le contexte des exigences du travail hors campus et a conclu que le demandeur avait [traduction] « reçu la confirmation écrite de l’achèvement des programmes de leur établissement (par exemple, un relevé de notes, une lettre officielle ou un courriel) ». Il s’agit là d’une conclusion raisonnable.

[58]  Le fait que le Cambrian College a fourni une lettre formulée différemment pour signaler l’achèvement d’un programme au demandeur ne rend pas la décision de l’agent déraisonnable. En effet, la politique sur le travail hors campus indique que la confirmation d’achèvement d’un programme peut se traduire par une lettre, un courriel ou un relevé de notes officiel. L’essentiel est ce qui est transmis par le document et, en l’espèce, il n’existe aucun doute que les lettres du 31 août confirmaient au demandeur qu’il avait terminé son programme avec succès. Selon les modalités de la politique sur le travail hors campus, cela lui enlevait le droit de travailler jusqu’à l’obtention d’un autre statut au Canada.

[59]  La conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur avait travaillé après avoir reçu la confirmation de l’achèvement du programme est raisonnable. Elle est étayée par le droit et la preuve, et le raisonnement de l’agent est suffisamment bien expliqué, même si les motifs ne sont pas longs ou détaillés. Les motifs doivent être examinés à la lumière du contexte administratif dans lequel ils ont été fournis (Vavilov, aux par. 91 à 98). Dans les circonstances d’une demande de permis de travail présentée à un poste frontalier, les motifs sont suffisants.

[60]  La conclusion de l’agent selon laquelle le PTPD ne pouvait pas être délivré étant donné que le demandeur a contrevenu à l’alinéa 200(3)e) du Règlement n’est pas contestée et, en tout état de cause, les conclusions du demandeur sont inattaquables compte tenu du libellé de cette disposition.

IV.  Conclusion

[61]  Pour les présents motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[62]  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

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JUGEMENT dans IMM-5111-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de juillet 2020

M. Deslippes, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5111-18

INTITULÉ :

SUKHMANDEEP SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 30 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

le 12 JUIN 2020

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Chaobo Jiang

POUR LE DEMANDEUR

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Zaifman Immigration Lawyers

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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