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Date : 20010409

Dossier : IMM-951-00

Référence neutre : 2001 CFPI 308

ENTRE :

                                       BAO GUO CHEN

                                                                                           demandeur

                                                     et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A. INTRODUCTION


[1]    Bao Guo Chen (le demandeur) est un citoyen de Chine âgé de 24 ans qui vient du village Daxie, dans la province du Fujian, et dont la demande de statut de réfugié a été refusée le 20 décembre 1999, dans une décision qu'a rendue verbalement le président d'audience d'un tribunal de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal).

[2]    La demande de statut de réfugié du demandeur reposait sur deux motifs, soit la persécution fondée sur les croyances religieuses, en l'occurrence, le bouddhisme, et l'appartenance à un groupe social, c'est-à-dire les personnes qui craignent d'être persécutées par le comité de planification familiale, par suite de la transgression par son frère de la politique interdisant d'avoir plus d'un enfant.

[3]    Le demandeur conteste la décision du Tribunal par voie de contrôle judiciaire en invoquant plusieurs motifs, dont l'examen d'un seul suffit à trancher la présente affaire. Il s'agit de la qualité de l'interprétation.

B.        L'EXAMEN DE LA TRANSCRIPTION

[4]    Un examen de la transcription de l'audience tenue le 16 décembre 1999 à l'égard de la demande de statut de réfugié du demandeur indique ce qui suit :

a)         un interprète traduisant de l'anglais au mandarin était présent;

b)         l'avocate du demandeur a souligné, au début de l'audience, que les services d'un interprète spécialisé dans le dialecte de Fuzhou avaient été demandés;

c)         le demandeur a confirmé qu'il comprenait l'interprétation que l'interprète a fournie dans le dialecte de Fuzhou;


d)         à la page 4 de la transcription, des problèmes se sont manifestés lorsque l'interprète a commencé à donner plusieurs réponses, indiquées dans la transcription par le mot « incompréhensible » . Des indications de cette nature ont été relevées dans plusieurs pages de la transcription;

e)         à la page 6 de la transcription, le président de l'audience rappelle à l'interprète qu'il ne doit pas donner d'explication au demandeur, mais simplement interpréter;

f)          à la page 8 de la transcription, l'avocate du demandeur demande à celui-ci comment il était devenu bouddhiste; selon la transcription, la réponse à cette question est « incompréhensible » . L'avocate du demandeur rappelle à l'interprète qu'il est important de traduire ce que son client a dit et que, si celui-ci ne comprend pas, il peut demander à toute personne de reformuler la question;

g)         sur la même page, l'avocate demande à son client : [TRADUCTION] « comprenez-vous ma question? » , et le demandeur répond comme suit : [TRADUCTION] « Non, je ne comprends pas » ;

h)         sur la même page, en réponse à la question de savoir ce qu'il faisait comme bouddhiste, le demandeur a répondu qu'il l'ignorait;


i)          à la page 9 de la transcription, le président de l'audience dit à l'interprète : [TRADUCTION] « je n'ai pas compris » et, après quelques lignes, il lui demande : [TRADUCTION] « Monsieur l'interprète, quelle est la question que vous lui posez? Que lui dites-vous? » ; selon la transcription, l'interprète a dit : [TRADUCTION] « je veux... je veux dire (incompréhensible) » et l'avocate du demandeur a répondu comme suit : [TRADUCTION] « oui, nous le lui demanderons. Nous devons nous assurer de ce qu'il a dit et de ce que vous dites » ;

j)          à la page 10, l'avocate du demandeur demande à l'interprète : [TRADUCTION] « avez-vous du mal à comprendre? » et l'interprète répond comme suit : [TRADUCTION] « je ne peux pas... il, vous savez, il ne communique pas très bien » . L'autre membre du Tribunal a ensuite demandé au demandeur de parler plus fort, parce qu'il lui semblait que celui-ci parlait à voix très basse;

k)         à la page 11 de la transcription, l'avocate demande encore une fois à l'interprète s'il a du mal à comprendre le demandeur et l'interprète répond comme suit : [TRADUCTION] « non, ce n'est pas un problème pour lui, mais (incompréhensible) alors, je ne puis arriver à comprendre ce qu'il veut dire » . Le président de l'audience pose alors la question suivante : [TRADUCTION] « c'est donc en raison du nombre de mots qu'il dit? » , et l'interprète répond : [TRADUCTION] « oui » ;


l)          à la page 13, l'autre membre du Tribunal demande au demandeur : [TRADUCTION] « comprenez-vous ce que nous vous demandons de faire? » , et la réponse est la suivante : [TRADUCTION] « ce n'est pas très clair » . Le président de l'audience formule alors la remarque suivante : [TRADUCTION] « je ne crois pas que le problème concerne le dialecte... je pense que c'est simplement la façon dont le demandeur parle » , et l'avocate du demandeur répond comme suit : [TRADUCTION] « c'est ce que je veux dire; parce qu'il parle de façon saccadée et ... » ;

m)        à la page 15, la transcription fait état d'une certaine confusion en ce qui concerne l'une des réponses du demandeur au sujet de l'ampleur des cérémonies religieuses du bouddhisme; le demandeur poursuit ensuite en demandant : [TRADUCTION] « puis-je essayer le mandarin? » ;

n)         à la page 19 de la transcription, par suite d'une réponse incompréhensible de l'interprète, le président de l'audience veut savoir ce que le demandeur dit et l'interprète répond : [TRADUCTION] « oui (incompréhensible), village ici » ;

o)         à la page 34, en réponse à la question du président de l'audience au sujet de l'endroit où vivait Bouddha, le demandeur répond : [TRADUCTION] « je l'ignore » ;

p)         à la page 31, l'agent chargé de la revendication demande au demandeur s'il appartenait à la religion de Qui Gong. Par suite de la réponse donnée par l'interprète, le président de l'audience pose la question suivante : [TRADUCTION] « Monsieur l'interprète, est-ce ce que le demandeur dit ou ce que vous dites? » .


C. ANALYSE

(1)        La question préliminaire

[5]                Comme argument préliminaire, l'avocate du défendeur a contesté la compétence de la Cour fédérale en ce qui a trait à des questions qui n'avaient pas été invoquées devant le Tribunal. Plus précisément, elle s'est opposée à ce que le demandeur allègue que ses droits reconnus à l'alinéa 10b) et à l'article 7 de la Charte avaient été violés ou que les notes consignées au point d'entrée devraient être exclues conformément au paragraphe 24(2) de la Charte.

[6]                Après avoir entendu les avocates des parties, j'ai décidé que ces arguments étaient inadmissibles, compte tenu de la décision que Monsieur le juge Gibson a rendue dans l'affaire Xing Kang Chen c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier IMM-808-00, 29 novembre 2000), qui portait directement sur la question.

(2)        La question de fond

[7]                Sur le plan de la qualité de l'interprétation, la situation examinée en l'espèce est remarquablement semblable à celle de l'affaire Tung c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 124 N.R. 388 (C.A.F.).


[8]                Après avoir pris connaissance de la transcription, Monsieur le juge Stone a conclu, à la page 392, que celle-ci « contient elle-même des passages que l'on ne peut qualifier que de difficiles, sinon de totalement incohérents » . Voici comment il s'est exprimé :

[13]    À mon avis, l'appelant avait le droit de relater dans sa langue, par l'entremise de l'interprète, les faits qui justifiaient sa crainte tout comme il aurait pu le faire s'il avait pu s'exprimer en anglais devant la Commission. La justice naturelle exigeait rien de moins que cela. Pourtant, il a de toute évidence été incapable de le faire en ce qui a trait à des points essentiels de sa revendication à cause de la piètre qualité de la traduction. Je ne doute pas que cet état de chose a porté préjudice à l'appelant dans les procédures devant les instances inférieures comme il lui en cause un devant cette Cour car nous sommes appelés à examiner d'importants aspects de la décision de la Commission sur le vu d'un dossier qui est évidemment lacunaire.

[9]                Dans l'arrêt Xie c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 10 Imm. L.R. (2d) 284, Monsieur le juge MacGuigan a prononcé le jugement au nom de la Cour d'appel fédérale dans une affaire où un avocat avait soulevé des objections au sujet de la qualité de l'interprétation, de la vitesse à laquelle l'interprète s'exprimait, du dialecte chinois qu'elle utilisait et des mots anglais qu'elle ajoutait en s'exprimant.

[10]            Le juge MacGuigan a accueilli la demande de contrôle judiciaire et a cité les commentaires suivants que Madame le juge Bertha Wilson a formulés dans l'arrêtSociété des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc. c. Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch, [1986] 1 R.C.S. 549 : « le principe de l'équité dans les procédures judiciaires exige à tout le moins qu'il y ait une capacité de comprendre et d'être compris » .


[11]            Le juge MacGuigan a statué que l'objection concernant la compétence de l'interprète était sérieuse et qu'une fois qu'elle était soulevée, elle devait être tranchée, mais peut-être pas nécessairement dans le cadre d'un voir-dire. Il a conclu qu'il appartenait à l'arbitre de s'assurer que l'interprète était compétent.

[12]            La transcription indique clairement l'existence, dès le début de l'audience, d'un problème grave touchant les communications entre le demandeur et l'interprète. Toutes les personnes présentes étaient conscientes de ce problème, qu'il s'agisse des membres du Tribunal, des avocates, du demandeur ou de l'interprète. Ce problème devait être résolu immédiatement et il appartenait au président de l'audience de le régler.

[13]            Le demandeur a été contraint de demander au Tribunal de passer du dialecte de Fuzhou au mandarin.

[14]            À mon avis, les problèmes de communication avec l'interprète étaient tels qu'ils ont empêché le demandeur de présenter sa version. Il ne s'agit pas ici d'une situation semblable à celle de l'affaire Banegas c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-2642-96, 30 juin 1997, où Madame le juge McGillis a examiné certaines erreurs d'interprétation précises et conclu que ces erreurs n'avaient créé aucun préjudice.

[15]            Dans la présente affaire, des communications fondamentales ont été échangées entre le demandeur et l'interprète pendant une bonne partie de l'audience.


[16]            Selon l'avocate du défendeur, les problèmes ont été réglés lorsque le demandeur a commencé à s'exprimer en mandarin.

[17]            Même s'il y a apparemment eu amélioration des communications, je ne suis pas convaincu que cette amélioration a réparé le blocage initial qui était majeur et vital en ce qui concerne la présentation de la version du demandeur.

CONCLUSION

[18]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée en vue d'un réexamen par un tribunal différent. Aucune question certifiée n'a été proposée.

« François Lemieux »

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO)

9 AVRIL 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


Date : 20010409

Dossier : IMM-951-00

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 9 AVRIL 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                       BAO GUO CHEN

                                                                                           demandeur

                                                     et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal est annulée et l'affaire est renvoyée en vue d'un réexamen par un tribunal différent. Aucune question certifiée n'a été proposée.

« François Lemieux »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                                 IMM-951-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                               BAO GUO CHEN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 16 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :            MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                         LE 9 AVRIL 2001

ONT COMPARU

Me ARLENE RIMER                                              POUR LE DEMANDEUR

Me BRENDA CARBONELL                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me ARLENE RIMER

VANCOUVER (C.-B.)                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Morris Rosenberg

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA                                                        POUR LE DÉFENDEUR

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