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Date : 20060410

Dossier : IMM‑9220‑04

Dossier : IMM‑3994‑05

 

Référence : 2006 CF 467

ENTRE :

SIRISENA KURUVITA ARACHCHIGE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

[1]        Le 4 août 2005, la juge Judith Snider a ordonné que les deux demandes de contrôle judiciaire concernant deux dossiers dont les parties sont les mêmes, IMM‑9220‑04 et IMM‑3994‑05, soient entendues conjointement, une fois accordée l’autorisation sollicitée dans chacun de ces dossiers. Le 25 janvier 2006, l’autorisation de procéder a été accordée dans chacune de ces instances.

 

[2]        Le 20 février 2006, la juge Snider a également ordonné que quelque vingt instances en immigration, y compris ces deux affaires, soient entendues conjointement, ou l’une immédiatement après l’autre, à la discrétion du juge chargé de se prononcer sur les questions concernant en tout ou partie les Directives no 7 émises par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Les Directives no 7 ont été examinées dans Thamotharem c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 16, et les affaires visées par l’ordonnance de la juge Snider soulevaient des questions touchant les Directives no 7 mais qui n’avaient pas été abordées dans Thamotharem.

 

[3]        L’ordonnance du 20 février 2006 de la juge Snider prévoyait également que les questions soulevées dans chacune de ces « affaires réunies » qui ne concernaient pas les Directives no 7 seraient tranchées au cours d’audiences distinctes présidées par un ou plusieurs juges.

 

[4]        Les 7 et 8 mars 2006, le juge Richard Mosley a entendu les arguments au sujet des questions non résolues concernant les Directives no 7 dans chacune des affaires réunies à Toronto et, lorsque nécessaire, par vidéo‑conférence.

 

[5]        Le 14 mars 2006, j’ai entendu à Halifax (Nouvelle‑Écosse) les arguments relatifs aux questions n’ayant aucun rapport avec les Directives no 7 qui ont été soulevées dans les dossiers IMM‑9220‑04 et IMM‑3994‑05. Les présents motifs d’ordonnance seront versés dans chacun de ces dossiers.

 

IMM‑9220‑04

 

[6]        Le demandeur, Sirisena Kuruvita Arachchige, conteste la décision du 8 octobre 2004 de la Section de la protection des réfugiés dans laquelle celle‑ci a déclaré qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[7]        En octobre 2002, M. Arachchige, un citoyen srilankais, a demandé l’asile au Canada après avoir participé ici au programme d’échanges de Jeunesse Canada Monde.

 

[8]        M. Arachchige a déclaré craindre d’être persécuté par trois individus et trois organismes. Le groupe social particulier auquel il appartient a été qualifié de groupe comprenant des personnes ayant connaissance des activités criminelles exercées par des personnes occupant des charges publiques.

 

[9]        L’audience relative à la demande d’asile a commencé au début de l’après‑midi du 29 septembre 2004. Aucun agent de protection des réfugiés n’assistait à l’audience. Le demandeur était représenté par un avocat qui a déclaré qu’il s’agissait là de la première audience relative à une demande d’asile à laquelle il représentait un demandeur.

 

[10]      Lorsque l’avocat a sollicité des directives au sujet de l’interrogatoire, le commissaire a déclaré qu’il poserait les questions en premier. L’avocat a répondu que c’était très bien.

 

[11]      Le commissaire a interrogé le demandeur au sujet de chacun des six agents de persécution. Dans chaque cas, il a demandé au demandeur pourquoi il craignait cet agent de persécution particulier. Le commissaire a également brièvement interrogé le demandeur au sujet de la protection de l’État et de la possibilité de refuge intérieur.

 

[12]      Dans sa décision, le commissaire a conclu que le témoignage du demandeur était de nature conjecturelle et n’était pas digne de foi. Le témoignage du demandeur selon lequel il courait personnellement un danger n’étant pas suffisamment fiable, la demande a été rejetée.

 

[13]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, on qualifie la conduite du commissaire à l’audience de violation de la justice naturelle et de l’équité procédurale et également de conduite suscitant une crainte raisonnable de partialité. Les conclusions négatives qu’a tirées le commissaire en matière de crédibilité ne sont pas contestées dans la présente instance. L’avocate qui représente le demandeur devant la Cour ne le représentait pas à l’audience relative à la demande d’asile.

 

[14]      Voici les principales déclarations du commissaire sur lesquelles le demandeur se fonde pour montrer qu’il a été interrogé de façon musclée et hostile et suscitant une crainte de partialité.

            [traduction]

·        Il me paraît important de tenir les audiences, de les terminer en respectant l’horaire, en leur donnant une audience équitable conformément à la justice naturelle et que l’examen des documents devrait venir en second lieu.

·        Je ne veux pas que nous nous lancions dans des discussions sur la procédure qui risqueraient de nous obliger à reporter l’audience [...] Cela semble être particulièrement le cas ici puisque nous avons commencé tard, l’audience du matin ayant été inutilement longue.

·        [...] vous aurez environ 20 minutes pour présenter vos observations.

·        Je dois vous dire que le président souhaite vivement que les audiences ne respectent pas seulement la justice naturelle mais qu’elles soient efficaces, qu’elles portent sur l’essentiel de la question et je considère également que ces aspects sont extrêmement importants. L’avantage est que les audiences se terminent à l’heure et que le demandeur n’a pas à attendre des mois parce que l’affaire a été ajournée.

·        Mes questions vont donc porter sur [...] sur les aspects essentiels de la demande. Après cela, vous pourrez poser des questions mais je ne voudrais pas que vous posiez des questions auxquelles il a déjà été répondu ou qui ne concernent pas la demande parce que je ne suis pas ici pour écrire un livre sur la vie du demandeur. Je suis simplement là pour décider s’il risque d’être persécuté et a besoin d’être protégé. D’accord. Si vos questions s’écartent des aspects essentiels, je vous le ferai savoir très poliment mais très clairement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]      On pourrait soutenir que certains commentaires, ceux qui sont soulignés, constituaient des remarques introductives inutiles et répétitives. Le demandeur soutient que les déclarations ont eu un « effet paralysant » sur son avocat. Je ne souscris pas à cet argument, surtout lorsqu’on replace ces commentaires dans l’ensemble de la transcription. Les commissaires de la Section de la protection des réfugiés n’estiment pas tous qu’il est nécessaire d’affirmer leur autorité de façon aussi précise au début de chaque audience. Le fait que ce commissaire ait jugé bon de le faire, là encore pris dans le contexte de l’ensemble de l’audience, ne constitue pas une erreur sujette à révision.

 

[16]      Le commissaire a interrogé le demandeur pendant près de trois heures. Une partie de ce temps a été consacrée à analyser des renseignements fournis par le demandeur, qui ne figuraient pas dans son formulaire de renseignements personnels.

 

[17]      Le commissaire a mis fin à l’interrogatoire du demandeur en fin d’après‑midi au moment où l’avocat a fait savoir qu’il craignait ne pouvoir respecter l’horaire et qu’il avait certains engagements personnels dont il devait s’occuper.

            [traduction]

·        LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Voilà qui a été fort complet.

 

LE COMMISSAIRE (à l’avocat)

 

Avez‑vous [l’avocat] des questions portant sur des sujets que je n’ai pas couverts?

 

L’AVOCAT (au commissaire)

 

Je suis un peu inquiet parce qu’il est cinq heures moins trois. Je dois m’occuper de certaines choses personnelles. Si je pouvais faire un appel téléphonique, je pourrais peut‑être m’arranger pour faire prendre mon fils à la garderie et nous pourrions poursuivre. J’apprécierais que le commissaire fasse une suggestion à ce sujet. Je ne savais pas jusqu’à quelle heure la Commission avait l’intention de siéger.

 

LE COMMISSAIRE (à l’avocat)

 

Vous pouvez certainement faire un appel téléphonique [...] pour savoir ce qu’il en est de votre fils, et je dirais que je lui ai posé toutes les questions que je voulais et que l’interrogatoire est pratiquement terminé.

 

L’AVOCAT (au commissaire)

 

Permettez‑moi de poser une question. Pensez‑vous que le retard mis à présenter la demande d’asile pose problème parce que [...]

 

LE COMMISSAIRE (à l’avocat)

 

Non [...] C’est un aspect sur lequel nous avons obtenu beaucoup plus de renseignements que nous le pensions et son exposé narratif a également été très complet. Ne vous gênez donc pas pour faire un appel et savoir ce qu’il en est de votre fils et ensuite, si nous nous entendons sur ce point, vous pourrez alors présenter vos observations.

 

 

L’audience a été brièvement suspendue pour permettre à l’avocat de s’occuper de ses engagements personnels par téléphone.

 

[18]      L’audience a repris pour aborder la question du dépôt tardif des documents par le demandeur. La question a été résolue sans grand débat, même si le demandeur laisse entendre que le commissaire aurait dû se prononcer sur cette question au début de l’audience. J’ai examiné la transcription et je ne comprends pas comment le moment auquel le commissaire a accepté le dépôt tardif de documents se rapportant aux observations orales du demandeur ait pu avoir un effet préjudiciable sur l’audience.

 

[19]      L’avocat a alors répété qu’il craignait de ne pas disposer de suffisamment de temps pour terminer ses observations orales. Le commissaire lui a répondu de la façon suivante :

 

[traduction]

Je vous félicite de ne pas avoir posé de questions stupides ou inutiles, ce que font certains avocats pour justifier leur présence, et j’estime que vous agissez ainsi en véritable professionnel mais je ne pense pas que vous y perdiez pour ce qui est de la présentation de vos observations. J’ai dit que je me guidais sur le bon sens et sur la raison et je tiens également à vous rappeler que la CISR a pour mission de préserver l’intégrité du système et que les demandeurs qui ne sont pas représentés par un avocat obtiennent une audience aussi équitable que ceux qui bénéficient de l’assistance d’un avocat et il y en a beaucoup qui ont été déclarés réfugiés au sens de la Convention ou personnes à protéger pourvu qu’ils répondent aux conditions fixées par la loi. C’est pourquoi je ne pense pas que vous devriez vous sentir pressé. Je vous invite à présenter des observations précises et pertinentes et je serai heureux de continuer à siéger après 17 h parce que j’estime que les demandeurs attendent depuis des années loin de leurs parents.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Ici, l’avocate soutient que le commissaire a eu une attitude méprisante envers les avocats lorsqu’il a déclaré que les demandeurs d’asile qui ne sont pas représentés bénéficient aussi d’une audience équitable. Je vois là tout au plus un commentaire inutile et non pertinent.

 

[20]      Quelque temps auparavant, le commissaire avait fait la remarque suivante :

 

[traduction]

Je pense que vous devez nous présenter vos observations de façon raisonnable et dans un délai raisonnable, mais si vous faites comme Fidel Castro et parlez pendant des heures, je vais bien sûr intervenir.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

J’estime que l’observation soulignée est hypothétique et inutile.

 

[21]      Il serait certes possible de qualifier de superflus certains commentaires formulés par le commissaire, mais je ne suis pas convaincu qu’ils démontrent l’existence d’une crainte de partialité. Je ne pense pas non plus qu’ils aient eu un « effet paralysant » sur l’avocat qui représentait le demandeur à l’audience relative à la demande d’asile. L’affidavit de l’avocat déposé à la Cour décrivait les lacunes qu’il avait perçues dans la conduite du commissaire, sans mentionner que cette conduite a eu un effet de ce genre.

 

[22]      Le commissaire a montré dès le départ qu’il était décidé à mener l’audience avec célérité mais de façon équitable. Il a procédé de façon ordonnée et exhaustive à l’interrogatoire du demandeur. Les questions posées portaient sur chacune des allégations du demandeur : Pourquoi craignez‑vous cet agent de persécution particulier? L’avocat ne s’est pas opposé aux questions du commissaire. Lorsqu’il a eu la possibilité d’interroger le demandeur, après un interrogatoire que le commissaire a lui‑même qualifié d’« exhaustif », l’avocat n’a soulevé qu’une seule question. Dans son affidavit, l’avocat qui représentait le demandeur devant la Section de la protection des réfugiés déclare : [traduction] « J’ai dû prendre une décision stratégique qui favoriserait le mieux la cause de mon client et j’ai décidé de ne pas l’interroger et de présenter uniquement ma plaidoirie [...] » Je ne peux souscrire à l’affirmation selon laquelle la décision de ne pas interroger davantage le demandeur résulte d’un prétendu « effet paralysant » qu’auraient eu les commentaires préliminaires du commissaire.

 

[23]      À mon avis, les termes utilisés par le commissaire et son comportement ne suscitent pas une crainte de partialité. L’examen des réponses du demandeur et des motifs de la décision amène nécessairement à conclure qu’il était loisible au commissaire de se prononcer sur le bien‑fondé de la demande comme il l’a fait.

 

[24]      Le demandeur n’a pas montré comment la façon dont le commissaire a conduit l’audience l’avait empêché de présenter sa preuve. Aucun des éléments dont je dispose indique quelle est la preuve que le demandeur n’a pu présenter. Comme je l’ai noté plus haut, le demandeur n’a pas contesté la conclusion négative du commissaire à l’égard de sa crédibilité, et n’a pas affirmé qu’elle était erronée ou qu’elle n’était pas expliquée en termes « clairs et non ambigus » dans ses motifs écrits.

 

[25]      En résumé, une personne d’esprit ouvert et raisonnablement informée, qui examinerait la question de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que le commissaire n’a pas examiné la demande d’asile du demandeur avec un esprit ouvert parce qu’il a déclaré vouloir que l’audience se déroule de façon efficace : Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394. Quoiqu’il en soit, l’examen de l’interrogatoire méthodique et mesuré dont a fait l’objet le demandeur sur tous les aspects de sa demande ne peut que dissiper tout doute sur ce point. Qu’on les examine séparément ou ensemble, les commentaires du commissaire contestés ici ne peuvent étayer une allégation de crainte de partialité.

 

[26]      Le demandeur mentionne également trois cas où le commissaire a interrompu les réponses fournies aux questions posées et ainsi compromis le caractère équitable de l’audience :

 

            [traduction]

a)   LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Eh bien, lorsque vous mentionnez que des membres de votre famille ont été tués par le JVP, faites‑vous référence à la révolte lancée par le JVP au cours de laquelle ils ont tué des milliers de personnes et des milliers de leurs membres ont été tués?

 

LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)

 

Pendant cette période, mon oncle Ajissan (phonétique) et la femme du fils de mon oncle (inaudible).

 

LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Je vous demandais simplement si vous faisiez référence à cette période. Je ne vous demande pas une liste parce que vous avez déjà fourni ces renseignements dans l’exposé narratif.

 

b)   LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Cela remonte à 1997 [...] un moment, s’il vous plaît. Ne m’interrompez pas.

 

LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)

 

Désolé.

 

c)   LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Et à quel moment vous êtes‑vous caché et où l’avez‑vous fait?

 

LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)

 

C’était après l’assassinat de mon cousin. Je demeurais dans une pension à Wiyapola (phonétique). Personne ne venait dans cette maison. C’était un endroit très sûr (inaudible) et c’est là que je vivais. J’étais très (inaudible) lorsque je vivais là et (inaudible) pendant plusieurs jours. Je restais dans une maison située à proximité de l’université (inaudible). À la plupart des gens que je connais, j’ai donné une adresse à (inaudible) et que c’était également une maison (inaudible) qui m’appartenait. C’est l’adresse que j’utilise encore.

 

LE COMMISSAIRE (à la personne concernée)

 

Ma question était, vous êtes‑vous déjà caché? Pourriez‑vous s’il vous plaît répondre à cette question?

 

LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)

 

Oui, je l’ai fait.

 

 

[27]      Là encore, que l’on examine ces commentaires séparément ou ensemble, ils n’appuient pas l’argument du demandeur selon lequel l’audience n’était pas équitable. Les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale exigent que l’audience soit équitable mais pas nécessairement qu’elle soit parfaite : Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, au paragraphe 46.

 

[28]      Les enregistrements audio montrent que le commissaire a utilisé un ton ferme et calme – presque monotone. Ni le commissaire, ni le demandeur, ni son avocat ni l’interprète n’ont élevé la voix au cours de l’audience. Tous les participants ont semblé faire preuve de courtoisie. Je suis convaincu que la décision du commissaire de tenir l’audience comme il l’a fait n’a pas eu pour effet de rendre celle‑ci inéquitable ou incomplète.

 

[29]      Pour ces motifs, les questions qui m’étaient soumises dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire et que j’ai examinées seront rejetées. Aucune partie n’a proposé la certification d’une question grave et aucune ne sera certifiée.

 

IMM‑3994‑05

 

[30]      Comme je l’ai noté plus haut, la demande d’asile du demandeur a été entendue au cours de l’après‑midi du 29 septembre 2004. Le commissaire qui a entendu la demande du demandeur (le premier commissaire) avait entendu une autre demande plus tôt ce jour‑là – la demande de Mudiyanselage. Là encore, ce commissaire a entendu une troisième demande – la demande de Patabendige – le lendemain matin, le 30 septembre. Les trois demandes étaient présentées par des citoyens srilankais. Le premier commissaire a rejeté chacune de ces demandes dans des décisions distinctes, toutes prononcées le 20 octobre 2004. Aucun agent de protection des réfugiés n’a participé à ces trois affaires.

 

[31]      Les trois demandeurs ont sollicité la réouverture de leur demande d’asile conformément à l’article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228. Le paragraphe 55(4) des Règles prévoit que la Section de la protection des réfugiés est tenue de faire droit à la demande de réouverture d’une demande d’asile « sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle ».

 

[32]      Les trois demandes de réouverture ont été examinées par le même commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le commissaire réviseur) qui était, bien entendu, un autre commissaire que celui qui avait prononcé les trois décisions négatives.

 

[33]      Les demandes ont été faites par écrit sans que soient présentées d’observations orales.

 

[34]      Le 8 juin 2005, le commissaire réviseur a prononcé trois décisions distinctes. Il a refusé la demande de réouverture du demandeur dans la présente instance, Sirisena Kuruvita Arachchige. Il a toutefois fait droit aux demandes visant la demande d’asile de Mudiyanselage et celle de Patabendige, et il a ordonné la tenue de nouvelles audiences par des formations constituées différemment.

 

[35]      Il est maintenant officiel que la demande de Mudiyanselage a été rejetée encore une fois après la seconde audience. Sa demande de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision a été rejetée par la Cour le 1er mars 2006, dans le dossier IMM‑7461‑05.

 

[36]      Les avocats des parties ont informé la Cour qu’à la suite d’une nouvelle audition, la Commission a reconnu à M. Patabendige la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[37]      La présente instance, IMM‑3994‑05, concerne la demande de contrôle judiciaire qui vise le refus de la part du commissaire réviseur d’accorder la demande de réouverture de la demande d’asile du demandeur Arachchige.

 

[38]      L’avocate de M. Arachchige a reconnu que si la décision négative initiale prononcée par la Section de la protection des réfugiés était annulée, la demande de contrôle judiciaire contestant le refus de rouvrir sa demande d’asile deviendrait théorique. L’avocate n’était toutefois pas disposée à faire ce qui m’apparaissait une concession correspondante : à savoir que la demande de contrôle judiciaire visant le rejet de la demande de réouverture deviendrait également théorique si, comme c’est le cas, la demande de contrôle judiciaire visant la première instance était rejetée. L’avocate du défendeur ne s’est pas opposé à la position adoptée par le demandeur.

 

[39]      J’entretiens toutefois de sérieux doutes sur la question de savoir si, sur le plan théorique, l’issue de ces deux instances peut être différente. Toutefois, étant donné que j’ai entendu les deux affaires ensemble, je vais me prononcer sur la seconde demande en fonction des questions soulevées par les parties.

 

[40]      Lorsque la justice naturelle est en cause, il n’est pas nécessaire de décider quelle est la norme de contrôle appropriée. Dans la présente instance, la Cour est aussi bien placée que le commissaire réviseur pour examiner les questions d’équité procédurale. Lorsqu’il y a eu violation de la justice naturelle, la Cour peut intervenir : Syndicat canadien de la fonction publique c . Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100; Canada (Procureur général) c. Fetherston, 2005 CAF 111, au paragraphe 16.

 

[41]      Selon l’avocate du demandeur, les trois demandes d’asile présentées par des Srilankais qui ont été entendues à Halifax les 29 et 30 septembre 2004 par le même commissaire doivent être considérées comme formant un ensemble. Elle affirme que le fait que le commissaire réviseur soit intervenu pour des motifs de justice naturelle dans la demande de Mudiyanselage et celle de Patabendige et pas dans celle de Arachchige est moralement et juridiquement inacceptable. Elle estime pour cette seule raison que je suis tenu d’annuler le refus par le commissaire réviseur de rouvrir la demande de M. Arachchige. Je ne peux souscrire à cet argument.

 

[42]      Premièrement, aucune demande de contrôle judiciaire visant la décision du commissaire réviseur n’avait été présentée dans les deux autres dossiers. Je ne peux conclure en droit si le commissaire réviseur a commis une erreur sujette à révision dans ces deux autres décisions.

 

[43]      Deuxièmement, il est logique sur le plan théorique que le commissaire réviseur ait constaté une violation de la justice naturelle dans deux des demandes mais pas dans la troisième.

 

[44]      Troisièmement, et en tout état de cause, le dossier relatif à la présente instance est limité pour ce qui est des deux autres demandes. Les trois décisions du commissaire réviseur, un affidavit de chacun des trois demandeurs et de certaines autres personnes et les observations écrites conjointes qui avaient été soumises au commissaire réviseur ont été déposés dans la présente instance. Les trois décisions du commissaire réviseur comprennent effectivement certains passages de la transcription des audiences relatives aux trois demandes d’asile initiales. Cependant, les transcriptions complètes et les enregistrements audio, qui ont été examinés par le commissaire réviseur saisi des demandes de Mudiyanselage et de Patabendige, n’ont pas été présentés à la Cour.

 

[45]      Le demandeur soulève deux autres questions. Il estime que le commissaire réviseur a commis une erreur en ne concluant pas que la conduite du premier commissaire suscitait une crainte raisonnable de partialité. Le commissaire réviseur a estimé qu’il existait une crainte raisonnable de partialité dans les affaires Mudiyanselage et Patabendige mais pas dans celle concernant le demandeur. On peut en déduire qu’il a fait une différence entre les erreurs qu’il avait constatées dans ces deux affaires et le dossier de la demande d’Arachchige. À mon avis, il avait toute latitude pour le faire et, compte tenu des éléments du dossier qui m’ont été présentés, je m’abstiendrai d’intervenir en l’instance, en me fondant sur l’argument de crainte de partialité présenté par le demandeur pour les mêmes raisons que j’ai exposées dans le dossier IMM‑9220‑04.

 

[46]      Le demandeur s’appuie également sur le fait que le premier commissaire a déclaré être préoccupé par la possibilité qu’il ait mélangé les faits concernant ces trois affaires. Il a fait des commentaires en ce sens au cours de l’audience relative à la demande de Patabendige le 30 septembre 2004. C’était la dernière de ces trois affaires. Selon l’avocate, si le commissaire a déclaré, au cours de la troisième audience, mélanger quelque peu les faits, cette confusion touche nécessairement les trois audiences.

 

[47]      Là encore, je ne peux retenir l’argument du demandeur. Le commissaire réviseur a ordonné la réouverture de la demande de Patabendige, en partie parce que le premier commissaire « avait exprimé à plusieurs reprises des préoccupations au sujet de sa compréhension des faits ». Selon le commissaire réviseur, cela avait compromis le droit d’être entendu de M. Patabendige. Exprimé simplement, le dossier de la demande de M. Arachchige ne contient aucun élément indiquant qu’il ait existé une confusion entre les faits relatifs à ces affaires. Là encore, le commissaire réviseur avait toute latitude pour conclure que le fait que le premier commissaire ait confondu certains faits le 30 septembre n’a pas vicié l’audience relative à la demande de M. Arachchige tenue le 29 septembre.

 

[48]      Il est utile de reproduire ici les paragraphes de la conclusion du commissaire réviseur dans la demande de Patabendige :

 

[traduction]

 

31.       En l’espèce, le commissaire avait le droit et l’obligation de contrôler le déroulement de l’enquête et, ce faisant, il avait le droit d’aborder la question de la pertinence au cours de l’audience, dans le cas où des problèmes se seraient posés dans ce domaine. Cela n’excuse pas l’avertissement préalable à l’audience de trois pages qui traite du problème que posent les questions non pertinentes et les avocats qui font du théâtre devant leur client avant que l’avocat du demandeur n’ait même posé une seule question au demandeur. Le ton est intimidant et a certainement pu avoir un effet paralysant sur la production de la preuve.

 

32.       En outre, le fait que le commissaire ait insisté de façon sarcastique sur la nécessité pour le demandeur de fournir des réponses précises, alors que celui‑ci avait déjà fourni une réponse précise, et qu’il ait cru bon d’ajouter un commentaire pour rabaisser ensuite l’importance des renseignements donnés, pouvait bien entendu avoir eu un effet troublant et paralysant.

 

33.       De plus, l’attitude méprisante du commissaire envers l’offre présentée par l’avocat de fournir des documents originaux, en particulier compte tenu du fait qu’il a refusé par la suite de déclarer ces documents authentiques, indique la possibilité qu’il ait préjugé de la demande avant d’avoir entendu toute la preuve et toutes les observations.

 

34.       Enfin, le fait que le commissaire ait exprimé à plusieurs reprises sa crainte de ne pas très bien s’y retrouver dans les faits indique qu’il n’a peut‑être effectivement pas compris les faits se rapportant à des affaires concernant le même pays entendues les unes à la suite des autres. Cet aspect soulève un doute quant au respect du droit d’être entendu du demandeur.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[49]      L’avertissement préalable à l’audience de trois pages qu’a lancé le premier commissaire dans l’affaire Patabendige est beaucoup plus long que l’intervention faite en l’espèce. Le fait « d’avoir insisté de façon sarcastique sur la nécessité » d’être précis, l’« attitude méprisante » et « les affirmations répétées concernant sa crainte de ne pas très bien s’y retrouver dans les faits » n’apparaissent pas dans la transcription de l’audience relative à la demande d’asile de M. Arachchige. Elles n’apparaissent pas non plus dans les enregistrements audio.

 

[50]      Là encore, compte tenu de la difficulté de comparer les trois décisions prises par le commissaire réviseur, l’examen des motifs qu’il a fournis dans l’affaire Patabendige montre une différence entre cette affaire et la présente espèce.

 

[51]      De la même façon, il n’est pas possible d’effectuer un examen du bien‑fondé de la décision du commissaire réviseur dans l’affaire Mudiyanselage sans avoir le bénéfice de la transcription et des enregistrements audio. Il suffit toutefois de faire référence au paragraphe suivant des motifs du commissaire réviseur pour comprendre que le comportement du premier commissaire au cours de l’audience relative à la demande de Mudiyanselage peut avoir été différent du comportement qu’il a adopté pendant l’audience d’Arachchige :

 

[traduction]

Dans ce long échange, l’avocat essaie d’interroger le demandeur sur sa crainte de retourner dans son pays et sur la protection de l’État, mais le commissaire semble en être déjà arrivé à une décision sur ces questions en se fondant sur les questions qu’il a lui‑même posées. Les neuf dernières pages de la transcription qui précèdent la présentation des observations de l’avocat sont toutes consacrées à un échange intense, voire animé, entre le commissaire et l’avocat. Le commissaire met en garde l’avocat à plusieurs reprises en utilisant des termes très durs et le commissaire devance les questions posées sur un sujet particulier – la possibilité que le demandeur ait été recruté par les TLET – en se fondant apparemment sur la conclusion à laquelle le commissaire en était déjà arrivé. Lorsque l’avocat signale le fait que le commentaire du commissaire est fondé sur une simple hypothèse, celui‑ci invite l’avocat à aborder ce sujet dans sa plaidoirie et l’invite à la présenter immédiatement.

 

[52]      En résumé, même après avoir procédé à la tâche assez délicate de comparer la décision qu’a prise le commissaire réviseur dans la présente demande et les décisions prises à l’égard des deux autres demandes, je conclus que le commissaire réviseur n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a rejeté la demande de réouverture de la demande d’asile présentée par le demandeur Arachchige.

 

[53]      Pour ces motifs, les questions qui m’ont été soumises dans le dossier du greffe IMM‑3994‑05 seront tranchées en faveur du défendeur. Là encore, je reconnais avec les avocats que les questions examinées dans les présents motifs ne se prêtent pas à la certification d’une question grave.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                       IMM‑9220‑04 et IMM‑3994‑05

 

 

INTITULÉ :                                                      SIRISENA KURUVITA ARACHCHIGE

                                                                           c.

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 14 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                 LE JUGE EN CHEF LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lori Hill

 

               POUR LE DEMANDEUR

Melissa Cameron

               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Halifax Refugee Clinic

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

 

               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

               POUR LE DÉFENDEUR

 

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