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Date : 20200611


Dossier : T‑505‑19

Référence : 2020 CF 682

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

TOYSRUS (CANADA) LTD.

demanderesse

et

HERBS RUS WELLNESS SOCIETY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  ToysRUs (Canada) Ltd possède la marque déposée suivante :

Elle cherche à faire respecter cette marque de commerce et les marques de commerce TOYS R US et « R US » connexes par Herbs “RUs Wellness Society, une société exploitant une boutique et un « dispensaire » de cannabis à Vancouver sous la marque et le nom commercial HERBS R US, présentés de la manière suivante :

[2]  Herbs “RUs n’a pas répondu à la présente demande bien qu’elle ait reçu signification de l’avis de demande, de sorte que la demande repose uniquement sur la preuve produite par ToysRUs. Sur la base de ces éléments de preuve, et bien que j’aie conclu que je devrais en ignorer certains, je suis convaincu que ToysRUs a établi que l’utilisation de la marque figurative HERBS R US est susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque déposée TOYS R US & Dessin, contrairement à l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13. Je conclus que ToysRUs a droit à une injonction pour empêcher l’utilisation de la marque et du nom commercial HERBS R US et a droit à des dommages‑intérêts symboliques, mais non punitifs, ainsi qu’aux dépens de la présente demande.

[3]  Cependant, je conclus que ToysRUs n’a pas établi de violation de marque de commerce en vertu de l’article 20 ou de commercialisation trompeuse en vertu du paragraphe 7b) de la Loi sur les marques de commerce. Bien que les similitudes entre les marques soient évidentes, les différences marquées entre les produits et services de Herbs “R” Us et ceux de ToysRUs sont telles que je ne peux pas conclure qu’un consommateur, même ordinaire et plutôt pressé ayant un vague souvenir des marques de TOYS R US – conclurait qu’ils ont été fabriqués, vendus ou exécutés par la même personne.

[4]  La demande est donc accueillie en partie.

II.  Questions en litige

[5]  Voici les questions soulevées par la présente demande :

[6]  Pour chacune de ces questions, ToysRUs a le fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

III.  Analyse

A.  Affidavit de l’avocat

[7]  À l’appui de sa demande, ToysRUs a produit deux affidavits relatifs au fond : l’un de Frank Juhasz, un cadre supérieur de ToysRUs, et l’autre d’un avocat associé employé par Gowling WLG (Canada) LLP, avocat de ToysRUs pour la présente demande. Elle a également produit des copies certifiées conformes de ses marques déposées et plusieurs affidavits de signification et de tentative de signification.

[8]  Dans son affidavit, l’avocat parle de deux visites au magasin de vente au détail Herbs “R” Us en mars et avril 2019, alors qu’il était stagiaire en droit. L’affidavit joint des photographies de l’extérieur du magasin et donne des impressions subjectives de la « proéminence » de l’affichage du magasin et des mots sur les affiches. De plus, l’affidavit décrit les actions de l’avocat, qui était étudiant à l’époque, qui s’est fait passer pour un client, en s’enregistrant en tant que « patient » pour accéder à la section arrière du magasin et qui a pris subrepticement une photo d’une liste de prix des produits et a acheté plusieurs articles de la boutique. Il mentionne ensuite ses impressions subjectives de l’intérieur du magasin et de son « atmosphère », le décrivant comme [traduction« un établissement de vente au détail bas de gamme peu impressionnant ».

[9]  Au cours de l’audience, j’ai soulevé une question concernant le recours à l’affidavit de l’avocat à la lumière de l’article 82 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, qui énonce ce qui suit :

[10]  La Cour d’appel fédérale a confirmé que les membres ou les employés d’un cabinet d’avocats ne devraient pas fournir de preuve concernant des questions litigieuses : Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133, aux paragraphes 4 et 5. Comme en l’espèce, Cross‑Canada était une procédure en matière de marques de commerce dans laquelle l’avocat s’appuyait sur des éléments de preuve tirés d’enquêtes de collègues, ce qui rend les observations de la Cour d’appel particulièrement pertinentes :

Il ne peut y avoir de règle stricte, mais il nous semble qu’il est malvenu pour un cabinet d’avocats de faire en sorte que ses employés agissent comme enquêteurs pour qu’ils fournissent ensuite un témoignage d’opinion sur les aspects les plus cruciaux de l’affaire. C’est particulièrement vrai lorsque, comme en l’espèce, il n’y a aucun témoignage de la part d’un non‑employé du cabinet au sujet de ces aspects cruciaux. Un témoignage d’opinion est censé être objectif. Faire en sorte que des employés d’un cabinet d’avocats fournissent un témoignage d’opinion crucial ne permet pas d’atteindre l’objectivité recherchée. Il est possible qu’en faisant un tel témoignage les employés en question soient motivés par leur loyauté envers leur employeur, ou par la crainte de subir des représailles ou le manque de possibilités d’avancement.

L’avocat des appelantes soutient que ce manque possible d’objectivité ne devrait s’appliquer qu’à l’importance qu’il convient d’accorder à une telle preuve. À notre avis, cela ne règle pas toujours complètement le problème. Dans la plupart des cas, des non‑employés objectifs peuvent mener une telle enquête et fournir de telles opinions. L’avocat qui a recours à des membres ou à des employés du cabinet pour fournir ce genre de preuve court le risque que l’on accorde moins de poids à cette preuve. Un client ne devrait pas être exposé à ce risque, à moins que ce ne soit clairement nécessaire. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut jamais le faire. Il y aura toujours des exceptions, et il convient de tenir compte de la totalité des circonstances de l’affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[11]  Bien que cette discussion se concentre sur des témoignages d’opinion, des préoccupations similaires se posent même lorsque des preuves factuelles sans opinion sont fournies sur des questions de fond, en particulier celles qui touchent au cœur des questions et vont au‑delà des « questions non controversées » : AB Hassle c Apotex Inc., 2008 CF 184, aux paragraphes 45 à 46, conf. par 2008 CAF 416; Cross‑Canada, au par. 7. La Cour d’appel a décrit un certain nombre de facteurs pertinents pour déterminer s’il convient d’accepter les éléments de preuve des employés du cabinet d’avocats menant le litige, y compris l’état de l’instance, l’importance de la preuve, la probabilité de conflit et la relation entre l’avocat, le témoin et les parties : Cross‑Canada, au par. 5, souscrivant aux conclusions de la Cour divisionnaire de l’Ontario dans Essa c Gueris; Memberg c Hill, (1993) 1993 CanLII 8756 (C. Div. Ont.), 52 CPR (3d) 372, à la page 382.

[12]  En l’espèce, j’estime que la nature et l’importance des éléments de preuve, et l’absence d’indication expliquant pourquoi les éléments de preuve devaient être présentés par un avocat de Gowling WLG, revêtent une importance particulière. Sur la base de ces principes et compte tenu des facteurs pertinents, je conclus que la preuve concernant a) les descriptions subjectives de l'affichage extérieur; b) les mesures d’enquête pour entrer dans le magasin de détail et accéder à la partie arrière du magasin; et c) l’évaluation de l’intérieur du magasin et de son « atmosphère » par l’avocat est une preuve inappropriée provenant d’un avocat du cabinet représentant la partie à l’instance. Je ne tiendrai pas compte de ces aspects de l’affidavit.

[13]  ToysRUs soutient que certains aspects de l’affidavit demeurent des faits objectifs non controversés. En particulier, elle fait valoir que la preuve que l’avocat s’est rendu au magasin Herbs “RUs aux dates indiquées et a pris les photographies exposées de l’extérieur n’est pas controversée. Elle mentionne les comptes de médias sociaux de Herbs “RUs, qui affichent eux‑mêmes l’enseigne du magasin, un fait prouvé dans l’affidavit de M. Juhasz. En règle générale, la Cour ne devrait pas être appelée à procéder à une séparation ligne par ligne des éléments de preuve « survivants » de l’affidavit d’un avocat qui va clairement au‑delà de ce qui est approprié pour un tel affidavit. Le fait que les éléments de preuve sont corroborés ne les rend pas non plus nécessairement appropriées ou « non controversées ». Néanmoins, dans ces circonstances, je conviens qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve les déclarations contenues dans l’affidavit de l’avocat concernant les dates auxquelles il s’est rendu au magasin Herbs “RUs, et les photographies extérieures qu’il a prises à ce moment‑là, ne sont pas controversées et sont admissibles. En tout état de cause, le témoignage de M. Juhasz prouve de manière indépendante la nature et l’utilisation de l’affichage.

[14]  J’examinerai donc les paragraphes 1 à 3, la deuxième phrase du paragraphe 4 et les paragraphes 17 et 18 de l’affidavit de l’avocat, ainsi que les pièces A et I. Je ne tiendrai pas compte du reste du paragraphe 4, de l’ensemble des paragraphes 5 à 16, et des pièces B à H de l’affidavit.

B.  Violation de la Loi sur les marques de commerce

(1)  Violation : article 20 de la Loi sur les marques de commerce

[15]  En vertu de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce, l’enregistrement d’une marque de commerce donne au propriétaire le droit exclusif d’utiliser partout au Canada la marque de commerce en ce qui concerne les produits ou services énumérés dans l’enregistrement. Ce droit exclusif est réputé violé par toute personne qui vend, distribue ou annonce des biens ou des services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion : Loi sur les marques de commerce, alinéa 20(1)a).

[16]  ToysRUs a établi sa propriété sur seize marques déposées, dont TMA777, 641 [la marque ’641], qui est la marque reproduite au début des présents motifs (représentée en couleur pour refléter les couleurs revendiquées dans la marque). Les autres marques de ToysRUs comprennent trois autres variantes du dessin TOYS R US, qui semblent montrer une évolution du dessin au fil du temps; cinq autres marques qui incluent ou consistent en TOYS R US en tant que marque nominale; six autres dessins et mots servant de marque pour des marques « R » US connexes (comme le dessin KIDS “RUS et GIFTSRUS), et une marque nominale pour R US seul (TMA353,213) [la marque ’213].

[17]  ToysRUs fait référence à ces marques en tant que famille, qui consiste en une série de marques ayant toutes les mêmes caractéristiques et appartenant toutes au même commerçant : Assoc. olympique canadienne c Techniquip Ltd., 1999 CanLII 8993 (CAF) au paragraphe 15, citant Molnlycke Aktiebolag c Kimberly‑Clark of Canada Ltd, [1982] ACF no 4, 61 CPR (2d) 42 (1re inst.), aux pages 47 et 48. Toutefois, ToysRUs ne s’est pas beaucoup appuyée sur l’étendue plus large de la protection qui peut dans certains cas être accordée à une famille de marques : Arterra Wines Canada, Inc c Diageo North America, Inc, 2020 CF 508, au paragraphe 41. Au contraire, elle se fonde principalement sur la marque '641 et la marque '213, et affirme que la marque figurative utilisée par Herbs “RUs, indiquée au paragraphe [1], et son nom commercial HERBS R US, portent atteinte à ces marques contrairement à l’article 20.

[18]  À mon avis, la marque figurative HERBS R US est la plus proche de la marque ‘641, et l’analyse de la confusion concernant cette marque est décisive. Je vais donc adopter l’approche adoptée par le juge Rothstein dans Masterpiece et limiter mon analyse à la comparaison entre ces marques de commerce : Masterpiece Inc. c Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, au paragraphe 61. En d’autres termes, si ToysRUs n’est pas en mesure d’établir une confusion entre le dessin HERBS R US et la marque '641, elle ne pourra pas l’établir entre le nom commercial HERBS R US et la marque' 641, ou entre la marque de commerce ou le nom commercial HERBS R US et toute marque déposée de ToysRUs qui est moins similaire. Inversement, si la marque HERBS R US constitue une contrefaçon de la marque ’641, il n’est pas nécessaire d’établir qu’elle porte également atteinte à d’autres marques de commerce déposées.

[19]  La marque Herbs “RUs créerait de la « confusion » avec la marque ’641, et en constituerait donc une contrefaçon, lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région « serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale » : Loi sur les marques de commerce, par. 6(2) et art. 20. Le critère applicable est celui de la « première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé » à un moment où il n’a « qu’un vague souvenir » de la marque enregistrée et sans qu’il ne s’arrête pour réfléchir à la question en profondeur : Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, aux paragraphes 18 à 20.

[20]  L’analyse de la confusion tient compte de « toutes les circonstances de l’espèce », y compris a) le caractère distinctif inhérent ou acquis des marques de commerce ou des noms commerciaux; b) la période pendant laquelle ils ont été en usage; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre ceux‑ci, dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent : Loi sur les marques de commerce, article 6(5). Tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) doivent être pris en compte pour évaluer le risque de confusion : Sandhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 295, aux paragraphes 25 à 28. Cependant, le poids à accorder à chaque facteur dépendra des circonstances et ne sera pas nécessairement égal, le degré de ressemblance étant souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance : Veuve Clicquot au par. 21; Masterpiece au par. 49; Hamdard Trust au par. 28.

Degré de ressemblance

[21]  Je suis d’avis qu’il existe un degré élevé de ressemblance entre la marque figurative Herbs “RUs et la marque ‘641. Pour évaluer le degré de ressemblance, il convient d’examiner s’il existe un aspect de la marque de commerce qui est « particulièrement frappant ou unique » : Masterpiece, au paragraphe 64. L’aspect de chaque marque qui est « particulièrement frappant ou unique » est l’utilisation du nom du produit avec le signifiant « R US », présenté dans un dessin qui accentue le R. Il y a certainement quelques différences, à la fois dans les mots incorporés dans la marque Herbs “RUs, résultant en une connotation et un son différents, et dans ses éléments graphiques (le R n’est pas inversé, une feuille de cannabis remplace l’étoile dans le R, et le logo est présenté en couleurs vertes). Néanmoins, l’impression générale des deux marques est très similaire, compte tenu des similitudes dans les éléments « frappants ou uniques », ainsi que des similitudes dans la police, l’utilisation de couleurs variables et l’apparence, le son et les connotations de l’élément R US. Un consommateur occasionnel ne passerait bien sûr pas son temps à analyser ces aspects individuels, et l’analyse de la confusion ne devrait pas non plus s’appuyer sur une réflexion « en profondeur » : Veuve Clicquot, au par. 20. J’expose simplement ces aspects des marques, car je les considère comme les éléments qui auraient une incidence sur la « première impression » du consommateur ordinaire.

[22]  ToysRUs a déposé comme élément de preuve un article concernant la commercialisation du cannabis reproduisant l’enseigne Herbs “RUs et indiquant que son logo était [traduction« conçu pour refléter celui du célèbre ToysRUs ». Je considère que cet article a une valeur limitée dans l’analyse, car il ne parle pas de l’impression d’un consommateur ordinaire et, en tout état de cause, la question de la ressemblance est une question que la Cour est en mesure d’apprécier : voir, par analogie, Masterpiece, au par. 80. De toute manière, la mens rea n’a que peu d’importance pour la question de la confusion : Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, au par. 90.

Le caractère distinctif

[23]  J’estime que la marque ‘641 possède un caractère distinctif inhérent plutôt marqué. En ce qui concerne les mots de la marque, je note que la Cour a confirmé à deux reprises les conclusions du registraire des marques de commerce selon lesquelles TOYS R US n’est pas intrinsèquement distinctif, car il est phonétiquement équivalent à l’expression anglaise « toys are us », qui est suggestive de l’activité : ToysRUs (Canada) Ltd. c Babies‑RUs Inc., [1992] ACF no 1053, 45 CPR (3d) 495 (1re inst.), au par. 6; ToysRUs (Canada) Ltd. c Manjel Inc., 2003 FCT 282, aux paragraphes 13, 35‑36; voir aussi ToysRUs (Canada) Ltd c Stoyshin Incorporated, [2004] COMC No 27, aux paragraphes 15, 17. En même temps, dans une décision en matière de contrefaçon et de commercialisation trompeuse rendue en même temps que l’appel d’opposition Manjel que nous venons de citer, la juge Tremblay‑Lamer a conclu que la substitution de la lettre « R » à « are » dans l’expression « toys are us » n’était pas conforme aux règles de grammaire et constituait une utilisation créative de l’alphabet, donnant à la marque figurative TOYS R US en cause dans l’espèce, « un degré marqué de caractère distinctif inhérent » : ToysRUs (Canada) Ltd. c Manjel Inc., 2003 CFPI 283, au par. 76. De manière significative, en plus des mots de la marque, la marque '641 a des éléments figuratifs, notamment dans ses couleurs, la taille et l’inversion du R, et le dessin de l’étoile dans le R, qui renforcent considérablement son caractère distinctif.

[24]  Je constate également que certains éléments de preuve indiquent que la marque ’641 a acquis un caractère distinctif supplémentaire par suite de son usage au Canada. L’affidavit de M. Juhasz indique que ToysRUs exploite des magasins au Canada depuis plus de 35 ans et qu’il existe actuellement plus de 80 magasins TOYS R US au Canada, qui ont un affichage extérieur portant la marque ’641. Cela comprend cinq magasins à Vancouver et dans la partie du sud‑ouest, dont un magasin phare à quelques pas de Herbs “RUs, qui est installé là depuis octobre 1997. M. Juhasz parle également de l’affichage intérieur, ainsi que de la nature et de l’étendue des ventes et de la promotion des produits et services en liaison avec les « marques de commerce TOYS R US », définies collectivement. Les revenus de vente et les dépenses publicitaires de ToysRUs au Canada sont tous deux substantiels.

[25]  L’affidavit de M. Juhasz ne décompose pas l’utilisation historique entre les différentes marques figuratives TOYS R US, car elles ont apparemment évolué au fil du temps. Je note que le magasin phare porte deux variantes de la marque figurative TOYS R US, dont aucune n’est identique à la marque ’641. De plus, le dessin présenté dans une grande partie de la publicité et du site Web canadiens est une version « canadianisée » de la marque ’641, dans laquelle l’étoile dans le R inversé est remplacée par une feuille d’érable et le mot « Canada » apparaît écrit en petit texte sous le mot US :

Les éléments de preuve de M. Juhasz sur l’utilisation historique et sur les dépenses de vente et de publicité ne font pas de distinction entre la marque ’641 telle qu’enregistrée et la version canadianisée.

[26]  À mon avis, au moins la version canadianisée de la marque de commerce conserve les caractéristiques dominantes de la marque '641, et « les différences sont si insignifiantes qu’elles ne trompent pas l’acheteur non averti », de sorte que l’utilisation de la version canadianisée de la marque peut être considérée comme l’utilisation de la marque '641 : Group III International Ltd. c Travelway Group International Ltd., 2017 CAF 215, au par. 37. Comme l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale, [traduction« le droit canadien n’incorpore pas une vision linéaire de l’enregistrement des marques, mais peut tolérer plusieurs variantes d’une marque » : Promafil Canada Ltée c Munsingwear Inc, 1992 CanLII 12831 (CAF), 44 CPR (3d) 59, à la p. 71.

[27]  Je suis donc convaincu que les éléments de preuve montrent une utilisation et une publicité étendues de la marque ’641 ou de variantes qui seraient reconnues comme la même marque par un consommateur. En tout état de cause, je suis convaincu que, même sur la base de la preuve relative à la marque '641 elle‑même, à savoir la preuve de l’affichage extérieur dans les magasins canadiens, et en l’absence de toute preuve démontrant le contraire, TOYS R US a montré que la marque '641 est susceptible d’être devenue connue au Canada d’une manière qui lui conférerait un caractère distinctif acquis en plus de son caractère distinctif inhérent.

[28]  La marque de commerce HERBS R US a sans doute un caractère distinctif inhérent similaire à la marque TOYS R US, bien que bon nombre de ses éléments de caractère distinctif inhérent soient également ceux qu’elle partage avec HERBS R US en tant qu’éléments de ressemblance. Je n’ai aucune preuve que la marque de commerce HERBS R US est devenue connue.

Durée de l’usage

[29]  Comme je l’ai mentionné, M. Juhasz a déclaré que ToysRUs et ses prédécesseurs en titre exploitent la chaîne de magasins TOYS R US et utilisent ses marques de commerce depuis plus de 35 ans. La marque ’641 est enregistrée depuis 2009 sur la base d’un usage remontant à 2007, toutefois cela n’est pas une preuve d’usage. La première preuve de l’usage réel de la marque '641 en particulier se trouve dans les captures d’écran des archives Internet (la Wayback Machine), qui montrent l’utilisation de la marque' 641 sur le site Web canadien de ToysRUs en décembre 2008 et par la suite.

[30]  Herbs “RUs semble avoir été incorporée en janvier 2018, probablement la première date à laquelle elle aurait pu utiliser une marque de commerce. M. Juhasz a conclu, sur la base de son examen des comptes de médias sociaux de Herbs “RUs, que cette dernière semblait être en activité depuis au moins aussi tôt qu’en avril 2018, bien que cela ne se rapporte pas directement à la question de l’usage de la marque de commerce. Je n’ai aucune preuve spécifique du premier usage de la marque figurative HERBS R US au‑delà de l’affidavit de l’avocat indiquant qu’elle était en usage au mois de mars 2019. Je suis convaincu, dans l’ensemble, que la marque ’641 a été utilisée pendant beaucoup plus longtemps que la marque de commerce HERBS “RUS.

Le genre de marchandises, services ou entreprises

[31]  J’estime que les produits, les services et les entreprises de ToysRUs sont sensiblement différents, et qu’il s’agit d’un facteur important dans l’analyse de la confusion en l’espèce. Il peut y avoir confusion « que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale » : Loi sur les marques de commerce au par. 6(2); Mattel aux paragraphes 51, 59 à 65. Néanmoins, les similitudes ou les différences entre les produits et services restent un facteur pertinent et généralement important dans l’analyse de la confusion : Mattel, aux paragraphes 51, 71 et 73.

[32]  ToysRUs fait valoir que les deux parties offrent des services de magasin de détail, même si elle admet que les produits de base de chacune sont différents. Je ne pense pas que l’on puisse simplement comparer la nature des activités respectives des parties au niveau des « services de magasin de détail », pour deux raisons.

[33]  Premièrement, les services pour lesquels la marque ’641 est enregistrée ne sont pas simplement des « services de magasin de détail ». Ce sont [traduction« des services de magasin de détail et de magasin de détail en ligne de jouets, jeux, articles de jeu... » suivis d’une liste de ce qui est vendu, tels que « des jouets, jeux... » et « stylos, papier, crayons à dessiner, articles de papeterie... ». D’autres marques TOYS R US ont des qualificatifs similaires sur les services de magasin de détail, tels que [traduction« des services de grand magasin de vente au détail », [traduction« des services de magasins de vélos au détail » ou [traduction« des services de magasins de vente au détail proposant des produits pour bébés et enfants, à savoir... » [je souligne]. Les déclarations « dans les termes ordinaires du commerce » des services associés aux marques définissent la portée du droit exclusif accordé en vertu de l’article 19 et sont donc pertinentes pour déterminer s’il y a eu contrefaçon par un emploi créant de la confusion en vertu de l’article 20 : Loi sur les marques de commerce, art. 19 et 20, alinéa 30(2)a).

[34]  Deuxièmement, en tant que question plus large, mais connexe, l’omniprésence des magasins de détail dans le commerce canadien est telle que le fait de procéder à une analyse de la confusion au niveau des « services de magasin de détail » risque d’aboutir à une conclusion de confusion là où aucune ne serait raisonnablement susceptible d’exister dans l’esprit des consommateurs canadiens. Bien que le fait que deux parties vendent chacune des marchandises par l’entremise d’un magasin de détail puisse être pertinent pour l’analyse, il est peu probable qu’il ait un poids significatif par rapport à la nature des marchandises qui sont vendues dans ces magasins ou à d’autres aspects pertinents du genre des biens, des services et des entreprises. Je ne peux pas non plus accepter l’affirmation de ToysRUs selon laquelle une évaluation des produits particuliers qu’un magasin vend ne serait déterminée par un consommateur qu’après la première impression créée par la marque. Si tel était le cas, le « genre des produits, des services et des entreprises » deviendrait en fait hors de propos pour le critère de confusion parce que les deux parties avaient des magasins de détail. À mon avis, cela serait contraire à la fois à l’esprit de la Loi sur les marques de commerce et à l’importation du critère de la « première impression » de l’analyse de la confusion. On peut supposer que même un consommateur ordinaire plutôt pressé sait ce qu’il achète.

[35]  Les principaux produits vendus en association avec la marque HERBS R US sont des produits à base de cannabis et des accessoires liés au cannabis. Alors que l’affichage décrit le magasin comme une [traduction« boutique de vêtements et de bien‑être », les seuls vêtements proposés semblent se limiter à un t‑shirt portant le logo HERBS R US, visible sur les images des réseaux sociaux. Certes, aucune des publicités sur les médias sociaux de Herbs “RUs, ni les commentaires des clients, ne sont axés sur leurs offres de vêtements. J’accorde un certain poids au fait que ToysRUs et Herbs “RUs offrent le produit de vêtements qui crée un chevauchement, mais dans les circonstances, je ne considère pas ce chevauchement comme un facteur important de l’évaluation de la confusion.

[36]  Dans l’ensemble, je considère que les produits, services et entreprises de Herbs “RUs sont fondamentalement différents de ceux de ToysRUs. Le genre des entreprises respectives semble rendre improbable qu’une entreprise de l’un des marchés soit susceptible de s’engager dans l’autre.

[37]  Dans les affaires connexes Mattel et Veuve Clicquot, le juge Binnie a discuté de l’incidence des différences de produits et de services dans le contexte particulier des marques « célèbres ». Il a accepté l’affirmation du professeur McCarthy selon laquelle « une marque relativement forte peut franchir d’un seul bond un écart considérable entre deux gammes de produits » : Mattel, aux paragraphes 8 et 78. Cependant, il a également confirmé que des différences significatives dans la gamme de produits (comme entre l’entreprise de fabrication de poupées et l’entreprise de restauration en cause dans Mattel, ou le champagne de luxe et les vêtements pour dames à prix moyen en cause dans Veuve Clicquot) pourraient représenter un obstacle important même pour une marque célèbre : Mattel, aux paragraphes 78 à 85; Veuve Clicquot, aux paragraphes 31 à 33, 37. L’analyse du juge Binnie a également tenu compte de la différence entre les marques associées à une diversité de produits et services et celles qui sont plus spécifiques à un produit : Mattel, aux paragraphes 28 à 30; Veuve Clicquot, aux paragraphes 32 et 33.

[38]  M. Juhasz décrit le genre de l’entreprise de ToysRUs, qui consiste en la vente en ligne et au détail de jouets, jeux, appareils électroniques et produits pour bébés, y compris des vêtements, des meubles et des accessoires pour enfants et bébés. Bien que la marque ’641 et les autres marques TOYS R US citées par Toys “RUs ne soient pas limitées à un seul produit, elles sont associées à des gammes de produits qui sont à des années‑lumière des produits vendus par Herbs “RUs.

La nature du commerce

[39]  Comme je l’ai mentionné, ToysRUs et Herbs “RUs ont tous les deux des magasins de détail, mais la similitude dans la nature du commerce semble s’arrêter là. Peu d’éléments de preuve ont été déposés concernant la nature des magasins de détail de ToysRUs, bien que les deux magasins de détail montrés sur les photographies jointes à l’affidavit de M. Juhasz soient clairement des opérations de vente au détail à grande échelle, et les chiffres des ventes cités étayent cette conclusion. La nature des produits et services associés à la marque ’641, ainsi que les matériel et dépliant en ligne s’y attachant, suggère une activité de vente au détail axée sur les enfants et la famille. Selon les renseignements contenus dans l’affidavit de M. Juhasz, en revanche, le magasin Herbs “RUs est une petite entreprise de vente au détail en bordure de rue. Son affichage extérieur laisse entendre que le magasin est réservé aux adultes, puisqu’il indique « 19+ ». Son produit principal est très réglementé et ne peut être vendu aux enfants. Selon le juge McKeown, [traduction« en bref, ce sont deux types d’entreprises très différents » : McDonald’s Corp. c Coffee Hut Stores Ltd., [1994] ACF no 638, 55 CPR (3d) 463 (1re inst.), au par. 32, conf. par 1996 CanLII 3963, 68 CPR (3d) 168 (CAF).

Autres circonstances de l’espèce

[40]  Lorsque deux marques de commerce contiennent des éléments communs que l’on trouve également dans un certain nombre d’autres marques de commerce, les consommateurs porteront une plus grande attention aux autres caractéristiques non communes des marques et les distingueront sur cette base, ce qui réduira le risque de confusion : Kellogg Salada Canada Inc. c Canada (registraire des marques de commerce) (CA), [1992] 3 C.F. 442, aux pages 455 et 456; Eclectic Edge Inc. c Victoria’s Secret Stores Brand Management, Inc., 2015 CF 453, aux paragraphes 81 et 82. La preuve de ces autres marques dans le registre des marques de commerce ou sur le marché, généralement appelée preuve de l’état du registre ou preuve relative à la situation du marché, est parfois considérée comme pertinente quant à la question du caractère distinctif en vertu de l’alinéa 6(5)a) de la Loi sur les marques de commerce, et parfois simplement en tant que « circonstance ».

[41]  ToysRUs n’a déposé aucune preuve de l’état du registre ou preuve relative à la situation du marché, notamment en ce qui concerne la prévalence des marques de commerce contenant l’élément « R US » commun à la marque ’641 et à la marque de commerce HERBS R US. Les décisions Babies‑RUs, Manjel et Stoyshin suggèrent que “R US” peut potentiellement être vu sur d’autres marques, bien que l’on ne sache pas si tel est le cas dans une mesure susceptible d’affecter le caractère distinctif de la marque ‘641 ou le risque de confusion entre la marque ‘641 et la marque de commerce HERBS R US. À mon avis, étant donné qu’il incombe à ToysRUs d’établir la confusion, l’absence de preuve présentée sur ces questions est pertinente en tant que circonstance. Cependant, cela n’est finalement pas déterminant, car la ressemblance entre les marques va au‑delà des éléments “R US” et inclut les éléments du dessin.

[42]  L’absence de preuve d’une confusion réelle est une autre circonstance à « mettre dans la balance » : Mattel, au par. 89. En l’espèce, l’absence de preuve d’une confusion réelle doit être prise en compte à la lumière de la courte période pendant laquelle la marque HERBS R US a été utilisée. Je ne considère pas cela comme important dans l’analyse globale.

La première impression laissée dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé

[43]  Les facteurs qui précèdent doivent tous être examinés dans le contexte de la question primordiale : celle de savoir si, sous l’angle de la première impression, le consommateur ordinaire plutôt pressé qui voit la marque HERBS R US serait susceptible de penser que Herbs “RUs était la même source de biens et services que ToysRUs : Masterpiece, au par. 41.

[44]  Malgré la similitude des marques de commerce et des autres facteurs qui favorisent Toys “RUs, je conclus que les grandes différences entre les produits et les services sont telles qu’il n’y a pas de risque de confusion. Je ne peux pas souscrire à l’affirmation de ToysRUs selon laquelle la ressemblance entre les marques est telle que l’utilisation de la marque figurative HERBS R US [traduction« donnerait incontestablement aux consommateurs l’impression que Toys “RUs a étendu ses services de vente au détail à ces autres domaines ». Au contraire, il me semble extrêmement improbable qu’un consommateur canadien, même ordinaire plutôt pressé ayant un vague souvenir de la marque TOYS R US, voie la marque HERBS R US et conclue qu’un détaillant de jouets bien connu a commencé à se diversifier dans les services de « dispensaire » de comptoir ou la vente de cannabis, soit par lui‑même, soit par l’intermédiaire d’un titulaire de licence.

[45]  J’estime donc que, sur la base des éléments de preuve déposés, ToysRUs n’a pas établi que la marque HERBS R US crée de la confusion avec la marque ’641. Elle n’a donc pas établi de violation de la marque ‘641 en vertu de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce. Comme je l’ai indiqué dès le début, j’estime que le risque de confusion est plus faible en ce qui concerne les autres marques de commerce déposées de ToysRUs, car la marque ’641 est la plus similaire à la marque de commerce HERBS R US. Je conclus donc que ToysRUs n’a pas établi qu’il y a violation.

(2)  Commercialisation trompeuse : paragraphe 7b) de la Loi sur les marques de commerce

[46]  Le paragraphe 7b) interdit à un commerçant d’attirer l’attention du public sur ses produits, services ou entreprises d’une manière susceptible de causer une confusion entre ses produits, services ou entreprises et ceux d’un autre :

Interdictions

Prohibitions

7 Nul ne peut

7 No person shall

[...]

[...]

b) appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses produits, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

(b) direct public attention to his goods, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his goods, services or business and the goods, services or business of another;

[47]  Les trois éléments nécessaires à une allégation de commercialisation trompeuse selon le paragraphe 7b) sont l’existence d’un achalandage, le fait d’induire le public en erreur par une présentation erronée; et les dommages réels ou possibles : Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65, aux paragraphes 66 à 68. De plus, le demandeur doit démontrer la propriété d’une marque de commerce enregistrée valide ou d’une marque de commerce non enregistrée : Hamdard Trust, aux paragraphes 36 à 39.

[48]  En ce qui concerne le deuxième élément, la seule présentation erronée sur laquelle Toys “RUs se fonde est le risque de confusion de la même manière et sur la même base que son allégation de violation en vertu de l’article 20. Pour les raisons exposées ci‑dessus, j’estime qu’il n’y a pas de risque de confusion et que l’allégation de commercialisation trompeuse de Toys “RUs doit donc être rejetée de la même manière.

[49]  Je note que, comme une allégation de commercialisation trompeuse peut s’appuyer sur une marque non enregistrée, ToysRUs peut s’appuyer directement sur la version canadianisée de la marque de commerce qui apparaît dans certains de ses éléments de preuve, notamment en ce qui concerne le site Web et la publicité au Canada. Cependant, étant donné ma conclusion dans l’analyse de la contrefaçon selon laquelle l’utilisation de la version canadianisée de la marque peut être considérée comme une utilisation de la marque ’641, je conclus que le recours à la version canadianisée n’a pas d’incidence dans l’analyse.

(3)  Dépréciation de l’achalandage : article 22 de la Loi sur les marques de commerce

[50]  Même en l’absence de risque de confusion, il peut exister un risque de dépréciation de l’achalandage attaché à une marque de commerce déposée, en violation de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce :

Dépréciation de l’achalandage

Depreciation of goodwill

22 (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

22 (1) No person shall use a trademark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

[51]  Le juge Binnie au paragraphe 46 de Veuve Clicquot a énoncé les quatre éléments qui doivent être démontrés pour établir le bien‑fondé d’une demande en vertu de l’article 22 :

Premièrement, la marque de commerce déposée de la demanderesse a été employée par la défenderesse en liaison avec des marchandises ou services — peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse.   Deuxièmement, la marque de commerce déposée de la demanderesse est suffisamment connue pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable. L’article 22 n’exige pas que la marque soit connue ou célèbre (contrairement aux lois européennes et américaines analogues), mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas.   Troisièmement, la marque de la demanderesse a été employée d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage (c.‑à‑d. de faire surgir un lien) et, quatrièmement, cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage (c.‑à‑d. un préjudice). 

[Italique dans l’original; non souligné dans l’original.]

[52]  Je conclus que ToysRUs a établi chacun de ces quatre éléments.

Emploi de la marque de commerce déposée

[53]  L’emploi aux fins de l’article 22 signifie un usage tel que défini à l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce. Cependant, il n’est pas nécessaire que l’usage soit « en tant que marque de commerce » : HH‑D U.S.A., LLC c Berrada, 2014 CF 207, au paragraphe 67. Il n’est pas nécessaire que l’emploi de la marque de commerce déposée soit exactement tel qu’il est enregistré. Il doit plutôt y avoir une « ressemblance avec [la marque déposée] [qui] suffit pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques » : Veuve Clicquot, au paragraphe 38. Comme le fait remarquer le juge Binnie, « [s]i le simple observateur pouvait reconnaître la marque employée par les intimées comme celle de l’appelante », cela suffirait : Veuve Clicquot, au par. 48. Inversement, sans « un tel lien, connexion ou association dans l’esprit du consommateur » avec la marque de commerce déposée, il ne peut y avoir de dépréciation : Veuve Clicquot, au par. 49.

[54]  La Cour d’appel fédérale a décrit la norme comme exigeant « l’emploi que fait une autre partie de ladite marque de commerce, ou par l’emploi qu’elle fait d’un nom qui ressemble à cette marque au point d’être confondu avec elle » : Venngo Inc. c Concierge Connection Inc. (Perkopolis), 2017 CAF 96, aux paragraphes 13, 80.

[55]  Les éléments de preuve montrent que la marque de commerce HERBS R US est utilisée par Herbs “RUs au sens de l’article 4. De plus, à mon avis, la forte ressemblance entre le dessin HERBS R US utilisé par Herbs “RUs et la marque ’641 est suffisamment similaire pour évoquer une association de la nature décrite dans Veuve Clicquot. En effet, les deux sont si similaires qu’un « lien, une connexion ou une association » avec la marque ’641 est presque inévitable et il faut en déduire que cela a été voulu. De même, j’estime que le dessin HERBS R US ressemble si étroitement à celui de la marque ’641, nonobstant les différences décrites ci‑dessus, qu’il serait confondu avec la marque ’641. Le premier élément est établi.

Suffisamment connue pour qu’un achalandage appréciable y soit attaché

[56]  L’achalandage d’une marque de commerce évoque « l’association positive qui attire les consommateurs vers les marchandises ou services du propriétaire de la marque plutôt que vers ceux de ses concurrents » : Veuve Clicquot, aux paragraphes 50 à 52. Le juge Binnie a fait référence à un certain nombre de facteurs pertinents quant à l’existence de l’achalandage, notamment la « célébrité », le degré de reconnaissance de la marque, le volume des ventes et le degré de pénétration du marché, l’étendue et la durée de la publicité, la portée géographique, l’importance de son caractère distinctif inhérent ou acquis, l’étendue des voies commerciales et la mesure dans laquelle la marque est perçue comme un gage de qualité : Veuve Clicquot au paragraphe 54.

[57]  Je suis convaincu que les éléments de preuve concernant ces facteurs montrent l’existence d’un achalandage important associé aux marques de commerce TOYS R US, et en particulier la marque ’641 et sa version canadianisée. L’affidavit de M. Juhasz présente des éléments de preuve relatifs aux volumes de ventes importants, par des ventes en ligne et par l’entremise de 80 magasins de détail établis dans l’ensemble des provinces canadiennes, et d’importants efforts en matière de publicité. J’ai discuté précédemment de l’importance du caractère distinctif inhérent et acquis. M. Juhasz déclare que, sur une période d’un an en 2018‑2019, le site Web canadien de ToysRUs a été visité plus de 22 millions de fois par des Canadiens. Il décrit également, bien qu’à un niveau général, les efforts caritatifs importants de ToysRUs, qui contribueraient à l’achalandage associé aux marques. Chacun de ces facteurs étaye la conclusion selon laquelle la marque ‘641 est suffisamment connue au Canada pour qu’un achalandage appréciable y soit attaché.

Lien

[58]  Le « lien » requis en vertu de l’article 22 est décrit comme étant un lien, une connexion ou une association qui est susceptible d’avoir une incidence sur l’achalandage : Veuve Clicquot, aux paragraphes 46, 56‑57. Compte tenu de cette description, il semble y avoir un certain chevauchement entre les premier et troisième éléments de l’analyse de l’article 22 : Veuve Clicquot, aux paragraphes 38, 46, 48 et 49, 56 et 57. Cela doit être établi selon la prépondérance des probabilités, c’est‑à‑dire qu’un tel lien doit être « probable », ce qui est une question de preuve et non de spéculation : Veuve Clicquot, aux paragraphes 46 et 60.

[59]  À mon avis, la probabilité d’un lien ou d’une association entre la marque HERBS R US et la marque ‘641 est établie en l’espèce, tout comme l’incidence probable de ce lien sur l’achalandage. Bien que la question du lien soit une question de preuve, je ne pense pas que cela nécessite des preuves spécifiques des consommateurs ou des preuves par sondage établissant la probabilité d’un lien. Je conclus plutôt que je peux déduire l’existence d’un tel lien dans l’esprit d’un consommateur à partir des similitudes marquées entre la marque ’641 et la marque HERBS R US, combinées avec la preuve de l’emploi, des ventes et de la publicité étendus associés à la marque '641. Bien que cela ne soit pas nécessaire à ma conclusion et en reconnaissant que l’observation ne vient pas d’un « consommateur », je note que l’article de presse qui a établi un lien immédiat entre la marque HERBS R US et ToysRUs —sans montrer même un soupçon de confusion quant au fait que HERBS R US était réellement utilisé par ToysRUs—soutient l’évaluation selon laquelle un lien ou une association entre les deux marques serait établi.

Préjudice

[60]  Enfin, je conclus que les éléments de preuve montrent qu’il est probable que l’achalandage de la marque ‘641 subisse un préjudice ou une dépréciation par l’emploi de la marque HERBS R US. Dans Veuve Clicquot, le juge Binnie a reconnu qu’une telle dépréciation peut provenir du dénigrement, de la réduction du caractère distinctif résultant de « l’emploi de la marque tour à tour par différents usagers », de l’affaiblissement de l’image de marque ou d’une « érosion » de la capacité d’une marque de distinguer les produits du propriétaire : Veuve Clicquot, aux paragraphes 63 et 64.

[61]  Je suis d’accord avec ToysRUs qu’elle n’a aucun contrôle sur le caractère et la qualité des produits et services offerts par Herbs “RUs. Je conclus que l’utilisation de la marque HERBS R US équivaut à un autre commerçant faisant « l’emploi de la marque tour à tour » d’une manière qui réduit le caractère distinctif de la marque ’641 et érode la capacité de la marque de distinguer les produits de ToysRUs. De plus, j’accepte le témoignage de M. Juhasz selon lequel la création d’une association entre ToysRUs et un « dispensaire » de cannabis, en particulier un qui semble opérer sans licence, et un qui commercialise ses produits sur les médias sociaux comportant du contenu pour adultes et incluant apparemment de la nudité et des jurons, est [traduction« absolument incompatible » avec la réputation de la marque TOYS R US, et que cette association risque de ternir l’achalandage associé à la marque ’641.

[62]  Je conviens également qu’il n’y avait aucune raison pour que Herbs “RUs adopte et utilise la marque de commerce HERBS R US autrement que pour compromettre l’achalandage et la réputation établies par ToysRUs, et que cela amène à une conclusion de dépréciation : Trans‑High Corporation c Conscious Consumption Inc., 2016 CF 949, au par. 36.

[63]  Je conclus donc que ToysRUs a établi que Herbs “RUs a utilisé la marque '641, ou une marque qui s’apparente à ce point à la marque '641 qu’elle serait confondue avec cette marque, d’une manière susceptible d’entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage de la marque '641. Ayant constaté une violation ouvrant droit à réparation de la Loi sur les marques de commerce, j’en viens à la question de la réparation appropriée.

C.  Réparation

(1)  Injonction et remise

[64]  Je suis d’avis que ToysRUs a droit à une injonction interdisant à Herbs “RUs d’utiliser la marque de commerce HERBS R US. Bien qu’il existe des éléments de preuve que Herbs “RUs a changé le nom d’au moins une partie de ses comptes de médias sociaux pour « Herbs N Trees » et une partie de son affichage extérieur pour « Herbs », les éléments de preuve les plus récents montrent qu’un affichage extérieur important au magasin continue d’utiliser la marque HERBS R US. Je note que même avec ces changements, rien ne prouve que Herbs “RUs a accepté ou s’est engagé à ne pas utiliser la marque de commerce HERBS R US.

[65]  Je suis d’avis que cette injonction devrait s’étendre à toute forme de la marque de commerce ou du nom commercial HERBS R US. L’utilisation de HERBS R US sous une autre forme pourrait sans doute créer moins de lien avec la marque ’641 ou d’autres marques de Toys “RUs. Néanmoins, je suis d’accord avec ToysRUs qu’ayant établi un lien entre son entreprise et Toys "R" Us grâce à l’utilisation du dessin HERBS R US qui copie clairement la marque '641, toute utilisation future de HERBS R US sous quelque forme que ce soit continuerait de profiter de ce même achalandage et continuerait d’effectuer la même dépréciation. Je suis d’accord avec ToysRUs que cette injonction devrait s’étendre à l’utilisation de toute marque de commerce ou tout nom commercial HERBS R US, y compris dans les noms de réseaux sociaux et les noms de domaine. Cependant, je ne suis pas convaincu d’avoir la compétence requise pour rendre l’ordonnance requise pour exiger un changement de la dénomination sociale de Herbs “RUs, qui semble être une société constituée en vertu de la Societies Act, SBC 2015, c 18.

[66]  Je suis également convaincu que je devrais ordonner la remise ou la destruction de marchandises, d’emballages, d’étiquettes et de matériel publicitaire portant la marque HERBS R US sous quelque forme que ce soit. Le paragraphe 53.2(2) de la Loi sur les marques de commerce précise qu’avant de rendre une telle ordonnance, un avis doit être donné à toute personne qui a un intérêt ou un droit sur ces articles. Je suis convaincu qu’un avis a été donné à Herbs “RUs par la signification de l’avis de demande dans la présente affaire, et rien ne prouve qu’une autre personne a un intérêt ou un droit sur ces articles.

(2)  Dommages‑intérêts

[67]  ToysRUs réclame des dommages‑intérêts compensatoires d’un montant de 25 000 $. Elle n’a déposé aucune preuve de dommages pécuniaires réels au‑delà de la preuve d’une dépréciation probable de son achalandage. Elle demande donc des dommages‑intérêts « symboliques », tout en affirmant que les dommages‑intérêts symboliques ne doivent pas nécessairement signifier « peu élevés » : Decommodification LLC c Burn BC Arts Cooperative, 2015 CF 42, au par. 14. ToysRUs souligne que la Cour reconnaît que, dans le contexte de la commercialisation trompeuse, elle peut accorder des dommages‑intérêts pour perte d’achalandage sans preuve de dommages réels : Teavana Corporation c Teayama Inc, 2014 CF 372, aux paragraphes 39 à 41. Elle souligne également la nécessité d’un effet dissuasif associé à de tels dommages‑intérêts citant l’observation du juge Hughes au paragraphe 14 de Decommodification selon laquelle de tels dommages‑intérêts « sont généralement fondés sur une estimation des pertes, notamment un montant suffisant servant à dissuader d’autres qui envisageraient des activités semblables ».

[68]  Bien que ToysRUs souligne les dommages‑intérêts de 25 000 $ accordés par le juge Manson dans Trans‑High, je crois que cela se situe au haut de l’échelle des dommages similaires accordés par la Cour. Je considère qu’il convient de reconnaître que ToysRUs a subi une certaine dépréciation de l’achalandage de sa marque, et qu’il convient d’examiner l’effet dissuasif d’une attribution de dommages‑intérêts non négligeable. Dans les circonstances, j’évalue des dommages‑intérêts au montant de 15 000 $, payables par Herbs “R” Us.

(3)  Dommages‑intérêts punitifs

[69]  ToysRUs demande un montant de 50 000 $ supplémentaire en dommages‑intérêts punitifs, au motif que a) l’utilisation par Herbs “RUs de ses marques de commerce était planifiée et délibérée; b) l’utilisation a continué pendant plus de deux ans malgré les demandes de ToysRUs; c) Herbs “RUs a tenté de [traduction« dissimuler » son inconduite par ce qui est décrit comme [traduction« des efforts timides pour renommer sa présence en ligne »; d) Herbs “RUs a profité de son inconduite en exploitant un dispensaire; et e) l’utilisation par Herbs “RUs d’une marque associée à des enfants revient à cibler une entreprise de dispensaire illégale sur des enfants, ce qui est particulièrement répréhensible.

[70]  Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’un cas approprié pour l’octroi de dommages‑intérêts punitifs, car je ne considère pas la conduite de Herbs “RUs comme faisant partie de la catégorie de conduite décrite au paragraphe 36 de Whiten c Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18. Bien que je sois persuadé que Herbs “RUs a délibérément adopté une marque évoquant la marque ’641 et au dessin similaire, je ne pense pas que cela soit suffisant pour justifier des dommages‑intérêts punitifs. Je ne pense pas non plus que l’on puisse considérer l’utilisation de la marque HERBS R US comme ciblant un dispensaire de cannabis sur des enfants de manière répréhensible.

[71]  Ce que ToysRUs décrit comme une tentative de « dissimuler » une mauvaise conduite pourrait également être considéré comme un effort pour corriger son attitude. Bien que je sois d’accord avec la description de tels efforts comme [traduction« timides » et qu’ils aient été faits sans reconnaître les droits ou les demandes de ToysRUs, je ne considère pas que cela justifie l’attribution de dommages‑intérêts punitifs. Quant à la possibilité que Herbs “RUs ait tiré profit de son utilisation de la marque qui a diminué la valeur de l’achalandage s’y attachant, tout bénéfice de ce type constituerait à juste titre la base d’une restitution des bénéfices et non des dommages‑intérêts punitifs. ToysRUs n’a pas demandé une telle restitution, et il n’y a aucune preuve sur laquelle je pourrais m’appuyer pour ordonner une quelconque somme comme restitution des bénéfices.

[72]  Je rejette donc la demande de ToysRUs quant aux dommages‑intérêts punitifs.

(4)  Dépens

[73]  ToysRUs demande le remboursement de ses dépens au montant de 15 000 $. Je conviens qu’en tant que partie ayant obtenu gain de cause et ayant été amenée à présenter cette demande en raison de la conduite de Herbs “RUs, elle a droit à ses dépens. Bien que les éléments de preuve étayant le montant de la demande de remboursement des dépens soient quelque peu sommaires, l’affidavit de M. Juhasz fournit des éléments de preuve suffisants pour étayer la demande. Étant donné la nature de la demande et compte tenu des facteurs énoncés à l’article 400 des Règles, je suis convaincu que 15 000 $ est un montant raisonnable pour les dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑505‑19

LA COUR STATUE que :

  • 1. La Cour déclare que la défenderesse, Herbs “RUs Wellness Society, a utilisé la marque de commerce déposée TMA777,641 pour la marque de commerce TOYS R US Dessin, d’une manière qui diminue la valeur de l’achalandage qui y est attaché, contrairement au paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce.

  • 2. Herbs “RUs Wellness Society, et toute société mère, société affiliée, filiale ou société apparentée, et tous ses dirigeants, administrateurs, employés, agents, partenaires, successeurs, concédants de licence, franchisés et cessionnaires, ainsi que toutes les autres personnes sur lesquelles une quelconque des personnes susmentionnées exerce une autorité ou un contrôle, se voient par la présente interdire l’utilisation de la marque de commerce TMA777,641 d’une manière susceptible d’entraîner une dépréciation de l’achalandage s’y attachant, y compris, sans s’y limiter, en adoptant, en utilisant ou en faisant la promotion de la marque de commerce ou du nom commercial HERBS R US en tant que partie d’une marque, nom commercial, logo, nom de domaine ou nom de compte de réseau social.

  • 3. Herbs “RUs Wellness Society remettra ou détruira sous serment tous les biens, emballages, étiquettes et matériel publicitaire en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde, qui portent la marque de commerce, le nom commercial ou le logo HERBS R US, conformément à l’article 53.2 du la Loi sur les marques de commerce.

  • 4. Herbs “RUs Wellness Society paiera immédiatement à ToysRUs (Canada) Ltd des dommages‑intérêts d’un montant de 15 000 $ résultant de ses violations de la Loi sur les marques de commerce.

  • 5. ToysRUs (Canada) Ltd se voit adjuger les dépens de la présente demande, qui sont fixés au montant forfaitaire de 15 000 $ et sont payables immédiatement par Herbs “RUs Wellness Society.

  • 6. Tous les montants payables en vertu du présent jugement porteront des intérêts postérieurs au jugement au taux de 5 % par an à compter de la date du présent jugement.

« Nicholas McHaffie »

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de juillet 2020.

Caroline Tardif, traductrice



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