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                                                                                                                                 Date : 20040116

                                                                                                                             Dossier : T-909-03

                                                                                                                    Référence : 2004 CF 65

ENTRE :

                                                                             

                                                                 YUEFAN WAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Mon amour pour le Canada? Un instant! Allons compter les jours. Avec mes excuses à Elizabeth Barrett Browning, ainsi se résume la présente affaire.

[2]         M. Wan est un résident permanent qui a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Une juge de la citoyenneté a refusé sa demande parce qu'il n'a pas résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, tel que prévu à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi).


[3]         Il a interjeté appel de la décision en question devant la Cour.

[4]         M. Wan a volontiers admis qu'il n'avait pas eu une présence physique au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. En fait, il n'est resté au pays qu'environ 210 jours, alors que la Loi exige un minimum de 1 095 jours. Cependant, M. Robins a soutenu pour le compte du demandeur que, dès lors qu'une personne a centralisé son mode d'existence au Canada, les jours qu'elle a passés à l'extérieur du Canada comptent comme des jours _ canadiens _ aux fins d'accumulation des jours requis pour l'obtention de la citoyenneté et qu'en tout cas, les jours passés à l'extérieur à travailler pour une entreprise canadienne doivent être considérés comme des jours passés au Canada.

[5]         La décision a été également attaquée au motif que la juge de la citoyenneté a non seulement examiné les quatre ans qui ont précédé la demande, mais aussi la période du 1er avril au 5 août 1997, qui n'aurait pas dû être prise en compte parce que la demande de citoyenneté avait été déposée le 5 août 2001.

[6]         Les autres moyens d'appel sont beaucoup plus d'ordre procédural. La juge de la citoyenneté a dépassé les 60 jours autorisés par la Loi pour rendre sa décision et il a été plaidé qu'elle n'a pas donné de motifs adéquats.


LES FAITS

[7]         M. Wan a présenté une demande de citoyenneté le 5 août 2001. Il est entré initialement au Canada le 1er avril 1997 avec son épouse (qui est actuellement citoyenne canadienne). Deux semaines plus tard, il est parti pour la France en vue de poursuivre ses études de doctorat. Après avoir terminé les études en question en juillet 1998, il a été recruté par une entreprise canadienne pour laquelle il travaille depuis lors en Chine. Bien qu'il n'ait passé que sept mois environ au pays, son épouse vit ici et, pour une bonne partie du temps, sa fille a également vécu au pays. C'est un contribuable canadien.

[8]         Le passage pertinent de la décision de la juge de la citoyenneté se lit comme suit :

[TRADUCTION] J'ai conclu que vous avez satisfait à toutes les exigences pour l'obtention de la citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté, à l'exception de l'exigence de résidence. En vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, un demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

D'après la preuve apparaissant dans votre dossier et présentée à l'audience, vous êtes arrivé au Canada le [sic]. Vous avez obtenu le statut de résident permanent le 1er avril 1997. Vous avez présenté une demande de citoyenneté canadienne le 5 août 2001, et à ce moment-là, vous aviez 1460 jours en tout d'absence du Canada. Dans ces circonstances, pour répondre aux exigences de résidence, vous deviez me convaincre que vos absences du Canada pouvaient être considérées comme une période de résidence au Canada.

La jurisprudence de la Cour fédérale exige que pour établir la résidence, une personne doit prouver, par ses intentions et par ses actes, qu'elle a centralisé son mode d'existence au Canada. Si une telle résidence est établie, les absences du Canada n'affectent pas sa résidence, tant qu'il est prouvé que la personne n'a quitté que dans un but temporaire et qu'elle a conservé au Canada une forme réelle et manifeste de résidence.

J'ai soigneusement examiné votre cas pour déterminer si vous avez établi votre résidence au Canada avant vos absences, de sorte que les absences en question pourraient être considérées comme une période de résidence et, si durant vos absences, vous avez maintenu suffisamment de liens avec le Canada. L'examen des faits m'amène à conclure que vous n'avez ni établi ni maintenu votre résidence au Canada et que par conséquent vous ne répondez pas aux exigences de résidence.                                                                                             

LE DROIT APPLICABLE


[9]         Même s'il est vrai que la juge de la citoyenneté n'a pas rendu sa décision dans un délai de 60 jours comme l'exige l'article 14 de la Loi, M. Wan n'a subi aucun préjudice. La Loi ne lui attribue pas la citoyenneté comme réparation ou, sans autres formalités, le droit à une nouvelle audience devant un autre juge.

[10]       Quant à l'observation selon laquelle des motifs adéquats n'ont pas été exposés, je la rejette. Même si elles n'ont pas été nommément mentionnées, il est évident que la juge de la citoyenneté avait à l'esprit les décisions Re Antonius E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, et Re Koo, [1993] 1 C.F. 286. En effet, des motifs formulés d'une manière très similaire ont été exposés dans Gheorghiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ) (2000), 5 Imm.L.R. (3d) 219, aux paragraphes 33 et 34.

[11]       Dans Papadogiorgakis, précitée, le juge en chef adjoint Thurlow a examiné la période précédant la demande de citoyenneté pour voir si le demandeur s'était déjà établi au pays. En effet, il pouvait être à l'avantage de M. Wan que la juge de la citoyenneté examine la période en question. Cependant, il n'était resté au pays que pendant deux semaines et il est demeuré à l'extérieur pendant 15 mois.


[12]       Étant donné que M. Wan est revenu au Canada avec des permis de retour pour résident permanent, il a été plaidé que ses absences devraient être assimilées à des jours de résidence. Comme le juge O'Keefe dans Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1384, je ne suis pas d'accord. En fait, dans Sharma, la première absence du demandeur est intervenue 13 jours après qu'il a obtenu son droit d'établissement au pays. Il a été plaidé qu'il n'avait pas établi un mode d'existence centralisé dans les 13 jours en question avant sa première absence de 160 jours du Canada. Il en est de même en l'espèce.

[13]       Je ne considère pas non plus le fait qu'il travaillait à l'étranger pour une entreprise canadienne comme un fait pertinent. M. Robins prétend que les jours passés à l'extérieur comme employé d'une entreprise canadienne comptent pour l'obligation de résidence du résident permanent en vertu de l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Même si les jours en question étaient comptés comme des jours canadiens, M. Wan n'aurait pas réuni les trois ans requis, mais il en serait très proche.

[14]       Le terme _ résidence _ employé dans la Loi sur la citoyenneté n'a pas été défini, ce qui a fait naître différents courants jurisprudentiels. Comme je l'ai mentionné dans Pau c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CF 1439, des juges ont interprété le terme comme signifiant une présence physique effective au Canada pour un total de trois ans, tel qu'énoncé dans Pourgasemi (Re) (1993), 62 F.T.R. 122. D'autres ont décidé qu'une personne peut être considérée comme résidant au Canada même pendant une absence temporaire si la personne en question était déjà établie au pays, Re Papadogiorgakis, précitée, et le troisième courant, qui semble dominer, définit la résidence comme le lieu où on vit _ régulièrement, normalement ou habituellement _ ou l'endroit où la personne en question _ a centralisé son mode d'existence _, Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286.                


[15]       Au nom du ministre, Mme Dagenais a fait valoir que même si la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés a apporté des modifications corrélatives à la Loi sur la citoyenneté, les modifications en question ne sont pas importantes. Je conviens que le législateur n'a vraisemblablement pas voulu mettre un terme de cette façon au débat sur la résidence que soulève la Loi sur la citoyenneté. Je conclus qu'il n'existe toujours pas de définition de la résidence aux fins de la citoyenneté.

[16]       Si l'on poussait cette logique à l'extrême et que l'on présumait qu'un autre pays avait une loi identique en matière de citoyenneté, un résident permanent pourrait devenir citoyen de deux pays pendant la même période de quatre ans en s'établissant ou en centralisant son mode d'existence dans l'un pendant qu'il est physiquement présent dans l'autre pendant au moins trois ans.

[17]       M. Wan a choisi de passer une bonne partie de son temps à l'extérieur pour des raisons d'affaires. En conséquence, sa demande de citoyenneté en a subi un effet défavorable (Alibhal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 169 et Re Leung (1991), 42 F.T.R. 149).             


[18]       Je conclus que la juge de la citoyenneté a compris et correctement appliqué le critère de la résidence énoncé dans Re Koo, précitée, qu'elle a démontré dans ses motifs une compréhension du critère et qu'elle a correctement appliqué le critère aux faits. En conséquence, il n'y a aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire et l'appel sera rejeté.   

_ Sean Harrington _

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 16 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             T-909-03

INTITULÉ :                                                                            YUEFAN WAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION                  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 8 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 16 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Sheldon Robins                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Diane Dagenais                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon M. Robins

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                                     

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


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