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Date : 20040924

Dossier : DES-2-03

Référence : 2004 CF 1308

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

                                                EN L'AFFAIRE d'un certificat signé

                          conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration

                                        et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

                                                                     (la « Loi » )

                                                 ET EN L'AFFAIRE du dépôt de ce

                                              certificat à la Cour fédérale du Canada

                              conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80

                                                                      de la Loi;

                                              ET EN L'AFFAIRE de Ernst ZÜNDEL

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                En marge de l'audience portant sur le caractère raisonnable ou non du certificat de sécurité signé par les ministres et déposé à la Cour fédérale en application du paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi » ou la « LIPR » ), M. Zündel a déposé une troisième requête en récusation, en alléguant une crainte raisonnable de partialité.


[2]                Comme la Cour l'a indiqué auparavant dans les deux décisions antérieures portant sur cette affaire (Re Zündel, 2003 C.F. 1089; Re Zündel, 2003 C.F. 1484), le critère de la crainte raisonnable de partialité vient de l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394 :

(...) Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? _

[3]                Il y a dans ce passage des mots clés que je voudrais souligner : ... une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... M. Zündel donne plusieurs exemples tirés de la transcription pour montrer ma présumée partialité. Aucun contexte n'est donné, aucune explication claire n'est fournie -- autrement dit, il demande à une personne qui n'est pas bien renseignée d'intervenir et de dire s'il y a partialité.

[4]                Il y a un autre point qui doit être décidé avant que l'on ne passe au contenu de la requête. Il est bien établi que la crainte raisonnable de partialité doit être évoquée à la première occasion (voir sur ce point les deux décisions susmentionnées). M. Zündel ne peut maintenant soulever des points qui auraient dû être examinés dans l'une ou l'autre des deux premières décisions.

[5]                Le premier moyen invoqué au soutien d'une crainte raisonnable de partialité est la manière dont j'ai traité Me Christie, qui était un témoin de M. Zündel. La requête mentionne ce qui suit : « M. le juge Blais a fait des observations très fortement négatives... sur la supposée absence de valeur du témoignage de Me Christie... » La requête parle ensuite de commentaires faits lorsque Me Christie témoignait sur la relation entre M. Zündel et M. Tom Metzger.


Le contexte

[6]                Me Christie a été annoncé comme témoin le 22 juillet 2004, cinq jours avant la reprise de l'audience. La Cour a appris, lors de la reprise de la séance le 27 juillet, que Me Christie témoignerait ce jour-là, et ce jour-là seulement, et qu'il ne serait pas disponible avant septembre. Jusqu'au 22 juillet 2004, Me Christie avait représenté M. Zündel. Il a cessé d'occuper pour M. Zündel le 23 juillet.

[7]                Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Cour a été prise au dépourvu. La Cour craignait aussi que l'idée de faire témoigner un ex-procureur n'entraîne une foule de problèmes. Cette crainte fut rapidement confirmée par le débat qui a eu lieu entre les avocats sur l'applicabilité dans un tel contexte du privilège du secret professionnel de l'avocat. L'avocat de M. Zündel a affirmé que ce privilège n'avait nullement cessé d'exister. Les avocats des ministres ont soutenu que, au contraire, le privilège du secret professionnel de l'avocat avait été entièrement abandonné et que n'importe quelle question pouvait être posée à Me Christie. Les deux parties ont invoqué des précédents et des auteurs à l'appui de leurs prétentions respectives.

[8]                Voilà pour le contexte des passages de la transcription qui sont invoqués par M. Zündel pour montrer 1) le ton sarcastique qu'aurait pris le juge, et 2) la conclusion de fait erronée que j'aurais tirée lorsque j'ai dit que Me Christie a témoigné qu'il n'avait pas parlé de M. Metzger à M. Zündel alors qu'en réalité il a témoigné qu'il lui en avait parlé.


[9]                Il n'y a nul sarcasme lorsque le juge veut que tout soit très clair pour tout le monde, y compris pour lui-même. Me Christie a témoigné que M. Zündel lui avait exposé ses vues sur M. Metzger. Il a été prié de dire si ces propos avaient été tenus dans le contexte d'échanges soumis au privilège du secret professionnel de l'avocat, ce à quoi Me Christie a répondu : « Non. M. Zündel n'avait à ma connaissance aucune affaire juridique à laquelle ait pu être mêlé M. Metzger » . M. Zündel affirme que, à ce moment-là, je suis intervenu, ai tiré une conclusion de fait erronée et ai voulu que Me Christie enfreigne le privilège du secret professionnel de l'avocat.


[10]            La réponse de Me Christie était pour moi tout à fait incompréhensible, et c'est la raison pour laquelle j'ai lancé une remarque et tenté d'obtenir des éclaircissements. M. Zündel est devant la Cour parce que les ministres ont délivré à son encontre un certificat de non-admissibilité. La preuve produite dans cette procédure est en partie confidentielle et elle ne peut être communiquée, pour des raisons de sécurité. J'ai autorisé un sommaire de cette preuve, sommaire qui pouvait lui être remis, ainsi que le prévoit la Loi, pour qu'il puisse connaître les preuves à charge produites contre lui. M. Metzger est évidemment mentionné dans ce sommaire. Au cours des huit premiers mois environ de la présente procédure, Me Christie a été l'avocat de M. Zündel. Je ne puis imaginer qu'il n'ait pas discuté avec son client du contenu du sommaire, y compris de M. Metzger. J'ai peut-être tort, peut-être n'a-t-il pas été question de M. Metzger dans un contexte juridique. Quoi qu'il en soit, l'affirmation de Me Christie selon laquelle M. Zündel n'était mêlé à aucune affaire juridique impliquant M. Metzger est manifestement erronée. M. Zündel est bel et bien concerné par une affaire juridique qui intéresse M. Metzger : le sommaire de la preuve. Il s'agit là de la preuve publique autorisant le certificat en vertu duquel M. Zündel est détenu, et cette preuve mentionne clairement le nom de M. Metzger.

[11]            Tout cela sert à illustrer la difficulté qu'engendre l'idée de faire témoigner dans un procès un avocat qui a cessé d'occuper pour une partie. Toute observation ou intervention de ma part est sans rapport avec Me Christie lui-même, ni avec sa valeur comme témoin. Mon problème est plutôt la difficulté qui se pose pour Me Christie; il peut librement témoigner de certaines conversations, mais non d'autres. Il peut sincèrement dire, nul n'en doute, qu'il a eu des conversations générales avec M. Zündel à propos de M. Metzger. Cependant, il affirme que, lorsque s'applique le privilège du secret professionnel de l'avocat, il ne peut rien dire de conversations ayant porté sur M. Metzger. J'ai le plus profond respect pour le principe du secret professionnel de l'avocat, et il n'est certainement pas dans mes intentions d'inviter Me Christie à ignorer ses obligations d'avocat.

[12]            Étant donné les fortes divergences des parties sur cette question, j'ai imaginé que le problème allait se poser lorsque nous avons commencé le contre-interrogatoire de Me Christie. J'ai même rendu une décision finale sur l'applicabilité du privilège du secret professionnel de l'avocat le 30 août, date à laquelle nous avons débuté le contre-interrogatoire.

[13]            Je suis d'avis que, sur ce point, une personne bien renseignée verrait la difficulté de chercher à comprendre ce que Me Christie dit exactement à propos de M. Metzger.

[14]            Ainsi que le disait la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 48, l'analyse des faits doit être mise en contexte :

Nous concluons que la personne raisonnable, dont parle le juge de Grandpré et qu'ont adoptée les tribunaux canadiens, aborde la question de savoir s'il y a crainte raisonnable de partialité avec une compréhension nuancée et contextuelle des éléments en litige. Elle comprend qu'il est impossible au juge d'être neutre, mais elle exige son impartialité. Elle connaît la dynamique raciale de la collectivité locale et, en tant que membre de la société canadienne, elle souscrit aux principes d'égalité. [Non souligné dans l'original.]

[15]            Le deuxième moyen invoqué est général et dit simplement que « La conduite globale de M. le juge Blais tout au long de cette audience... a elle aussi donné lieu à une crainte raisonnable de partialité » . Sans plus, ce propos n'appelle pas de commentaires.

[16]            Le troisième moyen invoqué concerne des mesures se rapportant à cette requête en récusation. La Couronne a fait valoir qu'il serait injuste de disposer de moins de deux jours pour répondre à une requête longue et détaillée; j'ai partagé cet avis. J'ai alors fixé une échéance pour le dépôt de la réponse. M. Zündel croit que cette échéance est trop généreuse pour la Couronne, quand lui-même se voit constamment imposer des contraintes de temps.


[17]            Tout au long de cette longue audience, j'ai été équitable, donnant à l'avocat de M. Zündel une latitude considérable d'assigner des témoins à la dernière minute au cours de l'interrogatoire de M. Zündel lui-même (au moins trois fois), et allongeant les délais pour faciliter la comparution des témoins. Un observateur équitable et bien renseigné se demanderait sans doute si une troisième requête en récusation constitue le meilleur moyen d'employer le temps, surtout lorsqu'elle soulève, comme nous le verrons plus loin, des aspects qui auraient dû être évoqués beaucoup plus tôt s'ils étaient si importants. M. Zündel me reproche de ne pas avoir réprimandé la Couronne, qui avait proposé que Me Christie revienne à Toronto le jour même de l'opération de son épouse. Je siège en tant que juge, non en tant que parent. Je n'ai pas une seule minute eu l'idée de faire revenir Me Christie. Il ne m'appartient pas de dire à la Couronne qu'elle devrait être plus compatissante.

[18]            Lorsqu'une requête en récusation est présentée au début d'une procédure, j'admets que la pratique généralement reconnue consiste à statuer sur cette requête avant que la procédure ne se poursuive, sous réserve de diverses éventualités. Cela dit, il s'est écoulé plus d'un an (en réalité 16 mois) depuis que cette procédure a débuté. J'ai déjà statué sur deux requêtes en récusation. Dans la première, il convient de le noter, l'avocat de M. Zündel disait que nous devrions poursuivre la procédure, ce que nous avons fait. J'ai cru que la meilleure chose à faire était d'enterrer la question et j'ai pour cette raison accordé un délai pour les réponses et les plaidoiries. Cela dit, j'ai pris la décision de continuer malgré cette requête. Aucune règle ni aucune loi ne l'interdisent, et je crois qu'une personne raisonnable et bien renseignée comprendrait que l'on puisse vouloir continuer une procédure lorsqu'il est difficile de trouver des dates convenant à tous.

[19]            Le quatrième moyen invoqué est le fait que l'ordonnance de détention signale déjà, paraît-il, ce que sera ma décision finale relative au certificat.

[20]            Le 21 janvier 2004, j'écrivais, au paragraphe 14 de ma décision :

[traduction]Avant d'exposer mes motifs, je voudrais dire que la question du caractère raisonnable ou non du certificat doit encore être décidée et que la présente décision n'en dispose pas. Pour l'instant, je veux être prudent, et l'on m'a présenté des renseignements suffisants qui confirment que les ministres « ont des motifs raisonnables de croire que le résident permanent constitue un danger pour la sécurité nationale » . Le point de savoir si le certificat est raisonnable ou non sera décidé ultérieurement.

[21]            Je ne trouve pas que cela signifie qu'il existe une crainte raisonnable de partialité. La loi en vertu de laquelle nous agissons est ainsi structurée. Au cours de la procédure, il doit y avoir tous les six mois un examen des motifs de la détention. Au vu des éléments de preuve que j'avais devant moi lorsque j'ai rendu ma décision sur la détention, j'ai pensé que la détention devrait être maintenue. La procédure n'est pas terminée; je n'ai pas encore rendu ma décision sur le certificat.

[22]            Le critère qui s'applique à l'examen des motifs de la détention n'est pas le même que celui qui concerne l'examen du certificat. Lorsqu'elle examine les motifs d'une détention, la Cour doit se demander si les ministres ont prouvé qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne constitue un danger pour la sécurité nationale ou pour la sécurité d'autrui.

[23]            Lorsqu'il examine le certificat, le juge désigné doit, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose, décider du caractère raisonnable du certificat, et de la légalité de la décision du ministre (paragraphe 80(1) de la Loi).

[24]            Le cinquième moyen invoqué est le fait que la Couronne a eu davantage de liberté dans la présentation de sa preuve. Une bonne partie de la preuve de la Couronne est une preuve par ouï-dire. La plupart des éléments de preuve présentés à ce titre remontent à mai 2003. S'ils préoccupaient à ce point la défense, alors celle-ci aurait dû le signaler bien avant aujourd'hui. Cela dit, la preuve par ouï-dire, bien qu'elle soit recevable ainsi que le prévoit l'article 78 de la Loi, est toujours jugée avec plus de méfiance, et cela parce qu'elle n'est pas contredite.

[25]            Le sixième moyen invoqué concerne en revanche le fait que M. Zündel a été considérablement restreint dans la preuve qu'il a été autorisé à produire. Comme je l'ai dit précédemment, la preuve par ouï-dire bénéficie d'un crédit moindre. Lorsque j'ai demandé des documents prouvant l'une des affirmations de M. Zündel, je recherchais la « meilleure preuve » . M. Zündel semble en déduire que je crois la preuve par ouï-dire lorsqu'elle est présentée par la Couronne et que je ne la crois pas lorsqu'elle est présentée par lui. La preuve par ouï-dire n'est pas la meilleure preuve et elle est appréciée en conséquence.


[26]            La requête dit que j'ai réduit à néant toute une série de questions par des interruptions constantes du contre-interrogatoire, « en insistant à tort pour que l'avocat de M. Zündel s'abstienne de lire à haute voix le paragraphe tout entier au témoin » . Je reproduis la transcription :

[traduction]

M. LINDSAY:

Q.             Êtes-vous disposé à accepter ce qui suit au nom du SCRS : qu'il y a eu enquête du SCRS qui a débuté en 1985 et qui a duré cinq ans, enquête qui a mis en évidence les violences et petites activités criminelles de skinheads et autres, mais qui a conclu que, au cours de cette période de cinq ans, il n'y a rien eu qui puisse être interprété comme une menace pour la sécurité du Canada?

M. MacINTOSH: Je m'oppose à cette question. Elle ne tient pas compte de la réserve qui apparaît après la citation, dans ce paragraphe, dont nous avons abondamment parlé au cours des dix dernières minutes.

LA COUR: Je crois que le témoin connaît les deux phrases, et il peut répondre en ce qui a trait à l'information classifiée. Je crois que j'autoriserai la question.

LE TÉMOIN: Comme réponse au fait que cette phrase constitue une représentation non classifiée d'un argument qui a été présenté au Comité d'examen et d'agrément des objectifs, pour ce qui est de son exactitude, je dirais qu'elle est exacte encore qu'un peu hors contexte, parce que je sais que des renseignements complémentaires ont été fournis au comité. Considérée isolément, cette phrase est exacte, compte tenu de ses limites.

M. LINDSAY:

Q.             Je voudrais ajouter quelque chose. Est-elle exacte quant au fait qu'elle ne renferme rien qui puisse être interprété comme une menace pour la sécurité du Canada au sein de l'extrême droite à l'intérieur de ce bloc de temps?

R.             Elle ne dit pas cela. Elle parle de violences et de petites activités criminelles auxquelles se livrent les skinheads. Ce document parle des violences et des petites activités criminelles des skinheads. Elle parle de l'extrême droite et autres, c'est bien cela. Ce que je dis, c'est qu'il s'agit là d'une perspective très limitée de violences et de petites activités criminelles de la part de skinheads et autres.

[27]            M. Zündel met en doute, avec force détails, toutes les décisions que j'ai pu rendre au cours de l'audience. Il évoque une situation particulièrement difficile, où nous avions un témoin qui venait du SCRS. Des considérations de sécurité nationale s'appliquaient, tant en vertu de la LIPR qu'en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité. J'ai refusé des questions qui portaient sur des documents classifiés, et aussi des questions qui concernaient les documents non classifiés; dans ce dernier cas, parce que la preuve se trouvait devant la Cour. Il n'appartenait pas au témoin de creuser cette preuve :


[traduction]

M. LINDSAY: Je poserai une série de questions, et vous pourrez les exclure toutes si vous le voulez, monsieur. Je ne crois pas que nous ayons même besoin du témoin ici, mais je les poserai. Mon confrère pourra faire objection, et je présume que vous ferez droit à l'objection.

La question suivante est celle-ci : Si l'on tient compte uniquement des documents non classifiés, le SCRS a-t-il la moindre preuve que M. Zündel a jamais aidé quelqu'un à commettre ou à prendre des dispositions pour que soit commis un acte de violence en quelque endroit?

Y a-t-il ou non objection?

LA COUR: Le problème est fondamental. Vous avez la preuve devant lui. Vous n'avez pas à demander au témoin : « Pourriez-vous trouver quelque chose quelque part dans la preuve? » C'est à vous qu'il incombe de prendre la preuve et de dire : « Regardez cela » , puis de poser une question au témoin, et c'est tout. C'est ainsi que l'on a coutume de faire. Je m'égare peut-être, mais c'est la manière dont nous procédons habituellement -- ne pas poser une question générale parce que l'on obtiendra la même réponse. Évidemment, l'objection sera maintenue.

[28]            S'agissant de l'à-propos de l'intervention d'un juge au cours d'une audience, le juge en chef Lamer, de la Cour suprême du Canada, charge qu'il occupait alors, écrivait, dans l'arrêt R. c. Brouillard, [1985] 1 R.C.S. 39, au paragraphe 17 :

D'abord, il est clair que l'on n'exige plus du juge la passivité d'antan; d'être ce que, moi, j'appelle un juge sphinx. Non seulement acceptons-nous aujourd'hui que le juge intervienne dans le débat adversaire, mais croyons-nous aussi qu'il est parfois essentiel qu'il le fasse pour que justice soit effectivement rendue. Ainsi un juge peut et, parfois, doit poser des questions aux témoins, les interrompre dans leur témoignage, et au besoin les rappeler à l'ordre.

Plus loin, au paragraphe 18, le juge en chef Lamer cite les propos de lord Denning :

Lord Denning s'exprimait comme suit, aux pages 158 et 159 :

[TRADUCTION] Nul ne peut douter que l'intervention du juge ait été fondée sur les meilleurs motifs. Désirant vivement comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire complexe, il a posé des questions en vue de tirer les choses au clair. Afin d'empêcher que les témoins ne soient harcelés indûment au cours de leur contre-interrogatoire, il est intervenu pour les protéger chaque fois qu'il le jugeait nécessaire. Dans son désir d'examiner les différentes critiques faites contre la Commission et d'en déterminer le bien-fondé, il les a soumises lui-même aux témoins à quelques reprises. Comme il souhaitait en outre ne pas voir l'audience traîner en longueur, il faisait clairement savoir qu'un point avait été suffisamment débattu. Voilà tous des motifs valables sur lesquels les juges se fondent couramment, comme ils le font d'ailleurs depuis des siècles, pour intervenir dans le déroulement des procès.


Finalement, au paragraphe 20, le juge en chef Lamer citait un autre précédent :

Une autre illustration du précepte se retrouve dans les propos de lord Greene, maître des rôles, dans Yuill v. Yuill, [1945] 1 All E.R. 183 (C.A.), à la p. 185 :

[TRADUCTION] Il va sans dire qu'un juge a le pouvoir, voire le devoir, de poser des questions en vue d'obtenir des éclaircissements sur une réponse obscure et d'en poser aussi lorsqu'il estime que le témoin a mal compris une question que lui a adressée l'avocat. Si, de l'avis du juge, il subsiste des doutes sur certains points ou s'il croit que certaines questions auraient dû être posées, il peut, bien sûr, voir lui-même à combler la lacune.

[29]            S'agissant de la manière de traiter les témoins, je m'efforce toujours d'être courtois. Comme je l'ai dit, j'ai donné une liberté considérable à M. Zündel, en l'autorisant à appeler des témoins à la dernière minute et en modifiant l'horaire pour permettre la comparution de témoins ou la modification de plans. J'ai la plus profonde sympathie pour Me Christie et je souhaite un prompt rétablissement à son épouse. J'ai mis en doute la sagesse d'entreprendre un interrogatoire qui serait nécessairement interrompu, puisque Me Christie ne serait pas disponible en août.

[30]            Les avocats des ministres ont également soulevé le principe d'impartialité. Cet aspect a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003, R.C.S. 259, où la Cour écrivait, au paragraphe 59 :

« [l]'impartialité est la qualité fondamentale des juges et l'attribut central de la fonction judiciaire » (Conseil canadien de la magistrature, Principes de déontologie judiciaire (1998), p. 30). Elle est la clé de notre processus judiciaire et son existence doit être présumée. Comme l'ont signalé les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt S. (R.D.), précité, par. 32, cette présomption d'impartialité a une importance considérable, et le droit ne devrait pas imprudemment évoquer la possibilité de partialité du juge, dont l'autorité dépend de cette présomption. Par conséquent, bien que l'impartialité judiciaire soit une exigence stricte, c'est à la partie qui plaide l'inhabilité qu'incombe le fardeau d'établir que les circonstances permettent de conclure que le juge doit être récusé. [Non souligné dans l'original.]

[31]            Également, dans l'arrêt R. c. R.D.S., précité, à la page 11, au paragraphe 32, la Cour suprême du Canada écrivait :


... Cette présomption d'impartialité a une importance considérable puisque, comme le faisait observer Blackstone, aux pages 21 et 22, dans Commentaires sur les lois anglaises (1823), t. 5, cité au renvoi 49 de l'article de Richard F. Devlin intitulé « We Can't Go On Together with Suspicious Minds: Judicial Bias and Racialized Perspective in R. v. R.D.S » (1995), 18 Dalhousie L.J. 408, à la page 417, « la loi ne peut supposer de la faveur, de la partialité, dans un juge, qui, avant tout, s'est engagé par serment à administrer la justice avec une sévère intégrité, et dont l'autorité dépend en grande partie de l'idée qu'on a conçue de lui à cet égard » .

[32]            Ces propos de la Cour suprême du Canada sur le principe d'impartialité conduisent à un autre élément qu'il convient de considérer : L'allégation de l'existence d'une crainte raisonnable de partialité repose-t-elle sur des motifs sérieux? Dans l'arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, précité, au paragraphe 76, la Cour suprême écrivait :

Premièrement, il convient de répéter que la norme exige une crainte de partialité fondée sur des motifs sérieux, vu la forte présomption d'impartialité dont jouissent les tribunaux. À cet égard, le juge de Grandpré a ajouté ces mots à l'expression maintenant classique de la norme de la crainte raisonnable :

Toutefois, les motifs de la crainte doivent être sérieux et je [...] refuse d'admettre que le critère doit être celui d' « une personne de nature scrupuleuse et tatillonne » .

(Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, précité, p. 395)

[33]            En réalité, après examen des documents, je ne vois pas de motifs sérieux de confirmer l'allégation de l'existence d'une crainte raisonnable de partialité.

[34]            Au début de l'audition des conclusions orales, j'ai dû rejeter la réponse proposée parce qu'elle était fondée sur des faits qui s'étaient produits après le dépôt de la requête. L'avocat de M. Zündel a indiqué que tous les faits et toutes les décisions de la Cour, même postérieurs au dépôt de la requête, devraient être considérés s'ils soulevaient une crainte raisonnable de partialité.

[35]            Au-delà de la simple question de procédure, cela soulève un élément plus pernicieux. Dire que toutes les décisions défavorables à son client devraient être vues comme des décisions justifiant une crainte raisonnable de partialité pourrait être perçu comme une forme d'intimidation, un genre d'insinuation donnant à entendre que « Si vous ne statuez pas en ma faveur, c'est que vous êtes partial! » .

[36]            Une requête en récusation est une chose très sérieuse, vu la présomption d'intégrité et d'impartialité des magistrats, et vu aussi la nécessité de motifs sérieux justifiant une telle requête. Une telle requête ne devrait pas être banalisée, ni déposée dès qu'une décision est rendue en faveur de votre adversaire. Une requête en récusation ne doit pas non plus devenir une menace constante, une arme dissimulée, avec laquelle vous forcerez le juge à statuer en votre faveur sous peine de requête en récusation. Une requête en récusation est en ce sens un instrument très insidieux, qui peut mettre le juge dans une position intenable.

[37]            Je crois qu'une lecture attentive de la transcription ne conduirait pas un observateur bien renseigné, raisonnable et impartial à conclure que je suis vraisemblablement de parti pris. Une lecture attentive de la transcription pourrait conduire un observateur à conclure que nous avons plutôt affaire à une procédure très difficile, dont on ne sait guère où elle nous mènera, et où toutes les parties, y compris l'avocat de M. Zündel, tentent de faire au mieux avec des règles de preuve qui ne sont pas celles auxquelles nous sommes accoutumés.

[38]            Les avocats des ministres ont indiqué que, vu l'absence de motifs sérieux justifiant cette troisième requête en récusation, la Cour devrait accorder les dépens aux ministres; je partage leur avis.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-          Cette requête en récusation est rejetée.

-          Les dépens sont adjugés aux ministres.

                  « Pierre Blais »                 

     Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        DES-2-03

INTITULÉ :                                       En l'affaire d'un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi » )

Et en l'affaire du dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada conformément au paragraphe 77(1) et aux articles 78 et 80 de la Loi;

Et en l'affaire de Ernst Zündel

LIEU DE L'AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :            les 9 et 16 mai 2003

les 28, 29 et 30 juillet 2003

les 23 et 24 septembre 2003

les 6 et 7 novembre 2003

les 10 et 11 décembre 2003

les 22, 23, 26 et 27 janvier 2004

les 9, 12, 18 et 19 février 2004

les 13, 14, 29 et 30 avril 2004

les 4 et 5 mai 2004

le 9 juin 2004

le 27 juillet 2004

le 11 août 2004

les 30 et 31 août 2004

les 1, 2, 14 et 16 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                     le 24 septembre 2004


COMPARUTIONS :

Donald MacIntosh & Pamela Larmondin                                    POUR LE MINISTRE

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

Murray Rodych & Toby Hoffman                                              POUR LE

Service canadien du renseignement de sécurité                           SOLLICITEUR GÉNÉRAL

Services juridiques

Ottawa (Ontario)

Peter Lindsay & Chi-Kun Shi                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)


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