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Date : 20011023

Dossier : IMM-5421-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1150

ENTRE :

SAMSU MIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur demande le contrôle judiciaire d'une décision en date du 26 septembre 2000 dans laquelle un agent de révision des revendications refusées (ARRR) a statué que le demandeur n'était pas un membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC).


[2]                 La principale question à trancher est de savoir si l'ARRR a commis une erreur manifeste ou déraisonnable lorsqu'il a conclu que le demandeur ne serait exposé à aucun risque s'il était renvoyé au Bangladesh. Il est également nécessaire de décider si l'ARRR a commis un manquement aux règles d'équité en omettant d'interroger le demandeur et de lui offrir la possibilité de répondre aux préoccupations qu'il avait. Cette question comprend celle de savoir si l'ARRR aurait dû remettre au demandeur une copie de ses notes avant de lui faire connaître sa décision. La troisième question qui se pose consiste à savoir si l'ARRR a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la décision de la SSR.

[3]                 Dans les notes qu'il a prises au sujet de l'admissibilité du demandeur à un examen de sa demande à titre de DNRSRC et des risques auxquels celui-ci était exposé, l'ARRR a commenté certains aspects comme suit :

[Traduction] L'évaluation a pour but de savoir si le demandeur serait exposé à un risque pour sa vie qui peut être identifié de façon objective, à des sanctions extrêmes ou à un traitement inhumain s'il était renvoyé du Canada.

A. RISQUES MENTIONNÉS PAR LE DEMANDEUR

L'avocat du demandeur soutient que le haut commissaire adjoint du Bangladesh a menacé celui-ci au Canada. Les associés de M. Ul Alam ont également menacé la famille du demandeur au Bangladesh. L'avocat s'exprime comme suit : « M. Mia craint d'être attaqué ou même tué par M. Alam ou les associés de celui-ci au Bangladesh s'il est renvoyé dans ce pays. Il craint également pour la sécurité de sa famille. M. Ula Alam est un homme très puissant qui a des liens étroits avec l'armée, avec le parti actuellement au pouvoir et avec la police dans sa région » . L'avocat ajoute que le demandeur n'a pas le statut social ni les ressources financières nécessaires pour se protéger lui-même par des moyens physiques ou par l'entremise des tribunaux, qu'il soit réfugié au sens de la Convention ou non.

Sous la rubrique [Traduction] « B. Analyse : extraits de la décision et des motifs de la décision de la SRR » , l'ARRR s'exprime comme suit :

[Traduction] Le demandeur a dit au cours de son témoignage qu'il craignait une vendetta personnelle de la part de M. Alam, parce qu'il a fait connaître son traitement par l'entremise du haut commissaire adjoint du Bangladesh.


À mon avis, l'ARRR n'a pas mal interprété la crainte du demandeur, puisque ce n'est que lorsque celui-ci s'est plaint publiquement de la façon dont il avait été traité par M. Alam que les menaces ont commencé. L'ARRR poursuit en ces termes :

[Traduction] Le tribunal n'a pas conclu que la situation en l'espèce n'était pas visée par la définition du réfugié au motif qu'il s'agissait d'une vendetta personnelle plutôt que d'une opinion politique.

C'est là une déclaration erronée que l'ARRR a faite par inadvertance, étant donné que le tribunal a effectivement conclu que le demandeur n'était pas visé par la définition du réfugié. L'ARRR s'exprime ensuite comme suit :

[Traduction] Ils soulignent qu'il n'est pas allé voir le haut commissaire au Canada pour lui demander de le protéger ou de protéger les membres de sa famille.

Comme l'a dit Madame le juge Tremblay-Lamer lorsqu'elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire, il s'agit manifestement d'une erreur, étant donné que le demandeur a communiqué avec le haut commissaire au Canada. Cependant, cette erreur ne concerne que la question de la protection offerte par l'État et, dans la mesure où l'ARRR a raison de dire que le demandeur ne sera exposé à aucun risque s'il est renvoyé au Bangladesh, cette question ne sera pas pertinente. Le juge Tremblay-Lamer a donc conclu que cette erreur n'était pas susceptible de révision et elle ne l'est pas non plus dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]                 L'ARRR formule ensuite les commentaires suivants au sujet de l'évaluation des risques liés au renvoi :


[Traduction] Le demandeur allègue que sa famille et lui-même ont reçu des menaces d'un citoyen haut placé du Bangladesh, parce que le représentant du gouvernement ici au Canada avait fait connaître publiquement le mauvais traitement dont le demandeur aurait été victime. Je souligne que la réputation du fonctionnaire n'a pas été touchée par cette déclaration publique et que la preuve n'indique nullement que le demandeur et sa famille ont été attaqués physiquement par suite des menaces.

Étant donné que le haut fonctionnaire du gouvernement a été promu et qu'il exerce actuellement ses fonctions en dehors du pays, j'estime qu'il est peu probable que le demandeur et sa famille soient attaqués physiquement au Bangladesh.

Il n'y a pas suffisamment de renseignements crédibles permettant de conclure que le demandeur serait exposé à des risques s'il était renvoyé au Bangladesh.

[5]                 Le demandeur fait valoir qu'aucun élément de preuve n'indique que le fonctionnaire avait été promu, mais il appert de la décision de la Section du statut de réfugié qu'il avait été nommé ambassadeur dans un autre pays. Selon le demandeur, la Section n'a été saisie d'aucun élément de preuve en ce sens. Cependant, la déclaration est toujours là et n'a pas été contredite dans la preuve présentée devant moi. Le juge Tremblay-Lamer ne l'a pas commentée non plus dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie.

[6]                 Même s'il appert de certains rapports du département d'État que les personnes appartenant à la classe sociale inférieure au Bangladesh sont opprimées par ceux qui détiennent des richesses et des pouvoirs, il n'y a aucun élément de preuve visant à contredire les commentaires qui sont formulés dans les deux premiers paragraphes de l'évaluation de l'ARRR en ce qui a trait au risque lié au renvoi. Je souligne également que le demandeur déclare dans son propre affidavit qu'il a été bien traité lorsqu'il a été affecté à d'autres ambassades pendant les quelques années qui ont précédé sa nomination au haut-commissariat du Bangladesh au Canada.

[7]                 Le demandeur allègue que la SRR n'a formulé aucune conclusion défavorable au sujet de la crédibilité de la preuve qu'il a présentée et que l'ARRR a donc tort de dire ce qui suit :

[Traduction] Il n'y a pas suffisamment de renseignements crédibles permettant de conclure que le demandeur serait exposé à des risques s'il était renvoyé au Bangladesh.

À mon avis, le mot « crédibles » est mal choisi dans cette phrase, mais je ne puis trouver aucun renseignement, crédible ou autre, qui me permettrait de conclure que le demandeur serait exposé à des risques s'il était renvoyé au Bangladesh. Il est vrai que la preuve renferme deux lettres dans lesquelles un des fils du demandeur, qui se trouve au Bangladesh, soutient que lui-même et les membres de sa famille ont fait l'objet de menaces ainsi qu'une lettre dans laquelle l'employeur du demandeur au Canada affirme qu'il était au courant des menaces proférées à l'endroit de celui-ci. Toutefois, l'ARRR a reconnu que le demandeur et la famille de celui-ci avaient fait l'objet de menaces, mais estimait qu'en raison de l'absence d'attaques physiques, le demandeur ne courrait aucun risque au Bangladesh. Le demandeur a été blessé physiquement alors qu'il travaillait pour le haut-commissariat au Canada, mais ni lui ni sa famille n'ont été attaqués au cours des deux années qui ont suivi la date où il a fait connaître le traitement que lui avait infligé le haut commissaire adjoint, M. Alam. À mon avis, l'ARRR n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable en concluant que le demandeur ne serait exposé à aucun risque s'il était renvoyé au Bangladesh. De plus, aucune menace n'a été formulée contre le demandeur ou les membres de la famille de celui-ci entre mai 1999 et le 22 septembre 2000, soit la date de la décision.

[8]                 L'ARRR n'a pas commis de manquement aux règles d'équité en omettant d'interroger le demandeur. Dans l'arrêt Baker c. MCI, [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême a statué qu'une entrevue n'est pas toujours nécessaire lorsqu'il s'agit d'une décision administrative. Selon d'autres jugements, l'entrevue est nécessaire lorsque la crédibilité est en cause (voir Khan c. University of Ottawa (1997), 34 O.R. (3d) 535 (C.A. Ont.). Cependant, la crédibilité n'est pas en cause en l'espèce. De plus, dans Azerbaijani c. MCI, [1998] A.C.F. no 882 (C.F. 1re inst.), il a été décidé que l'omission d'accorder une entrevue ne constituait pas un manquement au devoir d'équité. Une audition complète avait déjà été tenue en l'espèce devant la Section du statut de réfugié. Il n'est pas obligatoire qu'une autre audition soit tenue à chaque étape de la démarche, même lorsque la crédibilité est en cause.

[9]                 De plus, à mon sens, l'ARRR n'a pas omis d'offrir au demandeur la possibilité de répondre aux préoccupations qu'il avait. Le demandeur a présenté des arguments sur cette question et il était parfaitement au courant de la décision de la Section et du rapport du département d'État. Rien n'indique que l'ARRR s'est fondé sur un nouvel élément de preuve.

[10]            J'examinerai maintenant la question de savoir si l'ARRR aurait dû informer le demandeur de ses motifs avant de lui faire connaître sa décision.


[11]            À titre de fonctionnaire de la Cour, l'avocate du défendeur a signalé à mon attention une récente décision que la Cour a rendue, soit Soto c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1207, où elle a statué qu'un ARRR doit divulguer l'évaluation du risque au demandeur et lui donner la possibilité de la commenter avant d'en arriver à la décision finale. Après avoir invoqué l'arrêt Haghighi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 4 C.F. 407 (C.A.F.), le juge Lemieux s'est exprimé comme suit :

À mon avis, Haghighi, précité, a une pertinence directe à cet égard. Dans cette affaire, la Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Gibson selon lequel, en raison de la décision de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, l'obligation d'équité implique désormais que le rapport d'évaluation du risque d'un ARRR soit divulgué afin que le demandeur ait la possibilité de corriger des erreurs ou de relever des omissions, et ce même si le rapport ou l'évaluation du risque se fonde sur de la documentation fournie par le demandeur, avec sa demande de reconnaissance à titre de DNRSRC, ou sur d'autres renseignements du domaine public qui lui sont raisonnablement accessibles.

En toute déférence, je ne crois pas que les principes d'équité obligent un ARRR qui procède à une évaluation du risque pour savoir si le demandeur est membre de la catégorie DNRSRC à divulguer l'évaluation en question avant d'en arriver à sa décision. À mon sens, reconnaître l'existence de cette obligation équivaudrait pour ainsi dire à contraindre un décideur à communiquer les motifs de sa décision à des fins de commentaires avant de prendre sa décision finale. Dans la présente affaire, la personne qui a examiné les éléments de preuve a pris la décision. Aucune autre personne n'a participé au processus. Il ne s'agit pas d'un cas où le décideur reçoit des renseignements de personnes autres que le demandeur. De plus, je souligne que l'arrêt Haghighi portait sur une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Par conséquent, aucune erreur susceptible de révision n'a été commise à ce sujet.

[12]            J'estime également que l'ARRR n'a pas entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la décision de la SRR. Il appert de la jurisprudence que l'ARRR a le droit de se fonder sur la décision de la Commission et d'en arriver à la même conclusion, pourvu qu'il ne se sente pas lié par cette décision et qu'il tire ses propres conclusions.

[13]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[14]            J'ai été saisi de deux questions à certifier. À mon avis, la proposition du demandeur était fondée sur les faits et ne constitue pas une question de portée générale. J'estime donc que la question à certifier en l'espèce devrait être la suivante :

Au moment de décider si une personne est membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, l'ARRR est-il tenu, en raison des principes d'équité procédurale, de divulguer les motifs de sa décision à la personne concernée pour que celle-ci ait la possibilité de les commenter avant que cette décision soit jugée finale?

« W. P. McKeown »

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                                                                                                           JUGE

TORONTO (ONTARIO), le 23 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              IMM-5421-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Samsu Mia

                                                                                                  demandeur

c.

Le ministre de la Citoyenneté et

de l'Immigration

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le mercredi 3 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :                                     Le mardi 23 octobre 2001

COMPARUTIONS :

MM. David Morris et Felipe Quiroz-Borrero                               POUR LE DEMANDEUR

Mme Marie Crowley                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bell Unger Morris                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Avocats

114, avenue Argyle

Ottawa (Ontario) K2P 1B4

M. Morris Rosenberg                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20011023

Dossier : IMM-5421-00

ENTRE :

SAMSU MIA

                                                                                                  demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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