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Date : 19991230


Dossier : T-695-99



Entre :

     ROGER WHITTON

     Demandeur


Et:



     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE



LE JUGE ROULEAU



[1]      Lors de l'ouverture de l'audience, les parties, de consentement, ont convenu qu'il était opportun d'amender l'intitulé de cause. Le Procureur général du Canada sera désormais désigné comme seul défendeur.


[2]      Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire aux termes de l'article 18 de la Loi sur la cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, afin que soit décerné un bref de mandamus en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. 1985, ch. O-9, telle qu'amendée (ci-après "la Loi"). Cette demande vise à ordonner au ministre du Développement des ressources humaines Canada de rétablir le service de la pension due au demandeur en vertu de la Loi et de rembourser au demandeur les sommes retenues depuis septembre 1996.

[3]      Le demandeur, M. Whitton, est âgé de 74 ans. Le 10 janvier 1989, il faisait une demande de prestations de sécurité de vieillesse en vertu de la Loi. En septembre 1989, il a atteint l'âge de 65 ans et a commencé à recevoir ses prestations.

[4]      De septembre 1989 à septembre 1996, le demandeur a reçu ses prestations mensuelles, accompagnées du supplément de revenu garanti en raison de sa situation financière et familiale.

[5]      En 1996, le ministre du Développement des ressources humaines Canada a constaté que de juin 1973 à octobre 1993, des chèques de prestations de sécurité de vieillesse avaient été émis et encaissés au nom de madame Marie Whitton, la mère du demandeur, décédée en mai 1973. Ces chèques représentent une somme de 123 388,51 $.

[6]      Une enquête a été initiée afin de déterminer comment et par qui les chèques de madame Whitton avaient été encaissés. Monsieur Robert de Chantal, enquêteur au ministère du Développement des ressources humaines Canada, a rencontré le demandeur à quelques reprises et affirme que ce dernier a reconnu avoir reçu et encaissé les chèques émis au nom de sa mère, et ce, pendant 20 ans. Toutefois, le demandeur n'a signé aucun document à cet effet.

[7]      Le 17 septembre 1996, le demandeur a reçu une lettre l'informant que ses prestations étaient suspendues puisque son dossier faisait l'objet d'une enquête. Il a fait parvenir une lettre au ministère en date du 13 décembre 1996 avisant qu'il contestait cette décision mais n'a toutefois pas présenter de demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision de suspendre ses prestations.

[8]      Dans une lettre datée du 15 avril 1998, M. Rabinovitch, sous-ministre adjoint, Programmes de la sécurité du revenu, expliquait au demandeur que le paiement des prestations était suspendu aux termes du paragraphe 9(5) de la Loi afin de recouvrer, par compensation, les sommes que le demandeur se serait appropriées sans droit en encaissant les chèques de sa mère décédée depuis 20 ans.

[9]      Un an plus tard, soit le 21 avril 1999, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire pour que soit ordonné un bref de mandamus afin d'ordonner au ministre de rétablir le versement de ses prestations.

[10]      Par lettre en date du 13 mai 1999, le demandeur fut informé que la décision de suspendre le versement de ses prestations était maintenue.

[11]      Le demandeur n'aurait maintenant pour seul revenu que ses prestations d'ancien combattant au montant de 587 $ par mois. Il a dû obtenir une aide de la Sécurité du revenu du Québec, laquelle est remboursable.

[12]      Le demandeur affirme avoir tenté depuis deux ans obtenir une décision du ministère; il réclame le droit d'être entendu, le rétablissement du versement de ses prestations ainsi que le recouvrement des prestations suspendues depuis deux ans.

[13]      Il soutient que sa situation est contraire aux principes énoncés à la Loi puisqu'il est un prestataire dont l'admissibilité aux prestations est non contestée et qu'il a donc droit au versement de ses prestations. En effet, il affirme que son droit aux prestations n'est pas en cause, que la présente situation implique le versement de prestations dans deux dossiers distincts: celui de sa mère et le sien. Il soumet que son dossier étant sans tache, il devrait avoir droit aux prestations. En conséquence, il déclare bénéficier de la présomption d'innocence puisque son dossier est conforme à la Loi.

[14]      Le demandeur soumet qu'il n'a pas reçu de réclamation portant sur des prestations reçues sans droit à l'égard de son dossier de prestataire de la Sécurité de la vieillesse. Il souligne le fait qu'il n'a jamais été poursuivi en recouvrement d'une créance de Sa Majesté et que par conséquent la compensation exercée par le ministre serait illégale.

[15]      Le défendeur soutient que la présente demande vise en fait à contester une décision rendue en septembre 1996 et que par conséquent elle est hors délai. En effet, ce n'est qu'en avril 1999, soit plus de deux ans plus tard, que le demandeur conteste la décision. Aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours suivant la première communication de la décision contestée.

[16]      Le défendeur soutient que la suspension et la compensation opérées à l'égard des prestations dues au demandeur sont légales et conformes à la Loi. Il rappelle que le demandeur a avoué à l'enquêteur, M. de Chantal, avoir encaissé pendant 20 ans les chèques de sa mère décédée. Une pension est payable aux personnes qui rencontrent les conditions énumérées à l'article 3 de la Loi, sous réserve des autres dispositions de la Loi. Il affirme qu'une lecture de cet article démontre que le fait d'encaisser pour son propre compte des chèques de pension émis au nom d'une autre personne contrevient à la Loi.

[17]      Conséquemment, en vertu du paragraphe 9(5) de la Loi, le défendeur soumet que la suspension des prestations du demandeur était justifiée, bien que ce ne soit pas l'admissibilité du demandeur qui soit en cause. Il soumet de plus qu'en vertu du paragraphe 37(2.1) de la Loi le recouvrement des sommes perçues sans droit peut se faire par compensation entre les sommes dues par le demandeur et les prestations qui lui sont éventuellement payables.

[18]      Le défendeur rappelle qu'un bref de mandamus est un recours extraordinaire qui peut être demandé lorsqu'une autorité publique refuse d'exercer un devoir que la loi lui impose en termes exprès ou par indication nécessaire. Il affirme aussi que certaines conditions fondamentales au mandamus doivent être respectées. L'une de ces conditions exige que le demandeur établisse un droit clair pour lui d'obtenir l'exécution de cette obligation.

[19]      Le défendeur maintient qu'une décision a déjà été rendue en septembre 1996 et qu'elle a été réitérée à quelques reprises. Il soumet que si le demandeur n'était pas satisfait de cette décision, il n'avait qu'à la contester de la façon appropriée en temps opportun et qu'il ne peut aujourd'hui, par le biais de sa demande de mandamus, tenter de renverser cette décision en dictant le résultat recherché.

[20]      Dans l'hypothèse où le demandeur cherche véritablement à obtenir l'émission d'un bref de mandamus afin que soit ordonné au ministre de rétablir le service de pension, le défendeur allègue que cette demande est académique puisqu'une décision a déjà été rendue en septembre 1996 en ce qui concerne le versement des prestations du demandeur. Ainsi, le devoir de rendre une décision a été exécuté par l'autorité compétente.

[21]      Comme l'affirme le défendeur, le recours en mandamus n'est pas la procédure appropriée en l'espèce puisqu'une décision a déjà été rendue. Le texte suivant provient de P. Garant, Droit administratif, vol. 2, 4e éd., Montréal, Yvon Blais, 1996:

Un administré prend une requête en mandamus lorsqu'une autorité publique refuse d'exercer un devoir que la loi lui impose en termes exprès ou par implication nécessaire. ... Le but du mandamus est d'obliger l'autorité publique à agir et à prendre une décision.

[22]      Dans une lettre en date du 15 avril 1998, le sous-ministre des Programmes de la sécurité du revenu, au nom du ministre, informait le demandeur qu'il faisait l'objet d'une enquête administrative en raison de fraude. Le sous-ministre poursuivait en confirmant la décision de suspendre les prestations conformément à l'article 37 de la Loi. Il s'exprimait comme suit:

Comme je l'ai souligné, les décisions administratives rendues à ce jour dans ce dossier ne visent pas l'admissibilité de monsieur Whitton aux prestations de sécurité de la vieillesse. Elles visent plutôt à obtenir le recouvrement des sommes que votre client se serait appropriées.


[23]      Il a été soumis que les agissements du défendeur permettent à M. Whitton l'émission d'un mandamus parce qu'il remplissait tous les principes qui régissent de telles ordonnances. Le défendeur m'a référé au jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Apotex Inc. c. Attorney General of Canada et al, [1994] 1 F.C. 742, plus particulièrement à la page 766 où la Cour débute l'énumération des principes applicables. La condition numéro 7 que l'on retrouve à la page 769 se lit comme suit:

7. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé.

[24]      Je doute fort que le demandeur puisse rencontrer cette exigence. D'ailleurs, je suis satisfait que le demandeur a déjà obtenu une décision du ministre et qu'un recours en mandamus n'est pas approprié.

[25]      Le recours en mandamus exige tout d'abord qu'il existe un droit et qu'il n'y ait pas d'autre recours disponible pour redresser un manquement; qu'il existe une responsabilité de la part du ministre et que ce dernier refuse ou omette d'exercer ses fonctions. Dans le présent cas, le demandeur s'est qualifié pour recevoir des prestations de pension et celles-ci lui ont été accordées. Toutefois, plutôt que de les lui verser, le ministre les a appliquées afin de réduire la dette à Sa Majesté qui découle directement des agissements du demandeur.

[26]      La décision de suspendre les versements des prestations me semble justifiée. En effet, une analyse approfondie n'est pas nécessaire pour établir que M. Whitton n'avait pas droit aux prestations émises au nom de sa mère décédée. Le demandeur a encaissé ces prestations sans droit et, par conséquent, il y a eu manquement aux dispositions de la Loi.

[27]      En vertu des paragraphes 37(1), 37(2) et 37(2.1), les prestations reçues par le demandeur auxquelles il n'avait pas droit peuvent être déduites des sommes qui lui sont devenues éventuellement payables. Ces paragraphes se lisent comme suit:


37(1) Le trop-perçu - qu'il s'agisse d'un excédent ou d'une prestation à laquelle on n'a pas droit - doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.






37(2) Les prestations reçues et auxquelles le prestataire n'a pas droit en tout ou en partie constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de la façon prévue par la loi.







37(2.1) Ces prestations peuvent en outre être déduites, de la façon réglementaire, des sommes qui sont éventuellement payables au prestataire ou à sa succession en vertu de la présente loi ou de toute autre loi ou tout programme dont la gestion est confiée au ministre.

37.(1) A person who has received or obtained by cheque or otherwise a benefit payment to which the person is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which the person is entitled, shall forthwith return the cheque or the amount of the benefit payment, or the excess amount, as the case may be.

37.(2) If a person has received or obtained a benefit payment to which the person is not entitled, or a benefit payment in excess of the amount of the benefit payment to which the person is entitled, the amount of the benefit payment or the excess amount, as the case may be, constitutes a debt due to Her Majesty and is recoverable at any time in the Federal Court or any other court of competent jurisdiction or in any manner provided by this Act.

37.(2.1) If any amount is or becomes payable to the person or to the person's estate or succession under this Act or any other Act or program administered by the Minister, the amount of the debt may be deducted and retained out of the amount payable in the prescribed manner.

         (C'est moi qui souligne)


[28]      Je suis satisfait que bien que le demandeur n'ait pas été poursuivi en recouvrement d'une créance de Sa Majesté, le recouvrement est conforme à la Loi.

[29]      La perception de la créance de Sa Majesté en vertu des articles 37(1) et 37(2) de la Loi est maintenue par l'article 27 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse qui prévoit comme suit:


27(1) Le Directeur régional doit recouvrer d'un bénéficiaire toute somme indûment versée sous forme de prestation, que cette somme ait été versée parce que certains faits n'avaient pas été révélés, en raison de fausses représentations ou d'erreurs, ou pour toute autre cause.

27(2) Lorsque le Directeur régional n'a pas recouvré la totalité de la somme mentionnée au paragraphe (1), il peut,

a) lorsque le bénéficiaire a commis un vol ou une fraude pour obtenir une prestation, ou

b) lorsque le bénéficiaire a, au cours d'une année financière ou de l'année financière précédente, reçu un excédent de supplément dont le montant a été calculé et n'a pas été entièrement déduit et retenu au cours de cette année financière,



retenir toute prestation payable au bénéficiaire, ou déduire et retenir, sur tout versement de prestation payable au bénéficiaire, toute partie qui permettra de recouvrer le plus-payé dans un espace de temps qu'il jugera raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances du cas, jusqu'à ce que le montant global des prestations retenues ou des parties de prestations déduites et retenues soit égal à la somme indûment versée.

27.(1) The Regional Director shall recover from a beneficiary any sum improperly paid by way of benefit whether such sum was paid as the result of non-disclosure of facts, misrepresentation, error or any other cause.


27.(2) Where the Regional Director has not recovered the whole sum referred to in subsection (1), he may,

(a) where the beneficiary made a wilful misrepresentation or committed fraud for the purpose of receiving or obtaining a benefit, or

(b) where the beneficiary has, in a fiscal year or in the immediately preceding fiscal year, received an excess of supplement in an amount that has been determined and that has not been wholly deducted and retained in either fiscal year,

retain any benefit payable to the beneficiary or may deduct and retain out of any payments of benefit payable to the beneficiary such portion thereof as will recover the overpayment over a period of time considered by the Regional Director, having regard to all the circumstances of the case, to be reasonable, until the aggregate amount of the retained benefit or of the deducted and retained portions thereof equals the sum improperly paid.

[30]      Comme je l'ai mentionné plus haut, dans l'affidavit au soutien de la position du défendeur, M. Robert de Chantal affirme que M. Whitton a reconnu avoir reçu et encaissé des chèques émis au nom de sa mère. Cette preuve fait partie de la déclaration assermentée le 16 juin 1999. Même si M. Whitton n'a jamais signé de document à cet effet, il s'agit tout de même d'une preuve non contestée.



[31]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.







                                     JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 30 décembre 1999

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