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Date : 20060602

Dossier : IMM-5172-05

Référence : 2006 CF 682

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

 

ENTRE :

JOZSEF TOTH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

LA DEMANDE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 26 juillet 2005, dans laquelle la Commission a conclu que Jozsef Toth n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Hongrie. Il demande l’asile en raison de son origine rome. Le demandeur a grandi à Debrecen (Hongrie) dans un quartier multiethnique. Il a fréquenté l’école jusqu’en 8e année. Il ne parle pas la langue rome et il explique que ses parents ne la lui ont pas enseignée.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’à l’automne 1996 il a été battu à plusieurs reprises par des skinheads et qu’il a été la cible de graffitis anti-Roms. La police n’a rien fait pour lui venir en aide. En février 1997, le demandeur et ses parents ont déménagé à Budapest, mais il a été incapable de se trouver du travail, sauf à titre de manœuvre. Le demandeur allègue qu’après être arrivé à Budapest, il a été ciblé par la police, qui a tendance à accuser les Roms de crimes qu’ils n’ont pas commis. Le demandeur soutient qu’en juin 2001, il a participé à une manifestation contre le racisme et qu’il est monté sur l’estrade pour critiquer le gouvernement.

 

[4]               À partir du mois d’août en 2001, le demandeur est devenu la cible d’un groupe de skinheads qui l’ont insulté et l’ont battu. Le 27 septembre 2001, il a découvert une croix gammée peinte devant sa maison, mais il allègue que lorsqu’il s’est plaint à la police, il s’est fait accuser d’avoir causé des batailles. D’après le demandeur, un des policiers était parent avec l’un des skinheads. La même nuit, d’autres graffitis de menace sont apparus sur la maison du demandeur. Des skinheads ont défoncé la porte et ont lancé une bombe à gaz. Quelqu’un a appelé les policiers, mais ceux-ci ne se sont jamais présentés. Lorsque le demandeur a demandé l’aide de la collectivité autonome minoritaire rom, une organisation responsable de la promotion des intérêts des Roms, on lui a dit qu’il était impossible de l’aider financièrement s’il souhaitait entreprendre une poursuite contre ses persécuteurs.

 

[5]               Le demandeur soutient qu’il a décidé en septembre 2001 de quitter la Hongrie et de se rendre au Canada. Son passeport atteste qu’il s’est rendu à l’ambassade d’Australie le 30 octobre 2001. Dans son témoignage, il explique qu’il avait pensé à l’Australie comme autre destination possible, mais qu’on avait refusé de lui délivrer un visa pour s’y rendre. Aucun visa n’était nécessaire pour se rendre au Canada. Le demandeur a quitté la Hongrie le 16 novembre 2001. Il allègue qu’en raison d’un malentendu à l’aéroport, il est entré au pays comme visiteur. Il n’a présenté sa demande d’asile que deux semaines après son arrivée.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. Bien qu’elle ait accepté qu’il a été capable de prouver son identité, elle a mis en doute sa crédibilité. La Commission a souligné que le demandeur alléguait qu’il avait décidé en septembre 2001 de venir au Canada en raison de la qualité du programme canadien pour les réfugiés. Pourtant, il s’était présenté à l’ambassade d’Australie en octobre pour essayer d’obtenir un visa. La Commission a fait remarquer que le demandeur semblait mal à l’aise quand il a répondu aux questions à ce sujet. Elle a conclu que le demandeur tentait, en fait, d’immigrer dans le pays qui lui offrirait les meilleures chances sur le plan économique.

 

[7]               L’élément principal de la décision de la Commission était sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi qu’il ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État en Hongrie. La Commission a noté qu’il y avait une présomption de l’existence de la protection de l’État, surtout dans un état démocratique. La preuve documentaire ne laissait pas entendre qu’il y avait une persécution systématique des Roms en Hongrie, ni qu’il y avait eu un effondrement de l’appareil étatique ou que l’État refusait de protéger ses citoyens. La Commission a mentionné des preuves attestant que la Hongrie avait pris des mesures pour enrayer la corruption au sein de la police et pour mettre un frein au crime organisé. Des mesures précises ont été mises en place pour améliorer la situation des Roms, qui font de plus en plus appel à l’appareil judiciaire pour obtenir réparation.

 

[8]               Dans ce contexte, la Commission a conclu que le demandeur aurait dû exercer plus « énergiquement » les recours dont il pouvait se prévaloir en Hongrie. La Commission a noté qu’il n’avait pas déposé de plainte contre la discrimination que lui avaient censément infligée les autorités. La Commission a aussi conclu que le demandeur n’avait présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle il avait demandé la protection des autorités contre ses persécuteurs. Pour réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État, le demandeur aurait dû épuiser les recours qui étaient disponibles. La Commission a aussi fait allusion à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI).

 

[9]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié et qu’il n’était pas une personne à protéger parce qu’il n’avait pas établi qu’il était personnellement en danger, par rapport à d’autres personnes qui se trouvaient dans la même situation.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]            Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

 

  1. Le demandeur a-t-il réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État?
  2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas crédible?
  3. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une PRI?

 

LES OBSERVATIONS DU DEMANDEUR

 

[11]           Dans ses observations, le demandeur soutient que la décision de la Commission devrait être annulée si elle est fondée sur des principes inapplicables, des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments dont elle disposait, des erreurs de droit ou si la Commission a agi de mauvaise foi (Ibrahim c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 241 (C.A.F.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1570 (C.A.F.); Ye c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 584 (C.A.F.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 497).

 

[12]           En ce qui a trait aux faits particuliers de l’affaire, le demandeur allègue que la Commission n’a pas évalué correctement la preuve dont elle était saisie. En particulier, la Commission n’a pas tenu compte de nombreux rapports décrivant les difficultés auxquelles les Roms font face en Hongrie, notamment dans le contexte du processus judiciaire. La Commission a noté dans sa décision qu’elle préférait se fier à des preuves documentaires de sources fiables plutôt qu’à des articles de journaux. Cependant, le demandeur souligne qu’il a présenté plusieurs rapports crédibles à l’appui de sa demande.

 

[13]           Le demandeur allègue aussi que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’avait pas présenté suffisamment de preuves pour établir qu’il avait communiqué avec la police. Il soutient que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il était difficile pour lui d’obtenir de telles preuves parce que la police était hostile à son égard. Il croit que la Commission insistait injustement sur la preuve documentaire et il soutient qu’un témoignage devrait être suffisant, à moins qu’il soit contredit par d’autres preuves (Lachowski c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 1138).

 

[14]           Le demandeur souligne aussi qu’à la page 4 de sa décision, où elle mentionne qu’il incombe au demandeur d’épuiser les possibilités de recours locales, la Commission a fait référence à lui comme étant « les demandeurs ». Cette utilisation du pluriel permet de supposer que la Commission n’avait pas le demandeur en tête lorsqu’elle a choisi ces mots. De plus, le demandeur fait valoir qu’il était inapproprié que la Commission s’attende à ce qu’il soit plus « énergique » dans sa recherche de protection, compte tenu de son degré peu élevé de scolarité et du fait qu’il est peu informé. La Commission aurait commis une autre erreur en utilisant ses connaissances spécialisées pour mentionner l’introduction dans le code pénal hongrois d’un article définissant les crimes haineux comme une nouvelle infraction. Le demandeur soutient que la Commission avait l’obligation de l’avertir qu’elle utiliserait ses connaissances spécialisées de cette façon, pour qu’il ait la chance de lui répondre (Gracielome c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 463 (C.A.F.); Tanasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 32; Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 212, [2002] A.C.F. no 277).

 

[15]           Le demandeur conteste aussi le point de vue de la Commission selon lequel le fait qu’il ait tardé à présenter sa demande d’asile a eu un effet négatif sur sa crédibilité. Il soutient que la période de temps écoulée n’était pas suffisamment importante pour être pertinente. Il conclut en alléguant que la Commission a commis une erreur en affirmant qu’il avait une PRI, parce qu’elle n’a pas précisé où se trouvait cette PRI. Le demandeur s’appuie sur l’affaire Nosakhare c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 772, [2001] A.C.F. no 1120, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a affirmé qu’une PRI n'est pas quelque chose d’hypothétique, c’est une option bien distincte et réelle.

 

LES OBSERVATIONS DU DÉFENDEUR

 

[16]           Le défendeur n’a pas présenté d’observations écrites.

 

ANALYSE

 

[17]           Au début de l’audience, l’avocate du défendeur a admis qu’elle avait relevé des omissions importantes au cours de son examen approfondi du dossier en préparation pour l’audience. En particulier, l’avocate a souligné l’omission de la Commission d’examiner des preuves capitales au sujet des interactions du demandeur avec la police en 1996, qui a une incidence directe sur la décision, soit l’existence de la protection de l’État. De plus, l’avocate a mentionné à la Cour que la Commission avait fait référence à un document qui ne faisait pas partie du dossier, soulevant ainsi la possibilité qu’une preuve n’ait peut-être pas été communiquée au demandeur, qui se représentait lui‑même à l’audience devant la Commission.

 

[18]           Après avoir entendu l’avocate du défendeur à ce sujet, j’ai conclu que les erreurs soulignées étaient déterminantes dans la décision et qu’elles la rendaient manifestement déraisonnable. Il n’y avait aucune raison de poursuivre l’analyse et d’examiner les autres questions soulevées par le demandeur.

 

[19]           Vu les nouveaux renseignements soulevés par l’avocate du défendeur, je suis d’avis que la décision est peu sûre en raison de la présence d’erreurs susceptibles de révision et que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. L’avocate du défendeur, d’une manière louable selon moi, n’a pas contesté cette conclusion.


 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :  

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal différemment constitué.

 

2.                    Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5172-05

 

INTITULÉ :                                       JOZSEF TOTH

 

                                                            c.

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 9 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 juin 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley Jesuorobo

POUR LE DEMANDEUR

Leena Jaakkimainen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

KINGSLEY JESUOROBO

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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