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     IMM-2761-96

     OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 9 SEPTEMBRE 1997

     EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

Entre :

     OLUWATOYIN PETER OGUNFOWORA,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     O R D O N N A N C E

     La demande de réexamen est accueillie. Les questions certifiées aux fins de l'examen de la Cour d'appel sont les suivantes :

     (1)      Le laps de temps qui s'écoule entre l'évaluation par un agent d'immigration d'une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration et la prise en considération par cet agent de l'opinion d'un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées au sujet du risque présumé que le requérant pourrait courir en cas de retour dans son pays d'origine, constitue-t-il une indication que l'agent d'immigration a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?                 
     (2)      L'expression "donner aux parties la possibilité de lui demander de certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale, tel que le prévoit l'article 83 de la Loi" aux termes du paragraphe 18(1) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration signifie-t-elle que c'est au seul juge saisi du contrôle judiciaire qu'il incombe de demander aux parties si elles souhaitent proposer une question aux fins de la certification ou une partie en cause doit-elle déclarer à la Cour que l'instance soulève une telle question?                 

Des frais au montant de 750 $ sont payables immédiatement au requérant.

                         "Max M. Teitelbaum"

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme         
                                 F. Blais, LL.L.

     IMM-2761-96

Entre :

     OLUWATOYIN PETER OGUNFOWORA,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

     On m'a demandé d'examiner de nouveau les conditions d'une ordonnance que j'ai signée le 16 avril 1997 dans l'affaire Oluwatoyin Peter Ogunfowora c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-2761-96, le 16 avril 1997, A.C.F. nE 456 (Q.L.). À cette date, j'ai remis les motifs de l'ordonnance par laquelle j'annulais la décision d'un agent des visas qui avait refusé à M. Ogunfowora sa demande de visa pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration , L.R.C. (1985), ch. I-2. J'ai statué que l'agent des visas avait commis des erreurs susceptibles de révision en faisant obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et en ne tenant pas compte de la totalité de la preuve. L'ordonnance en date du 16 avril 1997 ne traitait pas de la question de savoir si l'affaire soulevait des questions graves de portée générale pouvant être certifiées en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.

         Le jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu sur une demande de contrôle judiciaire relative à une décision ou ordonnance rendue, une mesure prise ou toute question soulevée dans le cadre de la présente loi ou de ses textes d'application - règlements ou règles - ne peut être porté en appel devant la Cour d'appel fédérale que si la Section de première instance certifie dans son jugement que l'affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.                 

     L'intimé (je désigne le ministre comme intimé étant donné qu'il était l'intimé dans la requête concernant le contrôle judiciaire) présente maintenant une requête pour que les conditions de l'ordonnance initiale soient modifiées de façon à certifier trois questions.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     La Cour doit examiner séparément la question de savoir comment le ministre a présenté la présente requête de réexamen de la question du contenu des questions qui sont proposées aux fins de la certification.

1. Quelles sont les formalités procédurales à suivre pour présenter une requête en vue de faire certifier des questions graves de portée générale une fois que l'ordonnance initiale a été rendue?

2. Les questions soulevées par l'intimé soulèvent-elles des questions graves de portée générale?

DISCUSSION

1. Les formalités procédurales

     L'avocat du requérant s'est opposé au fait que le ministre présente une requête en réexamen pour deux motifs. Premièrement, il fait valoir un point de droit et prétend que la requête en réexamen du ministre n'est pas fondée. Selon le requérant, si une affaire soulève véritablement une question grave aux fins de la certification, il est inconcevable qu'elle puisse demeurer invisible jusqu'après le prononcé de la décision relative à une demande de contrôle judiciaire : voir Illanko c. Solliciteur général du Canada (1995), 27 Imm.L.R. (2d) 106 (ci-après Illanko). Le requérant a présenté une requête incidente afin de faire rejeter la requête en réexamen du ministre en s'appuyant sur la décision Illanko.

     Deuxièmement, le requérant s'oppose à la communication tardive par le ministre du contenu des questions qu'il propose de faire certifier. Il prétend qu'il n'est pas équitable de prendre connaissance du contenu des questions proposées pour la certification quelques minutes seulement avant l'audition de la requête en réexamen présentée par le ministre.

     Le 29 juillet 1997, j'ai rejeté la requête incidente du requérant en vue de faire rejeter la requête en réexamen du ministre. Je n'ai pas motivé cette décision. Toutefois, il est bien établi qu'on ne peut faire radier un avis de requête au moyen d'une requête subséquente que dans des circonstances très exceptionnelles (voir David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, aux pages 596-597), qui n'existent pas en l'espèce.

     En fait, je n'étais pas d'accord avec la méthode choisie par le requérant pour contester le caractère approprié de la requête en réexamen déposée par le ministre. L'ordonnance du 29 juillet 1997 rejetant la requête incidente n'a pas traité expressément de l'essentiel de l'objection du requérant se fondant sur l'affaire Illanko. Le requérant n'a pas non plus présenté d'arguments pour démontrer le bien-fondé de son objection à la requête en réexamen présentée par le ministre. Toutefois, le ministre a en fait donné une analyse préliminaire de la jurisprudence établie relativement à l'article 83 de la Loi sur l'immigration, y compris de la décision dans l'affaire Illanko.

     Par exemple, dans Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (ci-après Huynh), la Cour d'appel fédérale a rendu une décision contraire à l'affaire Illanko. Dans Huynh, la Cour devait se prononcer sur la constitutionnalité de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Le juge Hugessen, exprimant l'opinion unanime de la Cour, a statué que l'article 83 n'enfreignait pas la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a conclu que la restriction du droit d'appel que l'on retrouve à l'article 83 ne portait pas atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne qui est garantie à l'appelant par l'article 7 de la Charte. En faisant cette constatation essentielle, le juge Hugessen a également formulé quelques observations, en opinion incidente, sur le non-respect présumé de l'article 83 au regard des règles de justice fondamentale. Le juge Hugessen a examiné le principe établi par le juge Simpson dans Illanko, précité, à la page 109, indiquant "qu'il est inconcevable qu'une question grave de portée générale qui transcende les intérêts des parties puisse demeurer invisible jusqu'après le prononcé de la décision relative à une demande de contrôle judiciaire".

     Au sujet de la décision Illanko, le juge Hugessen écrit ceci à la page 994 de l'arrêt Huynh :

         Bien que j'aie une certaine sympathie pour les vues exprimées par Mme la juge Simpson et convienne avec elle que dans la grande majorité des cas (dont, ainsi que nous le verrons, celui qui nous occupe en l'espèce), toute éventuelle question de portée générale doit sauter aux yeux des avocats des deux parties comme de la Cour bien avant la fin de l'audience, je pense qu'elle a eu tort de conclure qu'il était "certain" que ce serait toujours le cas et qu'il était "inconcevable" qu'une question pût demeurer invisible jusqu'après le prononcé des motifs de jugement. Il peut arriver et il est arrivé aux juges de centrer leur décision sur un point que n'ont pas soulevé les avocats; l'exemple le plus courant en est le cas où, après que l'affaire a été entendue, l'instance supérieure rend une décision qui, du point de vue du juge de première instance, tranche la question. L'interprétation faite par le juge de la décision de l'instance supérieure peut théoriquement soulever à son tour une question de portée générale. Dans ce cas, je pense qu'on peut invoquer à bon droit les dispositions de la Règle 1733. Mieux encore, au cas où il y aurait le moindre doute pour ce qui est de savoir si ses motifs de décision peuvent soulever une nouvelle question que les avocats n'avaient pu prévoir, ou au cas où le demandeur ne serait pas représenté, il y a lieu de recourir à la technique préventive employée par le juge Joyal dans Grygorian susmentionnée [Grygorian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) (1995), 33 Imm.L.R. (2d) 52].                 

     Avant d'aller plus loin, je devrais expliquer deux des références qui se retrouvent dans l'analyse de l'arrêt Illanko effectuée par le juge Hugessen : la "règle 1733" et la "technique préventive" du juge Joyal dans la décision Grygorian , précitée. La règle 1733 des Règles de la Cour fédérale établit les formalités qu'une partie doit suivre pour faire annuler ou modifier un jugement après que celui-ci a été prononcé. Elle est rédigée dans les termes suivants :

         Une partie qui a droit de demander en justice l'annulation ou la modification d'un jugement ou d'une ordonnance en s'appuyant sur des faits survenus postérieurement à ce jugement ou à cette ordonnance ou qui ont été découverts par la suite, ou qui a droit d'attaquer un jugement ou une ordonnance pour fraude, peut le faire, sans intenter d'action, par simple demande à cet effet dans l'action ou autre procédure dans laquelle a été rendu ce jugement ou cette ordonnance.                 

     Dans l'affaire Illanko, précitée, le juge Simpson a rendu une décision contraire à celle de Popov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 75 F.T.R. 90 et a conclu que la règle 1733 ne pouvait être invoquée pour autoriser une partie à demander la certification d'une question en vertu de l'article 83 de la Loi sur l'immigration après le prononcé de la décision dans une demande de contrôle judiciaire. Toutefois, comme il ressort de l'extrait reproduit ci-dessus de la décision de la Cour d'appel dans Huynh, la règle 1733 peut en fait être invoquée aux fins de la certification.

     Finalement, la référence du juge Hugessen dans Huynh à la "technique préventive" du juge Joyal dans la décision Grygorian , précitée, doit être expliquée. Dans Grygorian, le juge Joyal a prévu les difficultés qui pourraient se poser lorsque, selon les mots du juge Hugessen dans Huynh à la page 992, "les motifs pris par le juge pour se prononcer sur la demande de contrôle judiciaire sont centrés sur une question qui n'a été guère ou pas du tout débattue à l'audience". Dans la décision Grygorian , le juge Joyal conclut prudemment ses motifs relativement à l'ordonnance qu'il a rendue dans les mots suivants :

         Lors de l'instruction de la présente demande, les avocats ont mentionné que la question examinée en l'espèce mériterait sans doute que la Cour certifie, aux fins d'un appel devant la Cour d'appel fédérale, que l'affaire soulève une question grave de portée générale. Si c'est encore le cas, les parties pourraient convenir du texte de la question, ou du moins informer la Cour de leur position. Les avocats devraient avoir assez d'un délai de deux semaines à compter de la date des présents motifs pour réagir, après quoi je rendrai une ordonnance formelle.                 

     D'après l'interprétation que je donne de la décision de la Cour d'appel dans Huynh, il est clair que, contrairement à la décision Illanko, une question grave de portée générale peut être certifiée après le prononcé des motifs du jugement. Les arguments du requérant fondés sur la décision Illanko doivent donc être rejetés. Cependant, les faits de l'espèce ne correspondent pas exactement aux possibilités restreintes identifiées par le juge Hugessen dans Huynh. Il ne faut pas oublier que le juge Hugessen a apporté une réserve à la critique qu'il a faite de la décision Illanko en déclarant ceci : "dans la grande majorité des cas [...] toute éventuelle question de portée générale doit sauter aux yeux des avocats des deux parties comme de la Cour bien avant la fin de l'audience [...]". Pour illustrer le genre de circonstances exceptionnelles dans lesquelles il faudrait procéder à la certification après la conclusion de l'audience, le juge Hugessen mentionne précisément le cas d'un juge qui a rendu sa décision en s'appuyant sur la décision subséquente d'un tribunal supérieur. Dans cette circonstance particulière, la règle 1733 serait invoquée à bon droit. En l'espèce, la décision en date du 16 avril 1997 ne s'appuie pas sur la décision subséquente d'un tribunal supérieur.

     De même, le précédent Grygorian cité par le juge Hugessen dans Huynh peut être distingué de l'espèce. À l'audition de la demande de contrôle judiciaire du requérant en février 1997, les avocats n'ont pas "mentionné", contrairement à ce qui s'était produit dans Grygorian , précité, qu'il pourrait y avoir une question à certifier. En fait, au cours de l'audition de la requête en réexamen du ministre le 29 juillet 1997, l'avocate du ministre a reconnu qu'à l'audience relative au contrôle judiciaire, elle avait simplement une question "à l'esprit", mais qu'elle l'a gardée pour elle. Cette question non formulée se rapporterait vaguement à l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. À mon avis, donc, le ministre essaie par tous les moyens de faire valoir que l'espèce respecte les principes énoncés dans Huynh .

     En outre, l'avocate du ministre a également reconnu le 29 juillet 1997 qu'elle avait en fait rédigé la version préliminaire des questions proposées pour la certification le 28 juillet 1997, soit la veille de l'audition de la requête du ministre et quelque quatre mois après le prononcé des motifs de l'ordonnance initiale le 16 avril 1997 et le dépôt de la demande en réexamen du ministre le 28 avril 1997. Cette rédaction tardive des questions ne présage pas bien de la gravité ou de la portée générale des questions.

     Pour ce qui a trait à la date à laquelle le ministre a rédigé ces deux questions, le requérant prétend que les mesures prises par le ministre ne sont pas équitables. Le ministre n'a fourni au requérant les questions véritables qui allaient être proposées pour la certification que le 29 juillet 1997, quelques minutes avant que la requête du ministre soit entendue par la Cour. L'avocat du requérant avait initialement demandé à prendre connaissance des questions proposées pour la certification le 27 mai 1997. Toutefois, cela lui a été refusé. Le requérant a donc soulevé la question de savoir si le ministre doit présenter le contenu des questions proposées pour la certification à la partie adverse avant l'audition d'une requête en réexamen dont le but est de modifier les conditions de l'ordonnance déjà rendue.

     Une autre journée d'audience a été fixée pour permettre aux avocats de préparer leurs arguments concernant la question de la date de la communication et du contenu réel des questions à certifier. Toutefois, le précédent cité par le ministre au cours de l'audience le 29 juillet 1997, soit Mak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-2228-96, le 4 avril 1997, [1997] A.C.F. nE 375, ne traite absolument pas de la date de communication obligatoire des questions aux fins de la certification dans le cadre d'une requête en réexamen. La jurisprudence relative à la règle 337(5)b ) ne révèle aucune analyse de cette question. La règle 337(5)b), qui est la disposition concernant les requêtes en vue d'un nouvel examen dans les Règles de la Cour fédérale, autorise une partie à demander un nouvel examen d'une question dont on a négligé ou accidentellement omis de traiter ou dont on aurait dû traiter : (voir Boateng c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm.L.R. (2d) 9). J'ai fait observer au cours de l'audience qui s'est tenue le 29 juillet 1997 que j'avais négligé de demander aux parties le 11 février 1997, soit lors de la première audition concernant le contrôle judiciaire, si elles avaient des questions à faire certifier. La règle 18 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, 1993 [DORS/93-22] est rédigée dans les termes suivants :

         18(1) Le juge ne rend son jugement sur la demande de contrôle judiciaire qu'après avoir donné aux parties la possibilité de lui demander de certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale, tel que le prévoit l'article 83 de la Loi.                 

     J'accepte l'argument de l'intimé faisant valoir que c'est au juge qu'il incombe de demander aux parties si elles ont une question à faire certifier.

     Abstraction faite des oublis de la Cour, je crois que le ministre a mis à l'épreuve les limites de l'équité en refusant ou en étant incapable de fournir au requérant les questions proposées pour la certification jusqu'au tout dernier moment. Toutefois, la question de l'équité de la communication des questions est théorique étant donné que j'ai prévu un autre jour d'audience le 5 septembre 1997, afin de donner au requérant la possibilité d'examiner les questions proposées.

     Par conséquent, pour récapituler la première question des formalités procédurales à suivre pour présenter une requête en vue de faire certifier des questions graves de portée générale, à mon avis, la requête du ministre ne correspond pas exactement aux critères formulés dans Huynh concernant les cas exceptionnels. Autrement dit, j'ai quelques réserves à exprimer sur la question de savoir s'il s'agit d'un cas dans lequel les questions graves de portée générale n'étaient pas apparentes pendant l'audience. Comme il en sera question plus en détail ci-dessous, je crois que le ministre exagère en prétendant que les motifs de l'ordonnance l'ont pris complètement par surprise. Les motifs de l'ordonnance en date du 16 avril 1997 étaient en fait centrés sur une question, l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire, qui avait été débattue à l'audience. Donc, les motifs de la décision du 16 avril 1997 accueillant le contrôle judiciaire figuraient au dossier.

     Toutefois, il est possible de soutenir que le ministre n'a pas eu la possibilité de soulever les questions aux fins de la certification, bien qu'il soit également vrai que le ministre n'a fait aucun effort au cours de l'audience ou dans les trois mois qui se sont écoulés entre l'audience et le prononcé des motifs de l'ordonnance pour proposer les questions à faire certifier. Dans une brève décision, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jhatu (1996) 124 F.T.R. 183 (ci-après Jhatu), le juge en chef adjoint a certifié une question même s'il n'y avait eu aucune indication manifeste de la nécessité de certifier cette question avant que les motifs de l'ordonnance soient rendus eux-mêmes en août 19961. Il y avait eu aussi un certain délai entre le prononcé des premiers motifs rejetant la demande de contrôle judiciaire dans Jhatu et l'ordonnance certifiant une question. Le juge Jerome a rendu l'ordonnance certifiant la question quelque quatre mois après le prononcé de ses motifs. La demande actuelle du ministre en vue d'un nouvel examen se fondant sur le fait qu'une question grave de portée générale n'a pas été certifiée n'est donc pas sans précédent.

     Toutefois, il n'a pas été question dans Jhatu des formalités procédurales qui embrouillent le cas en l'espèce, comme la communication tardive au requérant des questions proposées par le ministre ou de l'omission par la Cour de donner aux avocats la possibilité de proposer des questions aux fins de la certification.

     Je traiterai maintenant des questions que le ministre propose de faire certifier.

2. Le contenu des questions

     La première question m'est formulée comme suit :

         Quand il évalue une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire présentée aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration et fondée uniquement sur le risque que le requérant pourrait courir en cas de retour dans son pays d'origine, un agent d'immigration peut-il tenir compte de l'avis d'un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées pour parvenir à sa décision?                 

     La première question proposée a déjà fait l'objet d'une réponse dans la jurisprudence, même si ce n'est pas par la Cour d'appel, et cette jurisprudence a en fait été citée avec approbation dans la décision en date du 16 avril 1997. Les deux parties ont présenté des arguments sur l'applicabilité de la décision Al-Joubeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 109 F.T.R. 235 (ci-après Al-Joubeh). Dans la décision Al-Joubeh, le juge Campbell a statué qu'un agent des visas n'avait pas fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en consultant l'évaluation du risque effectuée par un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées. Au cours de l'audition du contrôle judiciaire, le requérant avait soulevé la question de l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas parce que celui-ci avait consulté l'évaluation du risque qui avait été établie séparément par l'agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées. À mon avis, par conséquent, la première question doit être rejetée parce qu'elle soulève une question de droit qui a déjà été décidée par la Cour fédérale.

     La deuxième question proposée est formulée dans les termes suivants :

         Le temps que prend un agent d'immigration pour évaluer une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, après avoir examiné l'avis d'un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées sur l'existence d'un risque pour le requérant en cas de retour dans son pays d'origine, constitue-t-il une indication que celui-ci a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?                 

     La deuxième question est centrée sur une nuance relative à l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire. Les motifs de l'ordonnance en date du 16 avril 1997 établissaient une distinction avec Al-Joubeh, précité, d'après les faits et mettaient surtout l'accent sur l'intervalle d'un jour entre la décision de l'agent des visas et l'évaluation de l'agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées pour démontrer que l'agent des visas avait effectivement fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Au cours de l'audience relative au contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas, aucune des parties n'a présenté d'argument direct concernant la question de l'intervalle. Il est donc possible que le noeud de la décision du 16 avril 1997 ait pris le ministre par surprise. Toutefois, la question fondamentale que je me pose est de savoir si la question proposée aux fins de la certification dépend uniquement d'une question de fait ou si l'intervalle de temps soulève en fait une question de droit de portée générale et distincte. Mon opinion préliminaire est que la question se situe dans la zone grise entre les questions de fait et de droit. En pareil cas, j'estime qu'il est préférable de laisser à la Cour d'appel le soin de trancher définitivement la question.

     Je crois que la question soulève une question de droit qui mérite d'être certifiée, mais je ne suis pas d'accord avec la façon dont elle a été formulée par le ministre. Elle est embrouillée et semble soulever presque deux idées distinctes, soit le laps de temps et l'écoulement réel du temps, plutôt que de mettre l'accent uniquement sur la question pertinente du laps de temps. Donc, je suggérerais la question suivante aux fins de la certification :

         Le laps de temps qui s'écoule entre l'évaluation par un agent d'immigration d'une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration et la prise en considération par cet agent de l'opinion d'un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées au sujet du risque présumé que le requérant pourrait courir en cas de retour dans son pays d'origine, constitue-t-il une indication que l'agent d'immigration a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?                 

     La troisième question proposée est la suivante :

         Quand un agent d'immigration a évalué une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, a-t-il l'obligation de mentionner expressément dans sa décision ou dans un affidavit les éléments de preuve fournis par le requérant qu'il a examinés?                 

     La troisième question proposée est la plus facile à rejeter. Selon la décision du juge en chef adjoint Jerome dans Jhatu, précitée, à la page 184, le critère à appliquer consiste à déterminer si je suis convaincu que la question transcende les intérêts des parties immédiates au litige et s'il est approprié de certifier la question proposée par le requérant pour qu'elle soit examinée par la Cour d'appel fédérale. La question proposée par le ministre n'est pas une question de portée générale qui transcende les intérêts des parties parce que la jurisprudence y a déjà répondu. Les motifs de l'ordonnance rendus le 16 avril 1997 reconnaissent à la page 10 la "présomption suivant laquelle l'auteur d'une décision tient compte de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance, de même que le principe qu'il n'est pas nécessaire pour lui de mentionner explicitement chaque élément de preuve : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)". Ici encore, la décision ne met pas l'accent sur une question de droit, mais plutôt sur un fait particulier et sur les circonstances exceptionnelles du cas lui-même. J'indiquais dans ma décision aux pages 10 et 11 : "Si l'intimé choisit de donner plus de détails sur le processus de décision dans un affidavit volumineux, il doit supporter les conséquences si cet affidavit met en doute la rigueur de ce processus".

     Étant donné que j'ai négligé de donner aux parties la possibilité de soumettre des questions à faire certifier en vue de l'appel, la présente demande de réexamen de ma décision du 16 avril 1997 est accueillie.

     Les questions à certifier sont les suivantes :

     (1)      Le laps de temps qui s'écoule entre l'évaluation par un agent d'immigration d'une demande d'examen pour des raisons d'ordre humanitaire fondée sur le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration et la prise en considération par cet agent de l'opinion d'un agent chargé de la révision postérieure des revendications refusées au sujet du risque présumé que le requérant pourrait courir en cas de retour dans son pays d'origine, constitue-t-il une indication que l'agent d'immigration a fait obstacle à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire?                 
     (2)      L'expression "donner aux parties la possibilité de lui demander de certifier que l'affaire soulève une question grave de portée générale, tel que le prévoit l'article 83 de la Loi" aux termes du paragraphe 18(1) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration signifie-t-elle que c'est au seul juge saisi du contrôle judiciaire qu'il incombe de demander aux parties si elles souhaitent proposer une question aux fins de la certification ou une partie en cause doit-elle déclarer à la Cour que l'instance soulève une telle question?                 

     La deuxième question n'a pas été proposée par les parties à la présente procédure, mais elle est proposée par la Cour.

     Étant donné que le deuxième jour d'audience a dû être fixé parce que l'avocate de l'intimé n'a pas communiqué les questions proposées aux fins de la certification à l'avocat du requérant au cours de la première journée d'audience, l'intimé doit payer immédiatement au requérant des frais au montant de 750 $.

                         "Max M. Teitelbaum"

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme         
                                 F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-2761-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      OLUWATOYIN PETER OGUNFOWORA

                     c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 5 SEPTEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE TEITELBAUM

DATE :                  LE 9 SEPTEMBRE 1997

ONT COMPARU :

MITCHELL GOLDBERG                  POUR LE REQUÉRANT

MICHÈLE JOUBERT                  POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

MITCHELL GOLDBERG                  POUR LE REQUÉRANT

MONTRÉAL

GEORGE THOMSON                  POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

__________________

     1      Les motifs du juge Jerome qui a rejeté la demande de contrôle judiciaire se trouvent à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jhatu (1996), 117 F.T.R. 236.

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