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Date : 20200525


Dossier : IMM‑5972‑18

Référence : 2020 CF 639

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2020

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

UDAYA NISHAN ARUNA KUMURA WATTORUTHANTHRIGE FERNANDO

SULAKSHANA LAKSHANI JAYARATHNA HEWAGE

MANETH LOSATH FERNANDO WATTORUTHANTHRIGE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE MODIFIÉE POUR

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé celle de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[2] Les demandeurs sont le demandeur principal, son épouse et leur fils, tous citoyens du Sri Lanka. Ils craignent qu’ils soient exposés à une menace à leur vie en raison de l’association perçue du demandeur principal avec son défunt oncle, un personnage criminel notoire au Sri Lanka. Je vais résumer les points saillants de leur exposé circonstancié, composé d’éléments qui ont été retenus en grande partie par la SPR et la SAR.

[3] Lorsqu’il était un jeune enfant, le demandeur principal avait emménagé chez son oncle en raison de problèmes qu’il avait éprouvés avec son beau‑père. L’oncle était une « personne qui règle les problèmes politiques », un « tueur à gages » et un « usurier » qui avait des liens avec des politiciens influents. En vieillissant, le demandeur principal avait commencé à s’occuper des comptes financiers et des documents de son oncle, parce que celui‑ci était illettré. En juin 2006, le demandeur principal avait été attaqué par des individus dans une camionnette noire. Les agresseurs lui avaient dit de rester à l’écart des affaires de l’oncle, sinon il serait tué [incident de 2006]

[4] Après l’agression, l’oncle avait trouvé un emploi pour le demandeur principal comme soudeur à Dubaï et avait insisté pour que celui‑ci et son épouse quittent le Sri Lanka afin de se rendre à Dubaï. Le demandeur principal était ensuite retourné au Sri Lanka en octobre 2012. Le dernier jour de sa visite, il avait aperçu une camionnette noire à l’extérieur du domicile de l’ami où il séjournait. Il s’était sauvé lorsque la camionnette avait commencé à s’approcher de lui et, entendant des coups de feu derrière lui, il s’était rendu directement à l’aéroport [incident de 2012]. L’oncle avait lui‑même été assassiné trois mois plus tard.

[5] Le demandeur principal avait demandé et obtenu un permis de travail et était arrivé au Canada en mars 2013. Son épouse et son fils étaient arrivés en décembre 2014. Les demandeurs avaient présenté une demande d’asile après avoir reçu des décisions défavorables concernant leur demande de permis de travail, leur demande de résidence permanente au titre du Programme des candidats des provinces ainsi que leur demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, et une fois que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision défavorable relative aux considérations d’ordre humanitaire avait été rejetée.

III. La décision et la norme de contrôle

[6] La SAR a souscrit à l’analyse, au raisonnement et à la conclusion de la SPR selon lesquels les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Kandy, au Sri Lanka. Ni l’un ni l’autre de ces tribunaux n’a accepté les arguments du demandeur principal selon lesquels il serait persécuté ou poursuivi à cet endroit. La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si l’analyse de la PRI par la SAR était raisonnable. La norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions que rend la SAR sur les questions mixtes de fait et de droit, comme l’existence d’une PRI viable (Onyeme c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1243 au para 15).

IV. Les positions des parties

[7] Les arguments des demandeurs se résument à la prétention selon laquelle la SAR a commis trois erreurs fatales dans sa décision : premièrement, à l’opposé des conclusions de la SAR, le demandeur principal n’avait ni spéculé ni fourni des réponses vagues au sujet de ses agresseurs. Deuxièmement, la SAR n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve, dont ceux qui concernaient des personnes se trouvant dans des situations similaires, lesquels provenaient de l’ancien voisin du demandeur principal, et ceux qui se rapportaient à la vie en cachette de l’épouse. Troisièmement, en ce qui concerne la PRI, la SAR n’a pas pris en compte la capacité des ennemies du défunt oncle de trouver la famille, compte tenu de la proximité de la PRI, ni la difficulté à trouver un emploi là‑bas.

[8] Le défendeur réplique que l’appréciation de la SAR était raisonnable — les demandeurs demandent à la Cour de soupeser à nouveau la preuve. Le défendeur a réfuté chaque argument en démontrant que la Commission avait été tout à fait raisonnable.

V. Analyse

[9] Je discuterai des raisons pour lesquelles les arguments du défendeur sont convaincants, mais je souhaite tout d’abord aborder la question de l’identification appropriée par la SAR du critère concernant la PRI. Pour conclure à l’existence d’une PRI, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, (i) que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge, et (ii) que les conditions dans la partie du pays où la Commission juge qu’il existe une PRI sont telles que, compte tenu de toutes les circonstances, dont la situation personnelle du demandeur d’asile, il ne serait pas déraisonnable pour ce dernier d’y chercher refuge (Kapuuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1107 au para 18). Il incombe aux demandeurs de prouver qu’ils sont exposés à un risque de persécution dans la PRI proposée (Yang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 138 au para 26).

[10] À mon avis, compte tenu de la preuve au dossier et de la norme de contrôle applicable, la SAR a raisonnablement appliqué le critère établi en confirmant une PRI à Kandy et n’a commis aucune erreur dans ses observations sur l’un ou l’autre des trois aspects contestés, en ce qui concerne la viabilité de Kandy en tant que refuge sûr au Sri Lanka.

L’insuffisance de la preuve et le manque de précision

[11] D’abord, après avoir lu la transcription, je constate que la SAR a raisonnablement jugé que, si les réponses des demandeurs aux questions n’avaient pas été [traduction] « plutôt vagues », elles manquaient certainement de précision. De façon similaire, les éléments de preuve à l’appui n’établissaient pas clairement un lien entre les demandeurs et une menace future. Le fait que le demandeur principal avait seulement été en mesure d’identifier ses agresseurs comme ayant une « camionnette noire » après deux attaques à six ans d’écart et qu’il n’y avait aucun élément de preuve objectif à l’appui de son récit concernant les liens avec son défunt oncle tend à étayer les conclusions des deux tribunaux.

Le défaut de prendre en compte des éléments de preuve

[12] La Commission n’est pas tenue d’examiner tous les éléments de preuve, mais elle doit tenir compte de la preuve contradictoire (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) aux para 15‑17). Le fait d’omettre des éléments qui tendent à aller dans le sens contraire de la conclusion permet d’inférer que la preuve contradictoire a été négligée (Varatharajah c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 149 au para 25).

[13] En l’espèce, après avoir lu les deux décisions antérieures, je ne souscris pas à l’argument selon lequel la SAR n’a pas tenu compte des éléments démontrant que des personnes qui se trouvaient dans des situations similaires étaient exposées au risque d’être tuées, de la situation [traduction] « en cachette » de l’épouse du demandeur principal, à la lumière du témoignage qu’elle a fourni, ou des autres éléments de preuve présentés (y compris la lettre du voisin). Ainsi, l’épouse n’avait pas déclaré qu’elle vivait constamment en cachette (p. ex., [traduction] « [j]e ne sortais pas beaucoup »), et ce fait n’est certainement pas démontré dans la preuve des demandeurs, dont les différents voyages de retour au Sri Lanka à partir de Dubaï au cours des années en question. La SAR a finalement accordé peu de poids à la preuve en raison de faiblesses inhérentes qui sont, encore une fois, liées au manque de détails et de précision.

[14] Enfin, lorsqu’il lui a été demandé quel élément de preuve aurait pu avoir été omis au sujet des personnes se trouvant dans des situations similaires (c.‑à‑d. liées) et subissant des préjudices aux mains de membres d’un gang, l’avocate a confirmé qu’elle ne pouvait renvoyer à aucun élément du dossier. Il en est de même pour tout élément de preuve objectif établissant un lien entre le meurtre de l’associé de l’oncle en 2016 et l’oncle défunt ou le demandeur principal. En effet, cet élément était en partie censé souligner l’impossibilité de considérer Kandy comme PRI adéquate — ce qui nous amène à la dernière question soulevée par les demandeurs.

La viabilité de la PRI

[15] En raison de la faiblesse de la preuve, comme indiqué ci‑dessus, la SAR n’a pas été en mesure de conclure qu’il y avait un problème avec la viabilité de la PRI en fonction de l’un ou l’autre des volets du critère, à savoir les risques de se rendre là‑bas et/ou la viabilité de s’y installer.

[16] En ce qui concerne le premier volet du critère, soit la détermination d’une possibilité sérieuse de persécution ou d’une menace à la vie, la SAR a raisonnablement tranché que la preuve était insuffisante pour établir que tout opposant restant de l’oncle du demandeur principal aurait les moyens ou l’intention de repérer les demandeurs s’ils retournaient au Sri Lanka et s’installaient dans une région se situant à une certaine distance du secteur limité dans lequel son oncle avait mené ses activités.

[17] Pour ce qui est du deuxième volet du critère, la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs avaient les moyens de déménager. Ils n’étaient confrontés à aucun obstacle en raison de leur origine ethnique ou de leur religion ni exposés à aucun risque de préjudice ou de persécution à Kandy. De plus, ils avaient des compétences adaptables, compte tenu de leur langue, de leurs études et de leurs antécédents professionnels. Enfin, lorsqu’elle a été questionnée au sujet de l’affirmation des demandeurs voulant que presque tous les emplois au Sri Lanka se trouvaient à Colombo, l’avocate n’a pas été en mesure d’indiquer quelle en était la source dans la preuve.

VI. Conclusion

[18] La décision de la SAR était raisonnable et pouvait entièrement se justifier en fonction des motifs donnés et de la preuve au dossier. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification. Malgré cette décision défavorable, je prends acte des efforts de l’avocate pour présenter les meilleurs arguments de son client dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5972‑18

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5972‑18

INTITULÉ :

UDAYA NISHAN ARUNA KUMURA WATTORUTHANTHRIGE FERNANDO, SULAKSHANA LAKSHANI JAYARATHNA HEWAGE ET MANETH LOSATH FERNANDO WATTORUTHANTHRIGE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 juillet 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 19 juillet 2019

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

Le 25 mai 2020

COMPARUTIONS :

Misha Sanghi

Pour Les Demandeurs

Camille Audain

Pour Le Défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

Pour Les Demandeurs

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

Pour Le Défendeur

 

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