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Date : 20200529


Dossier : IMM-2715-19

Référence : 2020 CF 653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mai 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

RASHEEDAT ORIYOMI OLUFUNMI

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 avril 2019 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR], dans laquelle la SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision contestée].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Le contexte factuel

[3]  La demanderesse, Rasheedat Oriyomi Olufunmi, est une citoyenne du Nigéria.

[4]  En novembre 2015, la demanderesse a appris qu’elle était enceinte. En décembre 2015, son beau-père et sa belle-mère ont décidé qu’elle devait subir une mutilation génitale féminine [MGF] pour sa propre santé et celle de son enfant à naître. La demanderesse a demandé la protection de la police, mais celle-ci a refusé d’intervenir dans une [traduction] « pratique familiale traditionnelle » et a dit à la demanderesse d’obéir à la famille de son époux.

[5]  Le 26 décembre 2015, le beau-père de la demanderesse lui a dit qu’il avait pris des dispositions pour qu’elle subisse une MGF le 23 janvier 2016. L’époux de la demanderesse ne s’est pas opposé à la décision de ses parents, mais il a dit à la demanderesse de se rendre aux États-Unis grâce à son visa d’études en attendant qu’il [traduction] « trouve une solution », et il a tenté de trouver de l’argent pour payer ses frais de scolarité à l’université.

[6]  La demanderesse est arrivée aux États-Unis en janvier 2016. Elle n’a pas pu payer les frais de scolarité, et un ami lui a suggéré de demander l’asile au Canada.

[7]  Le 17 mai 2016, la demanderesse est arrivée au Canada munie d’un faux passeport. Elle a présenté une demande d’asile deux semaines plus tard.

[8]  Le 15 août 2016, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le 20 décembre 2016, la SAR a renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvelle décision.

III.  La nouvelle décision de la Section de la protection des réfugiés

[9]  Le 1er mars 2018, un autre tribunal de la SPR a réexaminé la demande de la demanderesse. La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[10]  La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas réussi à démontrer qu’elle éprouvait une crainte subjective à l’égard de son beau-père ni que ce dernier était un agent de persécution. La demanderesse a fait appel de cette décision devant la SAR.

[11]  La SAR a rejeté l’appel et confirmé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

IV.  La norme de contrôle

[12]  La Cour d’appel fédérale a établi que la norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle que doit appliquer la Cour à une décision de la SAR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 et 35 [Huruglica].

[13]  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[14]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné de façon approfondie le droit applicable au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce : Vavilov, au paragraphe 23.

[15]  Citant l’arrêt Dunsmuir, la Cour a confirmé dans l’arrêt Vavilov qu’une décision raisonnable est une décision qui est justifiée, transparente et intelligible, centrée sur la décision effectivement rendue, notamment sur sa justification : Vavilov, au paragraphe 15.

[16]  Comme la présente demande a été débattue en fonction de la norme de la décision raisonnable, je conclus qu’il n’est pas nécessaire de recevoir d’autres observations des parties. Le résultat serait le même en fonction du cadre d’analyse antérieur à l’arrêt Vavilov, établi dans l’arrêt Dunsmuir et les arrêts qui l’ont suivi.

V.  Les questions en litige

[17]  La demanderesse conteste le caractère raisonnable de la décision contestée et soulève à cet égard sept questions.

[18]  Cinq d’entre elles concernent la preuve liée au beau-père de la demanderesse, qui, selon elle, aurait pris les dispositions pour qu’elle subisse une MGF, ce qui l’aurait amenée à fuir le Nigéria. Il n’est pas nécessaire d’examiner les deux autres questions, puisque les cinq premières sont déterminantes en l’espèce.

VI.  Analyse de la décision faisant l’objet du contrôle

[19]  Citant l’arrêt Huruglica, la SAR a déclaré qu’elle devait examiner de façon indépendante si la SPR avait commis chacune des erreurs alléguées – de fait, de droit ou mixtes de fait et de droit. La SAR a indiqué qu’elle pouvait faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation de la crédibilité des témoignages de vive voix faite par la SPR si elle estimait que celle-ci disposait d’un avantage certain dans les circonstances. La SAR a déclaré que, si elle estimait que la SPR disposait d’un avantage certain, elle en exposerait les motifs.

[20]  La SAR a conclu que les incohérences dans le témoignage de la demanderesse concernant son beau-père suffisaient à réfuter la présomption énoncée dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, selon laquelle les témoignages sous serment sont véridiques. Elle a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle éprouvait une crainte subjective de retourner au Nigéria ni que son beau-père était un agent de persécution.

[21]  De façon générale, la demanderesse a contesté toutes les conclusions en matière de crédibilité tirées par la SPR. Elle a soutenu devant la SAR que la décision de la SPR était fondée sur [traduction] « des soupçons et des spéculations » ainsi que sur [traduction] « des conjectures et des hypothèses » qui ont tous mené à une décision défavorable fondée sur une analyse trop minutieuse de la preuve.

[22]  Les cinq conclusions distinctes tirées par la SAR en ce qui concerne le beau-père de la demanderesse sont examinées dans les paragraphes qui suivent.

A.  Le témoignage incohérent au sujet de la profession du beau‑père

[23]  La SAR a conclu que le témoignage incohérent de la demanderesse sur la question de savoir si son beau-père était un [traduction] « agent immobilier » et un chef, comme elle l’a déclaré, ou un ingénieur, comme elle l’a indiqué dans son certificat de mariage, a nui à sa crédibilité.

[24]  La SAR a noté que les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe précisent que les femmes provenant de certaines cultures pourraient ne pas être parfaitement au courant des activités politiques ou professionnelles des membres de leur famille de sexe masculin. Cependant, la SAR a conclu que cela ne permettait pas de régler les problèmes relatifs aux éléments de preuve de la demanderesse, parce qu’il y avait des incohérences entre son témoignage et les documents en sa possession. La SAR a conclu que ce témoignage changeant avait jeté un doute sur son allégation selon laquelle son beau‑père est quelqu’un qui [traduction] « a des liens avec des personnes en haut lieu ».

[25]  Dans ses observations devant la SAR, la demanderesse a affirmé qu’elle avait dit à la SPR que son beau-père était ingénieur civil de profession, mais qu’elle avait décrit sa profession en fonction de ce qu’elle l’avait vu faire et non en fonction de ses qualifications en tant qu’ingénieur. La SAR a noté que, en fait, la SPR avait dit à la demanderesse qu’il était indiqué dans son certificat de mariage que son beau-père était ingénieur.

[26]  La demanderesse a ensuite affirmé que le mot [traduction] « ingénieur » était un terme courant pour désigner une personne qui construit des maisons. Elle avait déclaré au départ que son beau-père achetait et vendait des maisons. Plus tard, elle a déclaré qu’il construisait des maisons. La SAR a raisonnablement conclu que l’incohérence ne concernait pas le titre de l’emploi du beau-père, mais plutôt les activités qu’il exerçait.

[27]  Je conclus que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son analyse de cette question. La transcription de l’audience devant la SPR montre que, lorsqu’elle a été interrogée par la SPR au sujet de la fonction ou de la profession de son beau-père, les trois premières fois, la demanderesse a dit qu’il était [traduction] « agent immobilier » et que cela signifiait qu’il [traduction] « achetait et vendait des maisons et des terrains ». Invitée à expliquer la divergence entre le fait qu’il soit ingénieur ou [traduction] « agent immobilier », la demanderesse a répondu que les ingénieurs construisent des maisons. La conclusion de la SAR était donc raisonnablement étayée par le dossier.

B.  L’omission du nom du beau-père dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]

[28]  La SAR a noté que la SPR avait tiré une conclusion défavorable de l’omission du nom du beau-père dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA. Elle n’a pas accepté l’explication de la demanderesse selon laquelle elle n’avait pas compris les questions de la SPR à ce sujet. La demanderesse a affirmé qu’elle pensait que la SPR l’interrogeait sur la section du formulaire FDA portant sur la famille, et non sur l’exposé circonstancié.

[29]  La SAR a examiné l’argument de la demanderesse. Elle a examiné la transcription de l’audience devant la SPR et a conclu qu’il était clair que la SPR interrogeait la demanderesse au sujet de l’exposé circonstancié et non de la section du formulaire FDA portant sur la famille. L’examen du dossier appuie cette conclusion.

[30]  La SAR a déclaré qu’il incombait à la demanderesse de présenter les renseignements nécessaires pour démontrer le fondement de sa demande d’asile et qu’il « serait normal de s’attendre à ce que [la demanderesse] fournisse [le nom de son beau-père] et des renseignements de base à son sujet pour établir sa crainte subjective ».

[31]  Il était certainement loisible à la SAR de tirer cette conclusion vu la preuve dont elle disposait.

[32]  La SAR a aussi raisonnablement conclu que bien que l’omission n’ait pas suffi à elle seule à miner la crédibilité de la demanderesse, une conclusion défavorable a été tirée compte tenu des préoccupations en matière de crédibilité dans leur ensemble.

C.  Le défaut d’indiquer le nom complet du beau-père

[33]  La SAR a pris note de la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas été en mesure de fournir le nom complet de son beau-père. La SPR a conclu que le nom du beau-père sur le certificat de mariage était « ENGR S.J. Aiyenigba », mais la demanderesse a affirmé que son beau-père se prénommait « Joseph », ce qui ne correspond pas à la première initiale « S ».

[34]  La demanderesse a soutenu devant la SAR qu’elle s’était mariée seulement en 2015 et que le certificat de mariage avait été signé le jour du mariage. Il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle étudie le certificat de mariage et se penche sur les autres noms de son beau‑père. Elle a déclaré qu’il suffisait qu’elle indique que son agent de persécution était son beau-père.

[35]  La SAR a pris note de l’argument, mais a fait remarquer que la question n’était pas celle de savoir si la demanderesse était mariée. Il s’agissait plutôt de savoir si son beau-père était l’agent de persécution.

[36]  La SAR a déclaré qu’il incombait à la demanderesse de fournir le nom de son beau-père conformément aux documents fournis, ou de justifier pourquoi elle n’aurait pas accès à des renseignements au sujet de ses autres noms. La SAR a conclu que le défaut de la demanderesse de fournir des renseignements de base à propos du principal agent de persécution a miné la crédibilité de sa demande d’asile.

[37]  Même si je n’aurais pas forcément tiré la même conclusion que la SAR, je ne peux conclure qu’il n’était pas raisonnablement loisible à la SAR, compte tenu de la preuve, de la tirer. En tout état de cause, même si la SAR avait commis une erreur en tirant cette conclusion, je suis d’avis que celle-ci n’aurait pas modifié le résultat. Il ne s’agirait pas d’une lacune grave à un point tel qu’on peut dire que la décision contestée ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence : Vavilov, au paragraphe 100.

D.  L’omission de fournir le certificat de mariage original

[38]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas eu tort de tirer une conclusion défavorable de l’omission de la demanderesse d’apporter le certificat de mariage original à la nouvelle audience.

[39]  La SAR a pris note de l’explication donnée par la demanderesse à la SPR selon laquelle elle pensait qu’il suffisait d’apporter le certificat de mariage original à la première audience devant la SPR. Interrogée davantage à ce sujet, elle a répondu qu’elle avait « oublié » de l’apporter à la nouvelle audience.

[40]  La SAR a également examiné l’argument de la demanderesse selon lequel la question de savoir si le certificat de mariage était un original ou une copie était sans importance et que la SPR aurait dû demander le certificat original après l’audience.

[41]  La SAR a raisonnablement conclu que la SPR n’avait pas eu tort de tirer une conclusion défavorable sur ce point. Le certificat de mariage de la demanderesse était le seul document qui contenait le nom de son beau-père. Il le liait à la demanderesse et il incombait à celle-ci de démontrer le fondement de sa demande d’asile.

E.  Les affidavits à l’appui

[42]  L’époux, le frère et l’ami de la demanderesse ont chacun signé un affidavit attestant que le beau-père voulait que la demanderesse subisse une MGF.

[43]  La SAR n’a accordé aucun poids aux affidavits parce que : 1) les documents ne mentionnaient pas le nom du beau-père, 2) ils contenaient la même erreur typographique qui a miné leur crédibilité et 3) l’explication donnée par la demanderesse au sujet de l’erreur typographique n’était qu’une simple hypothèse.

[44]  La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de n’accorder aucun poids aux affidavits parce qu’ils contenaient tous la même erreur typographique. Toutefois, devant la SPR, elle n’avait fourni aucune explication de la raison pour laquelle la même erreur est apparue dans les trois affidavits.

[45]  Selon l’explication donnée par la demanderesse de l’erreur typographique qui figure dans les trois affidavits distincts souscrits devant des tribunaux différents, elle croyait que chaque déposant avait préparé son affidavit en utilisant le même modèle.

[46]  Dans ses observations devant la SAR, la demanderesse a reconnu qu’elle ne savait pas comment les déposants avaient procédé après qu’elle avait communiqué avec eux pour leur dire qu’elle avait besoin d’affidavits attestant leur appui. Elle a reconnu qu’elle supposait qu’ils pouvaient chacun avoir préparé leur propre affidavit.

[47]  Les motifs de la SAR pour refuser d’accorder du poids aux affidavits étaient raisonnables. Les affidavits ne fournissaient aucun renseignement utile, puisqu’ils ne mentionnaient pas le nom du beau-père. Pour ce qui est de l’erreur typographique, la SAR ne peut pas tirer une conclusion en se fondant sur la force d’une hypothèse émise par la demanderesse.

VII.  Conclusion

[48]  La demanderesse a fait valoir devant la SAR que [traduction] « le fait que la SPR a buté sur le mot “beau-père” a déteint sur sa décision ». Elle a fait valoir qu’il était possible que la décision ait été différente si on lui avait donné le bénéfice du doute quant à l’existence de son beau-père.

[49]  La SAR a répondu à cette observation en faisant remarquer que le principal agent de persécution de la demanderesse était son beau-père. Elle a conclu qu’elle ne disposait d’aucun élément de preuve crédible permettant d’établir que son beau-père était un agent de persécution, comme il a été allégué, puisqu’elle ne pouvait pas établir son nom, sa profession, « ni aucun autre renseignement à son sujet ».

[50]  Lorsque je procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, je dois faire preuve de déférence à l’égard de la SAR dans la mesure où sa décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au paragraphe 83.

[51]  Lorsqu’elle a conclu qu’il convenait de confirmer la décision de la SPR, la SAR a fourni dans la décision contestée des motifs qui étaient fondés sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qui étaient justifiés au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti, comme l’exige l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 83 et 85.

[52]  Pour tous les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

[53]  Aucune question grave de portée générale n’a été proposée aux fins de la certification.

[54]  Aucuns dépens ne sont adjugés.

[55]  Le nom du défendeur est remplacé par celui du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, avec effet immédiat.




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