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Date : 20200501


Dossier : IMM-1963-19

Référence : 2020 CF 581

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2020

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

KWANGJIN KIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire a trait à la décision par laquelle un agent d’immigration principal (l’agent) d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire que le demandeur a présentée aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un orphelin qui s’est échappé de la Corée du Nord. Il est éventuellement arrivé en Corée du Sud; il a toutefois fui ce pays en 2012 pour venir au Canada, après avoir conclu qu’il ne pouvait supporter la discrimination implacable envers les transfuges nord-coréens. Il réside au Canada depuis. Au fil des ans, il a noué plusieurs amitiés solides et des liens semblables à des relations familiales, terminé des cours d’anglais langue seconde (ALS), fréquenté une église, assisté à des débats publics et occupé plusieurs emplois, principalement dans la restauration.

[3]  Le demandeur craint de retourner en Corée du Sud où il a subi de la discrimination et des difficultés en tant que transfuge nord-coréen, et il redoute d’être arrêté ou enlevé par des agents ou des espions nord-coréens. En outre, son histoire a été rapportée dans le Korea Times Daily, ce qui, d’après lui, le rend plus facilement repérable par les autorités nord-coréennes.

[4]  Dans une décision datée du 19 février 2019, l’agent a estimé que le demandeur n’avait pas présenté des éléments de preuve objectifs suffisants pour étayer ses liens avec le Canada et son profil de transfuge notoire; il a donc refusé sa demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[5]  Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur fait valoir que l’agent a commis l’erreur de ne pas appliquer le bon critère juridique pour évaluer sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et que son traitement de la preuve était déraisonnable, surtout en ce qui touche l’article paru dans le Korea Times Daily et la discrimination dont sont victimes les transfuges nord-coréens en Corée du Sud.

[6]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. Ce dernier n’a pas suffisamment tenu compte des facteurs d’ordre humanitaire relatifs à la situation du demandeur et qui doivent entrer dans l’évaluation d’une demande fondée sur de tels facteurs. Il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits

A.  Le demandeur

[7]  M. Kwangjin Kim (le demandeur), âgé de 33 ans, est né dans la province du Hamgyeong du Nord en Corée du Nord. Son père est décédé dans un accident électrique lorsqu’il avait environ quatre ans et sa mère – traumatisée par le décès de son époux – a quitté la maison, abandonnant ses deux tout-petits garçons.

[8]  Le demandeur et son jeune frère sont allés vivre avec la sœur aînée de leur père. Cette dernière avait huit personnes à nourrir, y compris ses propres enfants. Comme il était constamment difficile de se procurer de la nourriture en Corée du Nord où la famine était omniprésente, la famille avait continuellement du mal à s’en sortir. Le jeune frère du demandeur est mort de malnutrition à l’âge de six ans. Le demandeur n’avait alors que sept ans.

[9]  Après la mort de Kim Il Song le 8 juillet 1994, le système public de distribution alimentaire s’est effondré, provoquant une malnutrition généralisée dans toute la Corée du Nord et le début de ce que nous appelons aujourd’hui la « marche de la souffrance ». En avril 1996, l’oncle du demandeur est mort de malnutrition; en juin 1997, sa tante est morte de faim. Le demandeur n’a eu alors d’autre choix que de vivre comme un « Kotjebi » – un orphelin des rues. Il affirme qu’étant un enfant de la rue ayant perdu ses parents, son jeune frère, sa tante et son oncle, il ne trouvait à manger qu’une fois tous les trois jours, parfois moins souvent, et arrivait à peine à survivre en Corée du Nord, dans le froid et la famine.

[10]  Le 9 novembre 1998, le demandeur et un autre Kotjebi ont traversé la rivière Tumen pour entrer en Chine. Il s’est réfugié dans différentes églises, où il a appris les rudiments du chinois. Craignant d’être arrêté par la police chinoise, il ne pouvait pas rester très longtemps dans chaque endroit.

[11]  En janvier 1999, le demandeur a finalement trouvé une autre église, où le pasteur lui a offert un refuge. En mars de la même année, il a été transféré dans un orphelinat à Beijing, qui accueillait des enfants chinois et nord-coréens. Le demandeur explique que comme l’orphelinat était dangereux, sa directrice, Mère Kim, répartissait les enfants en petits groupes afin qu’ils vivent dans des logements ordinaires.

[12]  Le 1er septembre 1999, le demandeur est entré à l’école élémentaire à Beijing, où il a dû changer son nom de famille « Kim », et le remplacer par « Lee »; il se faisait appeler « Lee Kwangjin » et était âgé alors de 14 ans. L’année suivante, il a réussi sa première année, mais n’est pas resté dans cette école.

[13]  Se languissant de ses cousins qui étaient encore en Corée du Nord, le demandeur a tenté de retourner dans ce pays en août 2000, mais le gué permettant le passage depuis la Chine était submergé et il n’a pas pu repartir. Le demandeur vivait la vie d’un « Kotjebi » à Beijing. Il a fini par être appréhendé par la police chinoise à Harbin (Chine), mais il a été relâché en étant prévenu que si elle l’appréhendait à nouveau, elle le renverrait en Corée du Nord.

[14]  Par la suite, le demandeur est retourné à Beijing, où il a vécu avec l’aide de différents Sud-Coréens, dont un missionnaire qui lui offrait de la nourriture et un lieu pour dormir. D’août à novembre 2001, il a étudié la Bible suivant une stricte routine quotidienne.

[15]  Le 18 novembre 2001, le demandeur a quitté Beijing pour Weihai (Chine) et a fini par demander l’aide d’une autre église sud-coréenne où il a vécu et travaillé pendant près d’un an. Un jour, alors qu’il travaillait, il a appris aux nouvelles que des Nord-Coréens tentaient d’entrer dans les consulats américain et allemand pour s’enfuir en Corée du Sud.

[16]  Le 1er novembre 2002, le demandeur a quitté Weihai et est arrivé à Hekou (Chine) près de la frontière vietnamienne. Il a tenté d’entrer au Vietnam dans l’espoir de se rendre en Corée du Sud, mais en vain. Rentré en train à Beijing en janvier 2003, il a trouvé refuge dans une autre église sud-coréenne.

[17]  En juin 2003, le missionnaire de l’église a informé le demandeur que, s’il arrivait à entrer au consulat sud-coréen en tant que Nord-Coréen, il pourrait se rendre en Corée du Sud. Le demandeur a rejoint un groupe d’autres transfuges nord-coréens et le 2 juillet 2003, ils sont entrés de force au consulat sud-coréen.

[18]  Le 13 septembre 2003, le demandeur a été formellement expulsé de Chine vers la Corée du Sud, après que sa nationalité nord-coréenne eut été vérifiée. En Corée du Sud, il a subi d’autres interrogatoires et a finalement été transféré dans un centre appelé Hanawon, où il a reçu pendant deux mois une instruction sur la Corée du Sud. Le 18 décembre 2003, il a terminé avec succès le programme à Hanawon, mais comme il était encore mineur, il ne s’est pas vu attribuer de maison; il a plutôt été amené dans un refuge pour jeunes.

[19]  Dans ce refuge, le demandeur a vécu avec des adolescents sud-coréens à problèmes qui étaient des fugueurs. Il prétend avoir subi des violences verbales et une discrimination extrême en tant que transfuge nord-coréen. Les autres adolescents l’affublaient constamment de noms méprisants, lui disant de [TRADUCTION« retourner dans [son] pays », et qu’il [TRADUCTION« bouffait l’argent de [leurs] impôts ».

[20]  Ayant subi à maintes reprises de la discrimination et des violences, le demandeur a tenté de s’enfuir aux États-Unis avec quelques amis en octobre 2004, mais il s’est vu refuser l’entrée à Vancouver, parce qu’il était mineur. Renvoyé en Corée du Sud, il est retourné au refuge. Puis il a finalement emménagé avec un ami plus âgé rencontré à Hanawon, et a passé ses examens de niveau élémentaire, intermédiaire et secondaire et obtenu son diplôme d’études secondaires. Il a ensuite été contacté pour un emploi dans une usine, mais il a fini par être exclu du processus d’embauche quand les responsables de l’usine ont appris qu’il était un transfuge nord-coréen.

[21]  En novembre 2006, le demandeur a fui la Corée du Sud pour la Norvège avec l’aide d’amis plus âgés. Il a présenté une demande d’asile dans ce pays et a emménagé dans un abri pour réfugiés. Il y est resté pendant plus d’un an et demi et a travaillé sept mois dans une usine à poulets. Cependant, sa demande d’asile a été rejetée. Le demandeur a immédiatement été renvoyé en Corée du Sud.

[22]  À son retour en Corée du Sud, le demandeur affirme avoir eu des idées suicidaires. Il a décrit son état émotionnel de la façon suivante dans son affidavit :

[traduction

Lorsque je suis arrivé en Corée du Sud, je ne connaissais personne. Je n’avais gardé contact avec personne. J’étais vraiment seul et il m’était très difficile de vivre. Je croyais que si je mourais, j’entrerais dans un monde meilleur. Je désirais donc vivement mourir.

[23]  Avec le temps, le demandeur a formé l’espoir de s’enfuir au Canada. Le 15 juin 2012, il est arrivé au pays et a présenté une demande d’asile le lendemain. Mais alors que sa demande était en cours de traitement, son avocate, Mirae Jo, a été impliquée dans une histoire de fraude et radiée du barreau. Cette situation, conjuguée au fait que le demandeur n’avait pas d’adresse permanente, a fait en sorte qu’il n’a pas reçu les communications concernant l’audition de sa demande d’asile.

[24]  En janvier 2018, le demandeur a rencontré un autre avocat par l’entremise de la Fédération canadienne des transfuges nord-coréens. Après avoir reçu des conseils sur la manière de s’informer sur son statut d’immigrant et sa demande d’asile, il a découvert, après avoir contacté IRCC, que le désistement de sa demande d’asile avait été prononcé.

[25]  Le 8 mars 2018, des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) ont arrêté le demandeur chez lui. Durant sa détention qui a duré jusqu’au 19 mars 2018, il a retenu les services de son avocat actuel pour qu’il l’aide à régulariser son statut. Raymond Cho, ministre des Services aux aînés et de l’Accessibilité de l’Ontario (le député Cho), était son garant et sa caution. Par ailleurs, l’histoire du demandeur a été publiée dans le Korea Times Daily, un journal largement distribué au Canada et en Corée du Sud, et accessible au gouvernement nord-coréen.

[26]  Le demandeur a soumis sa demande d’examen des risques avant renvoi (« ERAR ») le 5 avril 2018 et sa demande CH en mai suivant. Sa demande ERAR a été refusée en février 2019.

[27]  À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a relaté, dans une preuve sous serment, les innombrables difficultés qu’il avait subies et celles auxquelles il serait confronté en Corée du Sud. En particulier, comme il n’avait pas de réseau de soutien, il fait valoir qu’il allait devoir vivre dans la rue pendant un certain temps sans savoir quand il arriverait à trouver un travail en raison de la discrimination qu’il subirait en tant que transfuge nord-coréen. Il prétendait craindre de retourner en Corée du Sud et d’être retrouvé par des espions ou des agents nord-coréens, car son histoire avait été largement publicisée par le Korea Times Daily. Il affirmait qu’il se heurterait en conséquence à de graves difficultés en Corée du Sud.

[28]  Le demandeur a soutenu qu’il s’était solidement établi au Canada, y avait noué des liens très étroits, en particulier avec le député Cho qui était devenu comme un père pour lui. Il a indiqué qu’il fréquentait l’Alpha Korean United Church, où il faisait du bénévolat, et qu’il assistait aux débats parlementaires à Queen’s Park. De plus, il a travaillé comme plongeur, aide et cuisinier à la chaîne pour subvenir à ses besoins, a atteint le niveau 5 en ALS et a aussi apporté son aide à des compatriotes nord-coréens à Toronto en leur offrant des services de traduction pour leur permettre de communiquer avec leur avocat.

B.  La décision sous-jacente

[29]  Dans une décision datée du 19 février 2019, l’agent a refusé la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur. Cette décision a été communiquée au demandeur le 25 mars suivant.

[30]  Même si l’agent a reconnu que le demandeur était un transfuge nord-coréen et qu’il avait séjourné au Canada pendant plus de six ans, l’agent a jugé que la preuve attestant son établissement au Canada était insuffisante et a accordé peu de poids à ce facteur. En particulier, l’agent a tiré les conclusions suivantes :

  • a) Le demandeur n’avait soumis aucune preuve de son emploi au Canada;

  • b) la preuve présentée par le demandeur quant aux cours d’ALS qu’il a pris et réussis était insuffisante;

  • c) le demandeur a présenté une preuve insuffisante pour établir qu’il fréquentait l’Alpha Korean United Church, en était membre ou y effectuait des activités bénévoles;

  • d) le demandeur a présenté une preuve insuffisante pour établir qu’il assistait aux débats de Queen’s Park.

[31]  En ce qui concerne les liens du demandeur avec le Canada, l’agent a conclu que sa preuve était insuffisante pour établir que ses liens avec le député Cho et Mme Hye Kyung Jo [TRADUCTION« se caractérisaient par un certain degré d’interdépendance et de solidarité ». Même si [TRADUCTION« les difficultés découlant de la séparation physique d’avec ses amis au Canada causeront des bouleversements », l’agent a fait remarquer que la preuve fournie était insuffisante pour indiquer que le demandeur ne pourrait pas [TRADUCTION« maintenir ces amitiés s’il retournait en Corée du Sud ».

[32]  Dans son évaluation des difficultés auxquelles se heurterait le demandeur en Corée du Sud, l’agent a fait remarquer que, même s’il avait résidé dans ce pays pendant [TRADUCTION« de nombreuses années », la preuve objective était insuffisante pour établir qu’il y avait été harcelé par des agents ou des espions nord-coréens, ou qu’il serait perçu comme un transfuge notoire. L’agent a par ailleurs conclu à l’insuffisance de la preuve objective établissant que [TRADUCTION« les conditions qui prévalent en Corée du Sud sont telles qu’un déménagement et un rétablissement ne peuvent être envisagés », ajoutant que même si la réintégration pouvait être difficile, la preuve attestant qu’elle [TRADUCTION« [serait] inatteignable » était insuffisante.

[33]  Malgré les observations du demandeur selon lesquelles les Nord-Coréens subissent une discrimination systémique répandue en Corée du Sud, notamment en matière d’emploi et de logement, l’agent a conclu, en s’appuyant sur la preuve documentaire que le certificat d’enregistrement de la résidence pour transfuge nord-coréen permettait aux réfugiés nord-coréens d’obtenir une aide d’urgence et des services de réinstallation. Toujours selon lui, les éléments de preuves objectifs ne permettaient pas d’attester que le demandeur ne pouvait pas faire rétablir son « certificat d’enregistrement de la résidence pour transfuge nord-coréen », lequel indique actuellement que sa protection a été annulée.

[34]  Même s’il a reconnu que [TRADUCTION« les conditions en ce qui touche la discrimination subie par les transfuges nord-coréens demeurent problématiques en Corée du Sud », l’agent a conclu en fin de compte, après avoir [TRADUCTION« pondéré ce facteur » par rapport aux mesures gouvernementales et aux circonstances personnelles du demandeur – qui a résidé en Corée du Sud pendant un certain nombre d’années, a pu obtenir un passeport sud-coréen, se déplacer librement, notamment en [TRADUCTION« voyageant » dans d’autres pays et obtenir son diplôme d’études secondaires – que ce dernier serait [TRADUCTION« en mesure de demander des mesures de réparation en Corée du Sud » et que la preuve objective qu’il a fournie pour démontrer des difficultés était insuffisante.

[35]  En ce qui concerne le fait que l’histoire du demandeur a attiré l’attention des médias dans l’article du Korea Times Daily, l’agent a noté que l’article faisait référence à un certain « Lee Sung-jin », et non à « Kwangjin Kim ». Pour l’agent, la preuve établissant que le demandeur était visé par cet article était insuffisante.

[36]  Dans l’ensemble, en procédant à une [TRADUCTION« évaluation globale des facteurs humanitaires invoqués », l’agent a noté que la durée et les liens du demandeur au Canada et [TRADUCTION« son prétendu manque de soutien en Corée du Sud » étaient censés faire contrepoids à [TRADUCTION« [son] établissement minimal au Canada ». En fin de compte, l’agent n’a pas été convaincu que les motifs d’ordre humanitaire étaient suffisants pour justifier d’accueillir la demande.

III.  Question préliminaire : admissibilité de la preuve

[37]  Le défendeur affirme que, étant donné que les motifs CH ont été rendus le 19 février 2019, tous les documents soumis par le demandeur après cette date doivent être radiés du dossier.

[38]  Le défendeur fait valoir en particulier que les documents suivants doivent être radiés du dossier : l’onglet 5 du dossier de demande (qui contient des articles ayant été envoyés avec une lettre de présentation après le 19 février 2019); l’onglet 8 du dossier de demande contenant l’affidavit du demandeur déposé au titre de sa requête en sursis au renvoi, et l’onglet 9 du dossier de demande contenant un affidavit déposé au titre de la requête du demandeur en sursis au renvoi.

[39]  Inversement, le demandeur affirme que la Cour doit considérer que ces mises à jour ont été soumises au décideur, étant donné que la décision lui a été communiquée le 25 mars 2019 et qu’il a présenté les documents supplémentaires le 22. Il soutient à ce titre que les onglets 5 et 8 devraient être admissibles, citant à l’appui la décision Chudal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1073 (CanLII) [Chudal] aux paragraphes 16 à 19, dans laquelle le juge Hughes a conclu que la décision de l’agent est considérée comme étant définitive dès le moment où il est établi qu’elle est communiquée au demandeur, plutôt qu’à la date à laquelle elle a été rendue :

[16] Toute la jurisprudence susmentionnée montre qu’un agent d’évaluation doit tenir compte de toutes les preuves susceptibles d’influer sur sa décision et que les preuves en question présentées avant que la décision ne devienne « définitive » doivent être prises en compte.

[17] S’agissant du moment auquel la décision devient « définitive », l’avocat du défendeur a invoqué deux précédents : Tambwe-Lubemba c. Canada (MCI) [2000] A.C.F. no 1874, et Avci c. Canada (MCI) [2003] C.A.F. 359. Ces deux précédents concernent des décisions de la Commission du statut de réfugié, non d’un agent d’évaluation, et tous deux montrent qu’une telle décision est « définitive » après qu’elle est signée et communiquée au greffe.

[18] S’agissant de la décision d’un agent d’évaluation, la procédure est moins formelle que celle de la Commission du statut de réfugié. L’agent d’évaluation peut recevoir des documents et convoquer une audience s’il le juge à propos. Une décision est rendue et transmise au bureau local de l’ASFC pour être remise au demandeur, souvent en même temps qu’une mesure de renvoi dans le cas d’une décision défavorable, afin d’éviter que l’intéressé ne tente de se soustraire au renvoi. Parfois l’agent d’évaluation invitera le demandeur à présenter des documents avant une certaine date parce que, à cette date, une décision sera prise.

[19] Pour ce qui concerne la décision d’un agent d’évaluation, l’agent a l’obligation de recevoir toutes les preuves qui peuvent influer sur sa décision, et cela jusqu’à la date à laquelle sa décision est rendue. Il est raisonnable de considérer qu’une telle décision n’est pas rendue tant qu’elle n’a pas été rédigée et signée et tant qu’avis de la décision, à défaut de son contenu, n’a pas été signifié au demandeur. Par conséquent, la décision en cause ici a été « rendue » le 15 octobre 2004, date à laquelle son existence a été communiquée au demandeur. Si le demandeur a été informé qu’une décision sera rendue à une date ultérieure, il est raisonnable de considérer que la décision est rendue à cette date ultérieure.

[40]  Comme la décision a été communiquée au demandeur le 25 mars 2019, ce dernier maintient que les documents qu’il a envoyés le 22 mars 2019 (onglet 5 du dossier de demande) ont été dûment soumis à l’agent et qu’ils ne devraient pas être radiés. Je souscris à cette affirmation.

[41]  En ce qui concerne l’onglet 8 du dossier de demande contenant l’affidavit déposé au titre de sa requête en sursis au renvoi, le demandeur affirme que cet affidavit reprend en grande partie le contexte factuel présenté dans celui qu’il avait soumis dans le cadre de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et qu’il devrait ainsi être maintenu au dossier. Je suis d’accord.

[42]  Le demandeur a reconnu durant l’audience que l’onglet 9 pouvait être radié du dossier; je suis d’accord.

IV.  Questions à trancher et norme de contrôle.

[43]  Les questions soulevées par le présent contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique dans son évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?

[44]  Avant la décision rendue récemment par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la norme du caractère raisonnable s’appliquait au contrôle des décisions rendues par les agents d’immigration à l’égard des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentées aux termes de l’article 25 de la LIPR : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (CanLII), au par. 44 [Kanthasamy]; Douti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1042 (CanLII), au par. 4; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 988 (CanLII), au par. 24. Rien ne justifie de s’écarter de la norme de contrôle suivie dans la jurisprudence antérieure, attendu que l’application du cadre Vavilov aboutit à la même norme de contrôle : celle du caractère raisonnable.

[45]  En ce qui concerne la question de savoir si l’agent a appliqué le bon critère juridique, le demandeur fait valoir que cette question doit être évaluée selon la norme de la décision correcte. Cependant, comme l’arrêt Vavilov a restreint l’application de cette norme en faveur d’une présomption d’application de la norme du caractère raisonnable, la norme de la décision correcte ne s’applique à présent qu’à trois catégories de questions : les questions constitutionnelles (Vavilov, aux par. 55 à 57); les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (Vavilov, aux par. 58 à 62); et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 63 à 64). La question liée à l’application du bon critère CH ne semble relever d’aucune de ces catégories.

[46]  Néanmoins, si l’agent a appliqué un critère incorrect dans son évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la décision doit être renvoyée pour réexamen. À ce titre, l’issue serait la même que la norme retenue soit celle du caractère raisonnable ou de la décision correcte.

[47]  Comme le faisait remarquer la majorité dans l’arrêt Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Par ailleurs, « la cour de révision doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100).

V.  Analyse

A.  L’agent a-t-il commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère juridique dans son évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur?

[48]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en n’envisageant pas les facteurs d’ordre humanitaire sous un œil compatissant (Salde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 386 (CanLII), aux par. 22 à 23; Apura c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 762 (CanLII); Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596 (CanLII). Il avance que l’agent n’a considéré sa situation que sous l’angle strict des difficultés, en contravention des instructions formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, et qu’il a commis l’erreur d’adopter une approche cloisonnée dans son évaluation des facteurs humanitaires.

[49]  Le demandeur cite également la décision Yanchak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 117 (CanLII) [Yanchak], au par. 17, où la Cour a estimé que l’agent avait commis l’erreur de « [ne tenir] compte des motifs d’ordre humanitaire qu’au regard du critère strict des difficultés ». Dans cette affaire, même s’il avait reconnu les conditions terribles qui prévalaient dans le pays, l’agent n’avait « pas examiné [ensuite] si le renvoi du demandeur vers un pays déchiré par la guerre pourrait aggraver ses troubles de santé mentale ».

[50]  Le défendeur fait valoir que l’agent ne s’est pas strictement limité aux difficultés. Selon lui, il a analysé les problèmes auxquels le demandeur pourrait se heurter à son retour en Corée du Sud, car la discrimination qu’il subirait avait précisément été soulevée. L’agent a estimé que le demandeur avait soumis [TRADUCTION« des renseignements ou des éléments de preuve négligeables » concernant son harcèlement antérieur par des agents nord-coréens, et que ses [TRADUCTION« circonstances personnelles » faisaient contrepoids au risque de difficultés. Le défendeur maintient donc que l’agent a appliqué le bon critère juridique lorsqu’il a évalué la demande CH.

[51]  Pour trancher correctement une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il faut dépasser le critère strict des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées », et plutôt considérer « [l]es faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs ‘justifient l’octroi d’un redressement spécial’ aux fins des dispositions de la Loi » (Kanthasamy, au par. 13 citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] AIA no 1, p. 350). Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada, l’analyse relative aux motifs d’ordre humanitaire doit tenir compte de tous les facteurs pertinents (Kanthasamy, au par. 25). Cette analyse ne peut donner lieu à une approche cloisonnée à l’égard des facteurs d’ordre humanitaire.

[52]  Cependant, les motifs de l’agent témoignent d’une incompréhension, tout au long de l’analyse, du critère juridique qui doit régir l’évaluation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR. L’agent a jugé que, même si le demandeur n’avait pas de famille ni de réseau de soutien en Corée, ce dernier n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs [TRADUCTION« établissant que son déménagement et son rétablissement ne pouvaient pas être envisagés ». En d’autres mots, tant et aussi longtemps que la simple possibilité du rétablissement du demandeur pouvait être envisagée, l’agent semblait être convaincu qu’il ne satisferait pas au critère des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées ».

[53]  Cette analyse erronée est rapidement suivie d’une autre. Même si l’agent semble reconnaître qu’il pourrait être difficile pour le demandeur de s’établir à nouveau dans un pays où il n’a pas vécu depuis six ans et où il n’a le soutien d’aucun parent ni ami, il juge insuffisante la preuve établissant que sa réintégration est [TRADUCTION« inatteignable ». L’agent a donc fixé une norme impossible tenant au [TRADUCTION« caractère atteignable » – le demandeur se voit ainsi imposer une norme erronée et indûment rigoureuse aux fins de l’évaluation des facteurs humanitaires.

[54]  Comme le faisait remarquer la décision Cour dans Yanchak, au par. 14 (souligné dans l’original) :

[14] Comme la Cour l’a indiqué au paragraphe 24 de la décision Stuurman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 194 [Stuurman], le délégué qui n’applique pas l’approche plus générale et équitable établie dans l’arrêt Kanthasamy commet une erreur susceptible de contrôle :

En l’espèce, l’agent a évalué de manière déraisonnable la durée ou l’établissement des demandeurs au Canada parce que, selon moi, il mettait l’accent sur le degré d’établissement [traduction] « attendu » et, par conséquent, il a omis de fournir une explication de ce qui constituerait un degré d’établissement acceptable ou adéquat. L’évaluation de l’agent concernant le degré d’établissement des demandeurs est au plus superficielle et, par conséquent, déraisonnable parce qu’elle a été fondée sur des « difficultés inusitées et injustifiées ou démesurées » et non, comme énoncé dans Kanthasamy, plus amplement fondée sur une perspective humanitaire qui examine et qui soupèse « toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » [...]

[55]  Le bon critère juridique ne se limite pas strictement à examiner les difficultés, mais consiste à étudier plus largement les facteurs d’ordre humanitaire qui ressortent des faits de l’affaire (Kanthasamy, au par. 25). Ce n’est pas l’approche que l’agent a adoptée, et il a donc commis l’erreur d’appliquer un critère juridique incorrect.

B.  L’agent a-t-il commis une erreur dans son traitement de la preuve?

(1)  Établissement, santé mentale et discrimination

[56]  Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas valablement examiné la preuve dont il disposait, fondant la majeure partie de la décision sur une conclusion de preuve insuffisante. Le demandeur soutient qu’il a fourni une preuve sous serment ainsi que la preuve de son statut de transfuge nord-coréen; ces éléments ont été acceptés par l’agent. Ce dernier n’a pourtant pas appliqué la présomption de véracité requise à ces éléments (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302.

[57]  Le demandeur cite la décision Navaratnam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 244 (CanLII) [Navaratnam], au par. 9, pour faire valoir que le décideur commet une erreur lorsqu’il se concentre exclusivement sur la preuve qui n’est pas soumise, qu’il n’analyse pas valablement les témoignages écrits ou qu’il rejette la preuve au motif que d’autres éléments auraient été plus souhaitables (voir aussi Botros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1046 (CanLII) [Botros]). Il ajoute en outre que l’agent commet une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il ne tient pas compte de la preuve qui contredit sa conclusion, et que le fardeau qui lui incombe d’expliquer pourquoi il n’en a pas tenu compte est proportionnel à la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda-Gutierrez], au par. 17). La Cour a déclaré à maintes reprises que l’agent commet une erreur lorsqu’il omet d’expliquer pourquoi il n’a pas tenu compte de la preuve sous serment d’un demandeur ou l’a écartée.

[58]  Le demandeur prétend que, comme l’agent a reconnu qu’il était devenu orphelin à un jeune âge, qu’il n’avait pas de liens sociaux ni de réseau de soutien en Corée du Sud, qu’il était un transfuge nord-coréen, et que les transfuges nord-coréens sont victimes de discrimination en Corée du Sud, il était déraisonnable de sa part de conclure qu’il ne se heurterait pas à des difficultés à son retour dans ce pays. Le demandeur fait valoir que le rejet par l’agent de son témoignage sous serment au [TRADUCTION« simple motif » qu’il avait vécu en Corée du Sud pendant plusieurs années, qu’il avait obtenu un passeport et reçu une instruction de base démontre que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents.

[59]  En particulier, le demandeur soutient que l’agent n’a pas valablement examiné les facteurs sous-jacents qui l’ont forcé à fuir la Corée du Sud ni les conditions actuelles dans ce pays qui attestent une tendance à la discrimination envers les transfuges nord-coréens. Le demandeur cite une étude parue dans l’Asia Pacific Journal of Public Health, dans laquelle des chercheurs ont découvert que les transfuges nord-coréens présentent des taux plus élevés de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaires que les Sud-Coréens.

[60]  Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement conclu que la preuve fournie par le demandeur était insuffisante. Il affirme que ce dernier n’a fourni aucune preuve en dehors de son propre témoignage pour démontrer sa dépendance à l’égard de ses amis proches. Pour le défendeur, l’agent a ainsi raisonnablement conclu que le demandeur pouvait encore rester lié à ses amis canadiens grâce [TRADUCTION« au téléphone, à des lettres, et aux plateformes de médias sociaux » au cas où il devait être renvoyé en Corée du Sud.

[61]  Le défendeur fait remarquer qu’aucune preuve au dossier n’atteste les emplois qu’il aurait occupés, les cours d’ALS qu’il aurait suivis ou sa prétendue affiliation avec l’Alpha Korean United Church, en dehors de la lettre de soutien du député Cho. Cependant, comme cette lettre a été rédigée le 17 avril 2018, moins d’un mois après la remise en liberté du demandeur – le défendeur affirme qu’elle ne prouve pas vraiment l’intégration du demandeur au sein de la communauté religieuse.

[62]  Sur ce point, le demandeur affirme que le défendeur ne peut compléter les motifs de l’agent dans ses arguments, attendu que la raison qu’il propose pour expliquer que la lettre du député Cho ait été écartée n’a pas été formulée par l’agent (Aria c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 324 (CanLII), au par. 24; Xiao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195 (CanLII), au par. 35). Je suis d’accord.

[63]  Dans l’affaire qui nous occupe, l’agent n’a pas valablement examiné la preuve dont il disposait, en particulier pour ce qui est du témoignage sous serment du demandeur. Même si ce dernier aurait certainement pu fournir davantage d’éléments pour étayer ses assertions, comme le laisse entendre l’agent (c.-à-d., une lettre de soutien de l’ami avec qui il a vécu, ou une lettre du pasteur de son église), j’estime que cette proposition est conjecturale et qu’elle n’apporte rien à l’analyse globale de la preuve dont était réellement saisi l’agent : un affidavit du demandeur très long et détaillé, un certificat de transfuge prouvant qu’il était un transfuge nord-coréen et une lettre d’un député provincial appuyant sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[64]  Malgré la conclusion de l’agent quant à l’insuffisance de la preuve montrant que le demandeur est lié au député Cho et à Mme Jo par une relation [TRADUCTION« d’interdépendance et de solidarité », le député Cho affirme sans ambiguïté dans sa lettre : [TRADUCTION« Ici au Canada, [le demandeur] bénéficie d’un large réseau de soutien dont je fais partie – j’en suis venu à le considérer comme un fils ». La preuve indique essentiellement que la relation entre le demandeur et le député Cho est celle d’un père avec son fils. S’il n’existe pas d’interdépendance dans ce qui s’apparente à une relation familiale, je serais bien en peine de découvrir où ce genre [TRADUCTION« d’interdépendance et de solidarité » peut se rencontrer. Plutôt que de se pencher sur la preuve qui contredit ses conclusions et d’expliquer pourquoi la lettre du député Cho n’avait pas vraiment de force probante ou elle était dépourvue de pertinence, l’agent a minimisé toute la relation en la désignant constamment comme une « amitié ». Il a écarté cette preuve de façon flagrante, ce que la Cour a fréquemment considéré comme une erreur susceptible de contrôle (voir Navaratnam, Botros, et Cepeda-Gutierrez, précitées). Rien n’indique que l’agent ait tenu compte du fait que le député Cho considère le demandeur comme un fils adoptif.

[65]  Par ailleurs, il est difficile de comprendre comment l’agent a conclu que le fait que le demandeur vive avec Mme Jo – qu’il considère « comme une sœur » – et sa famille ne procédait pas d’une relation [TRADUCTION« se caractérisant par un degré tel d’interdépendance et de solidarité qu’une séparation entraînerait des difficultés ». Le demandeur, devenu orphelin à l’âge de quatre ans, a essentiellement vécu comme un sans-abri depuis le début de son adolescence. Il n’a ni famille ni ami en Corée du Sud. Les membres de sa famille sont morts de faim et de malnutrition dans des conditions affreuses en Corée du Nord. Aujourd’hui, le demandeur est logé, nourri et entouré de gens qu’il considère comme sa famille, toutes choses qui lui procurent un sentiment d’interdépendance et de solidarité. Le fait de l’arracher à un environnement stable où il peut travailler, participer à des activités communautaires et aux affaires politiques et nouer des relations lui causera indubitablement des difficultés et un traumatisme, attendu qu’une telle stabilité lui était inaccessible avant qu’il ne vienne vivre au Canada. Agir ainsi envers le demandeur – qui a perdu toute sa famille, qui ne peut pas travailler ni trouver un logement en Corée du Sud et qui est clairement traumatisé par ces expériences – serait cruel et futile dans les circonstances. Où est le souci de la compassion et de la solidarité « de nature à inciter tout homme raisonnable [sic] d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne » (Kanthasamy, au par. 13)? Il est clairement absent de la décision que j’ai examinée.

[66]  En ce qui concerne les problèmes de santé mentale, même si le défendeur soutient que les problèmes de santé doivent être prouvés et que l’agent n’a raisonnablement pas tenu compte des [TRADUCTION« simples affirmations » du demandeur portant qu’il nourrit des [TRADUCTION« idées suicidaires », je relève que les idées suicidaires en question n’ont pas été présentées dans le but de prouver un diagnostic précis de santé mentale, mais pour illustrer les difficultés extrêmes découlant de la pénible existence que le demandeur menait en Corée du Sud en tant que transfuge nord-coréen. De plus, j’estime que la jurisprudence citée par le défendeur à ce sujet n’est pas utile, attendu que les deux décisions concernent des mesures de renvoi et non des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (Hernadi c Canada (Santé publique et Protection civile), 2018 CanLII 126350 (CF), au par. 15; Montenegro c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 609 (CanLII), aux par. 12 à 13).

[67]  À mon avis, l’agent a eu tort de ne pas considérer les difficultés du demandeur en ce qui touche son état de santé mentale et les taux élevés de suicide en Corée du Sud. Le demandeur avait fourni des éléments décrivant les difficultés qu’il avait vécues en Corée du Sud et à cause desquelles il avait voulu mettre fin à ses jours. Comme le fait remarquer le demandeur, il s’agissait d’une preuve extrêmement pertinente que l’agent aurait dû prendre en compte lorsqu’il s’est demandé si le demandeur était confronté à des difficultés. La preuve objective au dossier confirmait que les transfuges en Corée du Sud présentent des taux élevés de suicide. Une étude parue dans le Asia Pacific Journal of Public Health a révélé que les transfuges nord-coréens présentent des taux plus élevés de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaires que les Sud-Coréens. Les auteurs ont constaté que ceux qui tentent de s’échapper de la Corée du Nord plus de deux fois – comme le demandeur – présentaient un risque encore plus élevé. Comme les Sud-Coréens sont déjà en tête du classement des taux de suicide dans tous les pays de l’OCDE, les problèmes de santé mentale du demandeur étaient extrêmement pertinents au regard de l’analyse des difficultés.

[68]  Enfin, l’agent a commis une erreur dans son traitement des allégations du demandeur portant qu’il avait été victime de harcèlement et de discrimination en raison de son statut de transfuge. Bien qu’il ait reconnu que la discrimination systémique contre les transfuges nord-coréens est un problème bien documenté dans la preuve sur les conditions dans le pays, l’agent a conclu que ce facteur pouvait être [TRADUCTION« compensé » par les circonstances personnelles du demandeur, et que ce dernier n’aurait aucune difficulté à demander des mesures de réparation étant donné qu’il avait vécu pendant de nombreuses années en Corée du Sud et qu’il avait pu obtenir un passeport ainsi que son diplôme d’études secondaires. Le raisonnement de l’agent est illogique et injustifié.

[69]  Le demandeur a subi un nombre incalculable d’épreuves depuis l’âge de trois ans; devenu orphelin, il a dû littéralement se débrouiller tout seul dans les rues d’un pays ravagé par la famine qui n’avait pas les moyens de s’occuper d’enfants comme lui. Puis, à son arrivée en Corée du Sud après un voyage dangereux entrepris à l’âge de 17 ans, il a de nouveau été confronté à des difficultés parce qu’il était Nord-Coréen, subissant une discrimination dans le refuge pour jeunes, lorsqu’il a cherché un emploi et dans son travail. Compte tenu de la discrimination constante qu’il a subie et la présentation de la preuve sur les conditions dans le pays, l’agent n’a pas expliqué pourquoi la preuve objective illustrant de manière écrasante la discrimination dont sont victimes les transfuges nord-coréens en Corée du Sud n’a pas été prise en compte ou jugée dépourvue de pertinence. Certains extraits du dossier certifié du tribunal (DCT) ont été reproduits ci-après pour illustrer les difficultés et la discrimination dont sont victimes les Nord-Coréens en Corée du Sud :

  • DCT, volume 4, p. 608 : The New York Times, « Young North Korean Defectors Struggle in the South » [De jeunes transfuges nord-coréens se heurtent à des difficultés dans le Sud.] (12 juillet 2012)

[traduction]

« J’avais l’impression d’être une personne des années 70 qui a embarqué dans une machine à accélérer le temps et qui a été parachutée au XXIe siècle », a déclaré M. Kim, 24 ans, étudiant universitaire de dernière année se spécialisant dans la langue chinoise. Il affirme que nombre de ses camarades l’évitent en raison de son accent du Nord et de sa petite stature, qui est probablement attribuable à une nutrition inadéquate.

  • DCT, volume 3, p. 558 à 560 : ABC News, « After fleeing North Korea, some defectors want to go back to life under Kim Jong-un » [Après avoir fui la Corée du Nord, certains transfuges veulent retourner vivre sous le règne de Kim Jong-un.] (14 décembre 2017)

[traduction]

La Corée du Sud n’est pas ce à quoi il s’attendait et sa famille lui manque désespérément […] « La vie ici n’offre aucun espoir. J’ai subi tellement de harcèlement et je suis traité comme un citoyen de seconde zone » […] il est sans emploi et affirme que lorsqu’il travaillait comme ouvrier, il était payé beaucoup moins que ses collègues, voire pas du tout. Il déclare être stigmatisé parce qu’il vient du Nord, et affirme que la plupart des Sud-Coréens le trouvent arriéré ou stupide.

[…]

Huit cents transfuges dont on sait qu’ils sont arrivés en Corée du Sud sont portés disparus.

  • DCT, volume 3, p. 562 : VOA News, « South Korea Criticized Over Treatment of North Korean Defectors » [« La Corée du Sud critiquée pour son traitement des transfuges nord-coréens »] (14 décembre 2017)

[traduction

Un rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies sur les droits de l’homme en Corée du Nord publié en 2014 fait état de cas de familles de transfuges, y compris des enfants, envoyées dans des camps de prisonniers en guise de punition collective pour des infractions présumées contre l’État. Les groupes de défense des droits de l’homme affirment que les conditions des détenus sont déplorables et qu’ils sont victimes d’assassinats, de viols, de passages à tabac et de torture par les gardes, et sont forcés de travailler dans des conditions dangereuses et parfois mortelles.

  • DCT, volume 3, p. 576 : Global News, « Meet Ellie Cha, the North Korean defector working on Parliament Hill » [Ellie Cha, la transfuge nord-coréenne qui travaille sur la Colline du Parlement.] (5 novembre 2017)

[traduction

Son père avait de la difficulté à trouver du travail parce qu’il était âgé, sa mère a sombré dans la dépression tandis qu’Ellie et son frère avaient du mal à s’adapter à leur nouvelle vie. « Même en Corée du Sud, nous devons surmonter beaucoup de défis », affirme-t-elle. « Tant de discrimination, tant de partialité et devoir s’adapter à une société, un système social complètement différents ».

  • DCT, volume 1, p. 153 : Freedom House, « South Korea » [Corée du Sud]

[traduction

La Corée du Sud n’est pas dotée de lois exhaustives contre la discrimination. Les quelques minorités ethniques du pays subissent une discrimination légale et sociétale. Les résidents qui ne sont pas d’ethnicité coréenne ont des difficultés extrêmes à obtenir la citoyenneté, qui repose sur la filiation. Les enfants de résidents sud-coréens nés à l’étranger sont exclus des systèmes médicaux et scolaires. Près de 31 000 transfuges nord-coréens se trouvent en Corée du Sud. Ils peuvent obtenir la citoyenneté, mais ils risquent des mois de détention et d’interrogatoire à leur arrivée, certains ont signalé des mauvais traitements durant leur détention ainsi qu’une discrimination sociétale.

  • DCT, volume 3, p. 547 : Newsweek, « North Korea Officials Infiltrated South Korea to Intimidate Defectors » [Des fonctionnaires nord-coréens se sont infiltrés en Corée du Sud pour intimider des transfuges.] (31 octobre 2017)

[traduction

Des espions nord-coréens se sont infiltrés en Corée du Sud pour menacer ceux qui avaient fui le royaume ermite, a déclaré mardi le ministre sud-coréen de l’Unification, soulevant ainsi des questions quant à la mesure dans laquelle l’allié américain peut protéger ceux qui demandent l’asile.

[…]

Mais l’aveu fait mardi démontre que la Corée du Sud n’est pas capable de protéger suffisamment les transfuges nord-coréens qui demandent l’asile au Sud et qui continuent d’être persécutés par le violent régime nord-coréen.

Cho Myoung-Gyonto, ministre sud-coréen, a déclaré que son pays s’efforcerait d’accroître les protections offertes aux transfuges dans le Sud, notamment en restreignant davantage l’accès à la base de données contenant leurs renseignements personnels. Le ministre a déclaré que des espions et des pirates informatiques nord-coréens pouvaient avoir infiltré la base de données pour voler les renseignements personnels de Nord-Coréens qui s’étaient échappés.

[70]  Le dossier comprenant plus de quatre volumes d’éléments de preuve, il était incongru que l’agent conclue simplement à [TRADUCTION« l’insuffisance de la preuve objective » établissant que le demandeur se heurterait à des difficultés en Corée du Sud en tant que transfuge nord-coréen.

(2)  L’article paru dans le Korea Times Daily

[71]  Le demandeur fait valoir que l’agent a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’article paru dans le Korea Times Daily ne confirmait pas qu’à son retour en Corée du Sud, il serait un transfuge bien connu. Le demandeur fait valoir que la couverture médiatique de son cas dans le Korea Times Daily a fait de lui un transfuge nord-coréen célèbre, et qu’il serait donc confronté à des difficultés en Corée du Sud de la part des espions et des agents nord-coréens qui ont la réputation de renvoyer de force les transfuges en Corée du Nord pour qu’ils soient punis. La preuve montre que des transfuges sont portés disparus après leur expulsion en Corée du Sud.

[72]  L’agent a conclu à l’insuffisance de la preuve établissant que le demandeur sera assimilé à la personne nommée dans l’article, lequel identifie un certain « Lee Sung-Jin » et non le demandeur. Ce dernier soutient que l’agent a déraisonnablement ignoré la preuve attestant que l’article désignait en fait la même personne – le demandeur.

[73]  À mon avis, le traitement par l’agent de l’article paru dans le Korea Times Daily est déraisonnable, attendu qu’il n’a pas dûment considéré la preuve appuyant l’identification du demandeur.

[74]  Premièrement, lorsqu’il a accepté de surseoir au renvoi du demandeur, le juge Diner a déclaré ce qui suit au sujet du même article du Korea Times Daily, que le demandeur avait soumis pour établir qu’il était un transfuge notoire et qu’il risquait davantage d’être capturé et renvoyé en Corée du Nord (non souligné dans l’original) :

[traduction

Cette preuve comprend un récent article paru dans le Korean Times et intitulé « Surprising Release of a Detained North Korean Defector » [Remise en liberté inattendue d’un transfuge nord-coréen] qui – bien que contesté par le défendeur au motif que le nom n’est pas exactement le même – semble à tous autres égards concerner le demandeur, notamment en ce qui a trait aux détails d’une lettre par laquelle un ministre du Cabinet et membre actuel du Parlement de l’Ontario promet de lui apporter son soutien; cette lettre est mentionnée dans la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et figure dans le dossier de la requête en sursis présenté à la Cour.

[75]  Deuxièmement, le demandeur avait fourni une preuve sous serment attestant que cet article portait sur lui et qu’il serait perçu comme un transfuge notoire. « Seong Jin Lee » figurait comme son nom d’emprunt sur les formulaires de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La seule différence entre « Seong Jin Lee » et « Sung-Jin Lee » tient à l’orthographe anglicisée de « Seong » – cependant, en Coréen, les deux noms seraient orthographiés exactement de la même manière et sont en fait identiques.

[76]  Troisièmement, la preuve comprenait également une lettre de soutien du député Cho qui rapportait l’histoire du demandeur et confirmait qu’il avait été placé en détention. Dans l’article du Korea Times Daily, il est également question du député Cho et de son intention d’[TRADUCTION« adopter un fils ».

[77]  Quatrièmement, l’article identifie l’avocat qui représente actuellement le demandeur dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dont je suis saisi. De plus, comme l’a conclu le juge Diner, les faits décrits dans l’article semblent – à tous autres égards, à l’exception du nom – se rapporter au demandeur.

[78]  L’agent n’a donc pas expliqué pourquoi les différents éléments de preuve ont été ignorés ou ne se sont vus attribuer aucun poids, alors qu’ils étaient très pertinents et contredisaient sa conclusion portant que [TRADUCTION« la preuve était [tout simplement] insuffisante » pour établir que le demandeur et l’individu nommé dans l’article étaient la même personne (Cepeda-Gutierrez, au par. 17).

VI.  La question certifiée

[79]  À l’audience, le défendeur a proposé la question suivante aux fins de certification :

[traduction

Lors d’un contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut-elle admettre une preuve (se rapportant au caractère raisonnable de la décision) dont ne disposait pas le décideur administratif?

[80]  Le demandeur s’oppose à la certification de cette question, étant d’avis qu’elle ne se prête pas à la certification en raison du fait que le défendeur ne satisfait pas au critère. Il soutient premièrement que la question ne transcende pas les intérêts des parties, attendu que le défendeur soulève une question qui a clairement été tranchée. Deuxièmement, la question proposée n’est pas déterminante quant à l’issue de l’affaire, puisque l’argument qu’il avance concernant l’application incorrecte du critère juridique peut se suffire à lui-même, même sans la mise à jour concernant les motifs d’ordre humanitaire déposée auprès d’IRCC.

[81]  La Cour d’appel fédérale a énoncé les exigences à remplir pour certifier une question grave de portée générale lorsqu’elle a fait droit à des appels au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR dans les arrêts Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 (CanLII) [Lewis] et Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 (CanLII) [Lunyamila]. En plus d’être déterminante quant à l’issue de l’appel, la question « [doit] transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Lewis, au par. 36; Lunyamila, au par. 46).

[82]  J’estime que la question ne satisfait pas au critère de certification, attendu qu’elle ne transcende pas les intérêts des parties ni ne porte sur des enjeux ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale.

[83]  Il est bien établi en droit que la Cour ne peut admettre des éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur administratif, sous réserve des exceptions reconnues à la règle générale. Même s’il a pris acte de cette jurisprudence bien établie, le défendeur souhaite faire certifier cette question.

[84]  Comme nous l’évoquions dans la section traitant de la question préliminaire, les onglets 5 et 8 ont été maintenus dans le dossier pour les motifs déjà fournis. Comme le fait remarquer le demandeur, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel une partie cherche à produire lors du contrôle judiciaire une nouvelle preuve qui n’avait pas été présentée au tribunal. Contrairement aux décisions invoquées par le défendeur et dans lesquelles la Cour s’était penchée sur l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve soumis dans le cadre du contrôle judiciaire et qui n’avaient manifestement et visiblement pas été présentés à l’agent (Dayebga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 842 (CanLII), au par. 25; Kyere c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 120 (CanLII), aux par. 14 à 16), la présente affaire concerne des éléments de preuve qui avaient dûment été soumis à l’agent, attendu que la décision n’a été communiquée au demandeur que le 25 mars 2019.

[85]  La Cour a invariablement jugé que les agents sont tenus de considérer l’ensemble de la preuve susceptible d’influer sur la détermination, même après la rédaction de leur décision, pour autant que cette preuve soit reçue avant que le demandeur ne soit notifié que la décision a été rendue, ou avant la date à laquelle une décision sera prise, d’après les informations qui lui sont communiquées : Chudal, aux par. 13 à 16; Avouampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1239 (CanLII), au par. 21; Ayikeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1395 (CanLII), au par. 16.

[86]  Par conséquent, la Cour refuse de certifier la question proposée.

VII.  Conclusion

[87]  L’agent a commis l’erreur de ne pas appliquer le bon critère juridique à l’évaluation de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a eu tort de considérer la situation du demandeur sous l’angle strict des difficultés, contrairement aux instructions formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy.

[88]  Par ailleurs, l’agent n’a pas valablement examiné les facteurs sous-jacents qui ont forcé le demandeur à fuir la Corée du Sud ni les conditions actuelles dans ce pays qui attestent une tendance à la discrimination contre les transfuges nord-coréens. Aussi, l’agent n’a pas tenu compte des difficultés du demandeur en ce qui touche son état de santé mentale et les taux élevés de suicide en Corée du Sud. De plus, il a commis une erreur dans son traitement des allégations du demandeur portant qu’il serait victime de harcèlement et de discrimination en tant que transfuge. L’agent a déraisonnablement écarté des éléments de preuve cruciaux sur les conditions de vie du demandeur, et n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas pris en considération ou a écarté certains éléments de preuve (y compris l’affidavit du demandeur, la lettre du député Cho, l’étude parue dans le Asia Pacific Journal of Public Health, ainsi que la preuve sur les conditions dans le pays); toutes ces erreurs rendent la décision déraisonnable.

[89]  Par conséquent, il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[90]  Enfin, je rejetterai la demande du défendeur en vue de certifier une question, car je ne crois pas que la présente affaire soulève une question grave de portée générale au sens de l’alinéa 74d) de la LIPR.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1963-19

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de juillet 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1963-19

INTITULÉ :

KWANGJIN KIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 6 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge AHMED

DATE DES MOTIFS :

le 1er mai 2020

COMPARUTIONS :

Sumeya Mulla

POUR Le demandeur

Suzanne M. Bruce

POUR Le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR Le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR Le défendeur

 

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