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Date : 20200604


Dossier : T‑1304‑16

Référence : 2020 CF 668

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2020

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

CANADA RNA BIOCHEMICAL INC.

demanderesse

et

CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La lumbrokinase est un complexe d’enzymes du lombric. Elle présente des propriétés de « fibrinolyse », c’est‑à‑dire qu’elle favorise la dégradation des caillots de sang. Ce type de produit est souvent appelé « anticoagulant », mais il n’éclaircit pas véritablement le sang. Canada RNA Biochemical Inc (C‑RNA) a demandé une licence de produit de santé naturel (PSN) pour ses capsules de lumbrokinase à administration par voie orale, de marque Boluoke. C‑RNA a mis l’accent sur les propriétés de fibrinolyse de Boluoke et souhaitait que les mentions « réduit la viscosité du sang » et « améliore la circulation » figurent sur l’étiquette.

[2]  Afin de démontrer l’innocuité et l’efficacité de la marque Boluoke, C‑RNA a déposé des renseignements sur l’utilisation de longue date des lombrics dans la médecine traditionnelle chinoise, des recherches et des études cliniques, ainsi que l’approbation et le bilan de la marque Boluoke au chapitre de l’innocuité dans d’autres pays. La Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance (DPSNSO) de Santé Canada craignait que les propriétés de fibrinolyse de la lumbrokinase ne comportent un risque possible de saignement interne. Il s’agissait tout particulièrement d’une préoccupation dans le contexte des PSN sans ordonnance. Santé Canada a conclu que les renseignements et les preuves déposés par C‑RNA ne permettaient pas de dissiper ces préoccupations, puisqu’elle n’a pas démontré de manière adéquate l’innocuité chez des populations saines. Par conséquent, Santé Canada a refusé la demande initiale de C‑RNA ainsi qu’une demande subséquente et a confirmé ce refus dans le cadre d’une nouvelle évaluation.

[3]  C‑RNA soutient que le refus de sa demande était déraisonnable. Elle fait valoir que Santé Canada a mal interprété le Règlement sur les produits de santé naturels, DORS/2003‑196 [Règlement sur les PSN], en interprétant des termes comme [traduction« population saine » et [traduction« risques‑avantages », qui ne figurent pas dans le Règlement. C‑RNA soutient également que Santé Canada a été déraisonnable en catégorisant Boluoke comme un produit à [traduction« risque élevé », en se fondant sur les données probantes de drogues injectables pour ce faire, alors que le Boluoke est un comprimé oral, et en adoptant une approche trop stricte à l’égard de la preuve qui traitait en réalité son produit comme un médicament qui n’est pas un PSN plutôt que comme un PSN. Elle affirme en outre que Santé Canada a fait fi de données probantes pertinentes et que son refus d’admettre que Boluoke était sécuritaire était déraisonnable.

[4]  Je conclus que le refus par Santé Canada de la demande de C‑RNA était raisonnable. L’approche de Santé Canada à l’égard du Règlement sur les PSN est conforme au texte, au contexte et à l’objet du Règlement, et Santé Canada a examiné soigneusement et raisonnablement les données probantes déposées par C‑RNA. Santé Canada est parvenu à un point de vue cohérent et raisonné sur le caractère adéquat de l’innocuité, et ce n’est pas le rôle de la Cour de se présenter comme tribunal d’examen scientifique pour contester cette décision.

[5]  C‑RNA soutient également que le refus était inéquitable sur le plan procédural. Elle se fonde sur de nombreux aspects de l’examen de Santé Canada, y compris la non‑divulgation de renseignements et de documents, l’utilisation de nouvelles lignes directrices qui n’étaient pas en place au moment de la demande originale et des irrégularités dans le processus de révision.

[6]  Je conclus également que le processus à l’origine du refus était équitable. C‑RNA avait été avisée des préoccupations de Santé Canada et a eu amplement l’occasion d’y réagir. C‑RNA n’a pas été convaincue de manière inappropriée de présenter de nouveau sa demande, et le principe de l’équité n’obligeait pas Santé Canada à divulguer les renseignements et les documents internes que C‑RNA aurait dû recevoir, selon elle. Il n’y a pas non plus d’indication selon laquelle C‑RNA a été lésée en raison de l’application de certaines directives plutôt que d’autres, et quoi qu’il en soit, la norme qui s’est appliquée du début à la fin a été celle énoncée dans le Règlement sur les PSN. Le processus de révision, bien qu’il n’ait pas été [traduction« typique » comme le reconnaît le ministre, a donné à C‑RNA la possibilité requise de se faire entendre avant la révision, et la décision finale a été rendue au terme d’une révision équitable de la demande par un agent compétent. Ce qu’il faut, c’est non pas la perfection, mais bien l’équité, et C‑RNA s’est vu offrir un processus équitable.

[7]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Questions à trancher

[8]  C‑RNA a structuré ses observations afin de tenir compte de trois aspects du refus par Santé Canada d’accorder une licence visant les PSN : l’interprétation du Règlement sur les PSN de Santé Canada; l’équité du processus; et le caractère raisonnable du refus de Santé Canada. Les premier et troisième aspects concernent le bien‑fondé de la décision, tandis que le deuxième est une question d’équité procédurale. Par conséquent, j’examinerai les questions comme suit :

  1. La décision de Santé Canada de refuser une licence pour la lumbrokinase de marque Boluoke de C‑RNA était‑elle déraisonnable, et en particulier :

  • 1) Santé Canada a‑t‑il commis une erreur dans son interprétation du Règlement sur les PSN et son approche à l’égard de celui‑ci;

  • 2) le refus était‑il déraisonnable à la lumière des renseignements déposés à l’appui de la demande?

  1. Le processus menant à la décision de Santé Canada de refuser une licence pour la lumbrokinase de marque Boluoke de C‑RNA était‑il inéquitable?

[9]  Pour évaluer ces questions, il est nécessaire d’examiner en profondeur le cadre réglementaire applicable aux PSN et l’historique des demandes de licence de mise en marché de C‑RNA pour le Boluoke. Je prendrai en considération ces questions avant de procéder à l’examen des arguments particuliers de C‑RNA.

III.  Le cadre réglementaire des produits de santé naturels

A.  Le contexte réglementaire

[10]  Promulgué en vertu de la Loi sur les aliments et drogues, LRC 1985, c F‑27 [LAD], le Règlement sur les PSN a créé un nouveau régime pour l’approbation et la réglementation des PSN. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale, ce régime est « différent tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel » du régime réglementant d’autres médicaments au titre du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870 : Canada (Santé) c The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101, au par. 8. J’utiliserai le terme [traduction« autres drogues » pour désigner les médicaments qui ne sont pas des PSN, puisque ces derniers sont visés par la définition de « drogue » de la LAD : LAD, art. 2 (« drogue »), al. 37(1.1)b); Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien‑être Social), 2015 CAF 227, au par. 4.

[11]  L’intention de traiter les PSN différemment des autres drogues se voit dans les règlements eux‑mêmes. Sauf disposition expresse contraire, le Règlement sur les aliments et drogues ne s’applique pas aux PSN : Règlement sur les PSN, art. 3, 60, 96–103.1; Winning Combination (CAF), au par. 8.

[12]  Le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait le Règlement sur les PSN, même s’il ne fait pas partie du Règlement, est un moyen utile pour comprendre son application : REIR, DORS/2003‑196, Gazette du Canada, Partie II, vol. 137, no 13, à la page 1571; Association de la police montée de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2015 CSC 1, au par. 113. Le REIR décrit les objectifs que le Règlement cherche à accomplir :

Le règlement est conçu de manière à permettre aux Canadiennes et aux Canadiens d’accéder facilement à des produits de santé naturels qui sont sécuritaires, efficaces et de grande qualité, tout en respectant la liberté de choix et la diversité philosophique et culturelle.

[13]  Les parties ont insisté sur différents aspects de cet énoncé de l’objet équilibré. Le ministre a fait ressortir l’importance fondamentale de la sécurité, tandis que C‑RNA a fait valoir que Santé Canada avait perdu de vue son mandat consistant à « respect[er] la liberté de choix et la diversité philosophique et culturelle ». Les deux principes sont importants pour le contexte des PSN. Cela dit, le Règlement sur les PSN et le contexte réglementaire dans lequel il a été promulgué mettent l’accent sur l’importance de la sécurité.

[14]  Le Règlement sur les PSN est né dans la foulée des recommandations contenues dans un rapport de 1998 du Comité permanent de la Santé de la Chambre des communes : REIR, à la p. 1572; Chambre des communes, Comité permanent de la Santé, Les produits de santé naturels : Une nouvelle vision (novembre 1998) (président : Joseph Volpe). C‑RNA se fonde sur ce rapport, soulignant qu’il énonce comme « principe directeur » que les « PSN ont leur nature propre et ne doivent pas être traités seulement comme des aliments ou comme des produits pharmaceutiques ». Je conviens que ce principe transparaît dans le Règlement sur les PSN et qu’il doit être reconnu dans l’interprétation des produits : voir, par exemple, Winning Combination (CAF), au par. 14.

[15]  Toutefois, un autre principe directeur pertinent dans le rapport est que « l’innocuité des PSN est primordiale ». En effet, le rapport mentionne que l’objectif commun des députés du Comité permanent était « que la santé des Canadiens soit le grand critère essentiel de toute analyse de la réglementation ». [non souligné dans l’original] Il convient de souligner que, bien que le ministre soit expressément tenu par le Règlement sur les PSN d’évaluer la sécurité et de prévenir le risque pour la santé, l’importance de la « liberté de choix et de la diversité philosophique et culturelle » existe uniquement comme principe sous‑jacent plutôt que comme critère désigné à des fins d’évaluation. Un examen du rapport du Comité permanent, le REIR, et le Règlement sur les PSN lui‑même confirment que, même si le règlement cherche à traiter les PSN en vertu d’un processus et de principes distincts de ceux d’autres drogues, cela ne doit pas être fait au détriment de la santé (dans son sens large) ou de la sécurité des Canadiens.

[16]  Cela concorde avec l’objectif de la LAD, la loi habilitant le Règlement sur les PSN. La Cour suprême du Canada a décrit l’objectif de la LAD comme étant « d’encourager la mise en marché de médicaments efficaces et non nocifs de façon à améliorer l’état de santé de la population » : AstraZeneca Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, au par. 12. Cette description s’applique également au Règlement sur les PSN : Winning Combination (CAF), au par. 58.

[17]  Bien que les régimes visant les PSN et d’autres drogues soient « différents tant sur le plan juridique que sur le plan opérationnel », ils n’existent pas séparément les uns des autres. La limite entre les PSN et d’autres drogues est tracée par la définition de « produit de santé naturel » qui figure au paragraphe 1(1) du Règlement sur les PSN, et par le paragraphe 2(2), selon lequel n’est pas considérée comme un PSN la substance qui doit être vendue sur ordonnance selon le Règlement sur les aliments et drogues. Avant 2012, les médicaments d’ordonnance figuraient à l’annexe F du Règlement sur les aliments et drogues; ils figurent maintenant sur la Liste des drogues sur ordonnance : Règlement sur les aliments et drogues, art. A.01.010 (« drogue sur ordonnance », « Liste des drogues sur ordonnance »); LAD, art. 29.1. Le REIR accompagnant le Règlement sur les PSN précise à la page 1577 que le paragraphe 2(2) « permet de distinguer clairement les médicaments vendus sur ordonnance des PSN » et affirme ce qui suit :

Ceci précise l’objectif de la politique d’origine du règlement sur les PSN visant la réglementation des substances qui sont sécuritaires pour utilisation en vente libre. Le règlement n’a pas pour objet de retirer des substances de l’annexe F ni de réglementer des substances qui nécessitent une ordonnance ou dont la marge de sécurité est étroite.

[18]  Pour décider s’il convient de modifier la Liste des drogues sur ordonnance en ce qui concerne une drogue, le ministre vérifie si la surveillance d’un praticien est nécessaire et si le « degré d’incertitude » que suscite la drogue justifie une telle surveillance : Règlement sur les aliments et drogues, art. C.01.040.3. Ainsi, si une substance vendue pour traiter, atténuer ou prévenir une maladie (c.‑à‑d. une drogue) soulève des problèmes ou des incertitudes qui donnent à penser qu’elle devrait être utilisée sous surveillance médicale, alors elle peut être envisagée à des fins d’inclusion sur la Liste des drogues sur ordonnance, ce qui l’exclurait du Règlement sur les PSN : LAD, article 2 (« drogue »); Règlement sur les aliments et drogues, art. C.01.040.3; Règlement sur les PSN, par. 2(2). C’est une des questions qui ont été soulevées dans l’examen du Boluoke de Santé Canada.

[19]  Ce contexte est la toile de fond concernant les dispositions particulières du Règlement sur les PSN qui sont en cause dans la présente affaire, c’est‑à‑dire l’alinéa 5g) et l’article 7. Ces dispositions se trouvent dans la partie 1 du Règlement sur les PSN, qui porte sur les licences de mise en marché des produits.

B.  Les dispositions réglementaires en cause

[20]  Les PSN ne peuvent être vendus au Canada que si une licence de mise en marché a été délivrée à leur égard : Règlement sur les PSN, article 4. L’article 5 du Règlement sur les PSN décrit ce qui doit être déposé dans le cadre d’une demande de licence de mise en marché, y compris des renseignements montrant l’« innocuité et efficacité » du PSN. Lorsque C‑RNA a présenté une demande de licence de mise en marché, l’alinéa 5g) prévoyait ce qui suit :

Demande

Licence Application

5 La demande de licence de mise en marché est présentée au ministre et comporte les renseignements et documents suivants :

5 An application for a product licence shall be submitted to the Minister and shall contain the following information and documents:

[…]

[…]

(g) les renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité du produit lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées;

g) information that supports the safety and efficacy of the natural health product when it is used in accordance with the recommended conditions of use;

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[21]  En 2018, une modification apportée à la version anglaise de l’alinéa 5g) a changé le mot « supports » pour « demonstrates », de telle sorte que la disposition est maintenant libellée comme suit : « information that demonstrates the safety and efficacy of the natural health product […] ». Bien que les renseignements montrant (« demonstrates ») l’innocuité et l’efficacité pourraient à première vue laisser entendre une norme plus élevée que les renseignements qui se contentent de l’appuyer (« supports »), une lecture plus attentive révèle que les termes sont synonymes dans ce contexte et que la modification visait simplement des fins de clarification plutôt qu’un changement important.

[22]  D’autres dispositions dans le règlement – tant avant qu’après la modification – renvoient de manière importante au fait qu’un demandeur ou un titulaire doit fournir des renseignements « montrant » (« demonstrating ») que le PSN est sûr et efficace : Règlement sur les PSN, al. 11(2)c), art. 16, al. 17(1)b), al. 17(2)a). Cela comprend l’article 11, qui porte sur les demandes de modification d’une licence de mise en marché, qui doivent comprendre « des renseignements montrant que, par suite du changement apporté, le produit est sûr et efficace » : Règlement sur les PSN, al. 11(2)c). Il serait incongru d’exiger une norme différente touchant les renseignements sur l’innocuité et l’efficacité au moment de la première présentation d’une demande de licence et au moment de sa modification. C’est tout particulièrement le cas, vu que la version française, qui n’a pas été modifiée, utilise le même verbe « montrer » dans chaque article : Règlement sur les PSN, al. 5g), 11(2)c).

[23]  Le REIR accompagnant le règlement modificatif confirme que la modification visait à corriger une des nombreuses divergences relevées entre les versions française et anglaise des divers règlements : REIR, Règlement correctif visant certains règlements (ministère de la Santé), DORS/2018‑69, Gazette du Canada, Partie II, vol. 152, no 8, p. 775 à 779. À des fins d’exactitude, je fais également mention du principe voulant que les modifications ne supposent pas de changement du droit : Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, par. 45(2)–(3).

[24]  Par conséquent, j’interpréterai le mot « supports » à l’alinéa 5g) de la version anglaise tel qu’il était interprété avant 2018, soit comme un synonyme du mot « demonstrates ». Le sens de la disposition dans son ensemble, et en particulier le fait de savoir si elle crée un critère auquel le demandeur doit satisfaire, est examiné plus bas.

[25]  À l’alinéa 5g) du Règlement, les « conditions d’utilisation recommandées » signifient l’usage ou les fins recommandées, la forme posologique, la voie d’administration recommandée, la dose recommandée, la durée d’utilisation recommandée et les mentions de risques : Règlement sur les PSN, par. 1(1) (« conditions d’utilisation recommandées »). Conformément à l’alinéa 5f), la demande de mise en marché comporte les conditions d’utilisation recommandées du PSN.

[26]  L’autre disposition particulièrement pertinente en ce qui concerne les arguments de C‑RNA est l’article 7 du Règlement sur les PSN, qui est ainsi libellé :

Délivrance et modification

Issuance and Amendment

7 Le ministre délivre ou modifie la licence de mise en marché si les conditions suivantes sont réunies :

7 The Minister shall issue or amend a product licence if

a) le demandeur présente au ministre une demande conforme à l’article 5 ou au paragraphe 11(2), selon le cas;

(a) the applicant submits an application to the Minister that is in accordance with section 5 or subsection 11(2), as the case may be;

b) le demandeur fournit au ministre les renseignements complémentaires ou les échantillons demandés en vertu de l’article 15;

(b) the applicant submits to the Minister all additional information or samples requested under section 15;

c) le demandeur ne fait pas de déclaration fausse ou trompeuse dans sa demande;

(c) the applicant does not make a false or misleading statement in the application; and

d) la délivrance ou la modification de la licence ne risque pas de causer un préjudice à la santé de l’acheteur ou du consommateur.

(d) the issuance or amendment of the licence, as the case may be, is not likely to result in injury to the health of a purchaser or consumer.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added.]

[27]  Pour qu’une licence de mise en marché soit délivrée, l’alinéa 7a) prévoit que la demande doit être « conforme à l’article 5 ». Pour être « conforme à l’article 5 », la demande doit, notamment, comporter les renseignements montrant l’innocuité et l’efficacité prévus à l’alinéa 5g). Santé Canada traite l’alinéa 7a) comme s’il comportait une exigence importante visant à montrer l’innocuité et l’efficacité d’un produit. Cela peut être observé dans le rapport d’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité (REIE), utilisé dans l’évaluation des demandes visant des PSN. Le formulaire de REIE utilisé par Santé Canada comprend des cases à cocher liées au refus possible d’une demande, y compris des [traduction« renseignements insuffisants pour appuyer l’innocuité du produit (7a) » et des [traduction« renseignements insuffisants pour appuyer l’efficacité du produit (7a) ». [Le soulignement et le caractère gras figurent dans l’original.] Le formulaire du REIE contient également d’autres cases liées aux alinéas 7b), c) et d). La demande de C‑RNA a été refusée en application de l’alinéa 7a) au motif qu’elle contenait des renseignements insuffisants pour appuyer l’innocuité du Boluoke.

[28]  C‑RNA fait valoir que les alinéas 5g) et 7a) créent non pas une norme de fond, mais uniquement une exigence administrative pour ce qui est de déposer des renseignements à l’égard de l’innocuité et de l’efficacité d’un produit. D’après C‑RNA, la norme de fond concernant l’innocuité figure à l’alinéa 7d), selon lequel l’approbation du PSN « ne risque pas de causer un préjudice à la santé de l’acheteur ou du consommateur ». Pour appuyer cette affirmation, elle se fonde sur la décision du juge Russell dans la décision Winning Combination Inc. c Canada (Santé), 2016 CF 381, qui a été renversée en partie par l’arrêt Winning Combination (CAF).

[29]  Je ne crois pas que le juge Russell est allé jusqu’à conclure que l’alinéa 5g) était une exigence purement administrative : Winning Combination (CF), aux par. 137‑142. À cet égard, je crois tout comme le ministre qu’il est déplacé pour C‑RNA de s’appuyer sur les paragraphes 42 à 46 de la décision, car ceux‑ci se contentent de résumer les arguments de la demanderesse. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où la décision du juge Russell peut être interprétée ainsi, celle‑ci a été dépassée par la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle, lorsque le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 7 du Règlement sur les PSN, il « doit être convaincu de l’innocuité et de l’efficacité du produit, mais il doit appliquer des normes différentes de celles prévues pour l’évaluation de nouvelles drogues » [non souligné dans l’original] : Winning Combination (CAF), au par. 58. À mon avis, cette déclaration et la structure du Règlement sur les PSN montrent que pour satisfaire au critère prévu à l’alinéa 7a), c’est‑à‑dire qu’une demande doit se conformer à l’article 5, le ministre doit être convaincu non seulement que le demandeur a déposé les renseignements sur l’innocuité et l’efficacité du produit, mais que les renseignements montrent que le PSN est sûr et efficace lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées. Cela concorde avec l’approche du ministre observée dans le REIE et dans son refus de la demande de C‑RNA.

[30]  Je ne suis pas non plus de l’avis que, pour montrer l’innocuité, un demandeur n’a qu’à démontrer que le PSN ne « risque pas de causer un préjudice à la santé de l’acheteur ou du consommateur », soit la norme énoncée à l’alinéa 7d). Le Règlement sur les PSN utilise l’expression « sûr lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées » et l’expression « causer un préjudice à la santé » pour dire deux choses différentes. Cela se voit au fait que les deux expressions apparaissent dans des dispositions différentes qui habilitent le ministre à cesser la vente de PSN, sous réserve d’exigences procédurales différentes. Si le ministre a des motifs de croire qu’un PSN n’est plus « sûr », il peut ordonner de cesser la vente, mais seulement après avoir demandé d’autres renseignements et fourni au titulaire l’occasion de répondre : Règlement sur les PSN, art. 16, al. 17(1)a)–b). Toutefois, si le ministre a des motifs de croire qu’un PSN peut causer un « préjudice à la santé », il doit suspendre la licence de mise en marché (ce faisant, cesser les ventes) sans donner au titulaire la possibilité de se faire entendre : Règlement sur les PSN, art. 19; voir également l’al. 4(3)a).

[31]  La capacité du ministre de cesser les ventes, s’il n’est plus convaincu que le produit est « sûr lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées », confirme qu’il s’agit d’une exigence de fond qui doit être établie par un titulaire. Les différentes exigences procédurales qui découlent de préoccupations soulevées au chapitre de l’« innocuité » et d’un « préjudice à la santé » confirment qu’elles représentent des normes de fond différentes. Un demandeur doit donc montrer non seulement que son produit ne risque pas de causer un « préjudice à la santé » (alinéa 7d)), mais qu’il est « sûr » lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées (alinéas 5g) et 7a)). Même si un produit qui est sûr lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées ne causera probablement pas de préjudice à la santé, je ne crois pas que cela rend l’alinéa 7d) redondant. Il convient de souligner que l’innocuité est énoncée conjointement avec l’efficacité à l’alinéa 5g), une question qui est examinée davantage plus bas dans le cadre de l’analyse des « risques‑avantages ». Toutefois, l’alinéa 7d) confirme que, si un produit « risque de causer un préjudice », aucune licence ne peut être délivrée, peu importe l’efficacité du produit.

[32]  Comme dernier point concernant l’examen des dispositions, l’alinéa 7b) renvoie à l’article 15 du Règlement sur les PSN. Cet article dit que, lorsque les renseignements et les documents fournis dans la demande présentée au titre de l’article 5 ne « sont pas suffisants pour permettre [au ministre] de décider si la licence doit être délivrée », le ministre peut demander que le demandeur lui fournisse des renseignements complémentaires qui sont « nécessaires à cette fin ». La pratique de la DPSNSO est de faire parvenir de telles demandes sous forme d’un avis de demande de renseignement (ADR).

C.  Les lignes directrices du ministre

[33]  Au fil du temps, la DPSNSO a publié un certain nombre de documents d’orientation afin d’aider l’industrie, le public et ses propres décideurs à comprendre et à appliquer le Règlement sur les PSN. Ces lignes directrices ont longtemps été réputées appropriées, utiles et même persuasives. Toutefois, elles n’ont pas force de loi et ne peuvent pas servir à modifier, à limiter ou à qualifier des dispositions législatives ou réglementaires : Maple Lodge Farms Ltd c Canada, [1982] 2 RCS 2, aux pages 3–4, 6–7, conf [1981] 1 CF 500 (CA), aux p. 513–514; Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 270, au par. 37. En l’espèce, les lignes directrices publiées en 2006 et en 2012 sont en cause.

1)  La ligne directrice de 2006

[34]  En 2006, la DPSNSO (alors connue sous le nom de « Direction des produits de santé naturels ») a publié un document d’orientation intitulé « Preuves attestant l’innocuité et l’efficacité des produits de santé naturels finis (Version 2.0) ». Cette ligne directrice de 2006 contenait une épigraphe qui soulignait le rôle de la Direction, utilisant un libellé qui reprend celui du REIR, tel que cité au paragraphe  [12]  :

« Notre rôle consiste à s’assurer que la population canadienne a un accès rapide à des produits de santé naturels sécuritaires, efficaces et de grande qualité, tout en respectant la liberté de choix ainsi que la diversité philosophique et culturelle. » – Direction des produits de santé naturels

[35]  Conformément à la ligne directrice de 2006, l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité d’un PSN « comprend une évaluation des conditions d’utilisation recommandées, sa pertinence dans l’autogestion de la santé et la totalité des preuves existantes liées au PSN ». Elle poursuit en fournissant d’autres détails sur ce que signifient les « conditions d’utilisation recommandées », l’« autogestion de la santé » et l’« ensemble des preuves ». La ligne directrice de 2006 définit également une approche dans le cadre de laquelle les « allégations relatives à la santé » d’un produit sont divisées en deux catégories : les allégations relatives à l’utilisation traditionnelle et les allégations relatives à l’utilisation non traditionnelle. Une « allégation relative à la santé » est une énonciation des bienfaits attendus si le consommateur utilise un PSN comme produit qui « contribue au maintien de gencives saines » ou « réduit le cholestérol sanguin ».

[36]  Les allégations relatives à l’utilisation traditionnelle reposent sur la somme des connaissances, des techniques, des théories, des croyances et des expériences provenant de différentes cultures. Ces allégations doivent être présentées à l’aide de qualificatifs qui reconnaissent l’utilisation traditionnelle, comme [traduction« utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise pour […] ». Les allégations relatives à l’utilisation non traditionnelle n’ont pas recours à de tels qualificatifs et sont étayées par des preuves scientifiques, comme des essais cliniques. La ligne directrice de 2006 a défini des types de preuves qui pourraient servir à étayer les allégations relatives à l’utilisation traditionnelle et les allégations relatives à l’utilisation non traditionnelle. D’autres types de PSN, y compris des médicaments homéopathiques, sont examinés dans le cadre d’autres lignes directrices.

[37]  Je signale que le ministre s’est initialement opposé à ce que C‑RNA dépose la ligne directrice de 2006 dans le cadre de la présente demande, puisque cela ne faisait pas partie du dossier certifié du tribunal. Son dépôt a été admis selon les directives du protonotaire Aalto, qui agissait comme juge responsable de la gestion de l’instance, sous réserve de certains arguments relatifs à son admissibilité. Aucun argument ne m’a été présenté. Dans ses observations, le ministre s’est attaché, de manière appropriée à mon avis, à répondre aux arguments de C‑RNA concernant la ligne directrice.

2)  Les lignes directrices de 2012

[38]  En 2012, dans le cadre d’une nouvelle approche annoncée à l’égard des PSN, la ligne directrice de 2006 a été remplacée par deux documents d’orientation distincts. Ces deux documents examinaient des concepts semblables aux deux catégories d’allégations relatives à la santé décrites dans la ligne directrice de 2006. Les [traduction« médicaments traditionnels » ont été examinés dans une nouvelle ligne directrice intitulée « Cheminement des demandes de licences de mise en marché des produits de santé naturels utilisés comme remèdes traditionnels ». Les produits qui faisaient l’objet d’« allégations santé fondées sur des preuves modernes » ont été examinés dans une nouvelle ligne directrice intitulée « Cheminement des demandes de licence de mise en marché des produits de santé naturels qui font l’objet d’allégations santé fondées sur des preuves modernes ». La demande de licence de mise en marché de 2013 présentée par C‑RNA se voulait [traduction« non traditionnelle ». Le document « Cheminement des demandes de licence de mise en marché des produits de santé naturels qui font l’objet d’allégations santé fondées sur des preuves modernes » est donc la ligne directrice pertinente, et je la désignerai comme la [traduction« ligne directrice de 2012 ».

[39]  L’objectif de la politique énoncée dans la ligne directrice de 2012 est de « [f]ournir l’assurance raisonnable que les PSN vendus au Canada sont sans danger et efficaces lorsqu’ils sont utilisés selon les conditions d’utilisation recommandées ». La ligne directrice décrit une approche d’évaluation fondée sur le risque en matière d’innocuité et d’efficacité, dans laquelle le type et le niveau de preuves pouvant être fournis à l’appui d’une demande dépendent des allégations santé proposées du produit et de son profil de risque général.

[40]  L’approche décrite dans la ligne directrice de 2012 comprend une catégorisation des produits en niveaux de risque : faible, moyen et élevé. La catégorie « niveau de risque élevé » s’applique aux PSN présentant la marge de sécurité et la gamme de doses efficaces les plus étroites ainsi qu’aux PSN destinés au traitement, à la guérison et à la prévention de maladies graves, y compris de celles visées à l’annexe A (maintenant l’annexe A.1) de la LAD. L’introduction de ces catégories, et en particulier la catégorisation du Boluoke dans le niveau de risque élevé, est à l’origine de certains des arguments de C‑RNA. La ligne directrice de 2012 offre une orientation quant à la nature des preuves qui peuvent être déposées pour montrer l’innocuité et l’efficacité du produit, y compris un tableau qui présente les preuves acceptées comme preuves minimales pour chaque catégorie de risque.

IV.  Demande de C‑RNA pour une licence de mise en marché d’un PSN pour le Boluoke

[41]  C‑RNA a déposé deux demandes de licence de mise en marché d’un PSN pour le Boluoke, une en 2006, et l’autre, en 2013, après que la première a été refusée. C‑RNA demande le contrôle judiciaire uniquement du refus de sa deuxième demande. Il s’agit d’une demande appropriée, vu que la demande de 2006 a été rejetée il y a de nombreuses années et que ce rejet n’a pas été contesté, C‑RNA choisissant de déposer plutôt sa demande de 2013. Je tiens compte du fait que la demande de 2006 s’applique aux questions en matière d’équité procédurale soulevées par C‑RNA, et de son argument selon lequel la deuxième demande aurait dû être prise en considération conformément à la ligne directrice de 2006. Par conséquent, je résumerai brièvement le processus qui a mené à son refus. Cependant, la décision de fond faisant l’objet du contrôle est le refus de 2015 de la deuxième demande, réexaminée et confirmée en 2016.

A.  La première demande

[42]  La première demande de licence de mise en marché de C‑RNA pour le Boluoke a été déposée en mars 2006; C‑RNA demandait l’approbation du Boluoke comme un PSN visé par une « allégation traditionnelle » afin de [traduction« réduire la viscosité sanguine » et d’ [traduction« améliorer la circulation ». La demande renfermait des renseignements concernant le processus de fabrication, ainsi qu’un résumé de preuves désignant diverses études scientifiques et fournissant des aperçus narratifs du produit et des données scientifiques. Elle joignait également des copies de documents concernant l’utilisation de lombrics dans l’alimentation et la médecine traditionnelle et proposait un étiquetage pour le Boluoke.

[43]  En avril 2009, la DPSNSO a émis à l’intention de C‑RNA un ADR qui classifiait le Boluoke comme un PSN « non traditionnel ». Bien que cela ne soit pas décrit dans l’ADR, il semble que la classification du Boluoke comme médicament « non traditionnel » tenait au fait qu’il s’agissait non seulement de lombrics, qui auraient été utilisés dans la médecine traditionnelle chinoise, mais aussi de l’extraction à l’aide de méthodes non traditionnelles du complexe enzymatique contenu dans les lombrics. Selon l’ADR, les preuves déposées par C‑RNA n’avaient pas été jugées adéquates pour appuyer l’innocuité et l’efficacité, la DPSNO signalant notamment que les preuves animales ou in vitro avaient été fournies comme unique source pour prouver l’innocuité ou l’efficacité. C‑RNA a été invitée à fournir d’autres preuves à l’appui de l’innocuité et de l’efficacité de la lumbrokinase, selon les conditions d’utilisation recommandées, et il a été fait mention des critères figurant dans la ligne directrice de 2006 pour l’évaluation des preuves.

[44]  En réponse à l’ADR de 2009, C‑RNA n’a pas déposé d’autres preuves, mais elle a dit qu’elle [traduction« ne voyait pas les lacunes qui avaient été mentionnées » et a résumé les renseignements déjà fournis. C‑RNA a affirmé qu’elle croyait avoir [traduction« fourni l’observation la plus complète qu’il est possible de s’attendre de recevoir d’un demandeur de produits de santé naturels » et a demandé à la DPSNSO, si elle jugeait toujours l’observation insuffisante, d’ [traduction« être très précise quant au type de preuves qu’[elle] exigeait encore ».

[45]  La DPSNSO a émis un autre ADR en août 2011. Celui‑ci mentionnait que la DPSNSO avait cerné des risques possibles pour la santé associés à l’utilisation de trois enzymes de fibrinolyse naturels, la nattokinase, la lumbrokinase et la serratiopepsidase. Le passage suivant qui fait référence à des agents fibrinolytiques intraveineux, contre lesquels C‑RNA s’inscrit en faux, figurait dans son examen de cette préoccupation :

[traduction]

Les données sur une activité de fibrinolyse chez l’humain sont peu nombreuses, mais les données existantes indiquent des effets indésirables ou sont préoccupantes en ce qui concerne l’innocuité des enzymes de fibrinolyse chez l’humain (Hsia et coll. 2009; Change [sic] et coll. 2008; Kim et coll. 2008). En outre, les agents de fibrinolyse sont généralement administrés par voie intraveineuse et sous la surveillance d’un médecin puisqu’ils servent à traiter des patients ayant une affection grave (p.ex. infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral aigué causé par un caillot, thromboembolie artérielle) et, par conséquent, ne sont pas considérés appropriés dans le cadre de « soins auto‑administrés ». En outre, les contre‑indications graves de ces produits comme les hémorragies internes actives, les accidents cérébrovasculaires hémorragiques, la diathèse hémorragique, la grossesse, l’hypertension non contrôlée, les interventions effractives pour lesquelles l’homéostasie est importante, et les traumatismes récents – notamment la réanimation cardiopulmonaire énergique (Rang et coll. 2009), sont aussi jugées être des préoccupations potentielles relatives à l’innocuité associées aux produits à prendre par voie orale, car il n’existe pas d’essais cliniques montrant l’innocuité à long terme des enzymes de fibrinolyse.

[Non souligné dans l’original.]

[46]  L’ADR de 2011 a conclu qu’il fallait plus de preuves cliniques pour montrer que les bienfaits pour la santé d’un produit contenant un de ces enzymes l’emportaient sur les risques de leur utilisation sans la surveillance d’un médecin. Il mentionnait que des preuves adéquates devaient être déposées afin d’[traduction« appuyer l’innocuité de la population saine générale et non pas d’une sous‑population qui sera surveillée de près par un médecin (p. ex. patients souffrant d’hypertension, patients ayant subi un infarctus aigu du myocarde) ». Il énonçait également une série de raisons pour lesquelles les preuves dans la demande de licence étaient insuffisantes.

[47]  C‑RNA a répondu à l’ADR de 2011 en fournissant un certain nombre de révisions de sa demande, ainsi que des études et des références supplémentaires. C‑RNA a soutenu que les préoccupations concernant les enzymes de fibrinolyse ne s’appliquaient pas à la lumbrokinase, car aucune des recherches mentionnées par la DPSNSO ne sous‑entendait précisément que la lumbrokinase était une préparation enzymatique à risque élevé. Elle a aussi affirmé que la fibrinolyse par voie intraveineuse n’aurait aucun effet si elle était administrée par voie orale et que la fibrinolyse administrée par voie orale comportait un profil plus sécuritaire.

[48]  Un autre ADR délivré en 2013 soulevait des questions semblables à celles évoquées dans l’ADR de 2011 et énonçait dans une liste en 14 points les lacunes recensées dans les études déposées par C‑RNA. Il renvoyait C‑RNA à la ligne directrice de 2012, qui avait été publiée dans l’intérim, et demandait à C‑RNA de fournir des preuves pour appuyer l’innocuité et l’efficacité du produit chez les humains, en tenant compte des exigences concernant un produit de niveau de « risque élevé ». Dans sa réponse à l’ADR de 2013, C‑RNA a inclus ses réponses à la liste des lacunes recensées et a exprimé son désaccord avec l’analyse de la DPSNSO sur un certain nombre de questions. Elle a aussi fourni des références supplémentaires et des documents à l’appui et soulevé une préoccupation selon laquelle l’approche de la DPSNSO à l’égard des preuves convenait davantage à d’autres drogues qu’aux PSN.

[49]  Le 17 septembre 2013, la DPSNSO a publié un avis de refus. La DPSNSO a signalé que, en raison de l’incohérence et de l’incertitude entourant les données, elle ne pouvait pas conclure que le Boluoke ne présentait pas un risque de saignement chez une sous‑population saine en raison de son potentiel anticoagulant, antiplaquettaire et fibrinolytique. La DPSNSO a conclu qu’il n’était pas possible d’établir un [traduction« profil de risques‑avantages » favorable pour appuyer les allégations santé et elle a mentionné que le risque de saignement interne ne pouvait pas être atténué dans le cas d’une utilisation en vente libre. En particulier, la DPSNSO a constaté que la plupart des données cliniques provenaient de [traduction« populations présentant un état d’hypercoagulabilité » qui ne s’appliquent pas directement à une sous‑population saine qui fait une utilisation en vente libre.

[50]  Le terme « état d’hypercoagulabilité » renvoie à une prédisposition à avoir des caillots sang. Comme il est expliqué dans un document scientifique de présentation utile approuvé par les parties et déposé à la suite d’une ordonnance du protonotaire Aalto, la coagulation sanguine dépend d’un équilibre entre la coagulation (formation de caillot) et la fibrinolyse (dissolution du caillot). Lorsque la coagulation l’emporte sur la fibrinolyse, il y a hypercoagulabilité. À l’inverse – dans l’état d’hypocoagulabilité – les risques d’hémorragie sont élevés. Santé Canada est surtout préoccupé par le fait que si la coagulation est déjà à l’équilibre (ou est déjà dans un état d’hypocoagulabilité), introduire une fibrinolyse pourrait induire un état d’hypocoagulabilité (sinon un état plus grave), accompagné d’un risque d’hémorragie interne. Il se peut donc que les études menées avec des sujets présentant un état d’hypercoagulabilité ne permettent pas d’établir l’innocuité des produits chez les sujets qui sont pas dans cet état.

B.  La deuxième demande

[51]  Après le refus de 2013, il y a eu une communication entre la DPSNSO et C‑RNA au sujet d’une voie possible permettant la délivrance d’une licence pour la lumbrokinase dans le cadre d’un programme destiné à un [traduction« usage professionnel ». Peu de preuves ont été déposées devant moi concernant la nature de ce programme. Un échange de courriels entre des employés de Santé Canada faisait référence à un [traduction« cadre visant les médicaments sans ordonnance, qui ne font pas partie d’une annexe, à usage professionnel », donnant à penser qu’il existait un cadre ou un programme visant à englober les produits sans ordonnance avec un certain degré de surveillance professionnelle ou qu’un tel cadre ou programme était prévu. Toutefois, aucun document, aucune ligne directrice, ni aucun autre détail sur le cadre n’ont été déposés. Quoi qu’il en soit, à la lumière des documents déposés et de l’analyse subséquente de la question, il semble que l’idée visait une certaine forme d’approbation supposant la surveillance ou la supervision de professionnels de la santé pendant une certaine période afin de permettre l’accumulation de données d’innocuité post‑commercialisation avant que le produit ne soit offert en vente libre.

[52]  C‑RNA a soumis à nouveau sa demande le 2 janvier 2014, dans laquelle elle demandait une licence visant des PSN pour le Boluoke dans la catégorie d’utilisation « non traditionnelle ». C‑RNA a mentionné dans une lettre d’accompagnement qu’elle avait décidé d’[traduction« accepter la suggestion de la DPSN » et qu’elle soumettait à nouveau la demande au titre de [traduction« la nouvelle catégorie pour les PSN exigeant la surveillance d’un médecin ». La demande renfermait de nouvelles preuves à l’appui, mais l’essentiel des preuves provenait de ses observations précédentes. Même si le formulaire de demande de licence de mise en marché en soi contenait les mêmes allégations relatives à la santé que la première demande, c’est‑à‑dire « [de] rédui[re] la viscosité du sang » et « [d’]améliore[r] la circulation/l’hémorrhéologie », un rapport sommaire sur l’efficacité et les preuves signalait qu’elle réclamait les allégations qui se limitaient à la réduction de la viscosité du sang et à l’amélioration de la circulation dans un « état d’hypercoagulabilité ».

[53]  La DPSNSO a publié un ADR le 13 août 2014. Celui‑ci réitérait le point de vue selon lequel, comme cela avait été communiqué dans le refus de 2013 :

[traduction]

[…] l’ensemble des données d’essais cliniques pour la lumbrokinase n’ont pas une qualité suffisante pour fournir la garantie selon laquelle le produit ne présente pas un risque de saignement interne. Puisque le saignement interne est un risque de santé grave qui ne peut être atténué au moyen d’un étiquetage et être autodiagnostiqué, la DPSNSO est d’avis que les preuves actuelles ne permettent pas d’appuyer son utilisation sécuritaire comme produit en vente libre.

[54]  L’ADR indiquait également que la DPSNSO avait envisagé l’option de limiter la vente de la lumbrokinase aux professionnels des soins de santé. Pour ce faire, elle a consulté un [traduction« hématologue pratiquant à l’externe » pour voir si un plan de surveillance post‑commercialisation pouvait être élaboré afin de gérer les risques et d’obtenir des données sur l’innocuité postcommercialisation. D’après cette consultation, la DPSNSO a conclu que les épreuves disponibles ne pouvaient pas servir à prédire le risque de saignement, et la surveillance des médecins se limiterait à réagir aux symptômes évocateurs de saignements. Une telle stratégie de gestion n’a pas été considérée comme appropriée compte tenu de l’équilibre risques‑avantages. Il a aussi été affirmé que l’examen par l’hématologue des données cliniques renforçait le point de vue de la DPSNSO selon lequel les données n’appuyaient pas l’innocuité de la lumbrokinase pour un usage général. Par conséquent, la DPSNSO a demandé à C‑RNA des données cliniques supplémentaires.

[55]  Au terme de quelques appels et échanges de courriel visant à dissiper les préoccupations, C‑RNA a répondu à l’ADR de 2014 en octobre. Cette réponse renfermait une prétention selon laquelle l’examen par Santé Canada des données probantes se révélait [traduction« pointilleux » et ne reposait pas sur les faits, et il a été suggéré que la DPSNSO s’était [traduction« écartée de ses principes fondateurs originaux ». C‑RNA a fourni des observations approfondies sur ces principes fondateurs et a résumé les données probantes sur la lumbrokinase et son innocuité. Elle a encore une fois critiqué l’hypothèse voulant que la lumbrokinase comportait un risque de saignement et sa catégorisation comme produit présentant un niveau de « risque élevé ». Pour contrer les conclusions de l’hématologue, C‑RNA a fourni quatre rapports d’experts qui décrivaient les épreuves de surveillance possibles et discutaient de l’innocuité de la lumbrokinase. C‑RNA a également décrit d’autres stratégies en matière d’atténuation des risques, y compris des épreuves en laboratoire afin de recenser les patients qui présentent une hypercoagulabilité.

[56]  Le 23 juin 2015, la DPSNSO a refusé la deuxième demande. L’avis de refus de 2015 répétait que les données probantes étaient insuffisantes pour appuyer l’innocuité du Boluoke à des fins d’utilisation en vente libre, puisque les données d’essais cliniques se limitaient principalement à l’état d’hypercoagulabilité et n’appuyaient pas la délivrance d’une licence pour une population saine. Elle a encore une fois souligné que le risque de saignement interne ne pouvait être autodiagnostiqué ni atténué au moyen d’un étiquetage.

[57]  En ce qui a trait à l’option d’un usage professionnel, le refus de 2015 a signalé qu’il devrait s’agir d’une mesure temporaire pour un accès au marché, car un produit devant faire l’objet d’une surveillance et d’une supervision continues devrait satisfaire aux critères de réglementation indiqués dans la Liste des drogues sur ordonnance dans le Règlement sur les aliments et drogues. La DPSNSO a conclu que l’octroi d’une licence pour un PSN destiné à un usage professionnel n’était pas appuyé, puisqu’il n’y avait au Canada aucune surveillance validée pour la lumbrokinase qui pourrait servir à surveiller le risque de saignement. La DPSNSO a pris en considération les options de surveillance analysées dans les rapports d’experts, mais a conclu qu’elles n’étaient pas recommandées, parce qu’elles n’étaient pas offertes au Canada et qu’elles ne présentaient pas de gamme de référence validée de manière appropriée pour prédire les saignements. Des préoccupations au sujet de la faisabilité de la collecte de données durant la période d’utilisation professionnelle ont aussi été soulevées, notamment parce que de telles données se concentreraient encore une fois probablement sur des patients ayant présenté un état d’hypercoagulabilité; par conséquent, elles n’établiraient pas l’innocuité chez une population saine.

C.  Révision/réévaluation et refus

[58]  C‑RNA a demandé une révision du refus de 2015 en vertu de l’article 9 du Règlement sur les PSN. Conformément à cet article, lorsque le demandeur présente une demande de révision d’un refus, le ministre, à la fois : donne au demandeur « la possibilité de se faire entendre »; reconsidère la demande de licence après avoir donné au demandeur la possibilité de se faire entendre : Règlement sur les PSN, par. 9(2)–(3). Après la révision, le ministre délivre la licence si les conditions de l’article 7 sont réunies, autrement un « avis final » exposant les motifs du refus sera délivré : Règlement sur les PSN, art. 10.

[59]  La demande de révision de C‑RNA a soulevé deux questions principales : 1) la classification de la lumbrokinase comme produit présentant un niveau de « risque élevé »; et 2) une préoccupation selon laquelle la DPSNSO avait [traduction« fait sélectivement fait fi » de la plupart des preuves. En ce qui a trait à chacune de ces questions, C‑RNA a soulevé un certain nombre de sous‑arguments. En plus de ses préoccupations de fond, C‑RNA a présenté des requêtes concernant la sélection des agents de révision et demandé une réunion en personne afin de présenter sa cause et de répondre à des questions.

[60]  Après réception de la demande de révision, Santé Canada a effectué un examen interne. Avant d’organiser une rencontre avec C‑RNA, il a conclu qu’il existait des préoccupations quant à la façon dont les éléments de preuve voulus et les critères de la Liste des drogues sur ordonnance avaient été communiqués à C‑RNA avant le refus de 2015. Santé Canada a donc choisi de [traduction« rétablir » la demande. Le 24 septembre 2015, la DPSNSO a envoyé un « avis final » sur la révision, informant C‑RNA que la [traduction« présentation recommencerait à l’évaluation et que la lettre servait d’avis de rétablissement de la présentation ». La DPSNSO a fait savoir que, durant cette autre évaluation, elle pourrait exiger de plus amples renseignements et a offert la possibilité de rencontrer la DPSNSO si C‑RNA le demandait toujours.

[61]  C‑RNA a accepté l’offre d’une rencontre de la DPSNSO, et une telle rencontre a été prévue pour le 2 décembre 2015. Lors de cette rencontre, des représentants de C‑RNA ont rencontré des employés de la DPSNSO et fourni un exposé écrit et oral. L’exposé décrivait l’argumentation de C‑RNA concernant la délivrance d’une licence, soulevait des questions touchant [traduction« les mesures prises et les justifications » de la DPSNSO à ce jour et posait la question : [traduction« Que faudrait‑il pour que la DPSNSO approuve la lumbrokinase? » À la conclusion de la rencontre, les parties ont convenu que la DPSNSO s’attacherait à terminer son examen de la demande avant la fin de janvier 2016.

[62]  La DPSNSO a envoyé un autre ADR le 1er février 2016. Encore une fois, celui‑ci mentionnait que les preuves déposées étaient insuffisantes pour étayer l’usage sécuritaire de la lumbrokinase et demandait d’autres preuves. L’ADR fournissait une réponse précise à quatre études qui avaient été citées dans la demande de C‑RNA et constatait que la plupart des preuves fournies par C‑RNA [traduction« concernaient des conditions qui violent les principes et les facteurs utilisés pour établir un statut d’ordonnance pour des produits de santé et ne suffisent pas à appuyer l’usage sécuritaire de ce produit dans la sous‑population cible ». L’ADR expliquait plus en détail les principes qui sous‑tendent la détermination du statut d’ordonnance et mentionnait que les usages recommandés proposés pour le Boluoke n’étaient pas acceptables, puisque les conditions (viscosité sanguine et hémorrhéologie) évoquent des considérations qui ne devraient pas être examinées sans la participation d’un professionnel de la santé.

[63]  C‑RNA a répondu à l’ADR de 2016, faisant de nouveau valoir sa cause et répondant aux préoccupations soulevées par rapport aux études, mais ne fournissant aucun nouveau renseignement.

[64]  Le 8 juillet 2016, Santé Canada a envoyé un dernier avis à C‑RNA, dans lequel il indiquait qu’il maintenait la décision de refuser de délivrer une licence de mise en marché. À la décision était joint un Résumé analytique de la question (RAQ) préparé par un [traduction« examinateur impartial » qui était un gestionnaire de la DPSNSO et qui renfermait une recommandation pour confirmer le refus. La recommandation a été acceptée par un directeur général intérimaire à la DPSNSO, qui a confirmé la décision et les motifs communiqués dans l’avis de refus de 2015. Le RAQ énonce des motifs semblables à ceux exprimés dans le refus de 2015 :

[traduction]

Les essais cliniques examinant la LK [lumbrokinase] ont été surtout menés chez des personnes ayant une affection grave comme une maladie vasculaire cérébrale d’origine ischémique ou un diabète accompagné de complications (notamment une neuropathie périphérique, une maladie coronarienne, une néphrose chez des patients diabétiques, une démence, etc.). En conséquence, les études effectuées chez des personnes par ailleurs en bonne santé sont rares, par exemple celles que l’on considère être les consommateurs typiques [sic] de produits de santé naturels, tout comme les études que l’on pourrait extrapoler à des personnes autrement en bonne santé (p. ex., Liu 2007; Deng 2000; Pan 2008; Yan 2008) pour lesquelles on constate des limite[s].

[…]

Par conséquent, après avoir mis en contexte toutes les données existantes sur l’innocuité de la LK utilisée chez des personnes autrement en bonne santé, il faut garder en tête les suppositions et les attentes courantes concernant les produits de santé naturels. Ces produits ont été conçus pour le consommateur capable de gérer lui‑même les risques de son affection et ceux associés au produit, et de se contenter d’une surveillance minimale ou d’un suivi limité par un praticien. …

L’un des principaux aspects du mandat actuel de la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance est de veiller à ce que les Canadiens aient accès à des produits de santé naturels sûrs, efficaces et de grande qualité. Il faudrait donc que l’accès ne soit pas accordé à un produit précis, mais plutôt à une gamme de produits. Dans cette gamme de produits, chaque produit devrait avoir un rapport avantages‑risques favorable, permettant ainsi au consommateur de choisir lui‑même le produit le plus approprié à ses besoins en santé. …

[Non souligné dans l’original.]

[65]  Le RAQ renfermait une liste des références et une annexe qui résumait les données cliniques examinées dans l’évaluation antérieure, et il renvoyait au REIE préparé dans l’évaluation du Boluoke. Le REIE contient un examen et une analyse des preuves soumises par C‑RNA. Il semble avoir été un [traduction« document fonctionnel », mis à jour au fil du temps, à mesure que d’autres renseignements étaient fournis. En particulier, les 46 premières pages du REIE semblent avoir été préparées durant l’évaluation initiale de la demande. Les 26 pages restantes ont été préparées durant la réévaluation et contiennent une analyse d’études préalablement prises en considération dans l’évaluation initiale.

[66]  Après avoir examiné le cadre réglementaire et factuel, je me penche sur les questions précises soulevées par la C‑RNA.

V.  Analyse

A.  La décision de Santé Canada était raisonnable

[67]  C‑RNA soutient que Santé Canada a mal interprété le Règlement sur les PSN et qu’il a refusé de manière déraisonnable sa demande. Comme il a été mentionné précédemment, C‑RNA a séparé ces deux arguments dans ses observations. J’examinerai les arguments en utilisant cette structure, tout en reconnaissant qu’ils ne sont pas entièrement indépendants.

[68]  Chacun de ces arguments s’applique au refus et aux motifs de ce refus. De telles questions sont examinées selon la norme du caractère raisonnable : Winning Combination (CF), aux par. 28–29; North American Nutriceutical Inc. c Canada (Procureur général), 2012 CF 1044, aux par. 78–79.

[69]  Dans ses observations orales, C‑RNA a soutenu que la norme de la décision correcte devait s’appliquer à l’interprétation par Santé Canada du Règlement sur les PSN. Je ne suis pas de cet avis. Même avant que la Cour suprême du Canada ne rende sa décision dans l’arrêt Vavilov, délivrée après l’instruction de l’affaire, il a été clairement reconnu qu’il y a une présomption selon laquelle il convient de faire preuve de déférence à l’égard d’un tribunal administratif qui interprète sa « loi constitutive » : Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au par. 27; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 25; Winning Combination (CF), au par. 28. Il n’y a rien, survenu avant ou après le cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov, qui permet de s’éloigner de cette présomption en l’espèce. L’interprétation de Santé Canada et son application du Règlement sur les PSN doivent donc être examinées selon la norme de la décision raisonnable. L’arrêt Vavilov ne fait que le confirmer : Vavilov, aux par. 16–17, 23–25.

1)  Santé Canada n’a pas commis d’erreur dans son interprétation du Règlement sur les PSN

[70]  Tout comme C‑RNA, je crois que le Règlement sur les PSN doit être interprété à l’aide de l’approche [traduction« moderne » à l’égard de l’interprétation qui prévaut depuis l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, à tout le moins. Dans cette affaire, le juge Iacobucci a adopté la formulation de M. Driedger selon laquelle « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : Rizzo, au par. 21. Dans le cas d’un règlement, une partie du contexte interprétatif est la loi en vertu de laquelle le règlement est promulgué – en l’espèce, la LAD : Bristol‑Myers Squibb Co. c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, aux par. 37–38.

[71]  La Cour suprême a confirmé que ce cadre d’analyse s’applique, qu’il s’agisse d’une cour de justice ou d’un décideur administratif qui interprète la disposition législative : Vavilov, aux par. 117–124. Bien qu’une interprétation administrative ne prenne pas la forme d’une décision d’un tribunal, et puisse même être implicite, une décision raisonnable devrait cadrer avec le texte, le contexte et l’objet de la loi : Vavilov, aux par. 121–123.

[72]  C‑RNA affirme que Santé Canada a interprété de manière déraisonnable le Règlement sur les PSN en introduisant des termes et des exigences qui ne figurent pas dans le règlement : a) la nécessité de démontrer l’innocuité chez une « population saine »; b) la mention de la « vente libre » et de l’« autogestion de la santé » comme modèle pour l’utilisation des PSN; c) une exigence selon laquelle les « avantages » du Boluoke l’emportent sur ses « risques ». Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord pour dire que l’interprétation par Santé Canada du Règlement sur les PSN était déraisonnable.

a)  « Population saine »

[73]  C‑RNA soutient que le Règlement sur les PSN ne l’oblige pas à démontrer l’innocuité ou l’efficacité chez une « population saine » et que Santé Canada a interprété de manière déraisonnable cette expression dans le Règlement en exigeant des preuves à l’égard de l’innocuité chez une telle population. C‑RNA signale que l’alinéa 5g) du Règlement sur les PSN ne concerne que le fait de montrer l’innocuité et l’efficacité du PSN lorsqu’il est utilisé selon les « conditions d’utilisation recommandées ». C‑RNA affirme que l’ajout d’une exigence pour montrer l’innocuité chez une « population saine » limite le règlement, contrairement à la politique générale qui consiste à rendre les PSN plus accessibles, plutôt que le contraire.

[74]  À mon avis, l’interprétation que Santé Canada fait de l’alinéa 5g) n’était pas déraisonnable. Bien que l’alinéa 5g) porte sur l’innocuité lorsque le PSN est utilisé selon les « conditions d’utilisation recommandées », cela ne peut être pris en considération hors contexte. Ce contexte suppose, de manière importante, que les PSN sont nécessairement vendus sans ordonnance, car les produits d’ordonnance sont exclus de la définition des PSN : Règlement sur les PSN, paragraphe 2(2). Par conséquent, ils peuvent être pris sans surveillance médicale dans le cadre d’un programme individuel d’« autogestion de la santé » ou d’[traduction« automédication ».

[75]  Fait important, la préoccupation de Santé Canada au sujet des preuves de l’innocuité chez une population saine se rattachait aux difficultés liées à l’autodiagnostic lorsqu’une personne se trouve dans un état d’hypercoagulabilité. Si un membre de la population canadienne ne peut pas évaluer lui‑même s’il se trouve dans un état d’hypercoagulabilité, il ne peut déterminer s’il fait partie du groupe des personnes pour qui le produit est recommandé ou du groupe de personnes pour qui le produit présente des risques possibles en matière d’innocuité. Dans de telles circonstances, il n’est pas raisonnable de conclure que l’exigence concernant le dépôt de preuves démontrant l’innocuité comprend celle selon laquelle le PSN est sûr pour la population générale.

[76]  La reconnaissance de ce contexte pour évaluer s’il existe des preuves adéquates à l’égard de l’« innocuité » d’un produit ne consiste pas à interpréter de manière inappropriée des restrictions dans le Règlement sur les PSN, comme le laisse entendre C‑RNA. Il s’agit d’interpréter et d’appliquer le règlement en fonction de son « texte, de son contexte et de son objet », comme le prévoit le principe moderne de l’interprétation : Rizzo, au par. 21; Vavilov, au par. 120. En effet, il serait déraisonnable, voire irresponsable, que Santé Canada ne tienne pas compte de ce contexte des médicaments offerts en vente libre pour évaluer si l’innocuité d’un PSN a été établie de manière adéquate.

[77]  C‑RNA soutient que de nombreux consommateurs consultent des professionnels de la santé, y compris des professionnels de soins de santé naturels en particulier, au sujet de l’utilisation des PSN. Quoi qu’il en soit, l’accessibilité des PSN sans ordonnance signifie qu’ils peuvent être achetés et pris facilement sans surveillance ni avis. Cet accès facile et cette vaste disponibilité des PSN font partie des caractéristiques et des objectifs du Règlement sur les PSN. Par conséquent, je ne crois pas que l’insistance de Santé Canada pour obtenir des preuves satisfaisantes montrant l’innocuité chez une « population saine » ajoute des mots ou constitue une mauvaise interprétation du règlement.

[78]  Je tire cette conclusion peu importe si les « conditions d’utilisation recommandées » dans la demande de C‑RNA se limitent ou non à l’utilisation par des personnes se trouvant dans un « état d’hypercoagulabilité ». Comme il a été mentionné plus haut, le formulaire de demande de C‑RNA indiquait que l’usage recommandé et l’objectif étaient de « réduire la viscosité du sang » et d’« améliorer la circulation/l’hémorrhéologie », sans nouvelle limitation ni référence à un état d’hypercoagulabilité. Ailleurs, C‑RNA affirme qu’elle cherche à obtenir des allégations visant à réduire la viscosité du sang et à améliorer la circulation dans un « état d’hypercoagulabilité ». Diverses itérations de ces allégations relatives à la santé ont été mises de l’avant durant le processus d’évaluation.

[79]  Si l’utilisation recommandée ne se limite pas à une catégorie de patients particuliers, l’exigence visant à démontrer l’innocuité lorsque le produit est utilisé selon les « conditions d’utilisation recommandées » engloberait quiconque pourrait vouloir réduire la viscosité du sang et/ou améliorer la circulation. Il serait clairement insuffisant de démontrer l’innocuité chez un sous‑ensemble de cette population uniquement, c’est‑à‑dire les personnes qui présentent un état d’hypercoagulabilité. Même si l’utilisation recommandée est considérée comme se limitant aux personnes présentant un état d’hypercoagulabilité, il est raisonnable pour Santé Canada d’exiger des preuves de l’innocuité chez une population saine. Le contexte des médicaments vendus sans ordonnance, l’incapacité d’un membre du public d’évaluer s’il se trouve dans un « état d’hypercoagulabilité » et l’accent fondamental dans les lois et les règlements sur l’innocuité comme priorité appuient la décision raisonnable d’exiger que l’innocuité soit démontrée chez les populations saines.

[80]  Une telle exigence ne [traduction« limite » pas le règlement, comme le soutient C‑RNA. Même si le Règlement sur les PSN a implanté une approche différente à l’égard de l’approbation des PSN afin qu’ils puissent être offerts aux Canadiens en vue de leur utilisation, la politique du règlement n’est pas de rendre les PSN accessibles sans égard aux préoccupations en matière de sécurité. Au contraire, la sécurité demeure une exigence centrale pour l’approbation réglementaire. Le fait d’assurer la sécurité d’un produit pour tous ceux qui pourraient le prendre avant qu’il soit mis en marché n’est en aucun cas contraire à la politique fondamentale du Règlement sur les PSN.

[81]  C‑RNA s’appuie sur la décision Apotex c Canada (Santé), 2013 CF 1217 [Apo‑Telmisartan], où la juge Kane a rejeté des arguments touchant des principes d’interprétation fondés sur le « régime réglementaire général » du Règlement sur les aliments et drogues en faveur du « sens ordinaire » : Apo‑Telmisartan, aux par. 98–144. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que cette affaire n’aide pas C‑RNA. La juge Kane a appliqué les principes exposés dans l’arrêt Rizzo à la question d’interprétation réglementaire qui lui était présentée, prenant en considération les mots du règlement et d’autres outils d’interprétation, comme des conventions d’écriture, ainsi que le contexte du régime réglementaire et législatif : Apo‑Telmisartan, aux par. 98, 108–109, 125–128, 139–144. La même approche que celle exposée dans l’arrêt Rizzo s’applique en l’espèce, mais au‑delà de cela, l’interprétation des « ingrédients médicinaux » dans le contexte du Règlement sur les aliments et drogues n’est pas très utile pour ce qui est d’évaluer l’exigence touchant le dépôt de preuve de l’innocuité dans le Règlement sur les PSN. La même chose peut être dite des paragraphes 136 à 150 de la décision Apotex Inc c Canada (Santé), 2015 CF 1161 [Apo‑APIPL] mentionnés par C‑RNA, où le juge Manson a appliqué les principes d’interprétation exposés dans l’arrêt Rizzo à la question réglementaire particulière qui lui était présentée.

[82]  L’argument connexe de C‑RNA voulant que Santé Canada n’a pas défini une « population saine » est peu convaincant. Les communications de Santé Canada renfermaient des descriptions détaillées de lacunes recensées dans les études déposées. Il était clair que Santé Canada se souciait du fait que les preuves déposées concernaient principalement des sujets présentant un état d’hypercoagulabilité et qu’il recherchait des preuves montrant l’innocuité chez la population élargie, ne se limitant pas aux personnes recevant des soins médicaux pour des troubles sanguins. En effet, dès 2011, Santé Canada a avisé C‑RNA que [traduction« les preuves doivent appuyer l’innocuité chez la population saine générale et non pas chez une sous‑population qui sera surveillée de près par un médecin ». La préoccupation soulevée par C‑RNA, dans son observation présentée lors de la révision, selon laquelle les documents d’orientation ne définissent pas les « populations saines » ressemble essentiellement à un argument sémantique, plutôt qu’à une tentative réelle de dissiper les préoccupations soulevées par Santé Canada. Je ne vois aucune raison pour laquelle un demandeur de licence aurait pu raisonnablement mal comprendre ce que Santé Canada recherchait.

[83]  Enfin, je suis aussi peu convaincu par l’argument de C‑RNA, à savoir que l’exigence de preuves montrant l’innocuité chez des populations saines change de manière inappropriée le Règlement sur les PSN, le faisant passer d’un règlement [traduction« fondé sur l’utilisation » à un règlement [traduction« fondé sur l’utilisateur ». Les « conditions d’utilisation recommandées » et les évaluations de l’innocuité et de l’efficacité sous‑tendent nécessairement la prise en considération de qui peut utiliser le produit. Autrement dit, il n’y a pas d’utilisation sans utilisateur, et il n’est pas inapproprié de tenir compte des deux éléments de cette équation pour évaluer l’innocuité.

b)  « En vente libre » et « autogestion de la santé »

[84]  L’argument de C‑RNA selon lequel d’autres termes utilisés par Santé Canada, comme « en vente libre » et « autogestion de la santé », ne figurent pas dans le Règlement sur les PSN n’est pas fondé. Bien que l’expression « en vente libre » ne soit pas utilisée dans le Règlement sur les PSN (ni d’ailleurs dans la LAD ou le Règlement sur les aliments et drogues), elle est couramment utilisée pour décrire des produits sans ordonnance et elle est un raccourci juste pour signifier les médicaments offerts sans ordonnance. Le fait que les PSN soient par définition offerts sans ordonnance provient directement et expressément du règlement : Règlement sur les PSN, paragraphe 2(2). Donc, il est prévu que tous les PSN soient offerts pour une utilisation en vente libre. La désignation des PSN comme des produits « sans ordonnance » ou comme étant destinés à une « utilisation sans ordonnance » ne concorderait clairement pas avec le Règlement sur les PSN. Je ne vois pas comment l’utilisation de l’expression « en vente libre » change quoi que ce soit à cet égard.

[85]  De même, l’expression « autogestion de la santé » – ainsi que des termes connexes comme automédication, autodiagnostic, autogestion ou autodétermination – décrit simplement le contexte dans lequel de nombreux Canadiens prennent des PSN ou d’autres médicaments en vente libre. Ce sont des expressions utilisées dans le REIR et le rapport sous‑jacent du Comité permanent sur lesquels C‑RNA s’appuie. Je ne vois rien de déraisonnable dans le fait que Santé Canada utilise ces expressions ni qu’elle s’y appuie dans le contexte décrit par ces expressions pour prendre une décision sur la délivrance d’une licence pour des PSN.

c)  « Risques‑avantages »

[86]  C‑RNA soutient que Santé Canada a exigé de manière inappropriée qu’elle démontre que les avantages du Boluoke l’emportaient sur les risques du produit. Une telle évaluation est envisagée dans la ligne directrice de 2006 (selon laquelle la « totalité du dossier de preuves […] doit démontrer que les bienfaits du produit dépassent de beaucoup tout risque pouvant lui être associé ») et la ligne directrice de 2012 (selon laquelle le profil « avantages‑risques d’un produit est toujours pris en considération avant qu’une décision soit prise relativement à la licence »). C‑RNA affirme que le Règlement sur les PSN ne contient aucune exigence ni analyse à l’égard des risques‑avantages et qu’il était déraisonnable d’en imposer.

[87]  Je ne crois pas qu’il est déraisonnable pour Santé Canada de tenir compte de l’équilibre entre les risques et les avantages au moment d’évaluer s’il convient de délivrer une licence visant un PSN. L’alinéa 5g) oblige un demandeur à déposer des preuves qui montrent l’« innocuité et efficacité » du PSN. À mon avis, la mention de l’« innocuité » dans le contexte du Règlement sur les PSN suppose intrinsèquement la prise en considération des risques pour la santé. C’est le cas même si, comme le soutient C‑RNA, une chose peut être considérée comme [traduction« sécuritaire » même si elle comporte des risques. De même, l’« efficacité » suppose la prise en considération des avantages, car l’efficacité du produit tient à sa capacité d’apporter les bienfaits désirés pour la santé, c’est‑à‑dire l’allégation santé que propose le produit. Ainsi, l’introduction de la ligne directrice de 2012, qui établit une corrélation entre l’innocuité et le risque et l’efficacité et les avantages n’est pas déraisonnable :

Les demandeurs de licence de mise en marché trouveront dans le présent document de référence les renseignements qui les aideront à déterminer les preuves (en nombre et en nature) attestant de l’innocuité (risques) et de l’efficacité (avantages) des produits de santé naturels (PSN) qui font l’objet d’allégations fondées sur des preuves modernes à joindre à une demande de licence de mise en marché d’un produit.

[Non souligné dans l’original; note de bas de page omise.]

[88]  Tout comme C‑RNA, j’estime que les concepts d’innocuité et d’efficacité décrits à l’alinéa 5g) sont interreliés. Toutefois, je ne souscris pas à sa prétention selon laquelle l’efficacité sous‑tend l’innocuité, particulièrement pour un PSN, ou qu’un PSN efficace est nécessairement sûr. Au contraire, un produit pourrait se révéler très efficace pour entraîner un résultat de santé particulier, tout en étant néanmoins peu sécuritaire, parce qu’il présente également d’autres risques pour la santé. De même, un produit peut être très sûr, mais avoir une efficacité limitée, voire nulle, pour concrétiser une allégation santé particulière.

[89]  Au contraire, les concepts d’innocuité et d’efficacité sont interreliés notamment en raison du fait que ce qui est considéré comme acceptable sur le plan de l’innocuité d’un produit de santé peut dépendre de l’efficacité du produit. Pour dire les choses plus simplement, nous pourrions accepter un risque un peu plus grand pour la sécurité dans un produit qui fonctionne très bien ou accepter un bienfait en matière de santé inférieur dans un produit qui est très sûr. En même temps, un produit qui est dangereux pourrait être inacceptable, peu importe son efficacité. Même si cela est moins pertinent dans les circonstances de l’espèce, il convient de souligner, comme le fait la ligne directrice de 2012, que l’innocuité et l’efficacité sont aussi interreliées parce qu’un produit inefficace peut avoir des conséquences sur la santé en ne traitant pas un problème de la manière prévue ou en amenant un consommateur à renoncer à d’autres options en matière de traitement.

[90]  C‑RNA a raison de dire que cet équilibre entre innocuité et efficacité n’est pas énoncé dans le Règlement sur les PSN. Aucune approche particulière à l’égard de l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité n’est définie. Plutôt, l’évaluation revient au ministre. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale, « [i]l revient au ministre de trancher ces questions » : Winning Combination (CAF), au par. 58.

[91]  Manifestement, le ministre a déjà adopté une approche à l’égard de l’innocuité et de l’efficacité qui suppose la prise en considération d’un équilibre entre les deux. Cette approche est définie dans les lignes directrices de 2006 et de 2012. Je ne peux pas conclure que cette approche visant l’évaluation des exigences réglementaires de l’« innocuité » et de l’« efficacité » et de l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour délivrer une licence de produit est déraisonnable dans le contexte du Règlement sur les PSN. Le fait de l’exprimer au moyen de l’expression couramment comprise des « risques‑avantages » ne l’est pas non plus, tout comme le fait d’obliger un demandeur à démontrer que les bienfaits pour la santé d’un PSN dépassent tout risque pouvant lui être associé avant sa mise en marché.

[92]  Je fais aussi observer que C‑RNA ne semble pas avoir soulevé de préoccupations pour ce qui est de démontrer que les avantages du Boluoke l’emportaient sur ses risques à tout moment durant le processus réglementaire ni avoir fait valoir qu’une telle exigence est contraire au Règlement sur les PSN. Le refus par Santé Canada de la première demande de C‑RNA en 2013 mentionnait notamment la nécessité que l’avantage l’emporte sur le risque. L’ADR de 2014 et le refus de 2015 en faisaient également mention. Comme nous l’avons déjà précisé, cette approche figure dans les lignes directrices du ministre depuis au moins 2006. Pourtant, même si elle a soulevé un certain nombre de critiques durant le processus, C‑RNA n’a pas contesté la nécessité d’un équilibre favorable entre les risques et les avantages. Même si le ministre ne s’est pas opposé à ce que C‑RNA mentionne la question dans le cadre du contrôle judiciaire, les demandeurs n’ont généralement pas le droit de soulever, lors d’un contrôle judiciaire, de nouveaux arguments qui n’ont pas été soulevés devant le tribunal administratif : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux par. 22–26.

[93]  Par conséquent, je rejette les arguments de C‑RNA voulant que Santé Canada a interprété de manière déraisonnable le Règlement sur les PSN.

2)  Le refus de la demande par Santé Canada était raisonnable

[94]  C‑RNA soutient que Santé Canada a agi de manière déraisonnable dans son évaluation du Boluoke a) en le traitant comme un produit présentant un niveau de « risque élevé » en vertu de la ligne directrice de 2012; b) en appliquant une norme de preuve trop élevée à l’égard de l’innocuité; c) en refusant de délivrer une licence pour le Boluoke alors que des licences avaient été délivrées pour d’autres produits enzymatiques de fibrinolyse administrés par voie orale; d) en n’admettant pas la possibilité d’atténuation des risques pour la sécurité; e) en faisant fi de preuves qui favorisaient une conclusion selon laquelle le Boluoke est sûr. Même si C‑RNA a affirmé qu’un certain nombre de ces questions soulevaient également des questions d’équité procédurale, j’estime qu’elles portent sur le bien‑fondé de la décision, plutôt que sur le processus par lequel cette décision a été obtenue, et il serait donc plus approprié de les traiter comme des difficultés qui touchent le caractère raisonnable du bien‑fondé de la décision. Pour les motifs exposés ci‑après, je n’accepte pas les arguments de C‑RNA selon lesquels la décision de Santé Canada était déraisonnable.

[95]  Au moment d’évaluer ces arguments, qui invoquent tant les préoccupations en matière de santé particulières signalées par Santé Canada que son examen et son évaluation des preuves scientifiques, je garde tout particulièrement à l’esprit la mise en garde selon laquelle la fonction de la Cour « n’est pas d’agir comme une “académie des sciences” » : Greenpeace Canada c Canada (Procureur général), 2016 CAF 114, aux par. 60–61. La Cour ne passe pas en revue le jugement scientifique de ceux à qui la législation attribue la tâche d’évaluer l’innocuité et l’efficacité. À titre d’observation générale, je considère une partie importante des arguments de C‑RNA sur la décision raisonnable comme une invitation pour faire exactement cela.

a)  Traitement du Boluoke comme produit présentant un niveau de « risque élevé »

[96]  Comme je le signale plus haut, la ligne directrice de 2012 de Santé Canada classifie les PSN qui font l’objet d’allégations santé fondées sur des preuves modernes dans une de trois catégories de risque et fournit une orientation sur la nature des preuves attendues pour démontrer l’innocuité et l’efficacité dans chaque catégorie. La ligne directrice de 2012 décrit la catégorie de risque élevé comme suit :

Niveau de risque élevé

Ce niveau est celui des produits ou ingrédients dont l’usage prévu présente un risque sérieux pour la santé. Cette catégorie comprend les PSN présentant la marge de sécurité et la gamme de doses efficaces les plus étroites ainsi que les PSN destinés au traitement, à la guérison, à la prévention de maladies graves exigeant la supervision d’un praticien de la santé, ou qui sont débilitants ou peuvent mettre la vie en danger sans un traitement efficace (se reporter à la section 2.4.1. pour obtenir la définition des allégations relatives à des maladies ou affections graves). Le niveau de risque élevé comprend, sans toutefois s’y limiter, les PSN destinés au traitement, à la guérison, à la prévention de maladies ou d’affections visées à l’annexe A.

[Non souligné dans l’original.]

[97]  La lumbrokinase a été considérée comme un produit comportant un niveau de « risque élevé » d’après les préoccupations de Santé Canada au sujet de son activité de fibrinolyse et des préoccupations résultantes concernant les saignements internes, ainsi que la préoccupation connexe selon laquelle les troubles qu’elle traite habituellement requièrent généralement la surveillance d’un praticien de la santé. Le RAQ qui a fourni les motifs du refus final énonçait ce qui suit :

[traduction]

L’une des inquiétudes entourant généralement les substances qui peuvent favoriser la dégradation des caillots en formation ou déjà formés (fibrinolyse) ou inhiber l’agrégation des plaquettes (activité anti‑thrombotique) pour prévenir la formation de caillots est le risque d’hémorragie interne, lequel pourrait être tolérable en présence d’affections potentiellement mortelles (p.ex., infarctus du myocarde ou embolie pulmonaire en traitement). Toutefois, dans le cas d’un produit de santé naturel, où la majeure partie des données probantes portent sur l’efficacité présumée d’une substance utilisée comme traitement anti‑plaquettaire, il serait raisonnable de supposer que la substance présente de grands risques inhérents. …

De même, l’inquiétude associée à la LK est caractéristique de sa classe thérapeutique (c.‑à‑d., des agents de fibrinolyse). C’est pourquoi la catégorisation de la LK dans les produits à risque élevé en l’absence de résultats probables ou concluants sur le risque d’hémorragie, est une proposition raisonnable, compte tenu des utilisations thérapeutiques et de l’activité de fibrinolyse.

[…]

Les utilisations courantes de la LK mentionnées dans les essais cliniques présentés et l’expérience clinique des experts (lorsque la LK est administrée à des patients cancéreux, des personnes ayant de l’athérosclérose, des veines bloquées, des caillots de sang, etc.), les effets importants de la substance notamment sur l’activateur tissulaire du plasminogène (tPA) et l’absence d’essais cliniques examinant sa pharmacocinétique, contribuent aux lacunes dans les données. L’efficacité de la LK n’est pas le point central du résumé analytique de la question, mais l’information sur les utilisations cliniques comprend un rapport sur ses effets, lesquels sont comparables à ceux de la warfarine (Su et coll. 2006), un médicament sur ordonnance utilisé pour traiter ou prévenir les caillots de sang dans les veines ou les artères, et qui peut réduire le risque d’AVC, de crise cardiaque ou d’autres affections graves. …

[Non souligné dans l’original; les erreurs typographiques ont été corrigées.]

[98]  C‑RNA soutient que rien ne permettait de classer le Boluoke comme un médicament présentant un niveau de « risque élevé ». Elle affirme que le Boluoke ne prétend pas traiter ni guérir une maladie grave, qu’il aurait dû être correctement considéré comme un [traduction« aliment » et que la décision de Santé Canada de le catégoriser comme un produit présentant un risque élevé reposait sur des renseignements liés à des produits de fibrinolyse intraveineux qui ne se comparent pas au Boluoke comme comprimé oral.

[99]  Je ne suis pas d’accord pour dire que la catégorisation du Boluoke en tant que produit à risque élevé était déraisonnable. En ce qui a trait à la question des allégations santé, la demande de licence de C‑RNA mentionne que le Boluoke doit être utilisé afin de « réduire la viscosité du sang » et d’« améliorer la circulation/l’hémorrhéologie ». Ces modifications proposées par rapport à ces allégations étaient des variations sur l’un de ces thèmes ou sur les deux. Comme nous le soulignons plus haut, des éléments de la demande de C‑RNA montraient également qu’elle a demandé l’approbation de ces allégations précisément pour les personnes présentant « un état d’hypercoagulabilité ». Quoi qu’il en soit, les allégations indiquent qu’elles visent à fournir un avantage pour la santé relativement à la viscosité du sang ou à la coagulation, même si les mots [traduction« traiter », [traduction« guérir » ou [traduction« prévenir » ne sont pas expressément utilisés. En effet, dès 2011, Santé Canada a exprimé que les allégations « réduit la viscosité du sang » et « améliore la circulation » avaient trait à l’activité de fibrinolyse de la lumbrokinase. Il a maintenu cette position du début à la fin, signalant dans son refus final en 2016 qu’[traduction« il est clair que les avantages thérapeutiques de la LK concernent la santé cardiovasculaire ».

[100]  Les notions scientifiques de base sur lesquelles les parties se sont entendues indiquent que les patients avec un sang de grande viscosité (hyperviscosité) peuvent se plaindre de problèmes neurologiques, comme une perte de vision, qui peuvent être associés à diverses affections aiguës et chroniques, et notamment être un facteur associé à la maladie cardiaque et à l’AVC. De même, les états d’hypercoagulabilité sont associés à une prédisposition à la formation de caillots de sang, lesquels peuvent entraîner une embolie pulmonaire, une thrombose veineuse cérébrale, une crise cardiaque et un AVC. Sur la base de ces descriptions, il est raisonnable de faire une association entre la lumbrokinase et le « traitement, la guérison et la prévention de maladies graves ». De fait, je note que les « maladies thrombotiques et emboliques » sont expressément mentionnées à l’annexe A (maintenant l’Annexe A.1) de la FDA, dont on a fait mention dans les lignes directrices de 2012 comme étant associées à un risque élevé. Une fois de plus, cette association est raisonnable, même si les allégations relatives à la santé ne sont pas libellées comme suit : « traitera l’hyperviscosité du sang » ou « en prévention d’une embolie pulmonaire ».

[101]  La même chose peut être dite au sujet de la décision de Santé Canada de ne pas traiter le Boluoke comme un aliment. La ligne directrice de 2012 mentionne que l’usage alimentaire démontré d’un ingrédient médicinal peut attester l’innocuité de cet ingrédient. Toutefois, même si les lombrics ont par le passé été utilisés comme aliments, il n’en va pas de même pour le Boluoke, qui contient un extrait raffiné dérivé des lombrics. La conclusion selon laquelle le Boluoke est un produit présentant un risque élevé n’est pas compatible avec la possibilité que l’innocuité d’autres PSN puisse être démontrée au moyen de la preuve de leur utilisation comme aliment.

[102]  C‑RNA affirme que la préoccupation de Santé Canada concernant les saignements internes, et donc la catégorisation du produit comme présentant un risque élevé, reposait sur une comparaison avec des drogues intraveineuses et une [traduction« hypothèse erronée » voulant que le Boluoke serait administré par voie intraveineuse. Elle signale le passage de l’ADR de 2011, au paragraphe  [45] plus haut, laissant entendre que les problèmes avec l’analyse de la DPSNSO ont commencé par cette erreur.

[103]  Je crois que C‑RNA a sensiblement mal interprété le passage. Selon la lecture que j’en fais, il n’y a aucune hypothèse selon laquelle le Boluoke sera administré par voie intraveineuse. Au contraire, Santé Canada évalue les « préoccupations potentielles relatives à l’innocuité associées aux produits à prendre par voie orale » et l’absence de preuves « montrant l’innocuité à long terme des enzymes de fibrinolyse [par voie orale] » [non souligné dans l’original]. Santé Canada semble mettre en évidence la gravité de la fibrinolyse, comme en témoigne le fait que les produits sont utilisés pour traiter des patients ayant des problèmes graves et qu’ils sont donc administrés par voie intraveineuse et sous surveillance médicale. Autrement dit, la raison pour laquelle la fibrinolyse a soulevé des préoccupations relatives à l’innocuité en ce qui concerne l’autogestion de la santé est non pas que les produits sont administrés par voie intraveineuse, mais qu’ils présentent de tels risques et sont utilisés pour traiter de tels problèmes qui sont généralement observés dans un contexte médical où ils sont administrés par voie intraveineuse et sous les soins d’un médecin. Je constate également que, sur les trois articles scientifiques cités par Santé Canada dans l’ADR de 2011 comme sources « préoccupantes en ce qui concerne l’innocuité des enzymes de fibrinolyse », au moins un porte un titre indiquant qu’il concerne l’[TRADUCTION] « usage combiné de la nattokinase et de l’aspirine », proposant une administration par voie orale et non par voie intraveineuse.

[104]  Dans tous les cas, il est clair d’après le passage relevé et les nombreuses communications postérieures de Santé Canada que la préoccupation en matière d’innocuité sur le risque d’hémorragie interne portait sur l’action de la lumbrokinase en tant qu’agent de fibrinolyse, et non sur la voie d’administration. Cette préoccupation était fondée sur le mécanisme d’action physiologique et les données sur les risques d’hémorragie découlant à la fois de la fibrinolyse induite par une substance pharmaceutique et de celle induite par un produit naturel, ainsi que des voies d’administration intraveineuse et orale. Le fait que la lumbrokinase présente une activité de fibrinolyse et que cette activité apparaît lorsqu’elle est administrée par voie orale n’étaient pas en litige. De fait, il s’agit des motifs sur lesquels C‑RNA a cherché à obtenir une autorisation pour Boluoke en tant que produit de santé naturel.

[105]  La préoccupation de Santé Canada sur le risque d’hémorragie interne fait suite à la démonstration de risques associés à des produits de la même classe thérapeutique. C‑RNA voulait faire une distinction en fonction de mécanismes d’action et d’autres activités que l’on a fait valoir, et l’utilisation reposait sur le fait que la lumbrokinase est « l’un des agents de fibrinolyse les plus puissants ». Comme Santé Canada l’a fait remarquer dans le passage reproduit au paragraphe [97] , les données existantes indiquent que la lumbrokinase a des effets semblables à ceux de la warfarine administrée par voie orale, la warfarine étant un médicament qui n’est offert que sur ordonnance.

[106]  C‑RNA demande que Santé Canada produise des preuves précises montrant que la lumbrokinase prise par voie orale peut causer un saignement interne, et son observation selon laquelle Santé Canada ne l’a pas fait montre que son évaluation était déraisonnable, témoignant d’une mauvaise compréhension de la nature de la préoccupation et du fardeau qui incombait à C‑RNA. La préoccupation de Santé Canada reposait raisonnablement sur son évaluation scientifique des preuves dont il disposait, et il n’était pas tenu de [traduction« prouver » que la lumbrokinase n’était pas sûre. Plutôt, il incombait à C‑RNA, au titre du Règlement sur les PSN, de déposer des renseignements à l’appui de sa demande montrant l’innocuité et l’efficacité de la lumbrokinase. Cette erreur fondamentale quant au cadre semble imprégner la plupart des observations présentées par C‑RNA à Santé Canada et à la Cour, où la DPSNSO est dénoncée comme étant déraisonnable parce qu’elle n’a pas produit d’études montrant les dangers de la lumbrokinase. Santé Canada n’est pas tenu de montrer qu’un produit est peu sûr; un demandeur doit montrer qu’il est sûr. Même si, de toute évidence, Santé Canada ne pouvait pas sortir tout à fait de nulle part des préoccupations relatives à l’innocuité, rien ne montre qu’il l’a fait. Il a soulevé une préoccupation étayée et raisonnable au sujet de l’innocuité, en se fondant sur une référence justifiée à l’égard de preuves relatives à l’innocuité de produits semblables, y compris des agents de fibrinolyse administrés par voie orale, et le produit à l’étude. Après qu’il a agi de la sorte, il incombait à C‑RNA de fournir des renseignements pour dissiper cette préoccupation au moyen de preuves convainquant Santé Canada de l’innocuité du Boluoke.

[107]  C‑RNA prétend aussi que la catégorisation de la lumbrokinase comme produit à « risque élevé » ne correspond pas à une donnée saisie dans un tableau qui aurait été préparé par un représentant de Santé Canada vers 2012. Le tableau compare divers renseignements liés à la lumbrokinase et à la nattokinase. La dernière rangée du tableau porte le titre [traduction« classification des risques précédents », et l’entrée pour la lumbrokinase est [traduction« recommanderait le type III chez les adultes en santé (le produit n’aura vraisemblablement aucun effet délétère sur la santé) » [Le caractère gras, le soulignement et l’italique figurent dans l’original.], tandis que l’entrée pour la nattokinase indique un risque plus élevé de type II. Je ne suis pas en mesure de tirer de conclusions au sujet du caractère raisonnable de la catégorisation de Santé Canada à partir de ce document. Je n’ai aucun renseignement sur ce que signifiait la rangée « classification des risques précédents » dans le tableau, sur le moment où elle s’appliquait ou sur le fait de savoir si elle s’appliquait ou encore sur le fait de savoir si la recommandation énoncée a été adoptée. Quoi qu’il en soit, même si l’évaluation que Santé Canada faisait du risque posé par la lumbrokinase a changé, élément au sujet duquel il n’y a aucun renseignement, cela en soi ne rend pas la dernière catégorisation déraisonnable.

b)  Application d’une norme trop élevée pour les preuves à l’égard de l’innocuité

[108]  C‑RNA soutient que l’approche de Santé Canada à l’égard des preuves de l’innocuité l’obligeait en réalité à répondre aux normes les plus strictes applicables aux drogues qui ne sont pas des PSN au titre du Règlement sur les aliments et drogues. Rien ne me montre que Santé Canada a demandé un niveau de preuve excessivement strict.

[109]  Comme l’a affirmé la Cour d’appel dans l’arrêt Winning Combination (CAF), l’existence même du Règlement sur les PSN comporte des normes réglementaires différentes applicables à l’évaluation de l’innocuité et de l’efficacité des PSN et d’autres drogues : Winning Combination (CAF), aux par. 14, 45, 58. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’exigence visant à démontrer l’innocuité et l’efficacité est un faible obstacle ou que Santé Canada doit accepter des renseignements qui comportent des lacunes scientifiques, en particulier relativement à un produit pour lequel il existe des préoccupations en matière d’innocuité.

[110]  Les diverses communications entre Santé Canada et C‑RNA, y compris l’avis de refus de 2015, l’ADR subséquent de 2016 et le refus final en 2016, ainsi que le REIE préparé à l’interne par Santé Canada décrivent la nature de l’examen par Santé Canada des divers renseignements scientifiques et non scientifiques fournis. Cet examen permet de constater que Santé Canada n’a pas été convaincu par les preuves limitées déposées relativement aux populations saines, en raison de questions comme le petit nombre de sujets, la durée, l’absence d’analyse statistique, l’absence de groupes témoins et d’une analyse de la pertinence clinique, l’absence de mesures des paramètres de l’hémorrhéologie et l’objectif des études.

[111]  Santé Canada n’a jamais proposé à C‑RNA de déposer des preuves équivalentes à celles requises pour d’autres drogues au titre du Règlement sur les aliments et drogues. Au contraire, Santé Canada a constamment rappelé ses lignes directrices liées au Règlement sur les PSN, qui contiennent une orientation sur les types de preuves qui seraient attendues et décrivent ses préoccupations concernant les lacunes dans les preuves fournies. Les énoncés généralisés de C‑RNA selon lesquels le fait d’exiger d’autres preuves correspond à exiger des preuves d’une norme équivalente à celle requise pour d’autres drogues sont peu convaincants dans le présent contexte.

c)  Autres produits

[112]  C‑RNA affirme qu’il était déraisonnable pour Santé Canada de ne pas délivrer de licence pour son produit de lumbrokinase alors que des licences ont été accordées pour des produits contenant de la nattokinase et de la serratiopeptidase. Comme il est expliqué plus haut, les preuves montrent que les trois enzymes faisaient partie d’un examen élargi par Santé Canada des agents de fibrinolyse naturels. Par exemple, l’ADR envoyé à C‑RNA en 2011 faisait référence aux preuves qui seraient nécessaires pour étayer des produits contenant un des trois enzymes. Santé Canada a approuvé la serratiopeptidase comme PSN en 2013 et un produit de nattokinase en 2018.

[113]  Je suis d’accord avec le ministre pour dire que l’approbation de la nattokinase et de la serratiopeptidase n’a aucune incidence sur le caractère raisonnable du refus de délivrer une licence pour le Boluoke. La Cour ne détient aucune information concernant les études relatives à l’innocuité qui ont été déposées à l’appui des produits de nattokinase ou de serratiopeptidase. Même si elle en détenait, il n’appartient ni à l’expertise ni au mandat de la Cour de tenter de comparer de tels renseignements relatifs à l’innocuité déposés dans le cadre d’une demande différente pour déterminer leur applicabilité au Boluoke. Santé Canada devait évaluer chaque demande de licence de mise en marché en se fondant sur les renseignements pertinents présentés et accessibles dans le cadre de cette demande. L’issue d’une demande n’est pas et ne peut être déterminante de l’issue d’une autre : Reddy‑Cheminor Inc. c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 542, aux par. 34–36, conf 2004 CAF 102; North American Nutriceutical, aux par. 98, 102–104.

[114]  De l’avis de C‑RNA, c’est Santé Canada qui a rendu pertinents les produits de nattokinase et de serratiopeptidase, en les traitant ensemble en 2011 et en faisant référence à des études sur la nattokinase pour reconnaître la préoccupation concernant les saignements. Elle soutient qu’il est déraisonnable de les traiter tous ensemble, puis d’approuver deux des produits, mais pas le troisième. Je ne suis pas de cet avis. Le fait que les préoccupations relatives à l’innocuité des trois produits aient été soulevées dans le cadre d’une évaluation élargie des agents de fibrinolyse naturels ne signifie pas que chaque produit comporte le même profil d’innocuité. Cela ne veut pas non plus dire que C‑RNA peut s’appuyer sur des preuves relatives à l’innocuité déposées par d’autres demandeurs ou considérées comme étant pertinentes pour le Boluoke. La DPSNSO a tenu compte de ces différences dans le RAQ en utilisant un autre agent de fibrinolyse, la bromélaïne, à titre d’exemple :

[traduction]

Il est également reconnu que tous les ingrédients invoqués présentant des propriétés de fibrinolyse sont jugés être à risque élevé, en dépit d’études semblables. Par exemple, la bromélaïne a été l’objet d’études en tant que médicament à prendre par voie orale pour le traitement de maladies systémiques liées à la coagulation. Son efficacité semble être d’une moins grande importance sur le plan clinique que celle de la LK et elle a été examinée dans un plus grand nombre d’études réalisées avec des personnes présentant des affections sous‑jacentes moins graves.

[Non souligné dans l’original.]

[115]  C‑RNA critique cette comparaison, laissant entendre qu’elle montre que la lumbrokinase était critiquée parce qu’il s’agissait d’un médicament plus efficace. Là n’est pas la question. Un produit présentant une activité de fibrinolyse supérieure peut causer de plus grands risques pour la sécurité précisément en raison de cette activité supérieure. Les risques relatifs et, de manière encore plus importante, les études pertinentes sur l’innocuité influencent l’analyse.

[116]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, C‑RNA a déposé un affidavit d’expert d’un naturopathe autorisé qui a examiné le tableau de comparaison de 2012 décrit plus haut, au paragraphe  [107] , et conclu notamment que [traduction« le profil d’innocuité de la lumbrokinase dans le présent document est bien supérieur à celui de la nattokinase ». Cette preuve d’expert n’a pas été présentée à Santé Canada et ne peut avoir une incidence sur le caractère raisonnable de la décision de Santé Canada : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au par. 19. Quoi qu’il en soit, même en laissant de côté le fait que le tableau de Santé Canada a été préparé bien avant l’approbation du produit de nattokinase, et que Santé Canada n’a donc pas pu prendre en considération les renseignements déposés dans l’intérim, il incombait à C‑RNA dans le cadre de sa demande de licence non pas de démontrer que la lumbrokinase était plus sécuritaire que la nattokinase, mais bien de convaincre Santé Canada que le Boluoke était sûr et efficace lorsqu’il est utilisé selon les conditions d’utilisation recommandées. Même si Santé Canada pourrait trouver des comparaisons par rapport à d’autres produits pertinents à des fins d’études, celles‑ci ne constituent pas une raison pour conclure que l’évaluation de Santé Canada est déraisonnable.

d)  Stratégies d’atténuation

[117]  Dans ses observations orales, C‑RNA a invoqué un argument selon lequel la conclusion de Santé Canada voulant que les risques de la lumbrokinase ne pourraient pas être atténués était déraisonnable et contraire à ses propres lignes directrices. C‑RNA montre la ligne directrice de 2012, qui révèle que des stratégies d’atténuation des risques peuvent comprendre « la restriction à une sous‑population qui tirera avantage de l’utilisation du produit ». Elle fait valoir que le Boluoke pourrait se limiter aux personnes présentant une hypercoagulabilité et dit que l’insistance de Santé Canada sur les preuves à l’égard de l’innocuité chez les « populations saines » et son refus d’accepter un étiquetage ou une surveillance par des professionnels de soins de santé contredisent sa propre approche.

[118]  L’argument de C‑RNA semble se concentrer sur certains aspects de la ligne directrice de 2012 à l’exclusion d’autres aspects. Il convient de souligner que l’analyse des mesures d’atténuation figurant dans la ligne directrice de 2012 est présentée par l’énoncé selon lequel « [s]euls les risques pour la sécurité pouvant être atténués par des renseignements comme des mises en garde ou des contre‑indications pour des résultats néfastes légers à modérés sont acceptables pour les PSN homologués » [non souligné dans l’original]. Santé Canada a conclu que les renseignements pourraient ne pas atténuer de manière adéquate les risques, car le public ne pouvait pas lui‑même déterminer s’il faisait partie de la sous‑population visée ou non. C‑RNA a fait valoir qu’aucun renseignement ne contredit cette conclusion. Au contraire, elle a soutenu en réponse à un ADR que le meilleur moyen de déceler la présence d’états d’hypercoagulabilité est une épreuve de laboratoire.

[119]  Santé Canada a également conclu qu’il n’y avait pas de surveillance validée au Canada pour la lumbrokinase qui pourrait servir à surveiller le risque de saignement et que les essais proposés par C‑RNA à cette fin, y compris au moyen d’un certain nombre de rapports d’experts, n’ont pas été recommandés en raison d’une non‑disponibilité ou d’un manque de fourchettes de référence prédictives. Même si C‑RNA ne souscrit pas à cette conclusion, ce n’est pas un motif pour conclure qu’elle est déraisonnable. Santé Canada a évoqué la possibilité de la surveillance d’un praticien, reçu des preuves sur la question et conclu qu’il n’était pas convaincu que les renseignements appuyaient une approche fondée sur une surveillance post‑commercialisation. D’après les renseignements à la disposition de la Cour, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il était déraisonnable pour Santé Canada de conclure que les stratégies d’atténuation des risques proposées par C‑RNA ne suffisaient pas pour atténuer le risque recensé de saignement interne.

e)  Preuves négligées

[120]  La demande de licence pour le Boluoke et les renseignements fournis en réponse aux ADR de Santé Canada comprenaient un nombre important d’articles, d’études, de rapports et d’essais cliniques. Ces documents ont été examinés et pris en considération dans le REIE préparé par Santé Canada durant l’évaluation et sont aussi résumés dans une annexe du RAQ qui constitue les motifs du refus de la révision de 2016.

[121]  C‑RNA fait valoir que Santé Canada n’a pas tenu compte de diverses données qui appuyaient l’utilisation, notamment les données relatives à l’innocuité chez les sujets en bonne santé. C‑RNA attire l’attention sur, par exemple, un essai clinique de phase I (Chinese Academy of Sciences 1991), et des études menées chez des personnes présentant des aphtes récurrents dans la bouche (Yang 2008), une hypertension primaire (Ye 2007) et du diabète dans les premiers stades (Huang 2009). Il affirme aussi que Santé Canada a fait fi des effets fibrogènes de la lumbrokinase (Zhao 2007), qui apparemment, équilibreraient les effets de fibrinolyse et augmenteraient l’innocuité, et les données sur la pharmacocinétique de la lumbrokinase (Chong, non daté).

[122]  Le problème avec cet argument, c’est qu’il est directement contredit par le REIE et le RAQ, qui montrent que les preuves qui, d’après C‑RNA, ont été négligées ont en réalité été examinées et prises en considération par Santé Canada. En fait, un certain nombre des études qui auraient été [traduction« négligées » d’après C‑RNA ont été directement mentionnées dans des communications avec C‑RNA même avant le refus de Santé Canada. Il n’y a pas non plus d’indication convaincante selon laquelle Santé Canada s’est concentré indûment sur certains aspects des études, a adopté une vision sélective à leur égard ou les a résumés de façon inappropriée.

[123]  L’argument de C‑RNA constitue réellement une affirmation selon laquelle Santé Canada n’a pas attribué assez de poids à certaines parties des données cliniques et n’est pas parvenu aux conclusions qui, selon C‑RNA, auraient dû en être tirées. Cela ne constitue rien de plus qu’une demande pour que la Cour agisse comme une « académie des sciences » et réévalue les preuves qui ont été déposées. Ce n’est pas la fonction de la Cour.

[124]  Par conséquent, je conclus que la décision de Santé Canada était raisonnable, tant en ce qui concerne son interprétation des Lignes directrices sur les PSN que son approche à l’égard de celles‑ci, et son refus de la demande de C‑RNA concernant une licence de mise en marché pour le Boluoke.

B.  La décision de Santé Canada était équitable

[125]  En plus de contester le caractère raisonnable du refus, C‑RNA affirme que le processus menant au refus était inéquitable. Lors du contrôle judiciaire de telles questions, la Cour doit être convaincue que les critères liés à l’équité procédurale ont été respectés : Demitor c Westcoast Energy Inc. (Spectra Energy Transmission), 2019 CAF 114, au par. 26. Que cela soit caractérisé comme un examen effectué selon la norme de la « décision correcte » ou la norme de l’« équité » ou que les questions « ne sont assujetties à aucune norme particulière », au final, la Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; North American Nutriceutical, au par. 80; Winning Combination (CF), au par. 25; Demitor, au par. 26.

[126]  Le ministre ne conteste pas qu’il avait l’obligation d’agir avec équité dans le cadre de l’examen et de la décision relatifs à la demande de licence de mise en marché de C‑RNA. La question est ensuite celle de savoir dans quelle mesure l’équité procédurale s’applique, une affaire qui est évaluée en fonction de facteurs non exhaustifs décrits aux paragraphes 21 à 28 de la décision Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[127]  Dans la décision Apo‑APIPL, le juge Manson a pris en considération le degré d’équité procédurale dont il faut faire preuve dans le contexte d’une interdiction d’importation au titre du Règlement sur les aliments et drogues. Ayant pris en considération le contexte ainsi que les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker, il a décrit que le degré d’équité requis se situait à l’« extrémité médiane inférieure de la gamme » : Apo‑APIPL, aux par. 77–82. Un certain nombre des facteurs contextuels examinés par le juge Manson, y compris la nature et l’objet de la politique législative, le contexte administratif, l’expertise et le pouvoir discrétionnaire du ministre et la nature économique des intérêts en jeu, sont les mêmes que ceux de l’espèce ou semblables à ceux‑ci. Je suis d’accord pour dire que l’« extrémité médiane inférieure de la gamme » est une description appropriée du niveau d’équité qui est dû aux demandeurs au titre du Règlement sur les PSN. La décision en litige dans l’affaire Apo‑APIPL était une décision non définitive, tandis que la décision en litige en l’espèce est une décision finale, ce qui peut en quelque sorte laisser croire à un degré d’équité procédurale supérieur. Cependant, j’estime que cette différence s’explique en partie par le fait que l’obligation d’équité en common law est accompagnée d’exigences procédurales précises relativement au refus et à la révision avant qu’une décision finale ne soit rendue : Règlement sur les PSN, articles 9 et 10.

[128]  Comme le juge Manson l’a souligné, même à l’extrémité médiane inférieure de la gamme, la signification d’un préavis est un élément fondamental, dont l’objet principal est d’accorder aux personnes visées une occasion raisonnable de présenter leur position et de répondre à ce qui a été présenté à leur encontre : Apo‑APIPL, aux par. 82–83, 113. Pour accomplir cet objectif, le préavis doit fournir des renseignements suffisants pour que la participation soit utile : Apo‑APIPL, au par. 113. Cela concorde avec la description faite par le juge Phelan, à savoir qu’il y avait respect de l’équité lorsque la demanderesse « savait quelles étaient les questions en litige, elle a eu l’entière responsabilité de débattre ces questions et elle a reçu une opinion clairement motivée de la part du ministre » : Apotex Inc. c Canada (Santé), 2009 CF 452, au par. 46.

[129]  C‑RNA soulève une liste de préoccupations relativement longue par rapport au processus. Après avoir examiné ces préoccupations dans le contexte de la procédure d’évaluation dans son ensemble et les renseignements figurant au dossier, je ne pense pas que C‑RNA a été traitée injustement. Même si, assurément, le processus a été long, et même si le processus de révision n’a pas respecté une formule classique, je suis convaincu que le processus était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. C‑RNA a été mise au courant des questions, s’est vu accorder un certain nombre d’occasions pour débattre ces questions, tant au moyen de preuves que d’arguments avant le refus et dans le cadre de la révision, et a reçu une décision motivée qui tenait compte des observations de C‑RNA et expliquait la position du ministre.

1)  Divulgation concernant l’hématologue consulté

[130]  Comme il est décrit plus haut, au cours de l’évaluation de la demande de C‑RNA, des représentants de la DPSNSO ont consulté un hématologue externe. C‑RNA affirme qu’il est injuste qu’elle n’ait pas reçu le nom ou la liste des compétences de cet hématologue afin de lui permettre d’évaluer ses commentaires et d’y réagir correctement. Elle s’inscrit aussi en faux contre la façon dont les discussions avec l’hématologue ont été enregistrées et laisse entendre que l’hématologue ne s’est pas fait poser les bonnes questions.

[131]  Je ne suis pas d’accord pour dire que, dans les circonstances, il y avait une obligation de divulguer l’identité de l’hématologue. La DPSNSO a dit à C‑RNA qu’elle avait consulté un hématologue en exercice et a énoncé la nature de cette consultation et le point de vue de l’hématologue sur la question d’un programme de surveillance possible. L’hématologue était donc non pas un décideur, mais seulement un professionnel consulté par rapport à un aspect de la décision. Santé Canada est demeuré la partie qui devait être convaincue quant à l’innocuité du Boluoke. C‑RNA a clairement su par rapport à quelles questions le point de vue de l’hématologue avait été demandé et quel était ce point de vue, et C‑RNA a eu l’occasion d’en débattre. À mon avis, cela suffit dans le contexte pour satisfaire à l’exigence qui consiste à savoir quelles sont les questions et à avoir l’entière possibilité d’en débattre.

[132]  La DPSNSO n’était pas non plus obligée de poser des questions particulières à l’hématologue ou de consigner ses réponses d’une façon particulière. La DPSNSO avait parfaitement le droit de demander des commentaires externes sur une question pertinente nécessitant des connaissances particulières. Elle n’était pas tenue de poser des questions particulières, de consigner les questions ou les réponses aux questions dans un rapport écrit ou de fournir la communication complète de tous les aspects de cette consultation à C‑RNA afin de satisfaire aux exigences relativement modestes en matière d’équité qui s’appliquent à l’affaire.

2)  Divulgation du REIE et du tableau de comparaison

[133]  C‑RNA soutient que le principe d’équité obligeait Santé Canada à lui fournir le REIE et le tableau de 2012 où la lumbrokinase était comparée à la nattokinase. Elle affirme que, puisqu’elle ne connaissait pas le point de vue de Santé Canada sur les questions particulières exprimées dans ces documents, elle n’a pas pu y répondre, et a donc été incapable de participer pleinement au processus. Je ne suis pas de cet avis. Dans ce contexte, l’équité n’oblige pas la divulgation complète de chaque document fonctionnel interne préparé par Santé Canada dans son évaluation d’une demande de licence. Elle prévoit un avis au sujet des questions pertinentes ainsi que des renseignements et des détails suffisants pour permettre au demandeur d’y répondre entièrement. Ces renseignements ont été fournis par Santé Canada dans les divers documents de l’ADR et dans les décisions au cours de l’évaluation de la demande de C‑RNA.

[134]  Je signale qu’il ne s’agit pas d’un cas où une question recensée dans un document interne était importante pour l’issue de l’affaire, mais n’a pas été divulguée à la partie. Au contraire, les raisons du refus de la licence pour le Boluoke étaient les mêmes que celles précédemment mentionnées par Santé Canada et auxquelles C‑RNA s’est vu accorder un certain nombre d’occasions de répondre : la préoccupation concernant un risque de saignement interne, l’absence de preuves adéquates à l’égard de l’innocuité pour réagir à cette préoccupation, la nécessité de la surveillance d’un médecin et l’incapacité de dissiper la préoccupation au moyen d’un étiquetage, puisqu’il n’était pas possible de s’autodiagnostiquer un état d’hypercoagulabilité.

[135]  À cet égard, la prétention précise de C‑RNA selon laquelle le fait de ne pas avoir le REIE signifiait qu’elle ne connaissait pas la position de Santé Canada concernant le fait de savoir si la lumbrokinase se trouvait dans une monographie, et donc si l’alinéa 6(1)a) du Règlement sur les PSN s’appliquait, n’est pas fondée. Conformément à l’alinéa 6(1)a), le ministre rend une décision concernant une demande dans les 60 jours suivant la présentation de celle‑ci si « les seuls renseignements qu’elle comporte au regard de l’alinéa 5g) » se trouvent dans la monographie portant sur cet ingrédient médicinal contenue dans le Compendium des monographies de Santé Canada. Rien ne montre qu’il existe une monographie pour la lumbrokinase dans le Compendium, et quoi qu’il en soit, cela n’était pas le [traduction« seul renseignement » sur l’innocuité et l’efficacité déposé. Le recours de C‑RNA à cet alinéa est tout à fait déplacé.

3)  Divulgation de communications avec des autorités réglementaires étrangères

[136]  C‑RNA présente un argument quant à la divulgation semblable en ce qui a trait aux communications de Santé Canada avec des organismes de santé d’autres pays concernant la délivrance d’une licence pour la lumbrokinase. Dans sa demande, C‑RNA a affirmé que le Boluoke avait été approuvé en Chine et aux États‑Unis. Toutefois, la demande ne renfermait qu’une documentation limitée confirmant l’étendue et la nature de ces approbations pour permettre à Santé Canada de les évaluer ou d’évaluer leur pertinence.

[137]  Le REIE préparé par Santé Canada montrait qu’il avait examiné la documentation fournie et constaté que l’approbation chinoise concernait le traitement d’une maladie cérébrovasculaire ischémique, un état jugé inapproprié pour l’autogestion de la santé. Des références de sites Web sur la surveillance des réactions défavorables aux drogues en Chine auraient également été examinées, malgré le fait qu’elles étaient en chinois, et réputées comme ne contenant aucune information pertinente. La DPSNSO s’est aussi renseignée auprès d’autres pays et aurait apparemment reçu des réponses uniquement de l’Australie, du Brésil et de l’Oman, chaque pays affirmant qu’aucun produit de lumbrokinase n’était offert sur ordonnance ou non.

[138]  Dans sa lettre d’août 2015 où elle demandait la révision du refus de la licence, C‑RNA a laissé entendre que la DPSNSO [traduction« avait intentionnellement refusé de reconnaître » que la lumbrokinase était offerte et utilisée en toute sécurité depuis de nombreuses années dans d’autres pays. Dans le cadre de sa révision, Santé Canada a entrepris une autre correspondance avec des homologues à Hong Kong, en Australie et à l’Agence européenne des médicaments, chacun l’informant qu’il n’y avait pas de produits de lumbrokinase autorisés dans leur administration.

[139]  L’ADR qui accompagnait la décision de refus finale analysait les renseignements disponibles au sujet de l’approbation étrangère du produit. En ce qui a trait aux États‑Unis, l’ADR a conclu qu’il ne pouvait pas supposer l’innocuité du produit à la lumière du cadre réglementaire américain et du modèle de distribution proposé (c.‑à‑d. en vente libre) au Canada. En particulier, il a souligné que le propre site Web de C‑RNA recommandait la prise du Boluoke sous les conseils d’un médecin. En ce qui a trait à la Chine, l’ADR a constaté que les produits de lumbrokinase approuvés en Chine étaient classifiés comme des produits chimiques et que la Chine avait caractérisé la lumbrokinase comme un médicament vendu sous ordonnance. Dans l’ensemble, l’ADR disait que la DPSNSO avait reçu des renseignements limités concernant d’autres organismes de réglementation et qu’il ne pouvait explorer davantage la possibilité de mettre à profit des décisions d’autres organismes de réglementation concernant la délivrance d’une licence pour le Boluoke sous le cadre des PSN.

[140]  C‑RNA soutient que rien ne montre que Santé Canada s’est renseigné auprès des États‑Unis ou de la Chine ou qu’il a consulté des sites Web accessibles pour confirmer des renseignements. Elle affirme en outre que la DPSNSO n’a pas posé les bonnes questions aux organismes étrangers et que le suivi qu’elle a fait auprès d’eux pour obtenir d’autres renseignements était inadéquat. C‑RNA fait valoir qu’il est injuste que Santé Canada ne lui ait pas divulgué ces courriels durant le processus d’évaluation afin qu’elle puisse réagir aux renseignements reçus.

[141]  Encore une fois, à mon avis, il n’y a pas eu violation des conditions de l’équité procédurale. Dans la mesure où C‑RNA souhaitait s’appuyer sur les approbations étrangères pour obtenir des renseignements pertinents à l’égard de l’innocuité et de l’efficacité du Boluoke, il lui incombait de présenter de tels renseignements dans sa demande. Puisqu’elle n’a pas fourni de renseignements adéquats sur la question, elle peut difficilement jeter le blâme à Santé Canada pour n’avoir pas [traduction« posé les bonnes questions » ou adéquatement donné suite aux demandes de renseignements qu’il a entreprises pour compléter les renseignements dans la demande. L’obligation d’équité qui s’applique en l’espèce n’oblige pas non plus la divulgation de chaque communication que Santé Canada a eue avec des organismes étrangers, particulièrement sur des affaires qui étaient vraisemblablement connues de C‑RNA, comme le statut d’enregistrement de son produit dans d’autres pays.

4)  La recommandation de présenter une nouvelle demande au titre d’une catégorie visant l’utilisation professionnelle

[142]  Après le refus de la première demande de C‑RNA, la DPSNSO et C‑RNA ont discuté dans le cadre d’un appel téléphonique d’une voie possible permettant l’approbation du Boluoke comme produit destiné à une « utilisation professionnelle ». C‑RNA affirme que la DPSNSO a proposé à C‑RNA de présenter une nouvelle demande au titre de cette catégorie et soutient que cela était inéquitable, pour deux raisons. D’abord, la catégorie n’existait pas, de sorte que C‑RNA a essentiellement été induite en erreur quand il lui a été proposé de déposer une nouvelle demande plutôt que de demander la révision de sa première demande, ou de contester la décision de la DPSNSO dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Ensuite, elle soutient que, comme résultat, la DPSNSO a appliqué la nouvelle ligne directrice de 2012 à sa nouvelle demande plutôt que la ligne directrice de 2006 qu’elle aurait dû appliquer.

[143]  Ces arguments ne sont pas convaincants. Même si je ne dispose d’aucune preuve portant qu’il existait une catégorie ou un programme destiné à une « utilisation professionnelle », il est clair que la DPSNSO a sérieusement étudié la possibilité d’une voie permettant l’octroi d’une licence qui supposait la surveillance d’un médecin durant une certaine période afin de permettre l’accumulation de données sur l’innocuité post‑commercialisation. Le fait que cette approche a fini par être rejetée en fonction de l’évaluation de Santé Canada selon laquelle il n’existait aucun programme de surveillance viable et que les données sur l’innocuité post‑commercialisation concernant une population visée par un état d’hypercoagulabilité ne montreraient pas l’innocuité chez une population saine, ne rend pas injuste la proposition d’une telle approche d’étude. Quoi qu’il en soit, la possibilité d’une licence de mise en marché régulière pour le PSN a également été envisagée pour le Boluoke, tant dans la demande originale que dans la réévaluation, de telle sorte que la prise en considération d’une licence possible destinée à une « utilisation professionnelle » a simplement donné à C‑RNA un plus grand nombre d’avenues concernant une licence possible.

[144]  En ce qui concerne l’applicabilité de la ligne directrice de 2012, je suis d’accord avec le ministre pour dire que, en tout temps, la disposition applicable était le Règlement sur les PSN, ainsi que l’obligation pour C‑RNA de montrer l’innocuité et l’efficacité du Boluoke. Peu importe la ligne directrice qui est appliquée, celle‑ci ne pouvait être ni exhaustive ni restrictive : Apotex c Canada (Santé), 2017 CF 857, aux par. 92–93. Par ailleurs, même si les différentes lignes directrices ont fourni des degrés de détails différents concernant les preuves pouvant être déposées pour appuyer l’innocuité et l’efficacité et ont adopté une approche légèrement différente à l’égard du cadre d’examen, rien ne montre que la ligne directrice de 2012 imposait une obligation différente ou supérieure à C‑RNA. L’affirmation de C‑RNA, soit qu’elle aurait reçu une approbation si la DPSNSO avait appliqué la ligne directrice de 2006, est impossible à évaluer pour la Cour et est minée par le fait que sa première demande a été refusée au titre de cette ligne directrice. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que C‑RNA a fait ressortir des différences importantes dans les lignes directrices qui montrent qu’elle a subi un préjudice sérieux en raison de l’utilisation de la ligne directrice de 2012, même si elle pourrait établir un droit de faire examiner sa demande au titre de la ligne directrice de 2006.

5)  Le processus de révision

[145]  Enfin, C‑RNA soutient que le processus de révision a été mené de manière inéquitable. En particulier, elle fait valoir qu’elle a fait l’objet d’un rétablissement et d’une réévaluation, mais non pas de la révision prévue dans le Règlement sur les PSN. Elle affirme en outre que Santé Canada n’a pas suivi son propre processus de révision, car il n’a pas envoyé à C‑RNA de lettre d’invitation concernant la rencontre et que les personnes qui ont pris la décision de rétablir la demande ont également participé à la réévaluation.

[146]  Comme il est expliqué plus haut, les critères réglementaires pour une révision énoncés dans le Règlement sur les PSN sont assez limités. D’après l’alinéa 9(3)a), dans le cadre de la révision d’un refus, le ministre donne au demandeur la « possibilité de se faire entendre », et conformément à l’alinéa 9(3)b), le ministre reconsidère la demande de licence après avoir donné au demandeur la possibilité de se faire entendre.

[147]  Les parties ont désigné deux documents de Santé Canada concernant la conduite d’une révision au titre du paragraphe 9(3). Le premier est un document d’orientation daté d’octobre 2008 et intitulé « Processus de reconsidération : Direction des produits de santé naturels, Version 1.0 ». Le deuxième, daté du 11 mars 2016, porte la mention [traduction] « ébauche » et s’intitule [traduction« Procédure normale d’exploitation : Révision des décisions sur les présentations de produits de santé naturels – Procédure normale d’exploitation pour les révisions ». Le dernier, que je désignerai comme [traduction] « PNO du BLLAD », a été délivré par le Bureau de liaison sur la Loi sur les aliments et drogues (BLLAD) et signale qu’il doit être lu conjointement avec le document d’orientation sur le processus de révision de la DPSNSO, qui, selon ma compréhension, est l’ancien document.

[148]  La ligne directrice sur le processus de révision de la DPSNSO est très brève. Elle énonce les circonstances dans lesquelles une révision peut être entamée et fournit un « Aperçu du processus de reconsidération ». Cet aperçu mentionne que le directeur général du Bureau de liaison de la DPSNSO gérera le processus et prendra la décision relative à la révision en se fondant sur l’examen d’un membre du personnel qui n’a pas entrepris l’évaluation originale. Il signale en outre que la révision ne portera que sur les renseignements à partir desquels la décision originale a été prise et que les nouveaux renseignements ne seront pas pris en considération.

[149]  La PNO du BLLAD demeure clairement un document provisoire, car en plus de la mention « ébauche », un certain nombre de sections ne sont pas remplies, et le document contient un certain nombre de notes internes. Le document est plus détaillé, car il décrit les diverses étapes du processus. Au titre de la PNO du BLLAD, une demande de révision est évaluée à des fins d’admissibilité, et le demandeur admissible reçoit une lettre relative à l’admissibilité qui l’invite à déposer une demande de révision sous une forme prescrite. La demande peut être évaluée au moyen d’un examen interne, d’un comité externe ou d’une combinaison des deux, et une lettre d’invitation envoyée au demandeur décrit la nature de l’examen et l’invite à une rencontre. La PNO du BLLAD décrit également la participation relative du BLLAD (qui semble tenir principalement à l’examen et à la coordination) et de la DPSNSO (évaluation de fond de la révision qui peut se faire en association avec un comité externe). Tout comme la ligne directrice sur le processus de révision de la DPSNSO, la PNO du BLLAD prévoit que la révision est effectuée par des agents évaluateurs qui n’ont pas participé à l’évaluation initiale.

[150]  Comme le reconnaît le ministre, le processus suivi dans le cas de la révision de C‑RNA n’était pas « typique ». Il n’a certainement pas respecté le document provisoire de la PNO du BLLAD, car il n’y a eu aucune lettre d’admissibilité ni lettre d’invitation. Plutôt, comme il est signalé plus haut, la DPSNSO a effectué un examen initial et a constaté des motifs de préoccupation dans la façon dont elle avait communiqué les facteurs contribuant à la classification de la lumbrokinase comme un produit présentant un niveau de « risque élevé » et l’application des principes figurant dans la Liste des drogues sur ordonnance. Par conséquent, la demande de C‑RNA a été rétablie avant même qu’il soit nécessaire de tenir une rencontre en personne. Le processus n’a pas non plus respecté le document sur le processus de révision de la DPSNSO, car la DPSNSO a autorisé la possibilité de déposer de nouvelles preuves, délivrant un ADR après la rencontre du 2 décembre 2015. Il semble que les représentants de Santé Canada étaient au courant de ces différences, car il y a eu une certaine discussion interne concernant le processus applicable et le fait de savoir s’il convenait de désigner la décision ultime comme une décision donnant suite à une « révision ».

[151]  Je ne peux pas conclure que le processus de révision, évalué dans son ensemble, était inéquitable ou qu’il n’a pas satisfait aux exigences énoncées dans le Règlement sur les PSN, malgré qu’il ne se soit conformé à aucun document applicable et qu’il ne se soit apparemment pas entièrement conformé aux attentes de C‑RNA. En particulier, je fais observer que C‑RNA a reçu une révision de fond de sa demande, que la révision a été entreprise par des agents qui n’avaient pas entrepris l’évaluation originale et que C‑RNA a eu « la possibilité de se faire entendre » dans le cadre de la réunion du 2 décembre 2015.

[152]  Le fait qu’aucune « lettre d’invitation » officielle n’ait été envoyée à C‑RNA n’influence pas l’équité du processus. C‑RNA s’est clairement vu offrir la possibilité d’une rencontre, et des échanges approfondis concernant la nature et la forme de cette rencontre ont eu lieu. C‑RNA a présenté durant cette rencontre un exposé détaillé décrivant son point de vue sur la raison pour laquelle sa demande devrait être accueillie. Le fait de conclure à l’iniquité parce que ces renseignements n’ont pas été transmis au moyen d’une « lettre d’invitation », comme ce qui est décrit dans un document provisoire sur le processus, reviendrait à accorder plus d’importance à la forme qu’au fond.

[153]  Je ne vois non plus pas d’iniquité ni de [traduction« conflit d’intérêts », comme l’allègue C‑RNA, dans le fait que les personnes qui ont participé à l’examen initial ont aussi été désignées comme des agents évaluateurs pour la révision de fond. Quoi qu’il en soit, la révision elle‑même, et en particulier la préparation de l’ADR, semble avoir été effectuée par un gestionnaire de la DPSNSO qui n’a pas participé à l’évaluation originale ou à l’examen de révision, et la décision finale a été prise par le directeur général intérimaire de la DPSNSO.

[154]  Le fait que la DPSNSO a délivré un ADR en février 2016, demandant des renseignements supplémentaires, montre qu’elle avait décidé de ne pas confiner son examen aux renseignements préalablement fournis. C’est contraire à l’approche décrite dans le document sur le processus de révision de la DPSNSO. Toutefois, je suis d’accord avec le ministre pour dire que, le cas échéant, cela ajoute de l’équité au processus en fournissant à C‑RNA une autre occasion de faire valoir sa cause. Santé Canada a conclu que certaines questions concernant la catégorisation et les preuves nécessaires n’ont pas été communiquées assez clairement. Le fait de vouloir rectifier cela en communiquant ces préoccupations à C‑RNA et en lui donnant une autre occasion d’y réagir ne peut être considéré comme inéquitable. Au contraire, le processus de révision interne prévu dans le Règlement sur les PSN est vraisemblablement conçu pour tenir compte non seulement d’erreurs possibles dans l’évaluation de fond de la demande, mais aussi de tout remède à une iniquité qui aurait pu être soulevée durant son examen, ce à quoi une révision peut remédier : Ré : Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, au par. 87. À cet égard, je signale que les préoccupations recensées par Santé Canada étaient de nature complètement différente que celles soulevées par la Cour dans l’affaire Winning Combination, qui ont été considérées comme non annulables lors de la révision : Winning Combination (CF), aux par. 87, 130, 143; Winning Combination (CAF), aux par. 46, 87.

[155]  Je n’admets pas non plus l’argument de C‑RNA voulant qu’il y a eu violation de l’équité procédurale parce que Santé Canada n’a pas répondu à ses questions au sujet des preuves précises qu’elle devait déposer à l’appui de sa demande. Le Règlement sur les PSN ne précise pas une forme de preuve particulière, et les lignes directrices fournissent une orientation sur les preuves qui peuvent être déposées, mais ne prétendent pas limiter le Règlement sur les PSN. En fait, la ligne directrice de 2012 affirme expressément que d’« autres moyens de démontrer l’innocuité et l’efficacité peuvent être acceptables, selon les circonstances ». Santé Canada a renvoyé C‑RNA aux renseignements figurant dans les lignes directrices à un certain nombre d’occasions et a décrit en détail les raisons pour lesquelles les preuves déposées n’ont pas été considérées comme suffisantes. À mon avis, l’obligation d’équité n’impose pas une obligation supérieure en matière d’orientation à Santé Canada. Au final, le rôle réglementaire de Santé Canada est d’évaluer la demande déposée par C‑RNA, et non pas d’agir comme conseiller ou consultant en fournissant des détails précis sur ce qu’elle doit déposer.

[156]  À mon avis, les exigences prévues dans le Règlement sur les PSN et l’obligation d’équité procédurale en common law ont été respectées dans le cadre de la révision. C‑RNA s’est vu accorder un avis de refus de sa demande assorti de motifs, comme le prévoit le paragraphe 9(1) du Règlement sur les PSN. Elle a présenté une demande de révision et s’est vu donner la possibilité de se faire entendre, comme le prévoit l’alinéa 9(2)a). Le ministre a reconsidéré la demande après l’audience, comme l’énonce l’alinéa 9(2)b). Et le ministre a fourni un avis final de refus exposant ses motifs, comme le prévoit le paragraphe 10(2). Du début à la fin, les exigences concernant un avis exposant le fond des questions, la possibilité de se faire entendre et une décision prise par un décideur indépendant et impartial ont été respectées. Le fait que le processus ait peut‑être été désigné comme une « réévaluation » plutôt que comme une « révision » et que C‑RNA se soit vu offrir une possibilité supplémentaire de fournir de nouvelles preuves durant le cours du processus ne rend pas celui‑ci inéquitable.

VI.  Conclusion

[157]  À l’instar du ministre, j’estime que l’histoire de l’affaire révèle que, tout au long de l’évaluation de la demande de C‑RNA concernant une licence de mise en marché d’un PSN, Santé Canada a jugé qu’il n’existait pas suffisamment de preuves à l’égard de l’innocuité de la lumbrokinase chez des populations saines pour montrer qu’elle pouvait être utilisée sans ordonnance de manière sécuritaire. Pour reprendre les mots du juge O’Keefe, il « manquait essentiellement » des renseignements pour montrer l’innocuité selon les conditions d’utilisation recommandées : North American Nutriceutical, au par. 104. C‑RNA a déposé une panoplie d’autres renseignements et fréquemment affirmé que les preuves qu’elle avait déposées devraient suffire et que l’approche de Santé Canada était mal avisée, mais elle n’a jamais déposé de renseignements satisfaisant Santé Canada afin de combler cette lacune dans la preuve. L’évaluation de l’innocuité effectuée par Santé Canada reposait sur des considérations scientifiques objectives, et ce, de façon équitable et transparente : Winning Combination (CAF), au par. 94.

[158]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[159]  J’invite les parties à s’accorder sur le montant des dépens. Si elles ne parviennent pas à le faire, elles peuvent déposer des observations écrites fondées sur ce qui suit :

  • - Le ministre doit déposer des observations écrites sur les dépens dans une lettre ne dépassant pas trois pages à simple interligne, d’ici le 26 juin 2020. Le ministre peut joindre un mémoire des frais en tant qu’annexe.

  • - C‑RNA doit déposer des observations écrites sur les dépens dans une lettre ne dépassant pas trois pages à simple interligne d’ici le 17 juillet 2020. C‑RNA peut joindre en tant qu’annexe un mémoire des frais ou une observation, ne dépassant pas une page, portant sur des postes précis figurant dans le mémoire des frais du ministre (s’il est déposé).

  • - Le ministre peut déposer des observations de réponse dans une lettre ne dépassant pas une page à simple interligne d’ici le 24 juillet 2020. Le ministre peut joindre en tant qu’annexe une observation, ne dépassant pas une page, qui porte sur des postes précis figurant dans le mémoire des frais de C‑RNA (s’il est déposé).

  • - Si les dates qui précèdent ne fonctionnent pas pour les parties, elles peuvent consentir à les prolonger, pourvu que tous les documents soient déposés d’ici le 14 août 2020, ou elles peuvent s’adresser ultérieurement à la Cour.


JUGEMENT dans le dossier T‑1304‑16

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent en discuter conformément aux motifs fournis.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1304‑16

 

INTITULÉ :

CANADA RNA BIOCHEMICAL INC. C CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 18 ET 19 NOVEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 JUIN 2020

 

COMPARUTIONS :

Paul H. Starkman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Rebecca Sewell

Karen Lovell

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Starkman Barristers

Markham (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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