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Date : 20200609


Dossier : T­147­18

Référence : 2020 CF 678

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

KEITH NEYEDLY

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Keith Neyedly (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 décembre 2017 par l’Agence du revenu du Canada (ARC), qui a rejeté la majeure partie de l’allégement qu’il a demandé dans une demande fondée sur l’équité, relativement à des pénalités et à des intérêts qui ont été imposés en raison d’une omission dans sa déclaration de revenus de 2005. Comme les dates le montrent clairement, cette affaire ne date pas d’hier.

[2]  Le demandeur affirme que la décision de rejeter la majeure partie de sa demande fondée sur l’équité est déraisonnable. Essentiellement, le demandeur a présenté une demande d’allégement en vertu de la Charte des droits du contribuable et de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [la LIR]. Il a soutenu qu’il n’a jamais eu l’intention de tromper l’ARC au sujet de son revenu de 2005 et qu’il a eu recours aux services de vérificateurs professionnels pour remplir sa déclaration de revenus d’entreprise et d’avocats pour traiter avec l’ARC. Il a demandé un allégement des pénalités et des intérêts parce que le processus de vérification de l’ARC a pris trop de temps, que les fonctionnaires de l’ARC ont commis plusieurs erreurs, que certains de ces fonctionnaires n’ont pas fait preuve de professionnalisme dans leurs rapports avec lui, et que ses droits garantis par la Charte des droits du contribuable n’ont pas été respectés. Dans sa décision concernant la demande fondée sur l’équité, l’ARC a seulement reconnu qu’une petite partie du retard était attribuable à l’ARC, et elle a donc annulé les intérêts facturés pour la période en question. Le reste de l’allégement demandé a été refusé.

[3]  Le demandeur soutient que la décision est déraisonnable, et il demande le contrôle judiciaire de la décision de rejeter sa demande d’allégement. Il sera utile de passer en revue l’historique de l’affaire avant d’analyser les arguments des parties.

[4]  Comme je l’ai expliqué à M. Neyedly à l’audience, une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale comporte de nombreuses questions juridiques techniques, qui peuvent rendre perplexe même un avocat expérimenté. C’est un domaine très technique du droit, tout comme le droit de l’impôt sur le revenu.

[5]  J’ai examiné attentivement les observations des parties concernant la décision de refuser la majeure partie de l’allégement demandé par le demandeur en vertu des dispositions sur l’équité fiscale, ainsi que la compétence de la Cour fédérale et l’incidence du règlement antérieur de l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Dans les motifs qui suivent, je décrirai le contexte de l’affaire, j’énoncerai les questions à traiter, et j’expliquerai mes conclusions sur chaque question.

I.  Le contexte

[6]  En 2005, le demandeur a commencé à vendre des bateaux d’occasion. Il n’a toutefois déclaré aucun revenu ni aucune dépense pour cette entreprise dans sa déclaration de revenus de 2005. La présente affaire porte sur les conséquences qui ont découlé de cette omission.

[7]  Le demandeur a produit une déclaration de revenus personnelle pour 2005, mais il affirme que le comptable qu’il avait embauché pour remplir et produire sa déclaration de revenus de 2005 pour l’entreprise n’a pas produit la déclaration dans les délais. Par conséquent, l’ARC a évalué sa déclaration de revenus pour cette année­là sans tenir compte de l’entreprise, et le demandeur a reçu un remboursement de 2 521,61 $.

[8]  En 2007, un vérificateur de l’ARC a informé le demandeur que sa déclaration de revenus de 2005 faisait l’objet d’une vérification. En février 2008, l’ARC a affecté un nouveau vérificateur au dossier du demandeur. Entre février et juillet 2008, il y a eu plusieurs échanges de renseignements, et une rencontre a eu lieu avec le père du demandeur. En août 2008, le vérificateur a envoyé une lettre de proposition au demandeur. Une lettre de rajustement final après vérification a été envoyée au demandeur le 18 septembre 2008, et l’ARC a en conséquence produit un avis de nouvelle cotisation le 14 octobre 2008. Cet avis indiquait que le revenu imposable du demandeur avait été augmenté pour refléter 66 632 $ de revenus d’entreprise qui n’avaient pas été déclarés. Par conséquent, le revenu imposable du demandeur est passé de 22 581 $ à 88 332 $, et l’ARC a indiqué que le demandeur, conformément au paragraphe 163(2) de la LIR et à la Loi de l’impôt sur le revenu du Manitoba, CPLM c I10, serait passible de pénalités pour avoir omis de déclarer le revenu, communément appelées pénalités pour faute lourde.

[9]  Le 9 janvier 2009, l’avocat du demandeur a déposé un avis d’opposition à la nouvelle cotisation. Le 24 juin 2009, le comptable du demandeur a présenté une demande de report rétrospectif de pertes à l’ARC, demandant que les pertes autres que les pertes en capital de l’année d’imposition 2006 soient appliquées pour réduire le revenu imposable de 2005. Une série d’échanges s’en est suivie en 2010, et, le 29 mars 2011, un agent d’appel de l’ARC a indiqué dans une lettre que le revenu imposable du demandeur pour 2005 serait réduit de 3 825 $ parce qu’une déduction pour amortissement additionnelle avait été acceptée. La demande de report rétrospectif de pertes n’a toutefois pas été acceptée.

[10]  Le demandeur a ensuite déposé un avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt, contestant la nouvelle cotisation du 29 mars 2011 par laquelle la demande de report rétrospectif de pertes avait été refusée. Le 27 avril 2011, une autre demande de report rétrospectif de pertes a été envoyée à l’ARC, et l’avocat du demandeur a fait un suivi en envoyant une lettre au ministère de la Justice en février 2012.

[11]  Le 28 février 2012, l’avocat du ministère de la Justice a informé l’avocat du demandeur que l’ARC était disposée à autoriser le report rétrospectif de pertes. Le 28 août 2012, le demandeur et l’ARC ont signé un procès­verbal de règlement avant l’audition de l’appel par la Cour canadienne de l’impôt. Conformément au règlement, une nouvelle cotisation a été établie le 5 octobre 2012, et les pertes autres que les pertes en capital de 2006 ont été appliquées à l’année d’imposition 2005, ce qui a eu pour effet de réduire le revenu imposable du demandeur à 52 128 $. Le report rétrospectif de pertes a été appliqué à la date à laquelle le demandeur a produit sa déclaration de revenus de 2006.

[12]  Le 11 novembre 2013, le demandeur a présenté une demande d’allégement pour les contribuables afin que les pénalités et les intérêts imposés pour l’année d’imposition 2005 soient annulés en raison des retards causés par l’ARC. Cette demande a été rejetée le 11 août 2015, et le demandeur a été informé qu’il pouvait demander un deuxième examen indépendant.

[13]  Le 11 mai 2017, le demandeur a demandé un deuxième examen de sa demande d’allégement pour les contribuables, demandant encore une fois l’annulation des pénalités et des intérêts imposés pour l’année d’imposition 2005. Cette demande a été partiellement accueillie dans une décision datée du 19 décembre 2017. Le gestionnaire de la vérification de l’ARC qui a examiné la demande du demandeur a constaté que le dossier avait été inactif du 7 septembre 2007 au 12 février 2008 en raison d’un changement de vérificateur, et il a en conséquence annulé les intérêts sur les arriérés pour cette période. Il a toutefois rejeté le reste de la demande d’allégement du demandeur. C’est cette décision qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire en l’espèce.

[14]  Une dernière question de procédure mérite d’être soulignée. Le demandeur s’est représenté lui‑même à l’audience. Il avait présenté une requête dans laquelle il demandait que son père le représente parce qu’il l’avait aidé tout au long du processus avec l’ARC et qu’il connaissait en conséquence bien le dossier. Cette demande a été refusée le 14 mai 2018 parce que l’article 119 des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106, ne permet pas à une partie d’être représentée par une personne autre qu’un avocat, et le demandeur n’a pas établi de circonstances exceptionnelles qui justifieraient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire résiduel par la Cour (Erdmann c Canada, 2001 CAF 138).

[15]  Lors de l’audience, le demandeur a présenté ses arguments, mais son père était présent pour l’aider avec les détails, et plusieurs pauses ont été prises pour permettre au demandeur et à son père de discuter.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[16]  Le demandeur soulève plusieurs préoccupations découlant du traitement de ses demandes par l’ARC relativement à sa déclaration de revenus de 2005, notamment celles qui suivent :

  1. il n’a pas été traité de façon professionnelle, courtoise et équitable, comme l’exige la Charte des droits du contribuable, et en particulier la vérification a été soumise à des retards excessifs, l’ARC n’a pas tenu compte du fait qu’il se fiait à des vérificateurs professionnels et à des avocats, et plusieurs vérificateurs ne l’ont pas traité de façon professionnelle;
  2. l’ARC, soit la partie défenderesse, n’a pas protégé ses biens et a perdu des dossiers importants liés à la vérification de sa déclaration, en contravention de l’article 241 de la LIR.

[17]  En raison de ces lacunes dans le processus, le demandeur demande que les dépenses de 49 862,58 $ qui étaient reflétées dans les documents perdus soient autorisées; que des dépenses additionnelles de 5 187,50 $ soient autorisées, puisqu’elles ont été refusées pour aucune raison en particulier; et que le montant total qu’il a payé pour l’année d’imposition 2005, soit 46 247,64 $, ainsi que les intérêts, lui soient remboursés.

[18]  Le défendeur soutient que les demandes du demandeur devraient être rejetées pour les raisons suivantes :

  1. la Cour fédérale n’a pas compétence pour examiner la nouvelle cotisation d’impôt sur le revenu du demandeur;
  2. le principe de la chose jugée s’applique parce que le demandeur est lié par le règlement qu’il a conclu relativement à son appel devant la Cour canadienne de l’impôt;
  3. si la Cour décide d’examiner la décision rendue au deuxième palier d’examen et par laquelle la demande d’allégement pour les contribuables du demandeur a été rejetée, cette décision est raisonnable.

[19]  Je reformulerais les questions pour qu’elles reflètent les principales questions en litige entre les parties :

  1. Quelle est la décision contestée, et la Cour fédérale a­t­elle compétence pour la contrôler?

  2. Est-ce que le principe de la chose jugée s’applique au litige et empêche qu’il fasse l’objet d’un contrôle en raison du règlement conclu par les parties?

  3. La décision rendue au deuxième palier d’examen datée du 17 décembre 2017 était­elle raisonnable?

[20]  Le défendeur a soulevé une question juridique technique concernant la désignation des parties dans la présente instance, question qui a été réglée à l’audience avec le consentement du demandeur. L’intitulé est par conséquent modifié, avec effet immédiat, de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur.

[21]  La première question à régler en l’espèce est de déterminer quelle est la décision contestée, et il s’agit principalement d’une question de fait. La deuxième question est d’établir si la Cour fédérale a compétence pour contrôler la décision contestée, et il s’agit d’une question de droit. Dans le même ordre d’idées, la question de savoir si le principe de la chose jugée s’applique, qui est en fait un argument selon lequel la demande du demandeur devant la Cour fédérale ne devrait pas être examinée en raison du règlement intervenu devant la Cour canadienne de l’impôt, est aussi principalement une question de droit, et elle n’a jusqu’à maintenant été soulevée ni traitée par aucun décideur.

[22]  La troisième question est de savoir si la décision en matière d’équité envers le contribuable devrait être infirmée, et celle-ci doit être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable. La question a été tranchée dans des affaires antérieures (Agence du revenu du Canada c Slau Limited, 2009 CAF 270, aux par. 26 et 27), et les conclusions sont conformes à l’arrêt rendu récemment par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[23]  Il est difficile de résumer en quelques mots ce que signifie « la norme de contrôle ». En termes simples, il s’agit de la façon dont un tribunal doit s’acquitter de sa tâche lorsqu’il effectue un contrôle judiciaire. Le point de départ le plus facile est peut­être d’établir une comparaison avec un appel. Dans la plupart des cas, la partie qui interjette appel veut que la cour d’appel infirme la décision parce qu’elle est arrivée au mauvais résultat. C’est ce qui s’appelle le contrôle selon la norme de la « décision correcte », pour des raisons évidentes. Une cour d’appel ne doit pas entendre de nouveau toute l’affaire, et elle n’infirme habituellement pas les conclusions de fait. La plupart des appels mettent en réalité l’accent sur les règles de droit qui régissent l’affaire et, sur ce point, la cour d’appel se met simplement à la place du décideur initial, et il tranche la question.

[24]  Le contrôle judiciaire, pour sa part, est habituellement plus limité, parce que le législateur a confié la tâche de rendre la première décision à un décideur administratif, et il n’a pas prévu de disposition en matière d’appel dans la loi. Cela signifie que les tribunaux doivent généralement faire preuve de retenue à l’égard d’une décision rendue au premier palier et ne doivent l’infirmer que si la décision est déraisonnable. Les tribunaux doivent faire preuve de vigilance et veiller à ce que les décisions soient conformes au principe de l’équité procédurale et à ce que le décideur ait appliqué les bons principes de droit aux bons faits, mais le tribunal ne peut pas infirmer une décision simplement parce qu’il estime que le résultat n’était pas le bon, car cette décision n’appartient pas au tribunal. Le législateur fédéral (ou provincial) a confié cette tâche à quelqu’un d’autre. Pour que ce choix soit respecté, la loi dit que le contrôle judiciaire comporte une évaluation plus limitée.

[25]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov (rendu le 19 décembre 2019), a récemment expliqué comment le contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit être effectué, et elle a appliqué ce cadre d’analyse peu de temps après dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 (rendu le 20 décembre 2019) [Postes Canada].

[26]  Comme l’indiquent ces arrêts, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable comporte de nombreux aspects. Les balises les plus importantes à suivre en l’espèce sont les suivantes : le contrôle doit d’abord porter sur les motifs de la décision, et la cour de révision doit évaluer si le décideur a appliqué les bonnes règles de droit aux faits importants en cause, et si le fil du raisonnement suivi par le décideur est intrinsèquement cohérent et rationnel. Autrement dit, le droit applicable et les principaux faits de l’affaire établissent le cadre dans lequel la décision doit être prise (Vavilov, aux par. 84, 85 et 99; Postes Canada, au par. 31). Si le contrôle révèle que le décideur n’a pas respecté ce cadre, en appliquant les mauvaises règles de droit ou en ne tenant pas compte des faits pertinents les plus importants, la décision peut alors être jugée déraisonnable.

[27]  De plus, le processus d’analyse doit démontrer que la décision est justifiée. La cour de révision doit notamment pouvoir suivre la logique interne de la décision et comprendre comment le décideur est arrivé à sa conclusion (Vavilov, aux par. 81 et 85). Le juge Donald Rennie a décrit ce principe dans la décision Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, au par. 11. Il a affirmé qu’une décision raisonnable est une décision qui permet à la cour de révision de « relier les points sur la page [de sorte que] les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » (cité avec approbation dans Vavilov, au par. 97). S’il n’y a pas de points ou si la direction que prennent les lignes n’est pas claire, alors la décision pourrait fort bien être jugée déraisonnable. Une autre façon de décrire ce principe est de prendre du recul et de se demander si le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, au par. 104).

[28]  Dans ce contexte, après avoir cerné les questions et avoir établi l’approche à adopter pour en faire le contrôle, je passe maintenant aux arguments avancés par les parties.

III.  Analyse

A.  Quelle est la décision contestée, et la Cour fédérale a­t­elle compétence pour en faire le contrôle?

[29]  Le point de départ d’une demande de contrôle judiciaire est la décision qui fait l’objet du contrôle. En l’espèce, la question prend encore plus d’importance, car certaines questions concernant la LIR ou la Loi sur la taxe d’accise, LRC 1985, c E­15, ne peuvent être examinées que par la Cour canadienne de l’impôt.

[30]  Le défendeur soutient que le demandeur cherche essentiellement à faire annuler la nouvelle cotisation d’impôt établie après le règlement de son appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Il soutient que la Cour fédérale ne peut pas faire le contrôle des cotisations d’impôt parce que la Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive pour entendre les appels relatifs aux cotisations de l’impôt sur le revenu et de la TPS.

[31]  L’argument du défendeur est fondé sur la législation et la jurisprudence. En vertu du paragraphe 169(2) de la LIR, un contribuable peut interjeter appel d’une cotisation concernant « l’impôt, les intérêts, les pénalités ou d’autres montants payables » auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F­7, énoncent la règle générale selon laquelle la Cour fédérale peut entendre les demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues par tout « office fédéral », ce qui comprend généralement les décisions rendues par l’ARC. Le législateur a toutefois prévu une exception à cette règle générale à l’article 18.5. La partie pertinente de cette disposition est ainsi libellée : « Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant [...] la Cour canadienne de l’impôt, [...] d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, [...] cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle [par la Cour fédérale]. »

[32]  Compte tenu de ces dispositions législatives, il a été décidé que la Cour fédérale n’a pas compétence pour faire le contrôle des cotisations d’impôt, puisque celles-ci peuvent être portées en appel devant la Cour canadienne de l’impôt (Canada c Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, au par. 8). Le revers de la médaille, c’est que la Cour canadienne de l’impôt a compétence exclusive pour instruire les appels relatifs aux cotisations d’impôt sur le revenu (LIR, paragraphe 169(1); Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T­2, article 12; Canada c Roitman, 2006 CAF 266, aux par. 19 et 20, autorisation de pourvoi refusée : CSC 31634 [Roitman]).

[33]  Le paragraphe 152(8) de la LIR est une autre indication de l’intention du législateur de limiter la façon dont un contribuable peut contester une cotisation :

Présomption de la validité de la cotisation

Assessment deemed valid and binding

152 (8) Sous réserve des modifications qui peuvent y être apportées ou de son annulation lors d’une opposition ou d’un appel fait en vertu de la présente partie et sous réserve d’une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée être valide et exécutoire malgré toute erreur, tout vice de forme ou toute omission dans cette cotisation ou dans toute procédure s’y rattachant en vertu de la présente loi.

152 (8) An assessment shall, subject to being varied or vacated on an objection or appeal under this Part and subject to a reassessment, be deemed to be valid and binding notwithstanding any error, defect or omission in the assessment or in any proceeding under this Act relating thereto.

[34]  À la lumière des lois et des décisions en question, le défendeur soutient que la demande du demandeur devrait être rejetée. Il souligne que le demandeur a introduit la présente instance en déposant et en signifiant un avis de demande de contrôle judiciaire, dans lequel il demande [TRADUCTION] « l’annulation des pénalités [de] 17 384,54 $ et des frais d’intérêt de 13 411,21 [$] se rapportant à un impôt sur le revenu des particuliers de 9 114,78 $ [sic] établi à tort par les vérificateurs ». Le défendeur affirme que seule la Cour canadienne de l’impôt peut évaluer si les pénalités et les intérêts sont appropriés.

[35]  Je ne suis pas convaincu que tous les arguments du demandeur devraient être rejetés.

[36]  Le défendeur a raison de dire que la Cour fédérale ne peut pas contrôler les cotisations d’impôt, les pénalités ou les intérêts, puisqu’ils peuvent être portés en appel devant la Cour canadienne de l’impôt et sont par conséquent visés par l’exception prévue à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales (Chekosky c Canada (Agence du revenu), 2019 CF 841, au par. 32 [Chekosky]; Roitman, au par. 19). Si le demandeur demande un tel contrôle, celui-ci ne peut pas être fait par la Cour fédérale.

[37]  De plus, le demandeur a présenté plusieurs arguments concernant le processus de vérification. Il soutient que les vérificateurs ont pris des décisions déraisonnables en acceptant puis en rejetant certaines demandes, qu’ils ne l’ont pas traité de façon professionnelle et qu’il y a eu un retard indu dans la vérification, ce qui a entraîné l’accumulation des intérêts. Bon nombre de ces arguments concernent également des questions qui ne peuvent pas être soulevées devant la Cour fédérale, puisqu’ils remettent en cause les résultats de la cotisation des impôts, des pénalités et des intérêts dus par le demandeur (Chekosky, aux par. 34 et 35). Le recours approprié du demandeur est d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, ce qui est précisément ce qu’il a fait, et son appel couvrait tous ces motifs de plainte.

[38]  Il ne fait aucun doute, cependant, que la Cour fédérale peut entendre le contrôle judiciaire d’une décision concernant une demande d’allégement pour les contribuables en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR (Chekosky, au par. 30; Cybernius Medical Ltd. c Canada (Procureur général), 2017 CF 226, au par. 27). L’avis de demande du demandeur contient des renvois précis à la décision du 19 décembre 2017 relative à l’allégement pour les contribuables, par laquelle l’ARC a rejeté sa demande d’annulation des pénalités pour faute lourde et des intérêts accumulés, et le demandeur soutient que ses droits garantis par la Charte des droits du contribuable n’ont pas été respectés.

[39]  À mon avis, la décision de rejeter la demande d’allégement du demandeur est celle qui fait l’objet du contrôle judiciaire, et cela relève carrément de la compétence de la Cour fédérale. Les deux parties ont abordé cette question dans leurs observations écrites et orales, et il n’y a aucune iniquité à l’examiner. Compte tenu de cela, et compte tenu du fait que le demandeur s’est représenté lui­même en l’espèce, il est dans l’intérêt de la justice d’examiner cet aspect de la demande (voir l’analyse dans Chekosky, au par. 30).

B.  Est-ce que le principe de la chose jugée s’applique au litige et empêche qu’il fasse l’objet d’un contrôle en raison du règlement conclu par les parties?

[40]  Compte tenu de ma conclusion sur la première question, il n’est pas nécessaire de discuter de la question du principe de la chose jugée en détail, car la demande d’allégement pour les contribuables, qui est au cœur de la présente affaire, n’a pas été abordée dans le règlement.

[41]  Le défendeur a soutenu que le principe de la chose jugée s’appliquait à l’ensemble de la demande du demandeur parce que la demande a été traitée dans le règlement conclu par les parties devant la Cour canadienne de l’impôt. Bien que les modalités réelles du règlement ne figurent pas dans le dossier dont je dispose, plusieurs renvois au règlement, y compris dans la décision de refus du 19 décembre 2017, décrivent le règlement ainsi :

[traduction]

Après avoir reçu l’avis de nouvelle cotisation pour les rajustements recommandés par la division des appels, vous avez poursuivi votre appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt [...] Avant la tenue d’une audience officielle devant la Cour canadienne de l’impôt, vous avez conclu un accord et signé un procès‑verbal de règlement avec le ministère de la Justice. Dans le procès­verbal de règlement, il a été convenu d’autoriser l’application des pertes autres que les pertes en capital de l’année 2006 au revenu de l’année 2005. Vous avez convenu que, après l’application de ces pertes, il n’y aurait plus d’avis d’opposition ni de contestations applicables à l’année en question. L’avis de nouvelle cotisation autorisant l’application des pertes a été établi le 5 octobre 2012. Par la suite, un avis signé de retrait de l’opposition à la Cour canadienne de l’impôt a été reçu le 19 octobre 2012.

[42]  Compte tenu du règlement, le défendeur soutient que le principe de la chose jugée s’applique à la demande du demandeur et que celle-ci devrait donc être rejetée.

[43]  La doctrine juridique de l’autorité de la chose jugée peut être très technique, mais son objet peut être résumé très simplement : elle vise à assurer le règlement définitif des litiges, pour le bien des deux parties et de la société en général. Lorsque deux parties à un litige passent par un procès et obtiennent une décision qui n’est pas portée en appel, la décision devient définitive et exécutoire, et elle devrait mettre fin au différend entre ces parties. Il en va de même si les parties décident de régler le litige avant ou pendant le procès. Il n’est dans l’intérêt de personne de permettre que les décisions soient remises en cause sous une autre forme. Pour éviter une telle situation, le droit dit essentiellement « assez, c’est assez » (voir Angle c Ministre du Revenu National, [1975] 2 RCS 248; Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44; et Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19).

[44]  En ce qui concerne les faits en l’espèce, je conviens avec le défendeur que, dans la mesure où la demande d’allégement présentée par le demandeur dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce ne fait que répéter les questions soulevées dans l’appel qui a fait l’objet d’un règlement, le principe de la chose jugée s’applique et aucun fondement ne m’autorise à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à statuer sur la demande. À cet égard, il convient de souligner que le demandeur était représenté par un avocat dans l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt et qu’il a conclu le règlement après avoir eu la possibilité d’obtenir des conseils juridiques sur les conséquences de régler l’affaire plutôt que de poursuivre l’appel.

[45]  Bien que le demandeur puisse penser que c’est injuste, c’est la loi. Il verrait peut­être les choses différemment si la situation était inversée, c’est-à-dire s’il avait réussi à faire effacer toutes les pénalités et tous les intérêts dans le cadre du règlement et que le défendeur avait présenté une nouvelle demande à la Cour fédérale et demandé réparation pour les mêmes questions. Si cela s’était produit, le demandeur aurait raison de dire « assez, c’est assez » et de soutenir que la demande devrait être rejetée parce que sa demande antérieure a été réglée une fois pour toutes.

[46]  À la lumière du règlement conclu entre les parties dans le cadre de l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le principe de la chose jugée s’applique à certains aspects de la demande du demandeur.

[47]  Comme dans le cas de la première question, toutefois, les choses ne s’arrêtent pas là, car la demande d’allégement pour les contribuables du demandeur n’est pas entièrement couverte par le règlement, de sorte que le principe de la chose jugée n’empêche pas le demandeur d’obtenir un allégement auprès de la Cour fédérale. Compte tenu de ma conclusion sur la première question, cet aspect de la demande du demandeur doit tout de même être pris en considération.

C.  La décision rendue au deuxième palier d’examen était­elle raisonnable?

[48]  L’analyse du caractère raisonnable commence par la décision, qui en l’espèce est la décision du 19 décembre 2017 rendue au deuxième palier d’examen relativement à la demande d’allégement pour les contribuables. Le résumé qui suit contient les principaux éléments de la lettre de décision :

  • La décision porte sur la demande du demandeur concernant l’annulation de pénalités et d’arriérés d’intérêts pour fausses déclarations ou omissions pour l’année d’imposition 2005.
  • En vertu du régime d’autocotisation du Canada, il incombe au contribuable de produire des déclarations complètes et exactes. Les dispositions législatives concernant l’allégement pour les contribuables visent les contribuables qui, « sans qu’il y ait faute de leur part, n’ont pas été en mesure de se conformer à la loi ».
  • L’allégement des pénalités ou des intérêts peut être justifié lorsque ces pénalités ou intérêts découlent de « circonstances extraordinaires », y compris des actions de l’ARC, d’une incapacité de payer ou de difficultés financières, ou d’autres circonstances indépendantes de la volonté du contribuable.
  • La demande d’allégement en l’espèce est fondée sur des retards répétés dans la vérification de l’année d’imposition 2005 et sur de multiples demandes de report rétrospectif de pertes d’entreprise de l’année d’imposition 2006 à l’année d’imposition 2005.
  • Un certain retard a été causé par le transfert du dossier d’un vérificateur à un autre, et le dossier est resté inactif du 7 septembre 2007 au 12 février 2008. Par conséquent, les intérêts pour cette période sont annulés.
  • En ce qui concerne les pénalités pour fausses déclarations ou omissions, la déclaration de revenus de 2005 du demandeur n’indiquait pas que le demandeur exploitait une entreprise, et elle ne comprenait pas d’états financiers pour l’entreprise. Au cours de la vérification, il est devenu évident que l’entreprise avait réalisé des ventes considérables et avait effectué des dépenses, ce qui a permis de déterminer qu’un revenu d’entreprise net de 66 632 $ aurait dû être déclaré dans la déclaration de revenus de 2005 du demandeur. C’est ce qui a donné lieu aux pénalités.
  • Le demandeur a déposé un avis d’opposition, qui a entraîné une réduction de 3 825 $ de son revenu imposable et du montant assujetti à la pénalité pour faute lourde. Un avis de nouvelle cotisation a été délivré pour refléter ce rajustement.
  • Le demandeur a ensuite interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, y compris sur la question des pénalités pour faute lourde. Avant l’audition de l’appel, l’affaire a été réglée, et l’ARC a accepté d’autoriser le report rétrospectif de pertes de l’année d’imposition 2006 à l’année d’imposition 2005. Le demandeur a convenu qu’il n’y aurait pas d’autres avis d’opposition ni d’autres contestations pour l’année d’imposition 2005.
  • Un examen du dossier révèle que la déclaration du demandeur pour l’année d’imposition 2006 a été produite le 23 octobre 2009. Aux termes du sous‑alinéa 161(7)b)(ii) de la LIR, le report rétrospectif des pertes doit être appliqué à compter de la date de la production de la déclaration, et c’est ce qui a été fait en l’espèce. [traduction] « Par conséquent, la réduction des impôts à payer pour 2005 et des intérêts applicables aux arriérés a été accordée le plus tôt possible ».
  • Suivant les directives sur les dispositions d’allégement pour les contribuables énoncées dans la Circulaire d’information IC07­1R1 Dispositions d’allègement pour les contribuables [Lignes directrices IC07], aux par. 11 et 37, le gestionnaire de la vérification a conclu ce qui suit : [traduction] « Après avoir examiné les faits de votre dossier, j’estime que votre situation ne vous a pas empêché de respecter vos obligations fiscales, et votre demande d’annulation des pénalités pour fausses déclarations ou omissions est rejetée. »

[49]  Le défendeur a reconnu que le rapport sur la décision relative à l’allégement pour les contribuables présente l’analyse du contexte qui sous­tend la lettre et fait partie de la décision faisant l’objet du contrôle. Il s’agit d’une note de service plus détaillée qui couvre en grande partie les mêmes éléments que la lettre, mais qui comprend un historique plus précis et plus détaillé de l’affaire, et en particulier une chronologie complète des faits.

[50]  Avant d’analyser la question, il convient de répéter ce que la Cour suprême du Canada a dit au sujet du contrôle selon la norme de la décision raisonnable en fonction du cadre d’analyse établi par l’arrêt Vavilov : « Le rôle de notre Cour consiste à examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et à déterminer si la décision est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes » (Postes Canada, au par. 2). C’est le cadre d’analyse que je dois appliquer pour évaluer la demande du demandeur au sujet de la décision rendue au deuxième palier d’examen.

[51]  Pour effectuer mon analyse, je commencerai par établir le cadre juridique, puis j’expliquerai la nature de la contestation de la décision par le demandeur, et je me demanderai enfin si la décision explique le rejet de la demande selon un raisonnement cohérent qui montre que le décideur a appliqué les bons principes de droit aux faits.

[52]  Le demandeur a demandé un allégement en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR, qui permet au ministre de renoncer à un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs en application de la LIR, ou de l’annuler :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour-là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par the contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisation voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

[53]  La juge Elizabeth Walker, dans Chekosky, aux paragraphes 42 et 43, a bien résumé le cadre juridique et l’orientation opérationnelle qui s’appliquent en l’espèce :

[42]  Pour déterminer s’il y a lieu d’accorder un allégement au contribuable en vertu du paragraphe 220(3.1), le ministre doit tenir compte de tous les facteurs pertinents et fonder sa décision sur l’objectif de cette disposition, en l’occurrence l’équité (Canada c Guindon, 2013 CAF 153, au paragraphe 58). L’ARC a élaboré des lignes directrices administratives pour guider le ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Bien que le ministre ne puisse pas entraver l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il rend une décision en vertu du paragraphe 220(3.1), les lignes directrices énoncées dans la Circulaire d’information IC07­1R1 Dispositions d’allégement pour les contribuables (la circulaire) constituent un bon point de départ. Le numéro 23 de la circulaire énumère les circonstances pouvant justifier un allégement :

23. Le ministre du Revenu national peut accorder un allégement des pénalités et des intérêts dans les situations suivantes si elles justifient l’incapacité du contribuable à respecter une obligation ou une exigence fiscale :

a) circonstances exceptionnelles;

b) actions de l’ARC;

c) incapacité de payer ou difficultés financières.

[43]  Le paragraphe 24 de la circulaire reconnaît que les lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes et qu’un fonctionnaire délégué du ministre peut accorder un allégement même si la situation du contribuable n’entre pas dans les catégories prévues au paragraphe 23 (voir Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au paragraphe 27). Par circonstances exceptionnelles, on entend des circonstances qui sont indépendantes de la volonté du contribuable, telles qu’une maladie grave (paragraphe 25 de la circulaire).

[54]  Dans sa demande de contrôle judiciaire et ses observations présentées à l’audience, le demandeur a soutenu que la décision devrait être infirmée sur deux fondements principaux, soit :

  1. sur le fondement de la Charte des droits du contribuable, pour les motifs suivants :
    1. les vérificateurs ne l’ont pas traité « de façon professionnelle, courtoise et équitable », mais se sont plutôt montrés hostiles, vindicatifs et, dans un cas, agressifs en l’accusant de vol – une accusation qui s’est révélée fausse; de plus, un vérificateur a refusé une dépense sans raison;
    2. les vérificateurs n’ont pas respecté son droit à des renseignements complets, exacts, clairs et opportuns en ne tenant pas compte du fait que la vérification a été initialement entreprise selon la comptabilité de caisse plutôt que selon la comptabilité d’exercice; en raison de retards excessifs survenus tout au long du processus, ce qui l’a obligé à engager des frais juridiques importants; et en n’admettant pas qu’il avait fait confiance à plusieurs comptables professionnels et que le fait que ces derniers ne se soient pas acquittés de leurs fonctions comme il se doit était indépendant de sa volonté, et que cela a constitué des circonstances extraordinaires qui devraient lui donner droit à un allégement;
  2. sur le fondement de l’article 241 de la LIR, parce que les vérificateurs de l’ARC ont perdu certains documents du demandeur concernant des dépenses additionnelles de 49 862,58 $, et qu’il n’a par conséquent pas pu prouver qu’il avait droit à ce montant. Il soutient également que des dépenses de 5 817,50 $ n’ont pas été acceptées.

[55]  Comme il a été mentionné précédemment, les arguments du demandeur au sujet de l’iniquité du processus de vérification ne peuvent faire l’objet d’un contrôle en l’espèce. Le processus ayant mené à la nouvelle cotisation de ses impôts et l’exactitude de ces nouvelles cotisations ne peuvent faire l’objet d’un appel que devant la Cour canadienne de l’impôt, et le demandeur et le défendeur ont réglé cet appel. La question ne peut pas être rouverte ici. La présente analyse vise plutôt à déterminer si la décision de refuser d’annuler les pénalités et les intérêts sur les arriérés est raisonnable.

[56]  Le demandeur soutient que l’ARC ne l’a pas traité de façon équitable. L’équipe de vérification n’a pas autorisé ses dépenses additionnelles et n’a donné aucune explication. De plus, les vérificateurs n’ont pas protégé ses biens, et la perte de documents a fait en sorte que l’avocat du demandeur n’a pas été en mesure de défendre ses demandes de déduction de dépenses d’entreprise admissibles.

[57]  Le demandeur soutient que l’ARC, en particulier l’équipe de vérification, s’est montrée hostile et vindicative, et qu’un vérificateur en particulier a été extrêmement agressif et l’a accusé d’être malhonnête. Un tel comportement contrevient au Guide de la Charte des droits du contribuable : Comprendre vos droits en tant que contribuable (RC17), selon lequel un contribuable a le droit « d’être traité de façon professionnelle, courtoise et équitable ».

[58]  Le demandeur soutient également que l’ARC n’a pas fourni « des renseignements complets, exacts, clairs et opportuns » comme l’exige la Charte des droits du contribuable. L’équipe de vérification n’a pas tenu compte du fait que la vérification a été effectuée selon la comptabilité de caisse plutôt que la comptabilité d’exercice pendant près de quatre ans – jusqu’à la nouvelle cotisation du 29 mars 2011. Il a fallu 18 mois pour que le demandeur reçoive la nouvelle cotisation résultant de la vérification, 24 mois de plus pour que l’ARC réponde à l’appel, et 30 mois additionnels avant que le report rétrospectif des pertes soit approuvé à juste titre. Il a également fallu 44 mois pour traiter la première demande du demandeur auprès de la Commission de l’équité. Le demandeur souligne que plusieurs fonctionnaires de l’ARC se sont excusés des retards survenus dans le traitement des demandes d’allégement pour les contribuables.

[59]  Le demandeur affirme qu’il n’a pas encore reçu le rajustement fiscal autorisé par la Commission de l’équité dans sa décision du 19 décembre 2017.

[60]  Enfin, le demandeur soutient qu’il n’a pas fait de fausse déclaration ni de fausse observation dans sa déclaration et que, s’il l’a fait, c’était par inadvertance. Son premier comptable n’a pas produit la déclaration de revenus de 2005 dans les délais et il a également produit la déclaration de 2006 en retard. Le demandeur affirme qu’il a collaboré pleinement avec ses comptables, qu’il a fourni tous les documents nécessaires et que le fait que les professionnels qu’il a embauchés n’ont pas exercé leurs fonctions comme ils étaient censés le faire était indépendant de sa volonté. Le demandeur soutient qu’il s’agit de circonstances extraordinaires dont l’ARC n’a pas tenu compte dans sa décision. Il ajoute que le fonctionnaire qui s’est occupé de l’examen a dit à son père que l’ARC n’avait tenu compte d’aucun des renseignements qu’il avait fournis lors de l’examen.

[61]  Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et qu’elle repose sur un examen approfondi de tous les renseignements. Le décideur a respecté la loi et les lignes directrices administratives en refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités ou aux intérêts ou de les annuler. Bien que la vérification et le traitement ultérieur des oppositions du demandeur aient pris beaucoup de temps, le défendeur soutient qu’une partie importante du retard est attribuable au demandeur et à ses représentants, y compris au fait que le demandeur a changé de comptable et d’avocat pendant la période en question, ce qui a causé une partie du retard.

[62]  Pour les motifs qui suivent, après avoir examiné les documents versés au dossier et les observations des parties, je conclus que la décision en question est raisonnable selon le cadre d’analyse établi dans les arrêts Vavilov et Postes Canada.

[63]  La disposition sur l’« équité fiscale » qui figure au paragraphe 220(3.1) de la LIR a pour objet de permettre une administration plus équitable du régime fiscal en accordant à un fonctionnaire délégué du ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler des pénalités ou de renoncer à des intérêts en raison d’une infortune personnelle ou de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable (Tywriwskyi c Canada (Procureur général), 2004 CF 542, au par. 29). Toutes les considérations pertinentes doivent alors être prises en compte, et la décision doit être fondée sur l’équité. Bien que les Lignes directrices IC07 constituent un point de départ utile, elles ne sont pas juridiquement contraignantes, et un allégement peut être accordé même si le contribuable n’entre pas dans les catégories prévues (Chekosky, au par. 43).

[64]  Les Lignes directrices IC07 donnent les trois exemples de situations où cela est possible : les circonstances extraordinaires, les actions de l’ARC et l’incapacité de payer ou les difficultés financières. Le pouvoir discrétionnaire permet également d’accorder un allégement pour d’autres raisons.

[65]  En l’espèce, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que rien ne justifiait une incapacité de payer ou des difficultés financières et que l’affaire n’entre pas dans la catégorie des circonstances extraordinaires puisqu’il n’y a aucune difficulté liée à une maladie grave ou à un trouble émotif ou psychologique sévère, à des troubles publics ou à des catastrophes naturelles ou d’origine humaine, qui sont des exemples de circonstances extraordinaires données dans les Lignes directrices. Les plaintes du demandeur correspondent davantage à la catégorie des « actions de l’ARC », qui comprend les « retards de traitement, qui ont fait en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme due dans un délai raisonnable », les renseignements fournis en retard et les retards excessifs pour régler une opposition ou un appel.

[66]  Dans sa décision, l’ARC reconnaît que le dossier du demandeur est resté inactif à l’ARC du 7 septembre 2007 au 12 février 2008, et elle a annulé les intérêts sur les arriérés qui s’étaient accumulés pendant cette période. Le demandeur signale toutefois d’autres retards qui ne sont pas reconnus, notamment le temps qu’il a fallu pour le premier examen de l’allégement pour les contribuables, et la période additionnelle de 24 mois pour le deuxième examen. Il dit qu’il n’est pas équitable qu’il ait cette « épée de Damoclès au­dessus de la tête » depuis neuf ans, et qu’il a engagé des dépenses importantes pendant cette période.

[67]  De plus, le demandeur soutient que le retard à accepter le report rétrospectif des pertes a fait augmenter les intérêts, puisque le report rétrospectif aurait eu pour effet de réduire les impôts qu’il devait. Il affirme qu’aucune explication n’a été donnée lorsque la demande n’a pas été acceptée la première fois, et qu’il est déraisonnable qu’il ait dû présenter quatre demandes avant que l’ARC accepte le report.

[68]  Abordant d’abord le report rétrospectif des pertes, l’ARC, dans sa décision, applique les règles de droit aux faits et conclut que le report est autorisé et qu’il est rétroactif au premier moment possible en vertu de la loi. Je ne vois aucune raison d’infirmer cette conclusion. Il était raisonnable de refuser une demande d’allégement, parce que la décision concernant le moment où le report rétrospectif des pertes devait prendre effet respectait simplement la loi. Le demandeur a soutenu qu’il pensait que le règlement serait rétroactif à la date de la déclaration de 2005, mais ce n’est pas ce que prévoit la loi, et le demandeur était représenté par un avocat au moment de la conclusion de l’accord.

[69]  La déclaration de revenus de 2006 du demandeur a donné lieu à la demande de report rétrospectif des pertes, mais elle n’a été produite que le 23 octobre 2009. Le demandeur blâme ses conseillers pour le retard, mais la loi établit clairement que les erreurs attribuées à des tiers ne sont pas considérées comme des circonstances extraordinaires justifiant un allégement (Kotel c Canada (Procureur général), 2013 CF 1015, au par. 65; Tremblay c Canada (Procureur général), 2013 CF 1049, aux par. 12 et 13). Les Lignes directrices IC07 prévoient d’ailleurs, aux paragraphes 35 et 36, que les contribuables sont « généralement considérés comme responsables des erreurs commises ou des retards causés par des tiers qui agissent en leur nom pour leurs affaires fiscales ». Selon les lignes directrices IC07, il peut y avoir des situations exceptionnelles, mais rien dans la preuve au dossier ne permet de tirer une conclusion en ce sens.

[70]  Pour ce qui est de la question plus générale des retards, je ne suis pas non plus convaincu que la décision soit déraisonnable. Le décideur reconnaît que le dossier du demandeur a été inactif pendant une certaine période en raison du transfert du dossier entre deux vérificateurs, et il annule les intérêts applicables à cette période. Il y a eu d’autres retards dans le dossier, et il semble que certains d’entre eux aient été causés par les processus internes de l’ARC, et d’autres par les comptables ou les avocats dont le demandeur a retenu les services.

[71]  Le rapport sur la décision relative à l’allégement pour les contribuables traite de ces retards assez longuement, et il n’est pas nécessaire d’examiner en détail chaque étape de ce long processus. Ce rapport et la lettre de décision indiquent clairement que les décideurs ont évalué les faits au dossier, y compris la décision découlant du premier examen ainsi que les arguments et les éléments de preuve du demandeur. Selon le rapport, l’ARC a conclu qu’une partie des retards était attribuable uniquement à l’inaction de l’ARC, et elle a annulé les intérêts attribuables à ces retards. Elle a également examiné les autres retards, et elle a conclu que certains retards étaient attribuables au demandeur et à ses représentants, et que d’autres étaient attribuables au processus normal d’évaluation d’une déclaration ou de traitement d’une opposition.

[72]  Les Lignes directrices IC07 prévoient, au paragraphe 26, que « [l]es pénalités et les intérêts peuvent également faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation s’ils découlent principalement d’actions de l’ARC, telles que des : [...] f) retards excessifs pour régler une opposition ou un appel ou pour faire une vérification ».

[73]  Compte tenu de la chronologie des événements, l’ARC, dans sa décision relative à l’allégement pour les contribuables, a conclu que les retards dans le traitement de la vérification et des oppositions n’étaient pas « excessifs ». La déclaration de revenus d’entreprise de 2005 n’a pas été produite dans les délais. Comme le souligne le défendeur, elle n’a été produite qu’une fois que le demandeur a reçu un avis indiquant que sa déclaration faisait l’objet d’un examen. La déclaration de 2006, qui a donné lieu à la demande de report rétrospectif des pertes, n’a pas non plus été produite dans les délais. La vérification et le traitement des oppositions ont pris un certain temps, mais il ne s’agit pas du genre de circonstances extraordinaires qui donnent lieu à un allégement pour les contribuables. De plus, il est clair que la décision du demandeur de changer de comptables et d’avocats a contribué à une partie des retards.

[74]  À la lumière de mon examen du dossier et des observations, je conclus que la décision de rejeter la demande d’allégement fondée sur les retards est un résultat raisonnable, et que le raisonnement est logique et cohérent.

[75]  Il convient de répéter que, lors du contrôle judiciaire, la Cour fédérale n’a pas à établir si la pénalité ou les intérêts auraient initialement dû être imposés, mais plutôt si la décision de ne pas les annuler était raisonnable (Chekosky, au par. 39). En l’espèce, la preuve montre que le demandeur a exercé une activité commerciale importante en 2005 – ses dossiers comptables indiquaient des ventes totales d’environ 586 000 $ au cours de cette année. Le demandeur tenait des registres sur les ventes et les dépenses, y compris des registres sur le transport d’au moins certains des bateaux d’occasion qui ont traversé la frontière en provenance des États­Unis. L’ARC a conclu que le demandeur aurait donc dû savoir qu’il était tenu de produire une déclaration de revenus pour son entreprise, mais il ne l’a pas fait. C’est ce qui a donné lieu à l’imposition de pénalités.

[76]  De plus, le défendeur souligne que le demandeur a été informé à maintes reprises dès le début du processus que des intérêts s’accumuleraient, et qu’il pouvait éviter d’encourir une responsabilité financière plus importante en payant le montant dû. Il a également été informé que, s’il s’avérait qu’il avait droit au remboursement de la totalité ou d’une partie de ce montant, l’ARC le lui rembourserait avec les intérêts. Le défendeur soutient que le défaut du demandeur de suivre ce conseil ne devrait pas maintenant constituer le fondement d’une demande pour iniquité. Le demandeur a soutenu qu’il n’avait tout simplement pas les fonds nécessaires à ce moment­là pour payer le montant dû et, bien que cela puisse être compréhensible, cela ne justifie pas une demande pour iniquité dans les circonstances de la présente espèce.

[77]  Dans l’ensemble, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré que la décision est déraisonnable. En appliquant dans sa décision le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, l’ARC applique les bons principes de droit et tient compte des faits pertinents les plus importants. La décision n’est peut­être pas parfaite, mais elle n’est pas à ce point viciée qu’elle est déraisonnable. Comme il a été observé dans l’arrêt Vavilov :

[100]  Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Il ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure. La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable.

[78]  Je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré que la décision faisant l’objet du contrôle comportait de telles lacunes.

IV.  Conclusion

[79]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[80]  Je dois toutefois ajouter que j’éprouve une certaine sympathie pour le demandeur. Bien que la loi ne lui permette pas d’être excusé pour toutes les lacunes de ses conseillers professionnels, il pourrait avoir des raisons d’être déçu du service offert par certains d’entre eux. De plus, certaines allégations troublantes ont été soulevées au sujet de déclarations faites par des fonctionnaires de l’ARC au cours du processus, mais ces allégations n’ont pas été vérifiées en contre­interrogatoire, et aucune contre­preuve n’a été présentée. Enfin, le processus dure depuis longtemps, et il est compréhensible que le demandeur soit frustré par le temps qu’il a fallu pour régler ses divers problèmes. Toutefois, même si, collectivement, ces problèmes peuvent susciter une certaine sympathie à l’égard de la position du demandeur, ils ne rendent pas déraisonnable la décision prise par l’ARC.

[81]  Le défendeur a demandé dans ses observations écrites que ses dépens lui soient accordés, bien qu’il n’ait pas insisté sur ce point à l’audience. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106, et compte tenu de l’ensemble des circonstances en l’espèce, je n’adjugerai pas de dépens. Chacune des parties devra assumer ses propres dépens relativement à la présente affaire.

[82]  Comme il a été mentionné précédemment, l’intitulé est modifié, avec effet immédiat, de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier T­147­18

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés. Chacune des parties devra assumer ses propres dépens relativement à la présente affaire.

  3. L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné à titre de défendeur en l’espèce.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 16e jour de juillet 2020

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T­147­18

INTITULÉ :

KEITH NEYEDLY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 9 JUIN 2020

COMPARUTIONS :

Keith Neyedly

POUR SON PROPRE COMPTE

David Silver

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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