Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200605


Dossier : IMM-6441-19

Référence : 2020 CF 672

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

PATEL, HEMANTBHAI KISHORBHAI

PATEL, ASHABAHEN HEMANTBHAI

PATEL, DIYAN HEMANTBHAI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Hemantbhai Kishorbhai Patel, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 28 août 2018 par un agent de visa du Haut-Commissariat du Canada à New Delhi, rejetant sa demande de permis de travail temporaire pour un poste d’agent de ressources humaines. En raison de ce refus, les demandes de visa de visiteur de son épouse et de son fils mineur ont été également refusées.

[2]  Le demandeur est citoyen de l’Inde. Il détient une formation universitaire en art, mais travaille depuis 2011 dans le domaine des ressources humaines. En 2018, le demandeur postule et est retenu par un employeur au Québec pour un poste d’agent de ressources humaines. Sa demande de permis de travail temporaire est refusée parce qu’il ne répond pas aux exigences requises pour être capable d’exercer l’emploi pour lequel il demande le permis. Ce n’est qu’après avoir reçu les notes de l’agent de visa que le demandeur et son futur employeur aperçoivent que le code du poste affiché sur l’étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] ne correspondait pas au poste offert.

[3]  Une deuxième demande d’EIMT est présentée à Emploi et Développement social Canada [EDSC]. Le 16 juillet 2019, l’employeur du demandeur obtient une EIMT favorable pour le poste d’agent de ressources humaines classifié sous le code 1223 au système de Classification nationale des professions 2016 [CNP]. Selon l’EIMT, le poste exige un baccalauréat ainsi que des compétences en anglais à l’oral et à l’écrit.

[4]  À la suite de l’émission de l’EIMT favorable, le demandeur présente une demande de permis de travail temporaire auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] pour le poste envisagé. La demande est accompagnée d’une lettre de l’avocate du demandeur expliquant, entre autres, que l’employeur n’a jamais exigé que le candidat possède un baccalauréat dans un domaine relié à la gestion du personnel, mais plutôt un baccalauréat dans n’importe quel domaine et de l’expérience en ressources humaines. L’épouse du demandeur et son fils présentent des demandes de visa de visiteur afin d’accompagner le demandeur.

[5]   Le 29 août 2019, l’agent de visa refuse la demande de permis de travail temporaire au motif que le demandeur n’a pas démontré qu’il est capable d’exercer l’emploi pour lequel il a demandé le permis. L’agent refuse également les demandes de visa de visiteur de la demanderesse et du demandeur mineur, ces derniers n’ayant plus de motif valable pour venir au Canada.

[6]  Les notes du Système mondial de gestion des cas, qui font partie des motifs de la décision, démontrent que la demande de permis de travail temporaire est refusée au motif que le demandeur n’a pas démontré qu’il répondait aux exigences académiques en gestion du personnel et aux exigences linguistiques de l’anglais parlé et écrit pour le poste.

[7]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent de visa est déraisonnable parce qu’elle ne respecte pas les exigences du CNP pour le poste d’agent de ressources humaines (CNP 1223) et parce que l’agent de visa ne pouvait exiger qu’il présente les résultats du « International English Language Testing System » [test IELTS] afin de démontrer sa capacité de communiquer en anglais. De plus, il soutient que l’agent de visa a manqué à l’équité procédurale en ayant omis, d’une part, de tenir compte de l’explication fournie par l’avocate du demandeur concernant le niveau d’étude exigé pour le poste et, d’autre part, de donner au demandeur l’occasion de répondre aux préoccupations relatives à sa capacité de communiquer en anglais.

II.  Analyse

[8]  Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada établit qu’il existe une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable à l’égard des décisions des tribunaux administratifs. Cette présomption peut être réfutée dans deux (2) types de situations. Aucune de ces situations ne s’applique en l’instance (Vavilov aux para 10, 16-17).

[9]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[10]  Dans le contexte des décisions rendues par les agents de visa, il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs pour que la décision soit raisonnable étant donné les pressions énormes qu’ils subissent pour produire un grand volume de décisions chaque jour (Vavilov aux para 91, 128; Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 6 [Hajiyeva]). De plus, il est bien établi que les agents de visa bénéficient d’une retenue considérable compte tenu du niveau d’expertise qu’ils apportent à ces questions (Vavilov au para 93; Hajiyeva au para 4).

[11]  Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 79). Cette approche ne semble pas avoir été modifiée par la Cour suprême du Canada dans Vavilov.

A.  Exigences académiques

[12]  Le demandeur soutient que la décision de l’agent de visa n’est pas raisonnable parce qu’elle ne respecte pas les exigences du CNP pour le poste d’agent de ressources humaines (CNP 1223) qui octroie à l’employeur le pouvoir d’exiger ou non un diplôme dans un domaine relié à la gestion du personnel. Selon la demande d’EIMT et la lettre accompagnant la demande de permis de travail, les exigences académiques en gestion du personnel n’étaient pas obligatoires si le candidat avait de l’expérience en recrutement. Le demandeur soutient que les diplômes qu’il a fournis à l’agent de visa attestent qu’il possédait le niveau d’étude minimum exigé par l’employeur et spécifié dans l’EIMT, soit un baccalauréat ainsi que l’expérience en recrutement requise.

[13]  Le fondement de l’argument du demandeur repose principalement sur le formulaire de demande d’EIMT rempli par l’employeur. Or, ce document n’était pas devant l’agent de visa lors de sa prise de décision. Il est par conséquent inadmissible devant cette Cour (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19).

[14]  L’EIMT soumise au soutien de la demande de permis indique clairement qu’il s’agit d’un poste d’agent de ressources humaines classifié sous le code 1223 du CNP et qu’un baccalauréat est requis. Lorsqu’on examine le CNP pour ce code, il est prévu qu’un diplôme d’études universitaires ou collégiales dans un domaine relié à la gestion du personnel tel que l’administration des affaires, les relations industrielles, le commerce ou la psychologie ou un programme de perfectionnement professionnel en gestion du personnel est habituellement exigé. Le demandeur reconnait d’ailleurs dans son mémoire que cette formation est souvent exigée par la majorité des employeurs.

[15]  Après avoir pris acte des exigences indiquées sur l’EIMT et celles spécifiées dans le CNP, l’agent de visa note que le demandeur a un diplôme universitaire en arts, mais qu’il n’a pas été démontré que ses études ont porté sur un domaine relié à la gestion du personnel ou qu’il a suivi un programme de perfectionnement professionnel en gestion du personnel. Sur cette base, l’agent de visa conclut que le demandeur ne répond pas aux exigences académiques pour l’emploi. Compte tenu du dossier qui était devant l’agent de visa, la Cour estime cette conclusion raisonnable.

[16]  Le demandeur soutient que l’agent de visa a manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas compte de la lettre de son procureur qui indiquait, entre autres, que l’employeur n’exigeait pas un diplôme universitaire dans un domaine lié à la gestion du personnel si le candidat possédait une expérience en recrutement.

[17]  La Cour ne peut souscrire à cet argument.

[18]  Il n’y a rien au dossier qui démontre que l’agent de visa n’a pas considéré l’information fournie par le procureur du demandeur. Cependant, l’agent de visa n’avait rien pour corroborer cette information. De plus, il n’appartenait pas à l’agent de visa de remettre en question les exigences indiquées dans l’EIMT et le CNP. Dans la mesure où l’exception a été proposée par l’employeur au moment de faire sa demande d’EIMT et que celle-ci n’apparaissait pas sur l’EIMT, il était raisonnable de conclure que celle-ci n’avait pas été retenue par l’EDSC. Si le demandeur croyait qu’il y avait une erreur dans l’EIMT, il devait s’adresser à l’EDSC. Le demandeur n’a pas démontré qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale sur ce point.

B.  Exigences linguistiques

[19]  Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour l’agent de visa d’exiger que le demandeur présente les résultats du test IELTS afin de démontrer sa capacité de communiquer en anglais puisque les résultats du test IELTS ne figuraient pas sur la liste des documents gérée par le site d’IRCC lors de la création de sa demande en ligne ni dans les Directives du bureau des visas de New Delhi - IMM5905.

[20]  Aux termes de l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, l’agent de visa ne peut délivrer le permis de travail demandé s’il a des motifs raisonnables de croire que le demandeur est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé. Il appartient au demandeur d’un permis de travail de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer ses compétences et l’agent de visa possède un large pouvoir discrétionnaire pour décider de l’affaire (Sangha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 95 au para 42; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 527 au para 52).

[21]  Il est vrai que les Directives du bureau des visas de New Delhi - IMM5905 ne mentionnent pas l’obligation de produire l’attestation linguistique comme c’est le cas pour les personnes qui appliquent dans le cadre du programme des aides familiaux résidents. Cependant, il est mentionné que toute demande de permis de travail doit être accompagnée des preuves démontrant que la personne remplit les conditions d’emploi.

[22]  En l’instance, l’EIMT mentionne clairement l’exigence de maîtriser l’anglais à l’oral et à l’écrit. Dans ce contexte, l’agent de visa pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur démontre ses compétences linguistiques (Sun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1548 au para 34 [Sun]). Or, le demandeur n’a fourni aucune preuve objective attestant de sa capacité à s’exprimer oralement et par écrit en anglais. Contrairement à ce qu’invoque le demandeur, le fait d’indiquer savoir communiquer en anglais dans le formulaire de demande de permis de travail ne constitue pas un élément de preuve objectif qui démontre l’étendue des compétences linguistiques du demandeur. Même les lettres des employeurs du demandeur en Inde n’attestent pas de ses compétences en anglais. La Cour est d’avis qu’en faisant référence à l’absence de résultats du test IELTS, l’agent de visa soulignait plutôt l’absence de preuve objective démontrant les compétences linguistiques du demandeur. Ces résultats auraient permis à l’agent de visa d’évaluer les compétences linguistiques du demandeur.

[23]  Le demandeur reproche à l’agent de visa de ne pas avoir donné la crédibilité attendue à sa déclaration concernant sa maîtrise de l’anglais et qu’en conséquence, l’agent de visa était tenu de lui offrir l’occasion de répondre à ses doutes. Ce défaut constitue, selon le demandeur, un manquement à l’équité procédurale.

[24]   Cet argument est mal fondé.

[25]  Dans le contexte des demandes de visa, la jurisprudence établit une distinction entre les conclusions défavorables relatives à la crédibilité et celles portant sur l’insuffisance de preuve. Lorsque l’agent de visa soulève des doutes quant à la crédibilité, la véracité ou l’authenticité des renseignements présentés à l’appui d’une demande, il incombe à l’agent de visa de donner au demandeur l’occasion de dissiper ces doutes. Par contre, si la décision est fondée sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par le demandeur, ou sur le défaut de satisfaire les exigences législatives, l’agent de visa n’a pas l’obligation d’en informer le demandeur (Sun aux para 23-24).

[26]  En examinant le dossier, rien ne permet de conclure que l’agent de visa doutait de la crédibilité du demandeur quant à ses compétences linguistiques. Comme indiqué ci-dessus, la décision de l’agent portait plutôt sur l’insuffisance de la preuve présentée par le demandeur et l’agent de visa n’était pas tenu de fournir au demandeur l’occasion de présenter des preuves additionnelles.

[27]  Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-6441-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6441-19

INTITULÉ :

PATEL, HEMANTBHAI KISHORBHAI ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA (ONTARIO) ET MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 juin 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 5 juin 2020

COMPARUTIONS :

Paula Barcelos Imparato

Pour leS demandeurS

Suzon Létourneau

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grondin Savarese Legal Inc.

Montréal (Québec)

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.