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Date : 20020913

Dossier : ITA-1223-00

Référence neutre : 2002 CFPI 968

OTTAWA, ONTARIO, CE 13e JOUR DU MOIS DE SEPTEMBRE 2002

EN PRÉSENCE DE : L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu

                                            

                                             - et -

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

                                       LES ENTREPRISES FORESTIÈRES P.S. INC.

                                                                                   

                                                                                                                                            Débitrice-saisie

- et -

NEWCOURT FINANCIAL LTD.

Opposante-Appelante

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance du protonotaire rejetant une requête en opposition à une saisie-exécution.


CONTEXTE GÉNÉRAL

[2]                 Le paragraphe 153(1) de la Loi sur l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.) (la "LIR"), impose aux employeurs, lorsqu'ils versent un traitement, un salaire ou une autre rémunération, l'obligation d'en déduire ou d'en retenir la somme fixée par règlement à titre d'impôt ("déductions à la source") et de remettre cette somme au Receveur général à la date prévue par règlement. Le paragraphe 82(1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la "LAE") prescrit une obligation semblable quant aux sommes retenues en vertu de cette loi.

[3]                 Or, en 1999, Les Entreprises Forestières P.S. Inc. ("Forestières") fait défaut de remettre, aux époques prescrites, des déductions à la source dues à Sa Majesté en vertu de ces deux lois.

[4]                 Le 7 février 2000, un certificat attestant que Forestières est endettée envers Sa Majesté pour la somme de 147 059,39 $, avec intérêts composés quotidiennement, est produit et enregistré à la Cour fédérale. En vertu du paragraphe 223(3) LIR, le certificat est assimilé à un jugement de la Cour; toutes les procédures peuvent donc être engagées en faveur du certificat comme s'il s'agissait d'un jugement de la Cour. Le même jour, un bref de saisie-exécution contre les biens meubles et immeubles de Forestières est délivré par la Cour.


[5]                 Au début de mars 2000, l'Agence des douanes et du revenu du Canada ("l'intimée") mandate un huissier de la province de Québec pour procéder à la saisie-exécution. Entre le 1er et le 17 mars 2000, les biens meubles de Forestières sont saisis au nom de Sa Majesté. Parmi ceux-ci l'on retrouve un débardeur à grappin Timberjack, 1997 ("le bien saisi"), objet de la requête en opposition déposée au printemps 2000 par Newcourt Financial Ltd. ("Newcourt") qui prétend, en l'espèce, en être propriétaire depuis le 27 mars 2000.

[6]                 En septembre 2000, son opposition est rejetée par le protonotaire Morneau, d'où le présent appel. En l'espèce, Newcourt demande à la Cour d'annuler la décision du protonotaire, de déclarer son opposition bonne et valable, de la déclarer propriétaire du bien saisi, et d'ordonner en conséquence l'arrêt des procédures d'exécution et la mainlevée du bien saisi.


[7]                 Tel qu'il est prévu à la règle 51 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, (les "Règles"), une ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Section de première instance. Dans le présent dossier, le protonotaire n'exerçait pas un pouvoir de nature discrétionnaire. Celui-ci devait interpréter et appliquer diverses règles de droit, fédérales et provinciales. C'est donc la norme de la décision correcte qui doit guider l'interprétation des dispositions législatives applicables ici. Voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.F.A.); Pfizer Canada Inc. c.Apotex Inc. (1999), 172 F.T.R. 81 (C.F.(1re inst.)); et Nolan c. Silex International Chemical Systems Inc. (2000), 183 F.T.R. 88 (C.F. (1re inst.)) ("Nolan").

[8]                 En ces circonstances, j'exposerai d'abord les arguments que les parties ont présentés devant le protonotaire et qui ont été repris lors de l'audition de cet appel.

PRÉTENTIONS DE L'OPPOSANTE-APPELANTE

[9]                 Newcourt reconnaît que Forestières est endettée envers Sa Majesté pour les sommes indiquées au certificat. Mais Newcourt fait valoir qu'elle est propriétaire du bien saisi; son titre de propriété remonterait au 27 mars 2000.

[10]            Dans un premier temps, Newcourt rappelle qu'elle a consenti, le 20 novembre 1997, un prêt de 336 167,25 $ à Forestières, prêt alors garanti par une hypothèque mobilière conventionnelle sans dépossession portant sur certaines pièces d'équipement dont le bien saisi. Or, depuis le 20 décembre 1999, Forestières est en défaut de rembourser son prêt, de sorte que le solde _ alors de 150 716,46 $ - est devenu exigible en entier.


[11]            Aussi, suite à la saisie pratiquée entre le 1er et le 17 mars 2000 au nom de Sa Majesté, Newcourt s'empresse d'enregistrer au Registre des droits personnels et réels mobiliers ("RDPRM") un préavis d'exercice d'un droit hypothécaire donné en vertu des articles 2757 et suivants du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 ("C.c.Q."). Le préavis est enregistré le 27 mars 2000. Forestières est alors sommée de délaisser les biens meubles mentionnés, dont le bien saisi, dans les 20 jours à compter de l'inscription au RDPRM, afin que Newcourt les prenne en paiement. Avant l'expiration de ce délai, Forestières, ou tout tiers, peut néanmoins remédier au défaut résultant du non-remboursement du prêt, en acquittant le plein montant de la créance en capital et intérêts - alors de 178 898,97 $.

[12]            Newcourt précise que son opposition est effectuée à titre de propriétaire, et non à titre de créancier hypothécaire. Newcourt se base sur les articles 2764 et 2783 C.c.Q. qui se lisent comme suit :


2764. Le délaissement est volontaire lorsque, avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consent, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu.

Si le droit hypothécaire exercé est la prise en paiement, le délaissement volontaire doit être constaté dans un acte consenti par celui qui délaisse le bien et accepté par le créancier.

...

2783. Le créancier qui a pris le bien en paiement en devient le propriétaire à compter de l'inscription du préavis. Il le prend dans l'état où il se trouvait alors, mais libre des hypothèques publiées après la sienne.

Les droits réels créés après l'inscription du préavis ne sont pas opposables au créancier s'il n'y a pas consenti.

2764. Surrender is voluntary where, before the period indicated in the prior notice expires, the person against whom the hypothecary right is exercised abandons the property to the creditor in order that the creditor may take possession of it or consents in writing to turn it over to the creditor at the agreed time.

If the hypothecary right exercised is taking in payment, voluntary surrender shall be attested in a deed made by the person surrendering the property and accepted by the creditor.

...

2783. A creditor who has taken property in payment becomes the owner of it from time of registration of prior notice. He takes it as it then stood, but free of all hypothecs published after his.

Real rights created after registration of the notice may not be set up against the creditor if he did not consent to them.

  

  

[13]            Suite au préavis, Forestières exécute un acte de délaissement; Forestières reconnaît que Newcourt a pleinement le droit de prendre en paiement les biens meubles décrits au préavis, lequel acte est exécuté en date du 30 mars 2000 par Forestières, et du 4 avril 2000 par Newcourt.

[14]            Newcourt fonde son opposition sur l'article 597 du Code de procédure civile, L.R.Q. ch. C-25 ("C.p.c."), qui permet à un "tiers qui a droit de revendiquer un bien saisi" de s'opposer à la saisie-exécution. Invoquant "le principe établi en droit civil du créancier qui agit le plus vite", Newcourt plaide qu'une saisie n'a pas pour effet d'empêcher un créancier hypothécaire d'envoyer un préavis en vertu des articles 2757 et suivants C.c.Q., et, conformément aux articles 2764 et 2783 C.c.Q., d'exercer son droit de prendre le bien saisi en paiement. Une fois devenu propriétaire du bien, en vertu de l'article 597 C.p.c., le créancier peut dès lors revendiquer celui-ci et s'opposer à la vente du bien saisi par un autre créancier.

PRÉTENTIONS DE L'INTIMÉE

[15]            Sa Majesté, représentée par l'intimée, oppose deux moyens principaux à l'argumentation de Newcourt.

[16]            Tout d'abord, elle fait valoir que le créancier hypothécaire ne peut exercer les droits conférés aux articles 2757 et suivants C.c.Q. après qu'un autre créancier ait procédé à la saisie des biens visés par son hypothèque, vu l'article 604 C.p.c. qui édicte :



604. Les créanciers du saisi ne peuvent s'opposer à la saisie ni à la vente.

Toutefois, les créanciers prioritaires ou hypothécaires peuvent exercer leurs droits sur le produit de la vente; en ce cas, ils produisent entre les mains de l'officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d'un affidavit et des pièces justificatives nécessaires, lesquels doivent en outre être signifiés au saisi. Dans les dix jours de la signification de l'état d'une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s'adresser au tribunal ou au juge pour la contester.

604. The creditors of the debtor cannot oppose the seizure or the sale.

However, prior and hypothecary creditors may exercise their rights upon the proceeds of the sale; for that purpose, they file with the seizing officer, within ten days after the sale, a statement of their claim, supported by an affidavit and the necessary vouchers, which documents must also be served on the debtor. Within ten days of service of a statement of a prior or hypothecary claim, the debtor may apply to the court or to the judge to contest the claim.


  

[17]            Par ailleurs, quant au droit de propriété que Newcourt invoque en vertu des règles de droit provincial, l'intimée soutient que ces dernières doivent être écartées, compte tenu de l'effet que la Cour doit donner au paragraphe 227(4.1) LIR de sorte que celles-ci sont inopposables à Sa Majesté. Le paragraphe 227(4.1) LIR se lit comme suit :



227(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 8.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce moment sont réputés:

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à un telle garantie.

b) ne pas faire du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

227(4.1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection 227(4) to be held by a person in trust for Her Majesty is not paid to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the person and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3)) would be property of the person, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed.

(a) to be held, from the time the amount was deducted or withheld by the person, separate and apart from the property of the person, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and

(b) to form no part of the estate or property of the person from the time the amount was so deducted or withheld, whether or not the property was in fact been kept separate and apart from the estate or property of the person and whether or not the property is subject to such a security interest.

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property and in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests.


[18]            Compte tenu du fait qu'un certificat a été enregistré conformément à l'article 223 LIR, l'intimée conclut qu'elle a le droit de faire saisir et de vendre les biens meubles de Forestières et d'être colloquée en priorité en vertu du paragraphe 227(4.1) LIR. En effet, Sa Majesté, à titre de bénéficiaire, peut réclamer le produit de réalisation des biens saisis, et ce, en priorité sur toute garantie, le tout pour permettre le recouvrement de sommes que détenait Forestières en fiducie pour Sa Majesté mais qu'elle a omis de remettre.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[19]            Dans un premier temps, le protonotaire se penche sur le mode d'opposition utilisé par Newcourt, soit l'article 597 C.p.c., et rejette sommairement l'argumentation de l'intimée fondée sur l'effet de l'article 604 C.p.c. :

Même si l'article 604 vise de façon expresse le créancier hypothécaire, je ne suis pas convaincu que l'état de la jurisprudence soit suffisamment clair pour interpréter l'article 604 comme ne permettant pas à un tel créancier après la saisie mais avant la vente de prendre en paiement un bien de manière à pouvoir s'opposer à la vente dudit bien sur la base de l'article 597 C.p.c.

  

[20]            Néanmoins, le protonotaire décide de maintenir la saisie, acceptant l'interprétation proposée par l'intimée quant à l'effet des paragraphes 227(4) et (4.1) LIR. Essentiellement, il considère que le paragraphe 227(4.1) LIR s'applique malgré toute règle de droit provincial de sorte que toute prise en paiement du bien du débiteur fiscal visé par la fiducie présumée est inopposable à Sa Majesté :

Il n'est pas contesté en l'espèce que de février à octobre 1999, la débitrice-saisie a retenu mais n'a pas versé à l'Agence un montant, de près de 115 000$, que cette débitrice était réputée en vertu du paragraphe 227(4) détenir en fiducie pour Sa Majesté.

De par une lecture complète du paragraphe 227(4.1), on doit donc en conclure que dès février 1999, les biens de la débitrice-saisie, dont le bien en litige, étaient réputés être détenus en fiducie pour Sa Majesté dans un patrimoine distinct de celui de la débitrice-saisie. De plus, Sa Majesté est considérée détenir dès la même époque un droit de bénéficiaire (beneficial ownership) dans ces biens malgré toute autre garantie, ce qui inclut une hypothèque.

Enfin, il est clair du début du paragraphe 227(4.1) que cette dynamique en faveur de Sa Majesté s'impose malgré tout texte législatif provincial ou règle de droit. Il est donc inutile de rechercher les dispositions du Code civil du Québec ou toute autre règle de droit provincial que ce paragraphe 227(4.1) peut heurter; ce paragraphe s'applique malgré toute disposition de droit au contraire.

C'est là certes une disposition exhorbitante [sic] du droit commun, mais c'est la loi que la Cour est forcée d'appliquer.

Son application en l'espèce fait en sorte que dès février 1999, et malgré que l'hypothèque mobilière ici était enregistrée depuis novembre 1997, le bien en litige est sorti du patrimoine de la débitrice-saisie pour être détenu en fiducie pour Sa Majesté dans un patrimoine distinct.

À l'époque de l'enregistrement du préavis et de la prise en paiement du bien, l'effet du paragraphe 227(4.1) faisait en sorte que l'on ne pouvait considérer que le bien en litige était à la disposition de l'opposante. Le bien à cette époque n'était plus dans le patrimoine de la débitrice-saisie. Partant, et contrairement à ce que soutient avec force et vigueur l'opposante, je ne considère pas qu'en tout temps après la saisie, l'opposante pouvait se réclamer d'un titre clair, valide et inattaqué de propriétaire. Bien avant cette époque et malgré que cette situation peut offenser plusieurs concepts au Code civil du Québec dont le principe de la publicité des sûretés, le paragraphe 227(4.1) en avait décidé autrement.


      Le protonotaire rejette donc l'opposition de Newcourt, maintient la saisie et ordonne que le produit de la réalisation des biens saisis soit versé à Sa Majesté en priorité sur toute autre garantie conformément aux paragraphes 227(4.1) LIR et 86(2) LAE.

MOTIFS D'APPEL

[22]            En appel, Newcourt reprend les arguments exposés plus haut et soutient que le protonotaire a erré en droit dans son interprétation de la portée des paragraphes 227(4) et (4.1) LIR. À titre subsidiaire, Newcourt conteste la constitutionnalité des paragraphes 227(4) et (4.1) LIR et des paragraphes 86(2) et (2.1) LAE. En substance, Newcourt allègue que ces dispositions sont inconstitutionnelles et illégales puisqu'elles légifèrent à l'intérieur d'un champ de juridiction exclusivement provincial, soit celui de la propriété et les droits civils. L'argument constitutionnel n'a pas été invoqué devant le protonotaire lors de la première audition. Dans la requête en appel, il n'en est pas question, et on ne retrouve aucune conclusion d'inconstitutionnalité. Bref, ce n'est que dans sa réponse au dossier et au mémoire de l'intimée que Newcourt a pour la première fois soulevé cet argument. Newcourt n'a soumis aucune explication à l'audience pouvant justifier cette omission.

    

REJET DE L'APPEL

[23]            J'ai décidé de rejeter l'appel de Newcourt. Il n'est pas nécessaire que je me prononce sur la portée des paragraphes 227(4) et (4.1) LIR ni sur l'argument constitutionnel de Newcourt car la validité de l'opposition peut être décidée pour le motif d'ordre procédural soulevé par l'intimée et écarté sommairement par le protonotaire.

[24]            Tel qu'il a été mentionné, un certificat attestant que Forestières est endettée envers Sa Majesté pour la somme de 147 059, 39 $, avec intérêts composés quotidiennement, a été produit et enregistré à la Cour le 7 février 2000, et ce, conformément au paragraphe 223(3) LIR qui

prévoit :


223(3) Sur production à la Cour fédérale, un certificat fait en application du paragraphe (2) à l'égard d'un débiteur est enregistré à cette cour. Il a alors le même effet que s'il s'agissait d'un jugement rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu'à la date du paiement comme le prévoit les lois visées au paragraphe (1) en application desquelles le montant est payable, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur du certificat comme s'il s'agissait d'un tel jugement. Dans le cadre de ces procédures, le certificat est réputé être un jugement exécutoire rendu par cette cour contre le débiteur pour une dette envers Sa Majesté du montant attesté dans le certificat, augmenté des intérêts courus jusqu'à la date du paiement comme le prévoit ces lois.

223(3) On production to the Federal Court, a certificate made under subsection 223(2) in respect of a debtor shall be registered in the Court and when so registered has the same effect, and all proceedings may be taken thereof, as if the certificate were a judgment obtained in the Court against the debtor for a debt in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by the statute or statutes referred to in subsection 223(1) under which the amount is payable and, for the purpose of any such proceedings, the certificate shall be deemed to be a judgment of the Court against the debtor for a debt due to Her Majesty, enforceable in the amount certified plus interest thereon to the day of payment as provided by that statute or statutes.


   

[25]            Or, le 7 février 2000, en vertu dudit certificat, un bref de saisie-exécution émanant de la Cour a été délivré. Aux termes de celui-ci, il est enjoint au shérif, ainsi qu'à tout autre shérif du district judiciaire de Gaspé, de même qu'à tout huissier membre de l'Ordre professionnel des huissiers de justice du Québec, de saisir les biens meubles et immeubles se trouvant dans leur ressort et qui appartiennent à Forestières, et de procéder à leur vente afin de réaliser la somme de 147 059, 39 $, avec intérêts composés quotidiennement, plus les dépens, honoraires et frais de réalisation.

[26]            En vertu du paragraphe 56(3) de la Loi sur la Cour fédérale ("LCF"), sauf disposition contraire des règles, les brefs de saisie-exécution sont exécutés autant que possible de la manière fixée par le droit de la province où sont situés les biens à saisir; principe que reprend par ailleurs la règle 448 des Règles. De même, le paragraphe 56(4) LCF prévoit que l'instruction et le jugement de toute contestation en matière de saisie, sauf disposition contraire des Règles, suivent autant que possible, la procédure applicable dans la province où les biens sont saisis.

[27]            D'entrée de jeu, et avec égards pour le protonotaire, bien que je sois d'accord avec le résultat, j'estime qu'il a erré en écartant sommairement l'application de l'article 604 C.p.c.

    

[28]            Reprenons le texte de l'article 604 C.p.c. :


604. Les créanciers du saisi ne peuvent s'opposer à la saisie ni à la vente.

Toutefois, les créanciers prioritaires ou hypothécaires peuvent exercer leurs droits sur le produit de la vente; en ce cas, ils produisent entre les mains de l'officier saisissant, au plus tard dix jours après la vente, un état de leur créance, appuyé d'un affidavit et des pièces justificatives nécessaires, lesquels doivent en outre être signifiés au saisi. Dans les dix jours de la signification de l'état d'une créance prioritaire ou hypothécaire, le saisi peut s'adresser au tribunal ou au juge pour la contester.

604. The creditors of the debtor cannot oppose the seizure or the sale.

However, prior and hypothecary creditors may exercise their rights upon the proceeds of the sale; for that purpose, they file with the seizing officer, within ten days after the sale, a statement of their claim, supported by an affidavit and the necessary vouchers, which documents must also be served on the debtor. Within ten days of service of a statement of a prior or hypothecary claim, the debtor may apply to the court or to the judge to contest the claim.


[29]            À mon avis, cette disposition restreint les droits du créancier hypothécaire : lorsqu'une saisie est pratiquée, ce dernier ne peut plus prendre le bien saisi en paiement, mais il doit plutôt exercer ses droits sur le produit de la vente des biens saisis. Interpréter autrement cette disposition équivaudrait à permettre à un créancier hypothécaire de contourner la prohibition faite à tout créancier de s'opposer à la saisie ou à la vente du bien saisi. Tout effet utile de l'article 604 C.p.c. serait ainsi annihilé. Il faut en conséquence écarter la possibilité qu'un créancier hypothécaire puisse en vertu de l'article 597 C.p.c. revendiquer ultérieurement un bien saisi.

[30]            D'autre part, l'interprétation jurisprudentielle la plus récente de l'article 604 C.p.c. converge vers une limitation des droits des créanciers hypothécaires d'exercer leurs droits hypothécaires à l'égard d'un bien sous saisie. Voir notamment Cleary c. Côté, (C.S. Bedford, No. 460-17-000024-976, 4 mars 2000) ("Cleary"); Nolan, précité, et Société d'Aluminium Reynolds du Canada Ltée c. G.P.M. Aluminium Ltée, [1998] B.E. 98BE 457 (C.Q.)


[31]            Dans l'affaire Cleary, précitée, le juge Fréchette de la Cour supérieure du Québec a analysé l'impact de l'article 604 C.p.c. sur le droit d'un créancier hypothécaire de revendiquer un bien ayant fait l'objet d'une saisie ordinaire. La créancière hypothécaire dans cette affaire, la Caisse populaire Ste-Christine de Bagot (la "Caisse"), s'opposait à la saisie-exécution pratiquée par le demandeur Cleary en invoquant une hypothèque mobilière avec dépossession à l'égard des biens saisis comme fondement à sa revendication en vertu de l'article 597 C.p.c.

[32]            Dans sa décision, le juge Fréchette a rappelé que la question soulevée était fort controversée dans la jurisprudence antérieure aux amendements apportés au C.p.c. en 1992 dans la foulée de l'adoption du nouveau C.c.Q. :

Ainsi, il faut le constater, la controverse était totale et pourtant cette jurisprudence contradictoire procédait de l'interprétation des mêmes dispositions législatives, soit les articles 597 et 604 du Code de procédure civile alors en vigueur...

...

Il va de soi qu'une semblable situation a retenu l'attention et l'intérêt du législateur qui, en 1992, dans la perspective de la mise en vigueur du Code civil du Québec, a voulu mettre fin à l'imbroglio.

[33]            Après avoir révisé le processus ayant entouré l'adoption des amendements aux articles précités du C.p.c., la Cour a conclu :

Dans les circonstances, le tribunal n'hésite pas à conclure que l'article 604 tel que sanctionné a levé toute ambiguïté d'interprétation. En effet, il est maintenant clair que le créancier prioritaire ou hypothécaire ne peut revendiquer les biens sur lesquels il détient un lien et préalablement saisis par un autre créancier: c'est le texte même de la loi. Ces créanciers ne peuvent exercer leurs droits que sur le produit de la vente.


[34]            Bien que le passage précité disposait du litige devant lui, le juge Fréchette a jugé utile de traiter de la question soulevée en l'instance relativement aux droits d'un créancier hypothécaire de revendiquer un bien saisi en se fondant sur l'exercice de ses droits hypothécaires de prise en paiement :

Ainsi, on comprendra sans doute que le créancier hypothécaire immobilier dont le débiteur est en défaut ne pourra que soumettre sa créance à l'officier saisissant s'il n'a pas lui-même pris l'initiative d'exercer les droits que la loi lui permet avant qu'un autre créancier ne procède à la saisie du bien. Il n'y a pas alors d'opposition ou de revendication possible.

[Je souligne]

[35]            Le juge Fréchette a ainsi affirmé le principe selon lequel un créancier hypothécaire ne peut exercer les droits que lui confèrent les articles 2748 et suivants C.c.Q. après qu'un autre créancier ait procédé à la saisie des biens visés par son hypothèque et que son seul recours demeure celui prévu au second alinéa de l'article 604 C.p.c. Voir dans le même sens : Société d'Aluminium Reynolds du Canada Ltée, précité.


[36]            La Cour fédérale du Canada, dans l'affaire Nolan, précitée, a également eu l'occasion de se prononcer sur les dispositions en cause dans la présente instance et a endossé les propos du juge Fréchette dans l'affaire Cleary, précitée. Dans son analyse des articles 597 et 604 C.p.c., la Cour fédérale, sous la plume du juge Lemieux, rappelle qu'il faut "lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur", et qu'il faut interpréter une loi de manière à éviter, autant que possible, "l'incohérence ou la contradiction entre ses éléments ou ses parties". Sur la base de ces principes d'interprétation des lois, le juge Lemieux s'est référé aux propos précités du juge Fréchette en soulignant que la décision dans l'affaire Cleary, précitée, "met en évidence les changements majeurs survenus [depuis les amendements au C.p.c.] quant à l'exercice par les créanciers hypothécaires de leur droit lorsque les biens d'un de leurs débiteurs font l'objet d'une saisie par un autre créancier". Le juge Lemieux dans sa décision a conclu que l'article 604 C.p.c. impose une obligation au créancier hypothécaire ou prioritaire de produire un état de créance avec affidavit et pièces justificatives dans les dix jours suivant la vente. Ainsi le défaut de respecter les dispositions prévues au C.p.c. exclurait, selon le juge, le créancier hypothécaire ou prioritaire de la distribution du produit de la vente.

[37]            Vu ma conclusion concernant l'application en l'espèce de l'article 604 C.p.c., la revendication de Newcourt fondée sur l'article 597 C.p.c. est irrecevable. Il n'est donc pas nécessaire de se pencher sur les autres moyens invoqués par les parties.

[38]            Cela étant, même si je me trompe et que l'article 604 C.p.c. n'exclut pas l'application de l'article 597 C.p.c., dans le cas sous étude, je suis loin d'être convaincu que Newcourt a établi qu'elle a le droit de revendiquer le bien saisi en vertu du droit provincial. Néanmoins, étant donné que les aspects subsidiaires abordés plus loin n'ont pas été plaidés devant moi, je ne me base pas sur les remarques qui suivent pour rejeter le présent appel.

[39]            Tout d'abord, faut-il le rappeler, le bien que Newcourt revendique en vertu de l'article 597 C.p.c. et des articles 2764 et 2783 C.c.Q. se trouvait alors sous l'autorité du gardien désigné dans le procès-verbal de saisie. À cet égard, pour que le délaissement soit volontaire, l'article 2764 C.c.Q. exige qu'avant l'expiration du délai indiqué dans le préavis, celui contre qui le droit hypothécaire est exercé, abandonne le bien au créancier afin qu'il en prenne possession ou consente, par écrit, à le remettre au créancier au moment convenu. Or, l'article 583 C.p.c. prévoit que le débiteur qui est nommé gardien ne peut ni enlever ni détériorer les biens saisis, sous peine d'outrage au tribunal et de dommages-intérêts. Dès lors, comment un débiteur saisi peut-il, sans autorisation de la Cour, abandonner le bien saisi à un autre créancier afin qu'il en prenne possession? Comment peut-il autrement consentir, en vertu de l'article 2764 C.c.Q., à remettre le bien saisi au moment convenu à un autre créancier; l'autorisation écrite constituant en effet permission d'enlever le bien saisi?


[40]            D'autre part, les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. consacrent le principe bien établi en droit civil que toute personne est tenue d'exercer ses droits selon les exigences de la bonne foi. Compte tenu du fait que Newcourt était informée de l'exercice des droits de Sa Majesté, peut-on dire que Newcourt était de bonne foi lorsqu'elle a sommé Forestières de délaisser le bien saisi? Peut-on interpréter ce geste comme une tentative de faire échec à l'application des droits de Sa Majesté? Newcourt pouvait-elle se contenter d'enregistrer son préavis au RDPRM ou aurait-elle dû également en transmettre copie au créancier saisissant, c'est-à-dire à Sa Majesté? Puisque l'inscription du préavis au RDPRM a eu lieu le 27 mars 2000, le délai de 20 jours prévu à l'article 2758 C.c.Q. expirait le 16 avril 2000. Dès lors, comment, dans l'affidavit du 13 avril 2000 fourni au soutien de son opposition, Newcourt pouvait-elle à cette dernière date se réclamer propriétaire du bien saisi?

[41]            Par ailleurs, je note que suite à l'enregistrement du certificat en vertu du paragraphe 223(3) LIR, un bref de saisie-exécution a été délivré par la Cour et remis par Sa Majesté au shérif ou autre officier compétent pour fins d'exécution.

[42]            Or, la règle 447 des Règles prévoit :


447. Aux fins de l'exécution d'une ordonnance, les biens sont grevés d'une charge à compter de la date de la remise au shérif du bref de saisie-exécution.

(je souligne)

447. Property is bound for the purpose of execution of an order as of the date of the delivery to the sheriff of a writ of seizure and sale.

(my emphasis)


  

[43]            Nonobstant la question de savoir si le paragraphe 227(4.1) LIR accorde ou non un droit de suite à Sa Majesté à l'égard de tout bien faisant partie de la fiducie présumée, faut-il dans le cas sous étude interpréter la règle 447 comme conférant un tel droit? C'est du moins ce que l'on peut conclure à la lumière du jugement rendu dans Attorney General of Canada c. Boucher et al. (1979), 28 N.B.R. (2d) et 63 A.P.R. 211 (N.B.Q.B.), où l'on a décidé que l'ancienne règle 2106, qui était rédigée en des termes similaires à ceux que l'on retrouve à la règle 447 des Règles, permettait de poursuivre l'exécution d'un jugement contre le nouvel acquéreur d'un immeuble.

  

[44]            Je préfère laisser les questions mentionnées plus haut sans réponse définitive, mais il serait sans doute approprié que la Cour d'appel se prononce subsidiairement sur celles-ci dans l'hypothèse où, suite à un appel de la présente décision, elle décidait que l'article 604 C.p.c. ne rend pas irrecevable l'opposition formulée par Newcourt en vertu de l'article 597 C.p.c.

  

                                           ORDONNANCE

Par ces motifs, la Cour rejette la requête en appel de Newcourt Financial Ltd., le tout avec dépens.

    

                                                                     

                                                                                                                Juge

     

            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

            AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :        ITA-1223-00

INTITULÉ:       LES ENTREPRISES FORESTIÈRES P.S. INC.

                          -et-

NEWCOURT FINANCIAL LTD.,

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :              10 juin 2002

MOTIFS :          Motifs de l'ordonnance et ordonnance

DATE DES MOTIFS :                   13 septembre 2002

COMPARUTIONS:

Me Étienne Trépanier                        POUR LE DEMANDEUR

Me Patrick Vézina                          POUR LE DEMANDEUR

Me Paule Lafontaine                         POUR L'OPPOSANT

Me Robert L. Edinger                        POUR L'OPPOSANT

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