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Date : 20050628

Dossier : IMM-8412-04

Référence : 2005 CF 910

Toronto (Ontario), le 28 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

ALEXANDRE VOROPAEV

TATIANA VOROPAEVA

et JULIA VOROPAEVA

(aussi connue sous le nom de YULIA VOROPAEVA)

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                En l'espèce, le demandeur principal, Alexandre Voropaev (le demandeur), demande au Canada de le protéger contre les autorités gouvernementales russes. À l'audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR), le ministre prétendait que le demandeur ne pouvait pas demander l'asile parce qu'il était visé à l'alinéa 1Fb) de la Convention relative au statut des réfugiés. Cette disposition est libellée comme suit :


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[...]

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

La SPR a rejeté les arguments du ministre et a conclu que le demandeur avait prouvé le bien-fondé de sa demande d'asile. Aussi, une question importante qui se pose en l'espèce est de savoir si la conclusion de la SPR concernant l'alinéa 1Fb) comporte une erreur susceptible de contrôle. Pour les motifs qui suivent, j'estime que c'est le cas.

[2]                Le ministre a essentiellement fait valoir devant la SPR qu'au moment de l'audience, la preuve produite démontrait que le demandeur faisait l'objet de poursuites criminelles pour fraude fiscale en Russie en raison des actes qu'il avait commis en tant que président d'une société appelée Dalso Co. Ltd. Il y a donc des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un crime grave de droit commun.


[3]                Le dossier dont la SPR disposait indique de fait que des poursuites criminelles pour fraude fiscale ont été intentées en 1994 dans ce que les autorités russes appellent le [traduction] « dossier no 876012 » . La SPR devait déterminer si le demandeur était toujours poursuivi par les autorités russes. À cet égard, le demandeur a produit devant la SPR un document daté du 23 janvier 1996 qui serait un [traduction] « ordre » donné par le Service des affaires intérieures de la ville de Vladivostock de fermer le dossier no 876012. Le passage suivant est tiré de ce document :

[traduction]

1. Le dossier criminel no 876012 concernant la dissimulation de revenus imposables d'un montant de 2 595 624 $US commise par DALSO Co Ltd Company doit être fermé faute de corpus delecti.

(Dossier de demande du demandeur (DD), à la p. 89)

Le ministre a toutefois présenté en réponse une preuve démontrant que le document produit par le demandeur n'était pas [traduction] « authentique » .

[4]                La partie déterminante de la décision de la SPR traitant de la preuve de la fermeture du dossier est reproduite ci-dessous :

Le ministre s'appuyait sur deux documents clés pour conclure que le document [l'[traduction] « ordre » du 26 janvier 1996] était frauduleux. D'abord, une lettre datée du 28 août 2003 adressée à Interpol Ottawa dans laquelle NCB Moscou explique que, d'après sa base de données criminelles centrale, une personne qui a le même nom et la même date de naissance est recherchée au niveau national. Les enquêtes relatives aux accusations au pénal devaient être menées par la Direction des services de police fiscale fédéraux de la région de Primorski.

Une lettre d'Interpol Moscou, datée du 30 mai 2003 et adressée à l'ambassade du Canada, commente l'authenticité de ce document et la validité du sceau qui y est apposé :

« D'après les renseignements fournis par le Service des affaires intérieures de la région de Primorski (territoire maritime), le document que vous avez soumis n'est pas authentique. Les termes correspondent au texte et au contenu du document authentique, mais il existe des différences dans de nombreux paragraphes de la décision rendue... » [traduction]

Comme cela donne à penser qu'il existe un document authentique auquel le document du demandeur a été comparé, le conseil du demandeur a demandé à la représentante du ministre de faire envoyer la décision originale par Moscou.


Elek Adamski, qui écrit au nom de Wally Babenko (décrit ailleurs comme agent des communications, ambassade du Canada à Moscou), déclare, en réponse à la demande d'envoi du document authentique formulée par la représentante du ministre, qu' « il s'agit d'un document contrefait, et pas simplement d'un document falsifié. Il n'existe aucun document authentique correspondant. Sa présentation ressemble à celle d'un document authentique produit ultérieurement. » [traduction]

Dans sa lettre [Interpol, Moscou, datée du 23 septembre 2003], M. Gorodov écrit : « De plus, le conseiller juridique et premier procureur adjoint de Vladivostock, V. Li, a infirmé cette décision le 17 février 1996. » [traduction] S'il s'agit d'un document contrefait et qu'il n'existe aucun document correspondant, comment la décision a-t-elle pu être infirmée, comme l'affirme Interpol dans sa lettre? Ce point est révélateur, comme le souligne le conseil dans ses arguments, et la représentante du ministre n'en parle pas dans sa réplique.

Il existe donc une contradiction dans la lettre même adressée par le chef de division Gorodov d'Interpol (Moscou, ministère de l'Intérieur de la Fédération de Russie) à Wally Babenko, de la GRC, ambassade du Canada à Moscou, en se fondant sur l'information fournie par le Service des affaires intérieures de la région de Primorski, ce qui fait douter de sa valeur probante.

Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le document innocentant le demandeur d'asile de tout chef d'inculpation au criminel pour fraude fiscale n'a pas été fabriqué. En plus de la contradiction susmentionnée dans la lettre du chef Gorodov, plusieurs autres raisons ont amené le tribunal à cette conclusion.

[Non souligné dans l'original]

(DD, aux p. 16 à 18)

[5]                Ainsi, l'une des questions importantes qui se posent en l'espèce est de savoir si la preuve étaie la conclusion de la SPR selon laquelle il y a une « contradiction » dans la lettre du 23 septembre 2003. Cette question est importante parce que c'est en s'appuyant sur cette conclusion que la SPR a jugé qu'aucune poursuite criminelle n'était en instance contre le demandeur en Russie au moment de l'audience.

[6]                La lettre de M. Gorodov datée du 23 septembre 2003 à laquelle la SPR fait référence dans le passage reproduit ci-dessus est rédigée comme suit :


[traduction]

Monsieur Babenko,

D'après les renseignements fournis par le Service des affaires intérieures de la région de Primorski (territoire maritime), le document que vous avez soumis n'est pas authentique. Les termes correspondent au texte et au contenu du document authentique, mais il existe des différences dans de nombreux paragraphes de la décision rendue. En outre, le sceau apposé sur ce document n'a eu une valeur juridique qu'à compter d'avril 1996. Or, le document que vous avez produit est daté de janvier 1996. De plus, le conseiller juridique et premier procureur adjoint de Vladivostock, V. S. Li, a infirmé cette décision le 17 février 1996. Le dossier a été transmis au bureau des enquêtes du service de police fiscale de la région de Primorsky. Le 15 août 1996, l'enquêteur par intérim de la division sibérienne de l'UFSNP [le service de police fiscale fédéral] pour la région de Primorsky, le major S. A. Vorotilin, a décidé d'intenter des poursuites criminelles contre Aleksandr Semyonovich Voropayev (né le 27 juin 1952) en vertu de l'article 162-2, partie 2, du Code criminel de la Fédération de Russie, pour avoir dissimulé des revenus (bénéfices) particulièrement élevés. Une perquisition fédérale concernant cette personne a été annoncée dans la circulaire 2000/43 du 15 août 1996. Pour garantir sa présence, le défendeur a dû s'engager à ne pas quitter le pays (décision prise le 15 août 1996 par l'enquêteur par intérim de la division sibérienne de l'UFSNP pour la région de Primorsky, le major S. A. Vorotilin).

Le 28 juillet 1997, l'enquêteur principal de l'UFSNP pour la région de Primorsky, le major A. V. Loboda, a suspendu les poursuites intentées dans le dossier no 876012 parce qu'il était impossible de retrouver l'accusé.

Des copies certifiées de ces documents peuvent vous être envoyées au besoin.

Nous aimerions obtenir des précisions sur les activités criminelles de l'accusé et sur l'endroit où il se trouve afin de rendre une décision conforme à la loi dans ce dossier criminel.

Nous vous remercions de votre collaboration.

Chef de division       [signature] P. P. Gorodov

(DD, à la p. 95)


[7]                Ainsi, la lettre de M. Gorodov datée du 23 septembre 2003 prouve que, bien que le document produit par le demandeur ne soit pas authentique, il existe un document authentique dont la partie déterminante est identique à celle présentée par le demandeur. C'est donc dire qu'il existe une preuve du fait que le dossier criminel no 876012 a été fermé, mais cette décision a été infirmée le 17 février 1996 et le dossier, rouvert. La preuve la plus récente dont disposait la SPR relativement au statut du dossier criminel no 876012 se trouve dans la décision du 28 juillet 1997 :

[traduction]

1. Suspendre l'enquête relative au dossier criminel no 876012 parce qu'il est impossible de retrouver l'accusé, A. S. Voropaev.

2. Envoyer une copie de cette décision au bureau du ministère public.

(DD, à la p. 82)

Ainsi, la preuve démontre qu'à la date de la décision de la SPR, le dossier criminel no 876012 existait toujours, mais était inactif.

[8]                Par conséquent, j'estime que la décision de la SPR comporte deux erreurs susceptibles de contrôle. En premier lieu, lorsqu'on lit attentivement et dans son ensemble la preuve relative au dossier criminel no 876012, on ne peut conclure qu'il y a une « contradiction » dans la lettre de M. Gorodov du 23 septembre 2003. La preuve ne fournit donc aucune raison de « douter » de la valeur probante de cette lettre.


[9]                En deuxième lieu, comme l'indique la lettre de M. Gorodov du 23 septembre 2003, il existe une preuve décrivant en détail les mesures prises relativement au dossier criminel no 876012 qui n'a apparemment pas été prise entièrement en considération par la SPR. En fait, la partie déterminante de la décision, qui est reproduite ci-dessus, ne porte que sur un aspect de l'affaire, soit l'authenticité du document exposant la décision de fermer le dossier, qui a été produit par le demandeur. Or, le dossier qui a été déposé devant la SPR ne renferme pas seulement le document produit par le demandeur et la lettre de M. Gorodov. On y trouve aussi des copies des documents suivants : la décision du 15 août 1996 de porter des accusations contre le demandeur dans le dossier criminel no 876012 (DD, aux p. 74 et 75); la décision du 15 août 1996 de suspendre l'enquête préliminaire en raison de l'impossibilité de retrouver le demandeur (DD, aux p. 80 et 81); la décision du 28 juillet 1997 de suspendre l'enquête pour la même raison (DD, à la p. 82). L'admission en preuve de ces documents n'a pas été contestée devant la SPR.

[10]            Par conséquent, j'estime que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve concernant le dossier criminel no 876012 lorsqu'elle a statué sur l'applicabilité de l'alinéa 1Fb) de la Convention au regard de la demande d'asile du demandeur.

                                        ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

                                                                      « Douglas R. Campbell »          

                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-8412-05

INTITULÉ :                                                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

ALEXANDRE VOROPAEV,

TATIANA VOROPAEVA

et JULIA VOROPAEVA (aussi connue sous le nom d'YULIA VOROPAEVA)

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 24 JUIN 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                            LE 28 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Stephen Gold                                                            POUR LE DEMANDEUR

Jack Davis                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                                       POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Jack Davis                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

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