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Date : 2014 10 06


Dossier : T‑2439‑97

Référence : 2015 CF 1066

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2014

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

LA BANDE DE LOUIS BULL, CHEF SIMON THREEFINGERS, JONATHAN BULL, JOSEPH DESCHAMPS, CLYDE ROASTING, RUSSELL THREEFINGERS, HARVEY ROASTING, ELAINE ROASTING, TELLY RAINE et IRVIN BULL, chef et conseillers de la bande de Louis Bull agissant, en leur qualité de représentants, au nom de tous les membres de la bande de Louis Bull

demandeurs

(parties intimées)

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

(partie requérante)

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L’ORDONNANCE

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une requête en jugement sommaire présentée par le Canada, en vue d’obtenir le rejet des réclamations de la bande de Louis Bull [la bande]. La déclaration des demandeurs porte sur la cession d’une partie de leur réserve en 1909. Les demandeurs allèguent que la cession n’était pas dans leur intérêt et qu’elle a été effectuée dans le seul but d’accommoder les colons blancs.

Il est allégué que le Canada a contrevenu à une condition implicite de la cession en ne vendant pas toutes les terres rapidement et a manqué à son obligation fiduciaire en omettant de divulguer, au moment de la cession, le fait que la partie des terres constituée du lit du lac ne pourrait jamais être vendue et que les droits miniers seraient irrémédiablement perdus. De plus, la cession n’était pas conforme aux dispositions sur la cession de la Loi des Sauvages de 1906.

La déclaration a été déposée en 1997 et modifiée le 20 avril 2012.

[2]  La défenderesse a présenté une requête en jugement sommaire, en invoquant que les réclamations sont frappées de prescription au titre du Limitation of Actions Act de l’Alberta. Elle soutient également que la déclaration des demandeurs n’a aucune chance d’être accueillie à la lumière du dossier historique et que certaines réclamations [traduction« ne sont pas nécessaires ou sont prématurées ».

[3]  Fait important, les demandeurs ont confirmé tant par écrit que de vive voix devant la Cour qu’ils ne contestent pas l’application des délais de prescription à la déclaration. En particulier, ils ne s’appuient pas sur l’arrêt Manitoba Métis Federation c Canada, 2013 CSC 14, [2013] 2 CNLR 281 [Manitoba Métis] pour faire valoir que les délais de prescription ne devraient pas s’appliquer et ils ne cherchent pas à soulever des questions constitutionnelles concernant le fait que les délais de prescription ne s’appliquent pas aux réclamations qui mettent en cause l’honneur de la Couronne.

[4]  Par conséquent, la présente ordonnance et les présents motifs ne traitent que de la question de savoir si les causes d’action sont visées par le délai de prescription de six (6) ans prévu par le Limitation of Actions Act de l’Alberta. Plus précisément, la question ultime de la présente requête consiste à savoir si l’application des délais de prescription aux causes d’action plaidées soulève une véritable question litigieuse.

[5]  La requête sera accueillie en partie. Les demandeurs connaissaient ou auraient dû connaître, au plus tard en 1987, les faits importants qui ont été divulgués dans le rapport Gainer. Par conséquent, les réclamations fondées sur les causes d’action suivantes seront rejetées en raison des dispositions du Limitations Act :

  • le manquement à l’obligation fiduciaire dans le cadre du courtage de la cession;

  • la violation des dispositions relatives à la cession de la Loi des Sauvages;

  • le retard dans la vente des terres sans restriction;

  • le retard dans la vente des terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson (la CBH);

  • le défaut de vendre ou de louer les terres des lacs.

[6]  La Cour conclut que la défenderesse n’a pas établi que les faits importants nécessaires pour donner lieu aux actions suivantes étaient connus ou auraient dû être connus des demandeurs en dehors du délai de prescription :

  • le manquement à l’obligation fiduciaire découlant de la décision d’accepter la cession des terres de la CBH, alors que la Couronne savait ou aurait dû savoir que ces terres ne pouvaient pas être vendues à ce moment‑là;

  • le défaut d’informer les demandeurs des restrictions sur la vente des terres de la CBH au moment de la cession;

  • le manquement à l’obligation fiduciaire découlant de la décision d’accepter la cession des terres de la CBH, alors que la Couronne savait ou aurait dû savoir que ces terres ne pouvaient pas être vendues;

  • le défaut d’informer les demandeurs des restrictions sur la vente des terres des lacs au moment de la cession;

  • la cession de droits miniers ou l’aliénation subséquente de ces droits à des tiers.

II.  Contexte

A.  Les causes d’action

[7]  Les causes d’action suivantes sont plaidées dans la nouvelle déclaration modifiée déposée le 20 avril 2012 :

  • le manquement aux obligations fiduciaires à l’égard de la cession de 1909;

  • le non‑respect des exigences de la Loi des Sauvages en matière de cession;

  • le retard dans la vente des parcelles autres que celles des terres des lacs et de la CBH;

  • en ce qui a trait aux terres des lacs :

  • i) le fait d’avoir accepté la cession des terres des lacs malgré la connaissance de l’interdiction de les vendre;

  • ii) le fait de ne pas avoir vendu ou loué les terres des lacs;

  • iii) le fait de ne pas avoir informé les demandeurs de l’interdiction de vendre les terres des lacs au moment de la cession;

  • en ce qui a trait aux terres de la CBH :

  • i) le fait d’avoir accepté la cession des terres de la CBH malgré la connaissance du différend qui a empêché leur vente jusqu’aux années 1920;

  • ii) le fait de ne pas avoir vendu ou loué les terres de la CBH avant 1925;

  • iii) le fait de ne pas avoir informé les demandeurs du différend et de son effet probable sur la vente;

  • l’acceptation de la cession des droits miniers, puis l’aliénation de ces droits à des tiers.

[8]  La deuxième cause d’action (violation des dispositions relatives à la cession de la Loi des Sauvages) a été abandonnée par les demandeurs avant l’audience.

[9]  Les réclamations faites sont, aux fins du Limitations Act, toutes liées à des obligations fiduciaires, sauf la réclamation b) qui est liée à un manquement à une obligation légale.

[10]  Bien que, dans sa plaidoirie, la défenderesse ait soutenu que la réclamation relative aux droits miniers avait été présentée pour la première fois dans la déclaration modifiée de 2012 (une question de délai de prescription), cela est inexact. Les droits miniers sont mentionnés au paragraphe 42 de la déclaration de 1997, déposée le 12 novembre 1997.

[11]  J’ai conclu que toutes les causes d’action ont été formulées le 12 novembre 1997. Par conséquent, les causes d’action sont frappées de prescription si elles sont survenues avant le 12 novembre 1991.

III.  Les dispositions législatives applicables

[12]  Les dispositions applicables des Règles des Cours fédérales, DORS /98‑106, concernant les requêtes en jugement sommaire sont les articles 213 à 215 :

213. (1) Une partie peut présenter une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire à l’égard de toutes ou d’une partie des questions que soulèvent les actes de procédure. Le cas échéant, elle la présente après le dépôt de la défense du défendeur et avant que les heure, date et lieu de l’instruction soient fixés.

213. (1) A party may bring a motion for summary judgment or summary trial on all or some of the issues raised in the pleadings at any time after the defendant has filed a defence but before the time and place for trial have been fixed.

(2) Si une partie présente l’une de ces requêtes en jugement sommaire ou en procès sommaire, elle ne peut présenter de nouveau l’une ou l’autre de ces requêtes à moins d’obtenir l’autorisation de la Cour.

(2) If a party brings a motion for summary judgment or summary trial, the party may not bring a further motion for either summary judgment or summary trial except with leave of the Court.

(3) La requête en jugement sommaire ou en procès sommaire dans une action est présentée par signification et dépôt d’un avis de requête et d’un dossier de requête au moins vingt jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis.

(3) A motion for summary judgment or summary trial in an action may be brought by serving and filing a notice of motion and motion record at least 20 days before the day set out in the notice for the hearing of the motion.

(4) La partie qui reçoit signification de la requête signifie et dépose un dossier de réponse au moins dix jours avant la date de l’audition de la requête indiquée dans l’avis de requête.

(4) A party served with a motion for summary judgment or summary trial shall serve and file a respondent’s motion record not later than 10 days before the day set out in the notice of motion for the hearing of the motion.

214. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée sur un élément qui pourrait être produit ultérieurement en preuve dans l’instance. Elle doit énoncer les faits précis et produire les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse.

214. A response to a motion for summary judgment shall not rely on what might be adduced as evidence at a later stage in the proceedings. It must set out specific facts and adduce the evidence showing that there is a genuine issue for trial.

215. (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

215. (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui‑ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

[13]  En ce qui concerne la prescription, en l’absence d’une autre disposition particulière dans la législation fédérale, la Loi sur les Cours fédérales et la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif renvoient aux dispositions de prescription de la province concernée :

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7

32. Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent lors des poursuites auxquelles l’État est partie pour tout fait générateur survenu dans la province. Lorsque ce dernier survient ailleurs que dans une province, la procédure se prescrit par six ans.

32. Except as otherwise provided in this Act or in any other Act of Parliament, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings by or against the Crown in respect of any cause of action arising in that province, and proceedings by or against the Crown in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C‑50

[14]  Étant donné que les faits en cause sont survenus en Alberta, c’est sa loi sur la prescription, le Limitation of Actions Act, qui s’applique; celle-ci prévoit que l’action doit être introduite six (6) ans après que la cause d’action en l’espèce est survenue :

[traduction

4 (1) Les actions suivantes doivent être introduites dans les délais respectifs indiqués ci‑dessous :

c) les actions

(i) en recouvrement d’une somme d’argent, sauf celle relative à une créance grevant un bien‑fonds, que cette somme d’argent soit recouvrable à titre de dette, de dommages‑intérêts ou à un autre titre, et que cette somme découle d’un engagement, d’un cautionnement, d’un contrat, d’un contrat scellé ou d’une convention verbale, expresse ou tacite;

(ii) en reddition de compte ou pour non‑reddition de compte;

Dans les six années après que la cause d’action est survenue;

[…]

6 Lorsque l’existence d’une cause d’action a été dissimulée par une manœuvre frauduleuse de la personne qui invoque en défense la présente partie ou la partie 2, la cause d’action est réputée avoir pris naissance au moment où la manœuvre frauduleuse a été connue pour la première fois ou découverte.

[…]

40 Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, la présente loi n’a pas pour effet d’empêcher le bénéficiaire de présenter contre son fiduciaire une réclamation relativement à un bien qui fait l’objet d’une fiducie expresse ou relativement à un manquement à l’obligation fiduciaire.

Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L‑15

[15]  En 1996, le Limitation of Actions Act de 1980 a été remplacé par le Limitations Act 1996, dont les parties pertinentes sont les suivantes :

[traduction

1a) « réclamation » s’entend d’une affaire donnant lieu à une procédure civile dans laquelle un demandeur sollicite une ordonnance de réparation;

[…]

3(1) Sous réserve de l’article 11, si la demande d’ordonnance de réparation n’est pas présentée :

a)  dans les deux années suivant la date à laquelle le demandeur a su ou, eu égard aux circonstances, aurait dû savoir :

(i)  que le préjudice visé par la demande a été subi,

(ii)  que le préjudice est attribuable à la conduite du défendeur,

(iii)  que le préjudice, à supposer que le défendeur en soit responsable, justifie l’introduction d’une instance,

ou

b)  dans les dix années suivant la date à laquelle la cause d’action de la réclamation est survenue,

selon la première de ces éventualités, le défendeur, en invoquant la présente loi comme moyen de défense, est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la réclamation.

[…]

11. Si, dans les dix années suivant la date à laquelle la cause d’action de la réclamation est survenue, le demandeur ne sollicite pas d’ordonnance de réparation à l’égard d’une réclamation fondée sur un jugement ou une ordonnance prévoyant le paiement d’une somme d’argent, le défendeur, en invoquant la présente loi comme moyen de défense, est exonéré de toute responsabilité à l’égard de la réclamation.

[…]

13. Une action intentée après l’entrée en vigueur de la présente loi [le 1er mai 1996] par un peuple autochtone contre la Couronne en raison d’un manquement à une obligation fiduciaire que la Couronne aurait envers ce peuple est régie par la loi sur la prescription des actions comme si le Limitation of Actions Act, RSA 1980, c L 15, n’avait pas été abrogée et que la présente loi n’était pas en vigueur.

Limitations Act, RSA1996, c L‑15.1

La loi de remplacement de 2000 a préservé les parties pertinentes de la loi de 1996.

[16]  En ce qui concerne la cession des terres de réserve, la Loi des Sauvages de 1906, LRC 1906, c 81, prévoyait ce qui suit :

49  Sauf les restrictions autrement établies par la présente Partie, nulle cession et nul abandon d’une réserve ou d’une partie de réserve à l’usage d’une bande, ou de tout sauvage individuel, n’est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou l’abandon ne soit ratifié par la majorité des hommes de la bande qui ont atteint l’âge de vingt et un ans révolus, à une assemblée ou à un conseil convoqué à cette fin conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d’un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en conseil ou par le surintendant général à y assister.

49  Except as in this Part otherwise provided, no release or surrender of a reserve, or a portion of a reserve, held for the use of the Indians of any band, or of any individual Indian, shall be valid or binding, unless the release or surrender shall be assented to by a majority of the male members of the band of the full age of twenty‑one years, at a meeting or council thereof summoned for that purpose, according to the rules of the band, and held in the presence of the Superintendent General, or of an officer duly authorized to attend such council, by the Governor in Council or by the Superintendent General.

(2) Nul sauvage ne peut voter ni assister à ce conseil s’il ne réside habituellement sur la réserve en question ou près de cette réserve, et s’il n’y a un intérêt.

(2) No Indian shall be entitled to vote or be present at such council, unless he habitually resides on or near, and is interested in the reserve in question.

(3) Le fait que la cession ou l’abandon a été consenti par la bande à ce conseil ou assemblée doit être attesté sous serment, par le surintendant général ou par le fonctionnaire autorisé par lui à assister à ce conseil ou assemblée, et par l’un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant un juge d’une cour supérieure, cour de comté ou de district, ou devant un magistrat stipendiaire ou un juge de paix, ou, dans le cas de réserves dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan ou d’Alberta ou dans les territoires, devant le commissaire des sauvages, et dans le cas de réserves dans la Colombie‑Britannique, devant le surintendant visiteur des sauvages de la Colombie‑Britannique, ou, dans l’un ou dans l’autre cas, devant quelque autre personne ou employé à ce spécialement autorisé par le gouverneur en conseil.

(3) The fact that such release or surrender has been assented to by the band at such council or meeting shall be certified on oath by the Superintendent General, or by the officer authorized by him to attend such council or meeting, and by some of the chiefs or principal men present thereat and entitled to vote, before some judge of a superior, county or district court, stipendiary magistrate or justice of the peace, or, in the case of reserves in the province of Manitoba, Saskatchewan or Alberta, or the Territories, before the Indian commissioner, and in the case of reserves in British Columbia, before the visiting Indian Superintendent for British Columbia, or, in either case, before some other person or officer specially thereunto authorized by the Governor in Council.

[…]

[17]  La partie pertinente de la création des terres de réserve en vertu du Traité no 6, qui couvre les terres et la bande, est présentée ici :

Les tribus des Indiens Cris des Plaines et des Bois, et tous les autres Indiens habitant le district ci‑après décrit et défini, par le présent cèdent, abandonnent, remettent et rendent au gouvernement de la Puissance du Canada pour Sa Majesté la Reine et Ses Successeurs à toujours, tous droits, titres et privilèges quelconques, qu’ils peuvent avoir aux terres comprises dans les limites suivantes :

[…]

Et Sa Majesté la Reine par le présent convient et s’oblige de mettre à part des réserves propres à la culture de la terre, tout en ayant égard aux terres présentement cultivées par lesdits Sauvages, et d’autres réserves pour l’avantage desdits Sauvages, lesquelles seront administrées et gérées pour eux par le gouvernement de Sa Majesté pour la Puissance du Canada, pourvu que toutes telles réserves ne devront pas excéder en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes, ou une telle proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites, en la manière suivante, savoir : Que le surintendant en chef des Affaires des Sauvages devra députer en [sic] envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner les réserves pour chaque bande, après s’être consulté avec les Sauvages de telle bande quant au site que l’on pourra trouver le plus convenable pour eux.

Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu’elle trouvera convenable, et aussi que les dites réserves de terre ou tout droit en icelles pourront être vendues et adjugées par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage des dits Indiens, qui y auront droit, après qu’on aura au préalable obtenu leur consentement; et dans le but de faire voir la satisfaction que Sa Majesté éprouve à la vue du comportement et de la bonne conduite de ses Indiens, elle leur accorde par le présent, en agissant par l’intermédiaire de ses commissaires, un présent de douze dollars pour chaque homme, femme et enfant appartenant aux bandes ici représentées, en satisfaction de toutes réclamations ci‑devant existantes.

(Non souligné dans l’original)

IV.  Les faits historiques allégués

[18]  La bande de Louis Bull a adhéré au Traité no 6 en 1877. Au moment de la signature, les membres de la bande semblaient résider près du lac Pigeon, en Alberta. Vers 1886, encouragés par le Département des Affaires des Sauvages [DAS], ils ont quitté Pigeon Lake pour s’installer à leur emplacement actuel près de Peace Hills (Hobbema), en Alberta, où trois autres Premières Nations (Ermineskin, Samson et Montana) se sont vu attribuer des réserves. Une petite réserve au lac Pigeon a été mise de côté comme camp de pêche pour les quatre Premières Nations d’Hobbema. Par la suite, le lac Pigeon est devenu une destination touristique populaire, et du pétrole y a été découvert. Aujourd’hui, les quatre Premières Nations d’Hobbema se partagent les revenus tirés du pétrole dans la réserve de Pigeon Lake.

[19]  La réserve indienne no 138 a été mise de côté au milieu des années 1880 à l’usage et au bénéfice conjoint des Indiens des bandes de Louis Bull et d’Ermineskin. En 1897, le DAS a ordonné à un arpenteur des terres du Dominion d’arpenter la ligne de démarcation entre les réserves d’Ermineskin et de Louis Bull, mais aucune autre mesure n’a été prise à ce moment‑là.

[20]  Au début du 20e siècle, les terres de la région d’Hobbema sont devenues très précieuses. Elles étaient excellentes pour l’agriculture, et un chemin de fer qui passait par Hobbema permettait de faciliter le transport des personnes et des récoltes. À partir de 1906, le DAS a commencé à réfléchir à la façon dont il pourrait convaincre les Premières Nations d’Hobbema de céder des parties de leurs réserves, en particulier les parties situées près du chemin de fer. Les colons blancs souhaitaient obtenir la cession d’une partie des terres de réserve afin d’arpenter un site de la ville sur la voie d’évitement du chemin de fer d’Hobbema.

[21]  Au début de 1906, J.S. Markle, inspecteur des agences indiennes en Alberta, a suggéré à ses supérieurs de fusionner les quatre bandes d’Hobbema en deux, car, une fois fusionnées, les bandes n’auraient pas droit à la même quantité de terres que celles ayant alors le statut de réserve. Dans une lettre adressée du 6 janvier 1906 au commissaire des Indiens, David Laird, M. Markle estimait que, si les bandes d’Ermineskin et de Louis Bull étaient officiellement fusionnées, la bande qui en découle aurait droit à 10,5 milles carrés de moins que la superficie alors contrôlée par les deux bandes séparément. L’agent local des Indiens, un M. Mann, a transmis un avis par écrit en janvier 1906 portant qu’une telle fusion était très peu probable, étant donné les relations difficiles entre les deux bandes.

[22]  En mars 1906, le surintendant adjoint, le général Pedley, a retenu les services du révérend John McDougall, un prêtre méthodiste et missionnaire, qui jouissait d’une grande confiance au sein des nombreuses Premières Nations de la région. M. McDougall a reçu l’ordre d’agir à titre d’agent du gouvernement pour aborder le plus rapidement possible la question de la cession avec les Indiens d’Hobbema et de fixer le prix minimum, qui devait être [traduction« le plus bas possible ».

[23]  En mai 1906, la bande de Samson a accepté de céder une partie de sa réserve pour la vente. La première disposition de l’accord stipulait que la cession était assujettie à la condition suivante : [traduction« votre département ne nous redemandera pas d’effectuer une autre cession de nos terres, et ce, pour une longue période ». Lorsque M. McDougall a communiqué cette cession aux fonctionnaires du département à Ottawa, ceux‑ci l’ont d’abord rejetée en raison de la distance entre les terres cédées et le chemin de fer. M. McDougall a exhorté le gouvernement à accepter la cession, laissant entendre que, si elle était acceptée, les bandes d’Ermineskin et de Montana seraient plus susceptibles de céder des parties de leur réserve près de la voie ferrée. Le gouvernement a refusé d’accepter les conditions initiales de la cession.

[24]  En février 1907, l’agent local des Indiens a communiqué avec la bande de Samson pour tenter de la persuader de céder des terres situées plus près du chemin de fer. En août 1907, la bande de Samson a indiqué à M. McDougall qu’elle était alors prête à céder une partie de sa réserve près du chemin de fer; cela n’a toutefois pas été reconnu par le gouvernement. En décembre 1908, la bande de Samson propose la cession d’une partie plus importante près du chemin de fer. M. McDougall a écrit au département pour lui faire part de cette offre, qu’il a exhorté le Département à accepter, car elle inciterait probablement d’autres bandes à céder une partie de leurs réserves. Plus précisément, il a indiqué que la bande de Louis Bull accepterait probablement une cession si les terres de réserve qu’elle occupait avec la bande d’Ermineskin étaient séparées. En réponse à cette lettre, en janvier 1909, le gouvernement a accepté la proposition de la bande de Samson.

[25]  En avril 1909, le comptable en chef du département des Affaires des Sauvages a écrit au général Pedley pour l’informer que la frontière entre les réserves de Louis Bull et d’Ermineskin devait être arpentée : [traduction« Muddy Bull céderait probablement une partie de sa propre réserve, et la première chose à faire est de la séparer correctement ». Il semble qu’au début de l’été 1909, M. McDougall a eu des discussions avec le chef Louis Bull au sujet d’une éventuelle cession après la séparation.

[26]  Le 22 juin 1909, la réserve indienne no 138 a été séparée en deux réserves indiennes, les réserves nos 138A et 138B, à l’usage exclusif des bandes d’Ermineskin et de Louis Bull. La frontière entre les deux réserves a été arpentée une semaine plus tard. Contrairement à la coutume, aucun décret n’a été adopté pour établir les deux réserves distinctes.

[27]  Le 3 août 1909, le secrétaire du DAS, J.D. McLean, a envoyé des instructions à l’arpenteur pour lui demander de finaliser les levés des terres de la bande avant la cession. Le lendemain, M. McLean a envoyé un télégramme à M. McDougall pour l’informer que la bande était disposée à céder et lui demander de soumettre la proposition de cession du DAS à la bande. Il se demandait si l’agent Mann pouvait lui‑même se charger de la cession.

[28]  M. McDougall a répondu à M. McLean le 7 août, l’informant qu’il pouvait être présent le 13 août, mais qu’il devait partir le 15 août pour s’acquitter d’autres fonctions.

[29]  Le 9 août, l’agent Mann a reçu une lettre du DAS l’informant que les formulaires de cession pour la partie de la réserve de la bande avaient été envoyés par la poste à M. McDougall avec des instructions de les soumettre aux Indiens. M. Mann a reçu l’ordre de fournir [traduction« toute l’aide possible » à M. McDougall.

[30]  Les formulaires de cession envoyés à M. McDougall le 9 août (et mentionnés dans la lettre à l’agent Mann le même jour) l’autorisaient à soumettre, conformément aux dispositions de la Loi des Sauvages, une proposition de cession aux membres de la bande. Cette proposition était accompagnée d’un chèque de 2 000 $ qui devait couvrir le paiement anticipé à distribuer après l’acceptation de la proposition.

[31]  Peu après, M. McDougall et l’agent Mann ont rencontré les membres de la bande pour discuter de la cession proposée. Les membres de la bande présents ont fait savoir qu’ils voulaient que l’acompte de 10 % serve à l’achat de matériaux de clôture, pour encercler la réserve, et que les 50 % restants du produit de la vente soient distribués aux membres de la bande sur une période de dix ans (cette partie du produit de la vente n’était pas accessible à ce moment‑là).

[32]  Le 14 août, M. McDougall a envoyé un télégramme au DAS à Ottawa pour l’informer que les conditions de la cession avaient été jugées satisfaisantes par les dirigeants de la bande et qu’ils voulaient que le montant de l’acompte, soit 10 % du prix de la vente, soit consacré à l’achat de matériaux de clôture pour la réserve. Le 16 août, le département a accepté ces conditions.

[33]  Une assemblée officielle des électeurs admissibles de la bande a été convoquée le 17 août pour examiner les propositions de cession et voter à leur sujet. Selon la liste électorale tenue par M. Mann, 16 électeurs admissibles de la bande étaient présents à cette assemblée et ceux-ci ont voté à l’unanimité en faveur de la cession. M. McDougall n’était pas à cette réunion. L’agent Mann était présent et représentait le DAS. Contrairement à M. McDougall, l’agent Mann n’avait pas été officiellement autorisé à exercer cette fonction. L’agent Mann avait seulement été autorisé à faciliter la cession, et non à l’accepter.

[34]  Le document de cession a été signé par six membres de la bande. L’agent Mann et le chef Louis Bull ont signé un affidavit. Après le vote, les membres de la bande ont reçu une somme en espèces avancée en fonction du produit estimé de la vente.

L’agent Mann a transmis les documents de cession à Ottawa. La cession a été acceptée par un décret du Conseil privé daté du 20 août 1909.

[35]  Une superficie de 5 800 acres a été incluse dans la cession; toutefois, seulement 5 308 acres ont finalement été vendues au profit des demandeurs. Les 492 acres restantes étaient constituées du lac Bear et du lac Louis [les terres des lacs] et elles étaient protégées de la vente de façon permanente en vertu de l’Irrigation Act et, par conséquent, ne seraient jamais vendues. De plus, 499 acres ne pouvaient faire l’objet de vente pendant une période de 16 ans en attendant le règlement d’un différend concernant le titre de propriété avec la Compagnie de la Baie d’Hudson [les terres de la CBH].

[36]  La première vente aux enchères des terres cédées a eu lieu en novembre 1909, ce qui a donné lieu à la vente de 19 parcelles. Une deuxième vente de sept parcelles a eu lieu en juin 1910. Au cours des années 1920 et 1930, les 17 parcelles restantes ont été vendues par négociation privée.

[37]  En 1937, le lac Louis s’était asséché. Aujourd’hui, le lac Louis et le lac Bear sont tous deux asséchés. Les terres des lacs ne pouvaient faire l’objet d’une vente; toutefois, certaines d’entre elles ont été perdues en raison de l’annexion aux terres des propriétaires fonciers voisins dont les parcelles sont décrites par rapport aux limites des lacs. De plus, les terres des lacs sont actuellement utilisées pour le pâturage, et ce, sans frais.

[38]  Dans les années 1970, le groupe de recherche appelé Treaty and Aboriginal Rights Research [TARR] de l’Indian Association of Alberta [IAA] a mené des recherches générales sur la création de la réserve indienne no 138 « B » et la cession de 1909. Une résolution du conseil de bande [RCB] du 10 septembre 1973 autorise le TARR à [traduction« fournir les services nécessaires à la bande de Louis Bull pour enquêter sur les revendications territoriales et les autres droits ancestraux et issus de traités ». Cette recherche a abouti à un rapport du TARR daté de décembre 1977 et intitulé « History of the Land of the Louis Bull Indian Reserve #138B » [le rapport Gainer]. Il n’y a aucune information sur les qualifications de Mme Gainer.

[39]  La première partie du rapport Gainer porte sur les circonstances du déménagement, du lac Pigeon à Hobbema. Mme Gainer a conclu qu’il est peu probable que la bande puisse étayer une revendication relative au lac Pigeon.

[40]  Ensuite, le rapport examine les conditions de la cession de 1909 de la bande, en tenant compte de la question de savoir si la cession était dans l’intérêt supérieur de la bande, si elle a été effectuée légalement conformément aux dispositions de la Loi des Sauvages en vigueur à l’époque, et si les conditions de la cession ont été respectées.

[41]  En ce qui concerne les exigences de la Loi des Sauvages relatives à la cession, le rapport Gainer concluait que la cession avait été approuvée par la majorité des membres adultes de sexe masculin de la bande, qu’une assemblée extraordinaire avait été convoquée pour discuter de la cession et tenir un vote à ce sujet, et que les électeurs vivaient dans la réserve ou près de celle‑ci et avaient un intérêt dans celle‑ci. Mme Gainer a toutefois conclu que la réunion sur la cession n’avait pas eu lieu en présence d’un agent autorisé par le surintendant général des Affaires indiennes à assister à la réunion. Seul M. McDougall détenait une telle autorisation, et il n’était pas présent. Par conséquent, les exigences de la Loi des Sauvages en matière de cession n’ont pas été respectées.

[42]  Mme Gainer s’est ensuite demandé s’il existait une relation de fiduciaire entre la Couronne et la bande. Elle a conclu que la Couronne était probablement fiduciaire des terres cédées après la cession, mais pas avant. Même si une relation de confiance avait existé avant la cession, Mme Gainer était d’avis qu’il n’y avait pas eu de manquement.

[43]  Mme Gainer a ensuite examiné la vente subséquente des terres cédées et a conclu qu’elles avaient été vendues de bonne foi, malgré certains [traduction« détails techniques ».

[44]  Le rapport Gainer concluait par les recommandations suivantes :

[traduction

(1) Il faudrait demander un avis juridique quant à la question de savoir si les violations de certaines dispositions de la Loi des Sauvages qui ont eu lieu sont suffisantes pour invalider la cession ou si elles pourraient être utiles dans les négociations avec le ministère des Affaires indiennes […].

(2) En ce qui a trait à la vente des terres cédées, il semble que les seules pratiques douteuses du DAS portent sur des inexactitudes comptables. Pour résoudre ce problème, il faudrait passer énormément de temps à examiner tous les registres des fonds en fiducie et les dossiers de vente des terres. D’après mes recherches, je suis d’avis qu’un tel projet entraînerait très peu d’avantages tangibles (dans le cas particulier de la réserve de Louis Bull).

(3) La question du titre de propriété du lac Louis (c’est‑à‑dire la question de savoir si les terres sous les eaux n’ont jamais été cédées ou si elles n’ont tout simplement pas été vendues) devrait finalement être réglée avec le ministère des Affaires indiennes, si cela n’a pas déjà été fait.

[45]  En décembre 1987, une revendication particulière concernant la cession de 1909 a été présentée par l’IAA pour le compte de la bande par Donald J. McMahon [le rapport McMahon]. Le rapport McMahon passe en revue l’historique de la cession et examine les questions suivantes :

  1. le défaut de la Couronne du chef du Canada de s’acquitter de ses obligations fiduciaires envers la bande de Louis Bull;

  2. le non‑respect de l’ordre approprié des procédures pour la création d’une nouvelle réserve à partir d’une réserve qui avait été dûment choisie, étudiée et confirmée par décret;

  3. l’impossibilité pour un délégué habilité par l’autorité d’accomplir un certain acte, subdéléguant à son tour l’exécution de cet acte à une partie non autorisée.

[46]  Le rapport a examiné la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335, [1985] 1 CNLR 120 [Guerin], et a conclu que le Canada avait manqué à ses obligations fiduciaires envers la bande en omettant de tenir compte de la façon dont la cession toucherait ses intérêts. M. McMahon a également conclu qu’aucun décret confirmant l’existence de la réserve indienne de Louis Bull no 138B n’avait été adopté à quelque moment que ce soit et que la cession était donc invalide parce qu’elle n’avait pas obtenu l’approbation des membres de la bande d’Ermineskin qui, au moins officiellement, avaient également un intérêt dans les terres cédées. Il a finalement conclu que seul M. McDougall était autorisé par le surintendant général des Affaires indiennes à prendre en charge la cession et que l’agent Mann n’était pas autorisé à se substituer à lui.

V.  Les faits procéduraux

[47]  Les demandeurs ont produit leur déclaration le 12 novembre 1997. Les parties ont convenu qu’un exposé de la défense ne serait pas nécessaire tant que le processus de règlement des revendications particulières n’aurait pas été terminé. Les procédures ont fini par être assujetties à un processus de gestion d’instance.

[48]  Les demandeurs ont produit leur déclaration modifiée le 7 août 2003.

[49]  Le 12 septembre 2003, les avocats des demandeurs ont écrit à la Cour pour l’informer qu’ils avaient reçu des instructions leur enjoignant d’abandonner leur réclamation soumise à l’examen du Tribunal des revendications particulières et de plutôt aller de l’avant avec la poursuite du litige.

[50]  La défenderesse a déposé sa défense le 22 décembre 2003.

[51]  La défenderesse a présenté un avis de requête en jugement sommaire le 30 mars 2010.

[52]  Les demandeurs ont présenté le 12 octobre 2011 une requête en vue d’obtenir l’autorisation de modifier leur déclaration. Le 12 janvier 2012, la défenderesse a indiqué qu’elle consentirait aux modifications proposées. Elle a également présenté une deuxième demande de précisions concernant les actes de procédure modifiés à déposer.

[53]  Les demandeurs ont déposé leur nouvelle déclaration modifiée le 13 mars 2012. Pour sa part, la défenderesse a présenté une défense modifiée le 14 septembre 2012. La défenderesse a déposé le dossier de demande le 29 novembre 2013. Les demandeurs ont produit leur dossier de réponse le 28 février 2014.

VI.  L’actuelle déclaration – la nouvelle déclaration modifiée

[54]  Dans leur nouvelle déclaration modifiée, les demandeurs soutiennent que la cession de 1909 a été effectuée dans le seul but de répondre aux demandes des colons blancs de la région d’Hobbema, sans tenir dûment compte des intérêts de la bande. En vertu du Traité no 6, les terres de réserve ne peuvent être vendues ou autrement cédées par le Canada qu’à l’usage et au profit de la bande, avec son consentement.

[55]  Les demandeurs font également valoir qu’une condition expresse ou implicite de la cession était que les terres cédées soient vendues au profit de la bande. Cette condition a été violée lorsque la Couronne a omis de vendre toutes les parcelles cédées (à l’exception des terres des lacs, qui n’ont jamais été vendues) avant les années 1930.

[56]  En ce qui concerne les terres des lacs et les terres de la CBH, les demandeurs soutiennent que tout consentement à la cession a été obtenu de façon inappropriée, en ce sens qu’il était fondé sur de fausses déclarations frauduleuses ou négligentes, ce qui contrevenait aux obligations fiduciaires du Canada. Au moment de la cession, le Canada a omis de divulguer ce qui suit aux demandeurs :

  • le fait qu’une partie des terres cédées avait été protégée de la vente jusqu’en 1925 en attendant le règlement d’un différend sur les titres de propriété avec la Compagnie de la Baie d’Hudson [les terres de la CBH];

  • le fait que la partie des terres cédées qui était couverte par les eaux du lac Bear et du lac Louis au moment de la cession [les terres des lacs] était soustraite à la vente de façon permanente au titre de l’Irrigation Act.

[57]  Il est allégué qu’avant d’accorder la cession, la défenderesse a amené les demandeurs à croire qu’il y avait une forte demande de terres dans la région. En se fondant sur ces observations, les demandeurs ont compris qu’ils allaient recevoir le produit de la vente des terres cédées, y compris les terres des lacs et les terres de la CBH, et ils s’attendaient raisonnablement à le recevoir dans un délai raisonnable.

[58]  Les demandeurs plaident que la cession n’a pas satisfait aux exigences de la Loi des Sauvages, puisqu’elle a été effectuée en présence de l’agent Mann, qui a déclaré à tort qu’il avait été autorisé par le surintendant général à procéder à la cession.

VII.  Analyse

A.  Principes

[59]  Pour rendre un jugement sommaire fondé sur l’absence d’une véritable question litigieuse, il faut se demander si l’affaire est si douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée de plus près (voir la décision Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd SA, [1996] 2 CF 853). Il n’est pas nécessaire de démontrer que le demandeur ne pourrait vraisemblablement pas obtenir gain de cause, seulement que l’affaire n’est « manifestement pas fondée » (Premakumaran c Canada, [2007] 2 RCF 191).

[60]  Les parties sont tenues de présenter « leurs meilleurs arguments » et ne peuvent se fier à une allégation selon laquelle des éléments de preuve plus nombreux et de meilleure qualité pourraient être disponibles au procès (voir l’arrêt Rude Native Inc c Tyron T Resto Lounge, 2010 CF 1278).

[61]  Il est important de souligner qu’il est bien établi qu’une action frappée de prescription sera sommairement rejetée (Riva Stahl GmbH c Combined Atlantic Carrier GmbH (1999), 243 NR 183 (CAF)).

B.  Les questions à trancher

[62]  Les questions pertinentes sont les suivantes :

  • Quels sont les délais applicables?

  • Quels sont les principes pertinents en matière de possibilité de découverte des causes d’action?

  • Quand le rapport Gainer a‑t‑il été connu ou aurait‑il dû être connu des demandeurs?

  • Quels sont les faits importants divulgués dans le rapport Gainer?

  • Quand le rapport McMahon a‑t‑il été connu ou aurait‑il dû être connu des demandeurs?

  • Quels sont les faits importants divulgués dans le rapport McMahon?

  • Y a‑t‑il des causes d’action qui ne pouvaient être découvertes avant novembre 1991?

C.  Le délai de prescription applicable

[63]  Les parties conviennent que la loi applicable est le Limitation of Actions Act de 1980 et que le délai de prescription applicable est de six (6) ans [traduction« à compter de la découverte de la cause d’action », comme le prévoit l’alinéa 4(1)e) de cette loi. Les deux parties qualifient les réclamations comme des [traduction« actions fondées sur un accident, une erreur ou un autre motif de redressement équitable, non […] expressément traité ».

[64]  Comme l’alinéa 4(1)e) intègre le principe de la possibilité de découverte, la période de six ans ne commence à compter que lorsque les faits importants étaient connus des demandeurs, et ce, pour chaque cause d’action.

[65]  Malgré cette entente, en vertu de l’article 13, le Limitation of Actions Act de 1980 continue de s’appliquer aux réclamations autochtones seulement lorsqu’elles sont fondées sur un [traduction« manquement à l’obligation fiduciaire de la Couronne qui est allégué ».

L’article 13 du Limitations Act de 2000 est libellé à peu près de la même façon, sauf que le point de départ correspond aux poursuites intentées après le 1er mars 1999.

[66]  Étant donné que les parties conviennent que l’arrêt Manitoba Métis ne s’applique pas aux présentes réclamations, il n’est pas du tout certain que toutes les causes d’action soient fondées sur un manquement à l’obligation fiduciaire.

[67]  Si l’alinéa 4(1)e) du Limitation of Actions Act de 1980 ne s’applique pas, du fait que la cause d’action n’est pas fondée sur un manquement à l’obligation fiduciaire, la période de prescription applicable est celle établie à l’article 3 du Limitations Act de 1996, soit deux (2) ans après la découverte de la cause d’action (alinéa 3(1)a)) ou 10 ans de façon absolue (alinéa 3(1)b)). Il s’agit manifestement d’une question sujette à procès.

D.  Les principes liés à la possibilité de découverte

[68]  Bien que les parties s’entendent sur les principes de la découverte, les demandeurs soutiennent que, bien que les causes d’action aient pu être découvertes en dehors du délai de prescription, cette question ne se prête pas à un jugement sommaire. Cette situation est en partie attribuable à l’existence d’éléments de preuve contradictoires qui font en sorte que le jugement sommaire n’est pas un mécanisme approprié pour trancher la question (voir la décision Aguonie c Galton Solid Waste Material Inc, [1998] OJ No 459, 156 DLR (4th) 222 (C.A. Ont.)).

[69]  Il n’y a aucune raison de s’écarter des principes établis énoncés au paragraphe 77 de l’arrêt Central Trust Co. C Rafuse, [1986] 2 RCS 147, [1986] ACS n52 [Central Trust] :

Je suis donc d’avis que le jugement de la Cour à la majorité dans l’affaire Kamloops pose une règle générale selon laquelle une cause d’action prend naissance, aux fins de la prescription, lorsque les faits importants sur lesquels repose cette cause d’action ont été découverts par le demandeur ou auraient dû l’être s’il avait fait preuve de diligence raisonnable; j’estime en outre qu’on doit suivre cette règle et l’appliquer à la cause d’action délictuelle que possède l’appelante contre les intimés, en vertu de The Statute of Limitations de la Nouvelle‑Écosse, R.S.N.S. 1967, chap. 168. Il n’y a, selon moi, aucune raison de principe de faire une distinction à cet égard entre une action pour dommages causés à un bien et une action en indemnisation pour le préjudice purement financier causé par la négligence professionnelle, comme on a proposé de le faire dans la décision Forster v. Outred, précitée, aux pp. 765 et 766. […]

(Non souligné dans l’original.)

[70]  Sur la question de la découverte, le juge Carthy a indiqué ce qui suit dans l’arrêt Peixeiro c Haberman, (1995) 25 OR (3d) 1, 127 DLR (4th) 475 (C.A. Ont.) (conf. par [1997] 3 RCS 549), au paragraphe 21 :

[traduction

Selon mon interprétation des décisions rendues en appel au Canada depuis l’arrêt Kamloops, je ne vois pas de restriction de la portée de la justification exprimée par lord Denning dans la décision Sparham‑Souter et aucune tentative de limiter le principe à des types particuliers d’actions, ou de fonder son application sur le libellé particulier de la loi de prescription applicable. Bien que cela puisse sembler être un exemple singulier de l’engagement de la cour à légiférer, la règle semble établir que le délai prévu par une mesure législative relative à la prescription commence à courir lorsque les faits importants sur lesquels l’action est fondée ont été découverts ou auraient dû être découverts par l’exercice d’une diligence raisonnable.

[71]  Les faits importants qui doivent être découverts pour que commence la période de prescription sont ceux qui suffisent pour qu’une partie demanderesse soutienne l’action, et cette dernière devait avoir raisonnablement découvert les faits en question sur lesquels l’action repose (voir l’arrêt Consumer Glass Co c Foundation Co of Canada, (1985) 51 OR (2d) 385 (C.A.), 20 DLR (4th) 126).

[72]  En Alberta, à l’époque pertinente, le principe de la possibilité de découverte n’était pas enchâssé dans le Limitation of Actions Act de 1980, mais il a été intégré au Limitations Act de 2000.

E.  La connaissance du rapport Gainer et le moment de la prise de connaissance

[73]  Les demandeurs reconnaissent que le rapport Gainer a été préparé par le TARR et ne contestent pas l’affirmation de la défenderesse selon laquelle ils en ont eu connaissance en 1978. Toutefois, les demandeurs affirment que le rapport Gainer ne leur avait pas permis de découvrir les causes d’action pertinentes, lesquelles n’ont été découvertes qu’après que les demandeurs se furent dissociés du TARR en 1991, eurent embauché un avocat indépendant et eurent entrepris leur propre recherche (mais non divulguée).

[74]  Compte tenu de la concession des demandeurs, il est évident que les demandeurs avaient connaissance du rapport Gainer et de son contenu au plus tôt en 1978, ou au plus tard en 1987, de façon concomitante à la préparation du rapport McMahon.

[75]  La jurisprudence sur le principe de la découverte exige que la Cour accepte qu’une personne raisonnable, dans les circonstances des demandeurs, aurait lu le rapport lorsqu’elle en aurait eu connaissance et aurait ainsi appris les faits importants qu’il contenait.

[76]  Les éléments de preuve produits par les demandeurs au sujet de leur connaissance du rapport Gainer et du moment de cette prise de connaissance sont équivoques. Il y a peu de preuves de corroboration; cependant, ce qui est clair, c’est que les demandeurs ont adopté une RCB le 10 septembre 1973 confirmant que la section du TARR de l’IAA devait fournir des services à la bande pour enquêter sur les revendications territoriales et d’autres droits ancestraux et issus de traités.

[77]  Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le rapport Gainer est le résultat de la RCB de 1973. Comme les demandeurs ont demandé que la recherche soit effectuée, en l’absence de toute autre preuve claire du contraire, il faut considérer que les demandeurs ont vu les résultats de la recherche à un moment raisonnablement proche de la livraison du rapport.

F.  Les faits importants et les causes d’action divulgués dans le rapport Gainer

[78]  Le rapport Gainer a révélé les faits importants nécessaires aux causes d’action suivantes :

  • le manquement à l’obligation fiduciaire dans le cadre du courtage de la cession;

  • la violation des dispositions sur la cession de la Loi des Sauvages;

  • le retard dans la vente des parcelles sans restriction;

  • le retard dans la vente des terres de la CBH;

  • le défaut de vendre les terres des lacs.

[79]  Par conséquent, ces causes d’action sont frappées de prescription par l’application de la période de prescription de six ans qui a expiré en 1984 (six ans après la préparation du rapport Gainer) ou, subsidiairement, en 1993 (six ans après que le rapport Gainer eut été cité dans le rapport McMahon, qui faisait partie du dossier soumis par les demandeurs au Tribunal des revendications particulières).

[80]  La question juridique consiste à savoir si le rapport Gainer a révélé des faits importants et non si le rapport a abouti à des conclusions juridiques relativement à ces faits.

[81]  En ce qui a trait à la cession de 1909, le rapport Gainer contenait plusieurs références aux agents de la Couronne agissant à l’encontre des intérêts des demandeurs, notamment en reconnaissant que les paiements anticipés étaient à l’avantage du « Département », mais au détriment des « Indiens », et le manque de sympathie, de la part d’un agent des Indiens envers les droits des Indiens, quand ces droits entraient en conflit avec ceux des colons blancs.

[82]  Le rapport Gainer fait état de tous les faits importants nécessaires pour donner lieu à une réclamation pour violation des dispositions sur la cession de la Loi des Sauvages.

[83]  La page 44 de ce rapport divulgue des faits importants liés au retard dans la vente des parcelles de terrain ne faisant pas partie des terres des lacs et des terres de la CBH.

[84]  Toutefois, le rapport Gainer ne révèle pas les faits importants nécessaires concernant la dissimulation par la Couronne de sa connaissance du fait que les terres des lacs ne pouvaient pas, après la cession, être vendues.

[85]  Comme l’indique la décision Guerin, au paragraphe 115, lorsqu’il y a dissimulation, la cause d’action ne survient pas tant que le demandeur n’a pas découvert, ou aurait dû découvrir, la fraude.

[86]  À la lecture du rapport Gainer, rien ne prouve que les demandeurs ont découvert ou auraient dû découvrir la fraude alléguée de la Couronne.

[87]  Les mêmes commentaires s’appliquent aux terres de la CBH pour lesquelles la question de la dissimulation pose également problème.

G.  Les causes d’action divulguées par le rapport McMahon

[88]  La réclamation concernant les dispositions sur la cession de la Loi des Sauvages a été abandonnée, et la découverte a eu lieu dans le rapport McMahon.

H.  La connaissance du rapport McMahon ou la nécessité de connaître ce rapport

[89]  Compte tenu de la concession des demandeurs, le rapport McMahon a été porté à la connaissance des demandeurs en 1987 au plus tard.

I.  La découverte d’autres causes d’action avant 1991

[90]  La défenderesse n’a pas prouvé que les faits importants nécessaires pour donner lieu aux actions suivantes étaient connus ou auraient dû être connus des demandeurs en dehors du délai de prescription :

  • le manquement à l’obligation fiduciaire découlant de la décision d’accepter la cession des terres de la CBH, alors que la Couronne savait ou aurait dû savoir que ces terres ne pouvaient pas être vendues à ce moment‑là;

  • le défaut d’informer les demandeurs des restrictions sur la vente des terres de la CBH au moment de la cession;

  • le manquement à l’obligation fiduciaire découlant de la décision d’accepter la cession des terres de la CBH, alors que la Couronne savait ou aurait dû savoir que ces terres ne pouvaient pas être vendues;

  • le défaut d’informer les demandeurs des restrictions sur la vente des terres des lacs au moment de la cession;

  • la cession de droits miniers ou l’aliénation subséquente de ces droits à des tiers.

VIII.  Conclusion

[91]  Je rejette la requête en jugement sommaire de la Couronne à l’égard des réclamations visées au paragraphe 90.

[92]  J’accueillerais la requête de la Couronne fondée sur la divulgation du rapport Gainer en 1987 à l’égard des réclamations suivantes :

  • le manquement à l’obligation fiduciaire dans le cadre du courtage de la cession;

  • la violation des dispositions relatives à la cession de la Loi des Sauvages;

  • le retard dans la vente des terres sans restriction;

  • le retard dans la vente des terres de la CBH;

  • le défaut de vendre ou de louer les terres des lacs.

[93]  Étant donné que chaque partie a gain de cause de façon presque égale, chacune devra assumer ses propres frais.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en jugement sommaire de la défenderesse à l’égard des réclamations visées au paragraphe 90 des motifs est rejetée;

  2. La requête de la défenderesse fondée sur la divulgation du rapport Gainer en 1987 à l’égard des réclamations visées au paragraphe 92 des motifs est accueillie;

  3. Chacune des parties doit assumer ses propres frais.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2020

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2439‑97

 

INTITULÉ :

LA BANDE DE LOUIS BULL, CHEF SIMON THREEFINGERS, JONATHAN BULL, JOSEPH DESCHAMPS, CLYDE ROASTING, RUSSELL THREEFINGERS, HARVEY ROASTING, ELAINE ROASTING, TELLY RAINE et IRVIN BULL, chef et conseillers de la bande de Louis Bull agissant, en leur qualité de représentants, au nom de tous les membres de la bande de Louis Bull c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 14 AU 16 AVril 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE :

LE 6 octobRE 2014

 

COMPARUTIONS :

Sylvie M. Molgat

G. James Thorlakson

 

POUR LES DEMANDEURS (PARTIES DÉFENDERESSES)

 

 

John S. Tyhurst

Lynn Marchildon

Holly‑Ann Peterson

 

POUR LA DÉFENDERESSE (PARTIE REQUÉRANTE)

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dubuc Osland

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS (PARTIES DÉFENDERESSES)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE (PARTIE REQUÉRANTE)

 

 

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