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  Date : 20050530

 

  Dossier : T-881-04

 

  Référence : 2005 CF 765

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

ENTRE :

 

JANSSEN-ORTHO INC.

 

  demanderesse

 

  et

 

  LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

  défendeurs

 

 

  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LE JUGE DE MONTIGNY

 

  • [1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Janssen-Ortho Inc. (demanderesse) relativement à une décision du ministre de la Santé (le ministre) datée du 5 avril 2004, dans laquelle il a refusé d’ajouter au registre des brevets le brevet canadien no 2 222 133 (le brevet 133) se rapportant au système transdermique de norelgestromine et d’éthinylestradiol EVRA.

 

  • [2] La demanderesse sollicite des ordonnances sous forme de déclaration, de bref de certiorari et de bref de mandamus, qui obligeraient le ministre à inscrire le brevet 133 dans le registre des brevets, conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, le (« Règlement »).


 

RÉSUMÉ DES FAITS

  • [3] Comme le décrit la monographie de produit, EVRA est un contraceptif hormonal sous forme de système ou « timbre » transdermique. Le médicament dans EVRA est une combinaison de deux ingrédients actifs, la norelgestromine et l’éthinylestradiol.

 

  • [4] Janssen-Ortho a déposé une présentation de drogue nouvelle pour EVRA le 2 avril 2001. Cette présentation a fait l’objet d’un avis de conformité daté du 20 août 2002, en vertu de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues.

 

  • [5] La monographie du produit décrit le système EVRA comme un système constitué de trois couches plastifiées. La couche la plus à l’intérieur est retirée juste avant l’application du timbre sur la peau de la patiente. La couche centrale est constituée de composants non médicamenteux (notamment un adhésif et un tissu polyester) et des composants actifs, à savoir la norelgestromine et l’éthinylestradiol. Le timbre adhère à la peau et est soutenu et protégé par la couche extérieure. Ensemble, les différentes couches fonctionnent de manière à assurer l’administration, à travers la peau de la patiente, d’une dose mesurée spécifiquement de chacun des deux ingrédients actifs combinés dans la circulation sanguine, à un rythme mesuré spécifiquement.

 

  • [6] La demande du brevet 133 a été déposée le 6 juin 1996 et a été accordée le 24 décembre 2002. Ce brevet appartient à Ortho-McNeil Pharmaceutical, Inc., aux États-Unis, qui a autorisé la demanderesse à inclure le brevet 133 sur la liste de brevets (formulaire IV) qu’elle a soumise au ministre le 10 janvier 2003, afin de le faire inscrire dans le registre des brevets en lien avec EVRA.

  • [7] Le brevet 133 est intitulé « Transdermal Patch and Method for Administering 17-Deacetyl Norgestimate Alone or in Combination with an Estrogen ». Dans le brevet, l’invention est décrite comme suit :


 

La présente invention a trait à l’administration transdermique d’un médicament. Plus précisément, elle porte sur les timbres et les méthodes pour administrer par voie transdermique le 17-déacétyl norgestimate, seul ou combiné à un œstrogène, en particulier l’éthinylestradiol.

 

 

  • [8] Dans sa « divulgation », le brevet décrit les deux aspects ou réalisations de l’invention en partie en ces termes :

 

 a. « ¼un timbre transdermique pour prévenir l’ovulation chez une femme comprenant : une couche de renforcement et une couche de matrice sous la couche de renforcement, une couche de matrice constituée d’un mélange de 17-d-Ngm et d’un adhésif sensible à la pression¼ »

 

 b. « ¼un timbre transdermique pour l’administration du 17-d-Ngm et de l’œstrogène à la femme, le timbre étant constitué : d’une couche de renforcement et d’une couche de matrice sous la couche de renforcement, d’une couche de matrice constituée d’un mélange de 17-d-Ngm et d’un adhésif autocollant¼ »

 

 

  • [9] Le brevet 133 contient 51 revendications. Les revendications 1 à 38 visent directement l’un ou l’autre des timbres décrits dans ces deux aspects de l’invention. Les revendications 39 à 51 portent sur l’utilisation de ces timbres. La demanderesse s’appuie tout particulièrement sur les revendications 44 et 45 du brevet :

44. Une utilisation d’une dose d’inhibiteur d’ovulation, lequel est constitué de 17-déacétyl norgestimate, un œstrogène qui prévient l’ovulation chez une femme lorsque le 17-déacétyl norgestimate et l’œstrogène sont administrés par voie transdermique à la femme au moyen d’une matrice constituée d’un mélange de 17-déacétyl norgestimate et d’un œstrogène dans un adhésif sensible à la pression constitué d’au moins une couche de silicone ou de polyisobutylène.

 

45. L’utilisation de la revendication 44, dans laquelle l’œstrogène est l’éthinylestradiol.

 

 


  • [10] Les fonctionnaires de Santé Canada ont estimé que le brevet portait sur un système ou une méthode d’administration d’un médicament et qu’il ne contenait pas de revendication concernant le médicament dans EVRA, à savoir la combinaison de norelgestromine et d’éthinylestradiol. En conséquence, Janssen-Ortho Inc. a été informée dans une lettre datée du 25 mars 2003 qu’à moins d’observations écrites que le titulaire du brevet pourrait souhaiter formuler, les brevets ne seront pas admissibles à l’inscription dans le registre des brevets.

 

  • [11] Les motifs invoqués pour en arriver à cette conclusion sont décrits aux paragraphes ci-après de la lettre du 25 mars 2003 :

Conformément au jugement de la Cour d’appel fédérale dans Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1999), 87 C.P.R.(3nd) 525, demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée [1999] C.S.C.R. no 391, le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) ne s’applique pas aux appareils médicaux. Par conséquent, les brevets portant uniquement sur des appareils mécaniques destinés à l’administration d’un médicament ne peuvent pas être inscrits dans le registre des brevets.

 

Le brevet 2 222 133 (le brevet 133) est intitulé « Transdermal Patch and Method for Administering 17-Deacetyl Norgestimate Alone or in Combination with an Estrogen » et comprend 51 revendications. Les revendications 1 à 38 visent un timbre transdermique pour prévenir l’ovulation chez une femme, lequel est constitué d’une couche de renforcement et d’une couche de matrice sous la couche de renforcement, d’un non-acrylate et d’une couche de matrice constituée d’un mélange contenant de 17-déacétyl norgestimate, d’acétate de lauryle et d’un adhésif sensible à la pression. Les revendications 39 à 51 portent sur l’utilisation du timbre transdermique cité ci-dessus.

 

Aucune revendication ne vise le médicament constitué de norelgestromine et d’éthinylestradiol; par conséquent, ce produit ne peut pas être inscrit dans le registre des brevets. Conformément au pouvoir dont le ministre de la Santé est investi en vertu du paragraphe 3(1) du Règlement, le brevet ci-dessus ne sera pas inscrit dans le registre des brevets pour le produit ci-dessus, sous réserve des observations écrites.

 

  • [12] Janssen-Ortho Inc. a soumis ses observations. À la demande de Janssen-Ortho, aucune décision finale n’a été prise avant que la Cour d’appel fédérale n’ait publié sa décision concernant Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2004] A.C.F. no 242 (QL). Finalement, dans une lettre datée du 5 avril 2004, le ministre a confirmé que le brevet ne serait pas inscrit au registre des brevets.

  • [13] La partie pertinente de cette lettre se lit comme suit :


Comme vous le savez, la Direction des produits thérapeutiques (« DPT ») avait convenu d’attendre pour rendre une décision définitive dans cette affaire que la Cour d’appel fédérale ait fait connaître sa décision concernant Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé). Je note que la Cour d’appel fédérale a maintenu la décision de la Section de première instance dans cette affaire. Par conséquent, la Direction des produits thérapeutiques maintient les points qu’elle avait précédemment énoncés dans la correspondance datée du 6 novembre 2003, relativement à l’admissibilité du brevet canadien no 2 222 133 (le « brevet 133 ») à l’inscription dans le registre des brevets.

 

Les observations additionnelles que vous avez fournies portent uniquement sur les « revendications concernant les utilisations » énoncées dans les revendications 39 à 51 du brevet 133. À mon avis, le raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Janssen-Ortho et dans Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Ministre de la santé), ne s’applique pas aux revendications concernant les utilisations contenues dans le brevet 133. Vous décrivez ces revendications comme des revendications concernant les utilisations d’un ingrédient actif et d’ingrédients inactifs, de sorte qu’ils seraient admissibles à l’inscription en vertu du raisonnement dans Hoffman-La Roche Limited c. Canada (Ministre de la santé et du bien-être social) (1995) 67 C.P.R. (3d) 25.

 

La Direction des produits thérapeutiques n’est pas d’accord avec cette position. À son avis, les revendications sur lesquelles vous vous appuyez décrivent l’utilisation d’un médicament qui est administré par voie transdermique à partir d’une matrice ayant une composition spécifique. En d’autres termes, les revendications décrivent l’utilisation d’un timbre transdermique. Les décisions Janssen-Ortho et Novartis ont indiqué clairement que des brevets comportant des revendications visant l’administration d’un médicament au moyen d’un timbre transdermique ne sont pas admissibles à l’inscription dans le registre des brevets. De l’avis de la Direction des produits thérapeutiques, on peut s’appuyer sur le raisonnement de la Cour d’appel fédérale pour conclure que les revendications contenues dans un brevet relativement à l’utilisation d’un timbre transdermique sont également insuffisantes pour permettre une inscription dans le registre des brevets.

 

En conséquence, pour ces motifs et pour ceux qui sont énoncés dans la correspondance précédente de la Direction des produits thérapeutiques, la DPT maintient que le brevet 133 ne contient pas une revendication visant le médicament constitué de norelgestromine et d’éthinylestradiol, comme l’exige l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Par conséquent, en vertu du paragraphe 3(1) du Règlement, le brevet 133 ne sera pas inscrit dans le registre des brevets.

 

 

  • [14] Janssen-Ortho a entrepris la demande au moyen d’un avis de demande daté du 5 mai 2004, dans lequel elle demandait l’annulation de la décision du ministre qui avait refusé d’inscrire dans le registre des brevets le brevet 133 visant le produit médicamenteux du système transdermique de norelgestromine et d’éthinylestradiol EVRA.

 

 


QUESTION EN LITIGE

  • [15] La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si le brevet en cause satisfait aux exigences de l’article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) DORS/93-133 (Règlement). Pour trancher cette question, il faut tout d’abord déterminer si le brevet renferme une revendication concernant le médicament du système transdermique de norelgestromine et d’éthinylestradiol ou concernant son utilisation.

 

CADRE LÉGISLATIF

  • [16] En vertu du Règlement, le ministre tient à jour un registre de certains brevets. Essentiellement, si une personne détient à la fois (1) un avis de conformité pour un médicament et (2) des droits de brevet pour le médicament contenu dans ce médicament, elle peut demander au ministre d’inscrire dans le registre le brevet visant le médicament en lien avec la drogue. (Le Règlement fait une distinction claire entre une « drogue » et un « médicament », ce qui est simplement une drogue contenant un médicament.)

 


 

3. (1) Le ministre tient un registre des renseignements fournis aux termes de l’article 4. À cette fin, il peut refuser d’y ajouter ou en supprimer tout renseignement qui n’est pas conforme aux exigences de cet article. 

.....

 

4. (1) La personne qui dépose ou a déposé une demande d’avis de conformité pour une drogue contenant un médicament ou qui a obtenu un tel avis peut soumettre au ministre une liste de brevets à l’égard de la drogue, accompagnée de l’attestation visée au paragraphe

 

 

3. (1) The Minister shall maintain a register of any information submitted under section 4. To maintain it, the Minister may refuse to add or may delete any information that does not meet the requirements of that section.

.....

 

4. (1) A person who files or has filed a submission for, or has been issued, a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine may submit to the Minister a patent list certified in accordance with subsection (7) in respect of the drug.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


  [17]   L’obligation pour un brevet de renfermer une revendication du médicament contenu dans la drogue est décrite en détail à l’alinéa 4(2)b).


 


4.(2) La liste de brevets au sujet de la drogue doit contenir les renseignements suivants:

 

.....

 

b) tout brevet canadien dont la personne est propriétaire... qui comporte une revendication pour le médicament en soi ou une revendication pour l’utilisation du médicament...

 

 

4.(2) A patent list submitted in respect of a drug must

 

 

.....

 

(b) set out any Canadian patent that is owned by the person, or in respect of which the person..... that contains a claim for the medicine itself or a claim for the use of the medicine.....

 

 

 

 

 

 


  • [18] The terms “medicine”, “claim for the medicine itself”, and “claim for the use of the medicine” are individually defined.


 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

.....

 

«médicament» Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes. (medicine)

 

.....

 

«revendication pour le médicament en soi» S’entend notamment d’une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. (claim for the medicine itself) 

 

 

«revendication pour l’utilisation du médicament» Revendication pour l’utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes. (claim for the use of the medicine)

 

(2) In these Regulations, 

 

 

 

“claim for the medicine itself” includes a claim in the patent for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents; (revendication pour le médicament en soi)

 

“claim for the use of the medicine” means a claim for the use of the medicine for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof; (revendication pour l’utilisation du médicament) 

 

....

 

“medicine” means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof; (médicament)

 

 

 

 

 


 

OBSERVATIONS DES PARTIES


  • [19] La demanderesse soutient que le brevet 133 renferme des revendications relativement à deux médicaments, à savoir le 17-d-Ngm et l’éthinylestradiol. Elle affirme que le ministre a interprété le brevet 133 d’une manière incompatible avec les éléments de preuve déposés par une personne versée dans l’art et contrairement au droit en matière d’interprétation des revendications. Elle maintient que les revendications, si elles sont interprétées correctement, sont les revendications visant l’utilisation des médicaments. Elle est d’avis que le brevet 133 devrait être inscrit dans le registre des brevets.

 

  • [20] Le défendeur estime que le brevet ne renferme pas une revendication relative aux médicaments ou une revendication visant l’utilisation des médicaments. Il soutient que le brevet vise le système d’administration et que la Cour a déclaré, à plus d’une reprise, qu’un brevet visant un système d’administration ne sera pas inscrit dans le registre des brevets. Il estime que les revendications 44 et 45, les deux revendications contestées, ne renferment pas en soi une revendication relative aux médicaments ou une revendication visant l’utilisation des médicaments.

 

ANALYSE

  • [21] Il a été établi que la norme de contrôle de la décision du ministre est la norme de la décision correcte (Eli Lilly Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2003) 300 NR 76 (CAF)). La Cour est bien placée pour déterminer si un brevet donné satisfait aux exigences prescrites par le ministre. Vu le contexte, la conclusion de la Cour doit être issue d’une nouvelle évaluation, fondée sur la loi, le contenu du brevet et la jurisprudence.

 

  • [22] Les principes visant l’interprétation d’un brevet ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 RCS 1067, et dans Free World Trust c. Électro-Santé Inc., [2000] 2 RCS 1024. Dans le premier des ceux cas, le juge Binnie a reproduit avec approbation la description ci-après de l’interprétation proposée par Lord Diplock dans Catnic Components Ltd. v. Hill and Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, aux paragraphes 242 et 243 :

 


[traduction]  Vos Seigneuries, le mémoire descriptif d’un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, rédigée en ses propres mots, à l’intention de tous ceux qui, sur le plan pratique, pourront s’intéresser à l’objet de l’invention (c.-à-d. « les hommes du métier » ). Par sa déclaration, le breveté informe ces personnes de ce qu’il estime être les éléments essentiels du produit ou du procédé nouveau sur lequel des lettres patentes lui accordent un monopole. Ce ne sont que ces caractéristiques originales qu’il dit essentielles qui constituent ce qu’on appelle la « substance » de la revendication. Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt qu’une interprétation littérale résultant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est de savoir si des personnes ayant des connaissances et une expérience pratiques réelles dans le domaine dans lesquels l’invention est censée être employée, concluraient que le breveté a voulu poser comme exigence fondamentale qu’on suive à la lettre telle phrase ou tel mot descriptifs figurant dans une revendication, de sorte que toute variante échapperait au monopole revendiqué, même si elle ne pouvait avoir aucune incidence importante sur le fonctionnement de l’invention.

 

 

 

  • [23] Le juge Binnie a ajouté dans l’affaire Free World Trust, d’où l’on peut extraire les propositions suivantes :

   [l]’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour... des éléments « essentiels » de son invention. L’interprétation d’un brevet est une question de droit pour la Cour. Toutefois, elle doit être menée avec les connaissances d’une personne versée dans l’art, dans la mesure où ces connaissances sont communiquées par les experts qui témoignent au procès.

 

   Les éléments non essentiels peuvent être substitués ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications n’en soit substantiellement modifié alors que certains éléments sont essentiels pour que l’appareil fonctionne comme l’a prévu l’inventeur et conformément aux revendications.

 

   La personne versée dans l’art est définie comme suit : [traduction] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » et retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec. Fox, H.G. The Canadian Patent Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4th ed. (Toronto: Carswell, 1969) à la page 184.

 

  Les revendications doivent être interprétées de façon éclairée et en fonction de l’objet pour assurer le respect de l’équité et la prévisibilité, et pour cerner les limites du monopole. « L’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité (au paragraphe 32. »

 


  • [24] Il convient d’éclaircir un dernier point avant d’entreprendre l’analyse requise pour déterminer s’il y a lieu d’inscrire le brevet 133 dans le registre des brevets. La question de droit fondamentale que l’on doit se poser en l’espèce est, bien sûr, de savoir si le brevet renferme une revendication relative aux médicaments ou une revendication visant l’utilisation des médicaments. Il est acquis en matière jurisprudentielle que la Cour ne se contente pas d’avaliser l’opinion d’un expert concernant la question de droit fondamentale. Cela est d’autant plus vrai lorsque l’interprétation d’une revendication est en litige : en droit, un brevet constitue un texte juridique et un tribunal ne s’appuierait sûrement pas uniquement sur l’opinion d’un expert scientifique pour interpréter une loi. La personne versée dans l’art peut très certainement s’avérer utile pour la Cour, mais l’interprétation d’un brevet doit « en dernière analyse » être effectuée par la Cour uniquement.

 

  • [25] Un examen minutieux des observations écrites et orales des parties montre qu’elles ont une interprétation différente du brevet 133 et, tout particulièrement de ses revendications 44 et 45, essentiellement parce qu’elles mettent l’accent sur des éléments différents de ces revendications. La demanderesse, s’appuyant sur le témoignage d’expert de son témoin, le Dr McGinity, met l’accent sur la première partie de la revendication et conclut que son objet est l’utilisation de deux médicaments, à savoir le 17-déacétyl norgestimate et l’éthinylestradiol. Pour cette raison, elle croit que les deux médicaments sont littéralement « une substance susceptible d’être, ou destinée à l’être, utilisée à des fins de diagnostic, de traitement, de médicament ou de prévention d’une maladie, d’un trouble ou d’un état physique anormal ou de tout symptôme de ceux-ci, et que la revendication 44 est par conséquent une revendication visant l’utilisation d’un médicament pour empêcher l’ovulation.

 

 


  • [26] Par contre, le défendeur se concentre sur la seconde partie de la revendication 44, « où le 17-déacétyl norgestimate et l’œstrogène sont administrés conjointement par voie transdermique à la femme au moyen d’une matrice constituée d’un mélange de 17-déacétyl norgestimate et d’un œstrogène dans un adhésif sensible à la pression constitué d’au moins une couche de silicone ou de polyisobutylène. Selon le défendeur, l’invention repose sur la notion voulant que le médicament puisse être administré par voie transdermique au moyen d’une matrice constituée du médicament, d’un adhésif sensible à la pression, etc. En d’autres termes et prenant appui sur une interprétation téléologique, un produit contenant le médicament et étant utilisé pour empêcher l’ovulation entrerait dans la portée des revendications à la condition et seulement à cette condition, que le timbre transdermique qui est décrit soit utilisé. Le caractère véritable de l’invention ne réside pas dans le médicament ou son utilisation, mais plutôt dans l’administration du médicament au moyen du timbre transdermique.

 

  • [27] C’est là le cœur du débat. Si l’on devait s’appuyer exclusivement sur le libellé de la revendication 44, ces deux interprétations pourraient, à première vue, être vraies. Cependant, une lecture attentive de la divulgation de l’invention montre l’interprétation qu’il convient de donner à cette revendication. Tout d’abord, le titre du brevet 133 est : « Transdermal Patch and Method for Administering 17-Deacetyl Norgestimate Alone or in Combination with an Estrogen ».

 

  • [28] Ensuite, la description du brevet que l’on trouve dans la divulgation indique : « Cette invention porte sur l’administration d’un médicament par voie transdermique. Plus précisément, elle porte sur les timbres et les méthodes pour administrer par voie transdermique le 17-déacétyl norgestimate, seul ou combiné à un œstrogène, en particulier l’éthinylestradiol. »On retrouve le même accent sur l’administration du médicament à la page 2 de la divulgation, que l’on reproduit ici pour plus de facilité :


 

Par conséquent, un aspect de cette invention porte sur un timbre transdermique destiné à empêcher l’ovulation chez une femme; lequel est constitué d’une couche de renforcement et d’une couche de matrice sous la couche de renforcement, d’une couche de matrice constituée d’un mélange de 17-d-Ngm et d’un adhésif sensible à la pression et adapté de manière à être en contact diffusionnel avec la peau de la femme et à administrer une dose d’inhibiteur d’ovulation du 17-d-Ngm par voie transdermique.

 

Un autre aspect de cette invention porte sur un timbre transdermique destiné à administrer le 17-d-Ngm et l’œstrogène, lequel est constitué d’une couche de renforcement et d’une couche de matrice sous la couche de renforcement, d’une couche de matrice constituée d’un mélange de 17-d-Ngm et d’un adhésif sensible à la pression et adapté de manière à être en contact diffusionnel avec la peau de la femme et à lui administrer une dose d’inhibiteur d’ovulation du 17-d-Ngm et de l’œstrogène par voie transdermique. Ces timbres peuvent également (sic) être utilisés comme traitement hormonal substitutif. »

 

 

  • [29] Enfin, il convient de noter que le médicament et son utilisation comme inhibiteur d’ovulation, décrits dans la divulgation de l’invention (à la page 1), sont réputés être déjà connus. Cela confirme une fois de plus que l’invention est la méthode d’administrer un médicament par voie transdermique, continuellement et pendant une période de temps prolongée (habituellement entre une journée et sept jours). Par conséquent, EVRA est tout simplement une autre forme de contraceptif hormonal; en fait, l’information transmise à la patiente mentionne que ce contraceptif comporte les mêmes risques et les mêmes avantages que les pilules contraceptives (dossier de demande, page 95).

 

  • [30] Si c’est là l’interprétation appropriée des revendications 44 et 45, alors la demande de la demanderesse ne peut être accueillie. À maintes reprises, les tribunaux ont reconnu qu’un brevet considéré comme une revendication d’un appareil utilisé pour administrer une substance ne peut pas faire l’objet d’une revendication concernant le médicament même ou l’utilisation de ce médicament. Dans Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd. (1998), 87 C.P.R.(3d) 525, par exemple, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un brevet revendiquant l’utilisation d’un inhalateur pour administrer un médicament aux patients ne contenait pas de revendications concernant le médicament même ou l’emploi de ce médicament.

 


  • [31] Cette décision a été examinée dans une autre décision de la Cour d’appel qui portait spécifiquement sur les timbres transdermiques. Dans Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c. Canada (Minister of Health) (2003), 28 C.P.R.(4th) 1, la Cour a réitéré que le critère approprié pour déterminer si l’invention est le médicament ou si elle est l’administration du médicament : « En conséquence, le critère qui s’impose pour établir si les timbres sont des médicaments au sens du Règlement sur les avis de conformité consiste à savoir s’ils sont administrés aux patientes ou s’ils administrent des substances à ces dernières. » (paragraphe 18). Cette décision a par la suite été suivie par la Cour d’appel dans Janssen-Ortho Inc., précité, et par notre Cour dans Pfizer Canada Inc. v. Canada (A.G.), [2004] F.C.J. No. 438.

 

  • [32] La demanderesse, s’appuyant sur Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé) (1995), 62 CPR (3d) 58 (F.C.), a soutenu qu’une revendication d’un médicament doit inclure une revendication concernant une préparation constituée d’ingrédients actifs et d’ingrédients inactifs. Toutefois, cet argument doit être rejeté, parce que les timbres faisant l’objet du brevet 133 ne sont pas une préparation. Les couches des timbres ne sont pas mélangées avec le médicament. Au contraire, elles constituent des éléments distincts et séparés, et seuls le 17-déacétyl norgestimate et l’œstrogène sont administrés à la patiente; les autres couches des timbres ne le sont pas.

 

  • [33] La demanderesse, s’appuyant sur le libellé de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (« ¼la revendication visant le médicament même ou une revendication visant l’utilisation du médicament¼), soutient que les conditions requises pour inscrire un brevet renfermant une revendication quant à l’utilisation du médicament ne sont pas aussi contraignantes que la loi se rapportant à la pertinence de l’inscription de brevet renfermant des revendications du médicament même. Pour citer le mémoire de la demanderesse :


 

Lorsque la dose de la formulation pharmaceutique est contenue dans un tel timbre transdermique, on peut soutenir qu’un brevet renfermant seulement une telle revendication ne soit pas admissible à l’inscription dans le registre des brevets selon certains précédents. Toutefois, une mince restriction visant le médicament même ne s’étend pas aux revendications quant à l’utilisation, lesquelles ne doivent porter que sur l’utilisation du médicament. Par conséquent, les précédents ci-dessus ne peuvent pas s’appliquer à l’espèce lorsque la question porte sur une revendication relative à l’utilisation du médicament et non sur une revendication portant sur le médicament même. 

 

 

 

  • [34] Cet argument est indéfendable. Tout d’abord, aucun passage ne contient le mot « même » dans l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Ce passage a uniquement pour objet de faire une distinction entre le médicament, tel qu’il a initialement été utilisé au moment de sa conception, et l’utilisation qui en a été faite par la suite. Quant à l’argument voulant que les précédents portant sur des médicaments ne soient pas pertinents lorsqu’il s’agit de l’utilisation qui est faite des médicaments, celui-ci est de toute évidence erroné. Les précédents pertinents, paragraphes 29 à 31 précités, indiquent clairement qu’une revendication se rapportant à une méthode ou à un appareil pour administrer un médicament ne peut pas être interprétée comme une revendication portant sur le médicament même ou une revendication quant à l’utilisation du médicament.

 

  • [35] La demanderesse soutient également que si l’interprétation du ministre de la revendication 44 a été adoptée, la portée des revendications 41 et 44 serait la même. La revendication 41 se lit comme suit :

41. Utilisation d’un timbre transdermique, tel que défini dans la revendication 31, pour empêcher l’ovulation.

 

 

Par ailleurs, la revendication 31 se lit comme suit :

 

31. Un timbre transdermique constitué :

d’une couche de renforcement;

d’un non-acrylate contenant une couche de matrice sous la couche de renforcement, la couche de matrice étant constituée d’un mélange de 17-déacétyl norgestimate, d’un poly(vinyl pyrrolidone) réticulé, ainsi que d’un adhésif sensible à la pression constitué essentiellement de polyisobutylène et d’un agent poisseux fait de résine aliphatique, tandis que la matrice est adaptée de manière à être en contact diffusionnel avec la peau pour administrer par voie transdermique une dose efficace sur le plan thérapeutique de 17-déacétyl norgestimate pendant sept jours consécutifs.

 

 


  • [36] D’après la demanderesse, l’une des règles d’interprétation à suivre indique que chaque revendication doit avoir une signification distincte lorsque cela est possible. Afin d’éviter que les revendications 41 et 44 aient la même signification, il faut nécessairement conclure que la revendication 41 porte sur l’utilisation du timbre transdermique pour empêcher l’ovulation et que la revendication 44 vise l’utilisation de médicaments pour empêcher l’ovulation dans une préparation qui inclut un timbre.

 

  • [37] Toutefois, pour les motifs décrits au paragraphe 31, les timbres faisant l’objet du brevet 133 ne sont pas une préparation. La meilleure manière de concilier les revendications 41 et 44 est de considérer la revendication 41 (la revendication 31 sous-jacente) comme des descriptions plus spécifiques de la matrice faisant l’objet de la revendication 44. Il n’y a rien de mal à ce que deux revendications soient essentiellement identiques, lorsque l’une renferme davantage de précisions que l’autre.

 

  • [38] Enfin, la demanderesse estime qu’une interprétation menant à la prévention d’une contrefaçon de brevet est préférable à une qui ne le fait pas, puis que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a pour objet d’aider à prévenir la contrefaçon de brevet. En empêchant l’inscription d’un brevet dans le registre des brevets, le ministre ne permettrait même pas que l’objectif visé par le Règlement soit atteint, c’est-à-dire prévenir la contrefaçon de brevet.

 


  • [39] De toute évidence, cet argument a ses limites, car il soulève une question à laquelle il faut répondre. L’intention du gouvernement, lorsqu’il a adopté le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) était « d’équilibrer, d’une part, une protection efficace des brevets visant des drogues innovantes et, d’autre part, l’entrée sur le marché en temps opportun des médicaments génériques moins coûteux qui leur font concurrence » (Résumé de l’analyse d’impact de la réglementation, dans le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), Gazette du Canada, Partie I, le 11 décembre 2004, page 3718). Cette protection conférée aux brevets en vertu de ce Règlement s’insère dans un objectif général conçu pour maintenir l’équilibre entre deux intérêts concurrents. Par conséquent, toute interprétation qui mène à empêcher la contrefaçon de brevet ne devrait pas être privilégiée à une interprétation qui ne le fait pas.

 

  • [40] Lorsqu’un brevet n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets créé en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), il doit quand même être protégé au moyen de tous les autres recours prévus dans la Loi sur les brevets. Plus précisément, advenant une contrefaçon, le titulaire d’un tel brevet pourrait quand même réclamer des dommages en vertu de la Loi sur les brevets. Ce sont uniquement ces recours extraordinaires prévus par le Règlement que la demanderesse ne pourra pas réclamer, en ce qui concerne le brevet 133.

 

  • [41] En conséquence, j’en viens à la conclusion que le ministre a eu raison de refuser d’inscrire le brevet dans le registre des brevets. La demande de contrôle judiciaire relativement à une décision du ministre de la Santé (le ministre) datée du 5 avril 2004, dans laquelle il a refusé d’inscrire au registre des brevets le brevet canadien no 2 222 133 (le brevet 133) se rapportant au système transdermique de norelgestromine et d’éthinylestradiol EVRA est rejetée avec dépens.

 

 

 

  (s) « Yves de Montigny » 

Juge


  COUR FÉDÉRALE

 

  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

Dossier :   T-881-04

 

INTITULÉ :  JANSSEN-ORTHO INC. c.

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 14 FÉVRIER 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS:  LE 30 MAI 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

JAMES MILLS  POUR LA DEMANDERESSE

CHANTAL SAUNDERS 

 

F.B. (RICK) WOYIWADA  POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON S.E.N.C.R.L., s.r.l.  POUR LA DEMANDERESSE

OTTAWA (ONTARIO) 

 

JOHN H. SIMS, c.r.  POUR LES DÉFENDEURS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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