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Date : 20200525


Dossier : T‑311‑19

Référence : 2020 CF 641

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

LAURA JAMES

demanderesse

et

PREMIÈRE NATION DE MCDOWELL LAKE

REPRÉSENTÉE PAR LA CHEF ELLEN VONTANE KENO

 ET LA CONSEILLÈRE SHERYL DENISE LAWSON

défenderesses

JUGEMENT ET MOTIFS

Introduction

[1]  La demanderesse, Laura James, est une aînée de la Première Nation de McDowell Lake (PNML). Elle conteste la validité de la résolution du conseil de bande 2019‑001, adoptée le 16 janvier 2019, par laquelle le mandat de la chef et des conseillères élues de la PNML a été prolongé pour une période de deux mois, soit jusqu’au 15 mars 2019. Une autre résolution, adoptée le 1er mars 2019, a prolongé leur mandat jusqu’au 29 mars 2019. À la fin de la deuxième prolongation, la PNML a tenu un scrutin, et une nouvelle chef et de nouveaux conseillers ont été élus.

[2]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que la résolution 2019‑001 n’a pas été adoptée légitimement. Le présent contrôle judiciaire est donc accueilli sur ce fondement. Toutefois, je refuse d’accorder la réparation demandée, car elle est disproportionnée par rapport au préjudice causé par la résolution invalide. Je refuse également d’accorder les dépens à la demanderesse.

Le contexte

[3]  La PNML est une petite communauté située dans le Nord de l’Ontario qui compte 59 membres, dont 44 ont droit de vote. La PNML est gouvernée par un chef et deux conseillers élus. Lorsque la résolution 2019‑001 a été adoptée, le 16 janvier 2019, la chef était Ellen Vontane Keno et les conseillères étaient Sheryl Lawson et Lois James.

[4]  En plus d’être une aînée de la PNML, la demanderesse est aussi la mère de Lois James. Le mari de la demanderesse, Eli James, a été chef de la PNML pendant douze ans.

[5]  Voici un résumé de la séquence des événements importants.

[6]  Le 25 novembre 2014, une résolution du conseil de bande a été prise selon laquelle le mandat du chef et des conseillers s’étendrait du 16 janvier 2015 au 16 janvier 2019.

[7]  Le 14 décembre 2018, le conseil de bande a fixé la date de l’élection au 16 janvier 2019, et la mise en candidature devait avoir lieu les 3 et 4 janvier 2019. La conseillère James n’était pas présente à cette assemblée.

[8]  Le 16 janvier 2019, la chef Keno et la conseillère Lawson ont adopté la résolution 2019‑001, qui a prolongé jusqu’au 15 mars 2019 le mandat de la chef et des conseillères. La conseillère James affirme qu’elle n’a pas été informée de la tenue de cette assemblée et qu’elle n’a pas participé à la décision de prendre la résolution.

[9]  Le 15 février 2019, la demanderesse a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la résolution du conseil de bande du 16 janvier 2019.

[10]  Le 1er mars 2019, la chef Keno et la conseillère Lawson ont signé une autre résolution, qui a prolongé jusqu’au 29 mars 2019 le mandat des membres du conseil. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse n’a pas demandé que cette résolution soit déclarée invalide.

[11]  Lors d’une assemblée tenue le 5 mars 2019, la conseillère James et la demanderesse ont été désignées comme candidates au poste de chef. Elles ont toutes les deux accepté leur mise en candidature. La conseillère Lawson a aussi été désignée comme candidate au poste de chef. Bien que la candidature de la chef Keno ait également été proposée pendant cette assemblée, celle-ci a refusé d’être candidate.

[12]  Le 29 mars 2019, l’élection a eu lieu à la PNML, et 43 des 44 électeurs admissibles ont voté. La demanderesse a participé à l’élection et, dans sa demande de contrôle judiciaire, elle n’a soulevé aucun problème concernant l’élection en soi.

[13]  Le 29 mars 2019, Mary Lawson a été élue chef; Dylan Cockroft et Anita Lawson ont été élus conseillers.

[14]  Dans son avis de demande, la demanderesse sollicite ce qui suit :

[traduction]

b) une déclaration portant que la résolution du conseil de bande 2019‑001, adoptée le 16 janvier 2019, est invalide en droit et inopérante, tout comme :

(i) la prétendue convocation d’une assemblée de mise en candidature prévue pour le 20 février 2019,

(ii) la prétendue tenue d’une élection coutumière prévue pour le vendredi 15 mars 2019 dans le but d’élire un (1) chef et deux (2) conseillers,

(iii) le remplacement prétendu de la résolution du conseil de bande du 25 novembre 2014, ce qui a prolongé le mandat des défenderesses jusqu’au 15 mars 2019 et entraîné l’adoption permanente d’un nouveau mandat;

c) subsidiairement, une déclaration portant que la résolution du conseil de bande 2019‑001, adoptée le 18 janvier 2019, a eu pour effet juridique d’annuler la résolution du conseil de bande du 25 novembre 2014, annulant ainsi l’élection du chef et du conseil pour la période du 16 janvier 2015 au 16 janvier 2019;

d) une déclaration portant que les défenderesses ont cessé d’être chef et conseillère le 16 janvier 2019 ou, subsidiairement, le 18 janvier 2019;

e) un bref de quo warranto contre les défenderesses et une déclaration portant que les défenderesses ne représentent pas les membres de la Première Nation de McDowell et ne sont pas autorisées à retenir les services d’un organisme externe pour rédiger un code électoral provisoire pour la Première Nation de McDowell Lake;

f) une ordonnance provisoire ou interlocutoire ayant pour effet de suspendre toute autre mesure prise par l’ancienne chef Ellen Vontane Keno et la conseillère Sheryl Lawson, et ce, jusqu’au règlement définitif de la présente demande et de tout appel en découlant, ainsi qu’une ordonnance ayant pour effet de suspendre la rédaction du code électoral provisoire mentionné ci‑dessus;

g) une ordonnance et une déclaration portant que les personnes désignées comme candidates par la majorité des membres de la Première Nation de MacDowell Lake [sic] le 4 janvier 2019 peuvent être élues et que le chef et les conseillers élus par les membres de la bande de la Première Nation de MacDowell Lake [sic] doivent être choisis parmi les personnes désignées comme candidates le 4 janvier 2019;

h) une ordonnance et une déclaration portant que l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation de MacDowell Lake [sic] doit être déterminée en fonction de la liste électorale en vigueur le 18 janvier 2019 (la date de l’élection choisie par la majorité des membres de la Première Nation de MacDowell Lake [sic]);

i) les frais engagés par la défenderesse dans le cadre de la présente demande ne devraient pas être payés par la Première Nation de MacDowell Lake [sic], car les défenderesses ont agi sans autorisation légale;

j) les dépens de la présente demande.

[15]  Le 15 mai 2019, la demanderesse a déposé une demande modifiée dans laquelle elle a indiqué qu’elle sollicitait également :

k) l’adjudication des dépens à la Première Nation de McDowell Lake puisque la demande de contrôle judiciaire conteste le processus électoral de la communauté, conformément aux lois sur la gouvernance des Premières Nations et dans l’intérêt public.

La résolution du conseil de bande contestée

[16]  Le texte intégral de la résolution du conseil de bande 2019‑001 adoptée le 16 janvier 2019 est le suivant :

[traduction]

ATTENDU que la présente résolution du conseil de bande remplace la résolution du conseil de bande datée du 25 novembre 2014 demandant la tenue d’un scrutin général dans la Première Nation de McDowell Lake le 16 janvier 2015;

ATTENDU que le chef et le conseil de la Première Nation de McDowell Lake convoquent par la présente, selon les coutumes de la bande, une assemblée de mise en candidature qui aura lieu le 20 février 2019;

ATTENDU que la tenue du scrutin général selon le code coutumier de la bande aura lieu le vendredi 15 mars 2019 dans le but d’élire un (1) chef et deux (2) conseillers;

EN CONSÉQUENCE, IL EST RÉSOLU que le mandat des membres du conseil nouvellement élus sera du 16 mars 2019 au 16 mars 2023.

Les questions en litige

[17]  Bien que la demanderesse et les défenderesses ait soulevé diverses questions, les questions à trancher sont à mon avis les suivantes :

  1. La demanderesse a‑t‑elle qualité pour introduire la présente demande?

  2. La résolution du conseil de bande 2019‑001 est‑elle valide?

  3. Si la résolution 2019-001 est invalide, quelle réparation convient‑il d’accorder?

La norme de contrôle

[18]  La demanderesse soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte, car la présente affaire vise des questions d’équité procédurale et d’interprétation de la gouvernance (Première Nation Peguis c Bear, 2017 CF 179, au par. 29 [Peguis]).

[19]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ai conclu que la résolution du conseil de bande n’a pas été prise légitimement. Par conséquent, même si la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 SCC 65, s’applique, la décision administrative d’adopter la résolution 2019-001 n’est pas « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle [ni] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85).

[20]  En outre, comme la Cour suprême l’a fait remarquer dans l’arrêt Vavilov, « [s]i certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné » (Vavilov, au par. 86).

Analyse

1. La demanderesse a‑t‑elle qualité pour introduire la présente demande?

[21]  Les défenderesses soutiennent que la demanderesse n’a pas qualité pour agir aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, car elle n’était pas membre du conseil et qu’elle n’est donc pas directement touchée par la résolution contestée.

[22]  Le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales dispose :

Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

[23]  Une partie a qualité pour agir si la décision a une incidence sur ses droits juridiques, elle lui impose des obligations juridiques ou elle lui occasionne un préjudice de quelque manière (Première Nation de Cowessess no 73 c Pelletier, 2017 CF 692, au par. 19).

[24]  Les faits de l’affaire Shotclose c Première Nation Stoney, 2011 CF 750 [Shotclose], sont semblables : le chef et les conseillers avaient adopté une résolution pour prolonger leur mandat de deux ans. Dans l’affaire Shotclose, les demandeurs étaient tous des membres de la Première Nation. Bien que la qualité pour agir des demandeurs n’ait pas été directement remise en question dans l’affaire Shotclose, lorsqu’elle a accueilli le contrôle judiciaire, la Cour a conclu que « [l]a bande a le droit de définir ses pratiques à cet égard, mais ce droit collectif doit être tempéré en respectant le droit de ses membres de participer à l’exercice » (Shotclose, au par. 82). La Cour a également souligné que « les défendeurs avaient l’obligation d’agir avec équité envers les demandeurs en tant que membres de la [Première Nation de Bearspaw] dont les droits, privilèges et intérêts établis en matière de vote seraient touchés par toute décision visant à modifier les coutumes électorales de la bande » (Shotclose, au par. 92).

[25]  À mon avis, tout comme dans l’affaire Shotclose, la demanderesse en l’espèce, à titre de membre de la PNML ayant le droit de vote, a qualité pour introduire la présente demande en vertu du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

2. La résolution du conseil de bande 2019‑001 est‑elle valide?

[26]  La demanderesse soutient que la résolution est invalide, puisqu’elle a été adoptée en contravention de l’alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens (la Loi) et de l’article 12 du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens (le Règlement).

[27]  L’alinéa 2(3)b) de la Loi est ainsi libellé :

Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi : […]

Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides, …

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

[28]  L’article 12 du Règlement, quant à lui, est ainsi libellé :

Toute motion doit être présentée ou lue par son auteur; une fois qu’elle a été proposée et appuyée en bonne et due forme et soumise à l’assemblée par le président, elle devient sujette à débat.

Each resolution shall be presented or read by the mover, and when duly moved and seconded and placed before the meeting by the presiding officer, shall be open for consideration.

[29]  La conformité à la Loi et au Règlement exige plus qu’un respect formel. Pour qu’une assemblée soit « dûment convoquée » au sens de l’alinéa 2(3)b) de la Loi, la conduite des membres du conseil doit respecter « l’esprit et l’intention de l’ensemble des dispositions » (Peguis, au par. 58). Cela signifie qu’il ne suffit pas que les conseillers soient présents à une assemblée, ils doivent aussi avoir la possibilité d’examiner la résolution qui fait l’objet de l’assemblée (Peguis, au par. 58).

[30]  Selon la preuve, la conseillère James n’a pas été informée de la tenue de l’assemblée et elle n’a pas eu l’occasion de discuter de la résolution avec le reste du conseil ni de formuler des observations. Ni la chef Keno ni la conseillère Lawson n’ont discuté du contenu de la résolution 2019‑001 avec elle. Cela étant, la résolution du conseil de bande 2019‑001 ne répond pas aux exigences de l’alinéa 2(3)b) de la Loi et de l’article 12 du Règlement. La résolution 2019‑001 n’a pas été « débattu[e] et adopté[e] conformément aux règles et lignes directrices de la bande ainsi qu’aux principes de la démocratie » (Balfour c Nation crie de Norway House, 2006 CF 213, au par. 55 [Balfour]).

[31]  En fait, la décision de la chef Keno et de la conseillère Lawson à l’égard de cette résolution semble avoir été prise à l’exclusion de la conseillère James. Dans la décision Balfour, le juge Blais a statué, au paragraphe 55, que « [l]es résolutions ne peuvent être adoptées au cours de réunions secrètes, puis ratifiées subséquemment à une réunion dûment convoquée sans être examinées. La résolution elle-même doit être adoptée au cours d’une réunion dûment convoquée. » S’il ne suffit pas qu’une résolution soit adoptée en secret puis ratifiée par la suite, il s’ensuit qu’une résolution adoptée en secret sans être ratifiée subséquemment à une assemblée dûment convoquée ne répond pas non plus aux exigences de l’alinéa 2(3)b) de la Loi et de l’article 12 du Règlement.

[32]  Les défenderesses font valoir que la Loi permet la ratification de résolutions du conseil de bande dans certaines situations particulières comme celle de la PNML, le territoire n’étant habité que de façon saisonnière et les membres de la communauté étant dispersés sur une grande distance. En supposant que ce soit le cas, rien n’indique qu’on ait tenté de convoquer une assemblée dans le but de traiter des questions visées par la résolution 2019‑001. En fait, la chef Keno et la conseillère Lawson ont toutes deux reconnu en contre‑interrogatoire qu’aucune assemblée n’avait été dûment convoquée. De plus, rien n’indique qu’il y ait eu, avant l’adoption de la résolution du conseil de bande, une tentative d’en discuter avec la conseillère James. Par conséquent, à mon avis, la situation particulière de la PNML ne justifie pas l’adoption d’une résolution non conforme à la Loi et au Règlement.

[33]  Les défenderesses font également valoir qu’il est [traduction] « de coutume » pour le conseil d’adopter des résolutions sans assemblée dûment convoquée, en raison des considérations saisonnières et géographiques susmentionnées. La chef Keno a déclaré en contre‑interrogatoire que la conseillère James avait déjà signé des résolutions adoptées lors d’assembles auxquelles elle n’avait pas assisté, et que c’était une pratique courante chez les membres du conseil, même avant l’élection du présent conseil. La chef Keno affirme que la même situation s’est produite lorsqu’elle était membre du conseil, avant son élection à titre de chef en 2014. C’est la seule preuve déposée au dossier concernant cette prétendue coutume.

[34]  C’est à la partie qui invoque une coutume qu’il revient de la prouver (Vollant c Sioui, 2006 CF 487, au par. 38). Dans la décision Francis c Conseil mohawk de Kanesatake, 2003 CFPI 115, au par. 36 [Francis], le juge Martineau défini ainsi la notion de coutume :

Pour qu’une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un « large consensus » quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d’application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d’autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d’essai.

[35]  À l’exception de la déclaration de la chef Keno, rien n’indique que cette pratique est « fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté » (Francis, au par. 36). Rien n’indique non plus que des conseils antérieurs auraient procédé de cette façon ou que le reste de la communauté aurait accepté cette façon de faire. Par conséquent, je ne suis pas convaincue qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour établir l’existence d’une coutume justifiant la dérogation à l’alinéa 2(3)b) de la Loi ou à l’article 12 du Règlement.

[36]  Par conséquent, je conclus que la résolution du conseil de bande 2019‑001 n’a pas été adoptée conformément à l’alinéa 2(3)b) de la Loi ou à l’article 12 du Règlement.

3. Si la résolution 2019‑001 est invalide, quelle réparation convient‑il d’accorder?

[37]  La demanderesse sollicite diverses formes de réparation. Comme il a été mentionné, elle ne remet pas directement en question l’élection du 29 mars 2019, ni dans son avis de demande ni dans son avis de demande modifié. Toutefois, dans son argumentation, elle soutient que si la résolution de 2019 est invalide, il en découle que les résultats de l’élection devraient être annulés et qu’il faudrait ordonner la tenue d’un nouveau scrutin.

[38]  À mon avis, compte tenu des faits de l’affaire, il est exagéré de présumer qu’une résolution invalide aurait nécessairement pour effet d’invalider toutes les actions subséquentes. Comme le mandat de la chef et des conseillères prenait fin, la PNML se devait de tenir un scrutin. Bien que la demanderesse soulève des questions au sujet de la liste des candidats qu’il aurait fallu utiliser et de la date à laquelle il aurait fallu tenir le scrutin, elle ne conteste pas la nécessité de tenir une élection. De plus, rien dans la preuve ne permet de conclure à l’existence de problèmes concernant l’élection en soi. La question bien précise concerne la validité de la résolution par laquelle la chef et les membres du conseil ont prolongé leur mandat de deux mois, avant l’élection.

[39]  Une nouvelle chef et de nouveaux conseillers ont été élus pour la PNML le 29 mars 2019. La chef et les membres du conseil qui ont prolongé leur mandat ne sont plus en fonction. Par conséquent, il est difficile de dire ce qu’il y aurait à gagner, le cas échéant, si les résultats de l’élection étaient annulés. L’annulation des résultats de l’élection en raison de l’invalidité de la résolution du conseil de bande 2019‑001 aurait pour résultat de priver la PNML d’un chef et de conseillers. Même si une partie du processus ayant mené à l’élection de 2019 était viciée, compte tenu du temps qui s’est écoulé, je suis d’avis que « la collectivité a droit à une issue définitive » (Ledoux c Première Nation de Gambler, 2019 CF 1465, au par. 34).

[40]  Dans la décision Medzalabanleth c Conseil des Abénakis de Wôlinak, 2014 CF 508, au par. 53, le juge de Montigny a affirmé que pour qu’une élection soit annulée, un demandeur doit d’abord démontrer qu’il y a eu violation du code électoral, puis établir que cette violation a pu porter atteinte au résultat de l’élection. En l’espèce, la demanderesse n’a pas fait valoir qu’il y a eu violation du code électoral de la PNML, et même si le problème concernant la résolution est une violation implicite, elle n’a pas démontré que la violation alléguée a porté atteinte au résultat de l’élection. En l’absence d’une raison logique d’annuler le vote et de priver la PNML d’un chef et de conseillers, je refuse d’accorder la réparation demandée.

[41]  Le pouvoir discrétionnaire de refuser une partie de la réparation demandée fait intervenir des considérations relatives à la prépondérance des inconvénients, ce qui comprend l’examen des impacts disproportionnés sur les parties ou les intérêts des tiers (Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, au par. 87, citant l’arrêt Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2, au par. 52). À mon avis, l’octroi de la réparation demandée par la demanderesse aurait un impact disproportionné sur la PNML.

[42]  Par conséquent, je refuse d’accorder les mesures de réparation demandées par la demanderesse.

Les dépens

[43]  La partie ayant gain de cause a normalement droit aux dépens. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, je refuse d’adjuger les dépens à la demanderesse. La demanderesse a déposé des affidavits contenant des éléments de preuve par ouï‑dire inadmissibles. Plus grave encore, la demanderesse a fait des allégations non fondées d’irrégularités et de conduite criminelle, y compris de fraude et de vol, contre diverses personnes. En contre‑interrogatoire, la demanderesse a reconnu qu’elle ne disposait d’aucune preuve à l’appui de ces allégations. Cette conduite était inappropriée et inutile. Par conséquent, je conclus qu’il est justifié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger les dépens à la demanderesse en l’espèce.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑311‑19

LA COUR STATUE que le contrôle judiciaire est accueilli, car la résolution du conseil de bande 2019‑001 n’a pas été adoptée légitimement. Je refuse d’accorder quelque réparation que ce soit, et je refuse également d’adjuger les dépens.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29jour de juin 2020

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑311‑19

 

INTITULÉ :

LAURA JAMES c PREMIÈRE NATION DE MCDOWELL LAKE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Thunder Bay (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 12 février 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

le 25 mai 2020

 

COMPARUTIONS :

Rachael M. Paquette

POUR LA DEMANDERESSE

Derek T. Noyes

POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CHEADLES LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

ERICKSONS LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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