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                                                                                                                                           Date : 20020409

                                                                                                                             Dossier : IMM-2240-01

Référence neutre : 2002 CFPI 389

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                          SHAHED CHOWDHURY, HUSNA AKTHER CHOWDHURY

                                                et TAHLIL MUNTAHI CHOWDHURY

                                                                                                                                                  Demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'immigration, M. Bilucaglia (l'agent), datée du 11 avril 2001, dans laquelle l'agent a décidé que les demandeurs n'étaient pas des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), selon la définition prévue au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration, 1978 DORS/93-44, (le Règlement).

  • [2]                 Le demandeur principal, son épouse et son fils, tous citoyens du Bangladesh, sont arrivés au Canada le 18 octobre 1999 et ils ont revendiqué le statut de réfugié le 31 janvier 2000. La Section du statut de réfugié (SSR) a rejeté leur demande, les motifs étant datés du 10 octobre 2000. Les membres du tribunal ont conclu que les demandeurs ne représentaient pas des témoins crédibles et dignes de foi.
  • [3]                 Les demandeurs ont alors demandé à être considérés comme des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada. Cette demande a été rejetée par lettre datée du 11 avril 2001. Les notes de l'agent au dossier étaient jointes à la lettre de refus.
  
[4]                 Le demandeur principal soutient que les notes de l'agent, qu'il considère comme un rapport, ne lui ont jamais été envoyées et qu'en conséquence, il n'a jamais eu l'occasion de formuler des commentaires au sujet des documents joints avant que l'agent rende une décision défavorable. Il prétend, en outre, qu'il y a de nombreuses imprécisions dans les « nouveaux » documents joints qu'il aurait pu corriger s'il en avait eu la possibilité. Pourtant on n'a pas tenté de préciser les sujets de préoccupation précis ou leur pertinence relativement à la décision de l'agent des visas. Néanmoins, les demandeurs soutiennent que les règles de justice naturelle et d'équité procédurale n'ont pas été respectées à leur égard.

  • [5]                 La seule question qui doit être tranchée dans le cadre du présent contrôle judiciaire consiste à savoir si le défendeur à violé les principes d'équité procédurale en ne communiquant pas les notes de l'agent ainsi que les pièces jointes aux demandeurs pour que ceux-ci les examinent et y répondent avant de rendre une décision défavorable relative à des DNRSRC.
  • [6]                 S'il est décidé que les principes d'équité procédurale ont été violés, alors une cour peut intervenir pour exercer un contrôle judiciaire.
  
  • [7]                 Les demandeurs se fondent essentiellement sur deux décisions de la Cour d'appel pour avancer leurs arguments, à savoir les arrêts Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2001) 268 N.R. 337 et Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000) 257 N.R. 139. Les demandeurs prétendent que ces décisions permettent d'affirmer qu'un agent de révision des revendications refusées a l'obligation de divulguer ses notes, au dossier, avant que la décision soit rendue.
  • [8]                 Dans l'arrêt Haghighi, précité, il s'agissait de savoir si un agent rendant une décision à l'égard d'une demande de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire avait l'obligation de communiquer le fait qu'une évaluation du risque avait été obtenue d'un agent de révision des revendications refusées avant de rendre la décision. La Cour d'appel a conclu que le demandeur, dans cette affaire, ne savait pas qu'une évaluation du risque avait été obtenue d'un autre agent et qu'une telle preuve intrinsèque devait, en toute équité, être communiquée.
  

  • [9]                 Dans l'arrêt Bhagwandass, précité, le représentant du ministre a formulé une opinion, en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, selon laquelle le demandeur représentait un danger pour le public. La demande de l'avis du ministre et le rapport sur l'avis du ministre n'ont pas été communiqués au demandeur. La Cour d'appel a conclu que le ministre avait contrevenu à son obligation d'équité en faisant défaut de communiquer au demandeur la demande et le rapport. Elle a conclu qu'une personne concernée par le rapport avait droit à une possibilité raisonnable de participer d'une manière significative au processus de décision et, ainsi, avait le droit de consulter la demande et le rapport pour qu'elle puisse y répondre. La Cour a, en outre, décidé que la procédure de l'avis de danger est contradictoire et que, par conséquent, une norme d'équité plus exigeante que celle applicable à une demande de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire est justifiée.
  • [10]            Le défendeur soutient que les deux affaires précitées sur lesquelles s'appuient les demandeurs peuvent être distinguées de l'espèce en fonction de leurs faits. Le défendeur prétend que les demandeurs en l'espèce ne sont pas sans savoir que l'ARRR va formuler un avis sur le risque, cet avis même que les demandeurs ont demandé à l'agent de formuler. Le défendeur soutient, en outre, que l'agent en l'espèce, contrairement à l'affaire Haghighi, n'a pas demandé un avis à une tierce partie ni ne s'y est fié sans en aviser les demandeurs. Le défendeur prétend que l'agent qui a formulé l'avis sur le risque est le même qui a pris la décision, en d'autres termes, l'opinion sur le risque est la décision.
  

[11]            Le défendeur déclare également que la position des demandeurs est indéfendable puisqu'elle imposerait au preneur d'une décision administrative l'obligation, dans tous les cas, de diffuser des « motifs provisoires » à des fins d'examen et de commentaires avant de pouvoir rendre une décision. Cette question même a été examinée par la Cour d'appel dans l'arrêt Bhagwandass, précité, où la Couronne a avancé un argument semblable. Au paragraphe 34 de ses motifs, madame le juge Sharlow, au nom de la Cour, a rédigé ce qui suit :

Ce qu'on sollicite en l'espèce, c'est la communication du Rapport sur l'avis du ministre et de la Demande de l'avis du ministre, après leur signature par l'agente de réexamen et l'analyste principal et avant leur présentation au ministre. À ce moment-là, ils ne constituaient pas et ne pouvaient pas constituer les motifs de l'avis de danger puisqu'aucun avis n'avait été émis. Le ministre ou son délégué a accepté la recommandation des fonctionnaires du Ministère énoncée dans les deux rapports, il a émis l'avis de danger et il aurait pu adopter les rapports comme motifs de cet avis. La question de savoir si les rapports ont été adoptés de la sorte en l'espèce est une question factuelle qu'il n'y a pas lieu de trancher parce que le bien-fondé de l'avis de danger lui-même n'est pas en cause.

[12]            Je suis d'avis que la Cour d'appel a établi une distinction claire entre les notes du preneur de décision qui peuvent être considérées comme des motifs et les notes préparées afin de fournir un avis au décideur ultime. La distinction est digne de mention puisque l'on peut en inférer que la Cour n'élargit pas nécessairement le principe de la communication aux notes qui sont considérées être les motifs du décideur ultime.

  • [13]            La jurisprudence de la présente Cour, avant la décision de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S 817, ne remettait pas en question la pratique des agents chargés de la CDNRSRC qui se fondaient sur des documents publics pour rendre leur décision et a conclu à maintes reprises que l'équité n'impose pas à un agent de communiquer des documents de cette nature avant que la décision soit rendue sur cette question. (Mancia c. Canada (M.C.I.), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.); Nadarajah c. Canada (M.C.I.) (1999), 237 N.R. 15 (C.A.F.); Dervishi c. Canada (M.C.I.) (1999), 236 N.R. 376 (C.A.F.).) Il s'agit de savoir si les principes de ces affaires sont toujours applicables à la suite de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker, précité.
  • [14]            La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chu c. Canada (M.C.I.), 2001 C.A.F. 113, en ligne : QL, une autre affaire portant sur l'avis de danger, a suivi l'arrêt Bhagwandass et a conclu que le ministre a contrevenu à son obligation d'équité en ne communiquant pas au demandeur un rapport sommaire remis au représentant du ministre et en ne lui donnant pas la possibilité d'y répondre. La Cour a également répondu à une question certifiée, à savoir si un décideur était obligé de communiquer la preuve documentaire relative à la situation dans le pays en cause qui n'avait pas été communiquée à un réfugié au sens de la Convention qui fait l'objet d'un avis de danger. En répondant par l'affirmative à la question, la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 10 :
  

La question certifiée en l'espèce consiste, tel que mentionné précédemment, à savoir s'il existait une obligation de communiquer à l'appelant des documents contenant des renseignements sur le pays qui n'avaient pas été identifiés expressément ni fournis à l'appelant. La réponse relative au Rapport sur l'avis du ministre s'applique également aux autres documents que les fonctionnaires du ministère ont remis au représentant du ministre. Tous documents présentés au représentant du ministre par les fonctionnaires du ministère en leur qualité de partie opposée à l'appelant doivent, règle générale, être communiqués à l'appelant, ou à tout le moins identifiés expressément s'ils sont accessibles à tous. Sur ce point, la jurisprudence antérieure, telles les décisions Chu (T.T.) c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 225 N.R. 378 (C.A.F.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [1998] S.C.C.A. no 230, (1998), 236 N.R. 387, et Nadarajah c. Canada (MCI) (1996), 33 Imm L.R. (2d) 234 (C.F. 1re inst.), a été écartée par les arrêts Baker et Bhagwandass.

  

  • [15]            Monsieur le juge McKeown dans la décision Khanam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1497, en ligne : QL, a établi une distinction d'avec la décision Chu, précitée, et a déclaré que l'obligation d'équité dans cette décision était examinée dans le contexte du processus de l'avis de danger. Il a ensuite comparé le processus utilisé par l'ARRR et la procédure de l'avis de danger, faisant ressortir le caractère contradictoire de la dernière.
  • [16]            Je souscris à l'analyse du juge McKeown dans le jugement Khanam, précité, portant sur la distinction établie entre le processus utilisé par l'ARRR et la procédure de l'avis de danger.
  
[17]            Je souscris également en grande partie aux arguments du défendeur sur cette question. Je suis d'avis que la ratio decidendi de la décision Chu, précitée, se limite au contexte de l'avis de danger et qu'elle n'est pas applicable aux décisions relatives aux DNRSRC. Le processus utilisé par l'ARRR peut être distingué de la procédure de l'avis de danger au sens où les documents sur lesquels se fonde l'agent ne sont pas présentés aux fonctionnaires du ministère en leur qualité de partie opposée aux demandeurs. Le processus utilisé par l'ARRR est lié au processus de la détermination du statut de réfugié et complète le processus relatif à une demande de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire, lesquels ne sont pas contradictoires, contrairement au processus utilisé dans un contexte d'avis de danger qualifié de contradictoire par la Cour d'appel dans l'arrêt Chu, précité. La procédure de l'avis de danger est conçue de façon à ce que les agents cherchent à renvoyer les criminels dangereux du Canada. Le rôle de l'agent chargé des DNRSRC est différent. Il doit examiner les arguments de l'appelant ainsi que les documents publics et décider si le demandeur entre dans la catégorie des DNRSRC.

  • [18]            En l'espèce, les documents examinés par l'agent sont du domaine public, ils ont une portée générale et ils ne sont pas préparés dans le cadre de l'établissement de la preuve « contre » un demandeur. Le processus utilisé par l'ARRR n'est pas contradictoire, et les notes préparées par l'agent n'ont pas été préparées à titre d'éléments de la thèse d'une partie, mais sont plutôt, dans le fond, les motifs de l'agent préparés et datés du même jour que la lettre de refus. Cette question peut être distinguée des décisions Haghighi et Bhagwandass en fonction des faits.
  • [19]            Je suis d'avis, vu les faits de l'espèce, que les principes énoncés dans l'arrêt Haghighi, précité, ne vont pas jusqu'à reconnaître l'existence d'une obligation pour un agent de communiquer à un demandeur des notes qui comprennent les risques représentés par le demandeur, l'analyse par l'agent de sa décision et des autorités publiques sur lesquelles il s'est fondé. Encore une fois, je suis d'avis que, selon les faits de l'espèce, les principes concernant l'obligation d'équité qui ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité, ne vont pas aussi loin.
  
  • [20]            Pour les motifs qui précèdent, le présent contrôle judiciaire sera rejeté.
  • [21]            Les demandeurs ont demandé que j'examine les deux questions proposées suivantes en vue de leur certification :

[traduction]


Les droits procéduraux des demandeurs en vertu du programme des DNRSRC sont-ils inférieurs, différents ou absents comparativement à ceux découlant des processus relatifs à une demande de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire ou au danger pour le public même si la Cour d'appel fédérale, dans les arrêts Haghighi et Bhagwandass, à la suite de la décision Baker de la Cour suprême du Canada et maintenant étayée par la décision Suresh de la Cour suprême du Canada, a décidé que l'équité procédurale exige la communication du rapport de l'ARRR et des rapports du ministre selon le cas avant qu'une décision défavorable soit rendue?

Les droits procéduraux des demandeurs en vertu de la Loi sur l'immigration varient-ils selon que la décision est rendue par un ARRR, un agent chargé des demandes de prise en considération de motifs d'ordre humanitaire ou un représentant du ministre, au sujet de l'avis de danger pour le public, malgré les conséquences de la décision du décideur?

[22]            Le défendeur propose la question suivante à des fins de certification :

[traduction]

Les principes de l'équité procédurale exigent-ils que l'ARRR communique la décision relative à l'évaluation du risque à la personne concernée pour qu'elle formule des commentaires avant que la décision relative à la demande des DNRSRC soit considérée comme définitive?

[23]            J'ai examiné les arguments écrits des deux parties quant aux questions proposées à des fins de certification. Je suis convaincu, selon les faits de l'espèce, qu'une question grave d'importance générale est soulevée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, 1985, ch. I-2. Par conséquent, je propose de certifier la question suivante :

[traduction]

Les principes de l'équité procédurale exigent-ils que l'ARRR communique à la personne concernée les notes qu'elle ou qu'il a prises relativement à sa décision sur l'évaluation du risque pour que la personne formule des commentaires avant que la décision relative à la demande des DNRSRC soit considérée comme définitive?

                                                                                   


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l'agent d'immigration M. Bilucaglia, datée du 11 avril 2001, soit rejetée;

2.                    la question suivante soit par la présente certifiée :

Les principes de l'équité procédurale exigent-ils que l'ARRR communique à la personne concernée les notes qu'elle ou qu'il a prises relativement à sa décision sur l'évaluation du risque pour que la personne formule des commentaires avant que la décision relative à la demande des DNRSRC soit considérée comme définitive?

   

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »             

          Juge                

Traduction certifiée conforme

                                                         

Richard Jacques, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                            AVOCATS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                                           IMM-2240-01

  

INTITULÉ :                                        Shahed Chowdhury et al. c. M.C.I.

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

  

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 22 janvier 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Le juge Blanchard

  

DATE :                                                  Le 9 avril 2002

   

COMPARUTIONS :

Munyonzwe Hamalengwa                                                             POUR LES DEMANDEURS

David Tyndale                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Munyonzwe Hamalengwa                                                              POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

  
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