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Date : 20050428

Dossier : IMM-1008-04

Référence : 2005 CF 580

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

RAMON JOSE BRACAMONTE

LOUISIANA BRACAMONTE

DULCE MARIA ZAMBRANO DRAYER

demandeurs

                                                                                                                                                           

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à la suite d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 16 janvier 2004, que les demandeurs n'avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.


[2]                Les demandeurs sollicitent une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire pour réexamen par un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés.

Historique

[3]                Les deux demandeurs adultes, Ramon Jose Bracamonte (le demandeur principal) et Dulce Maria Zambrano Drayer (sa femme), sont citoyens du Venezuela. La demanderesse mineure, Louisiana Bracamonte (la demanderesse mineure), est citoyenne américaine. La demande de la femme est fondée sur celle du demandeur principal. Le demandeur principal fondait sa demande sur le fait qu'il aurait été persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social. Le demandeur principal était avocat au Venezuela au moment où Hugo Chavez a été élu président. Il exerçait sa profession dans les domaines du droit civil et du droit commercial. Le demandeur principal a déclaré qu'il représentait donc des gens qui appartiennent à la catégorie des entrepreneurs ou des gens d'affaires au Venezuela.


[4]                Le demandeur principal a déclaré qu'en 1999, il avait commencé à recevoir des menaces de mort sur son téléphone cellulaire [TRADUCTION] « [...] pour avoir représenté des gens qui auraient censément été des ennemis du gouvernement et du peuple, et à cause de [s]a culpabilité par association » . Il était considéré comme un ennemi du gouvernement. Au début, il s'agissait d'appels anonymes, mais par la suite, les auteurs des appels se sont présentés comme étant membres d'un cercle bolivarien.

[5]                Au mois de septembre 1999, deux hommes ont volé le demandeur principal dans la rue à la pointe du fusil. Les agresseurs ont également pointé un fusil à sa tête et ont mentionné qu'on l'avait déjà averti qu'il y allait de sa vie.

[6]                Le demandeur principal n'a pas signalé l'affaire à la police; en effet, il a affirmé qu'il était [TRADUCTION] « [...] notoire, particulièrement dans le cas d'un avocat, que le fait de signaler des incidents de ce genre ne ferait qu'aggraver la situation et provoquer une autre attaque, et que les policiers eux-mêmes pouvaient être les assaillants » .

[7]                Au mois d'octobre 1999, on s'est introduit par effraction dans l'appartement des demandeurs et l'on a volé leur ordinateur et certains documents. Le lendemain matin, le demandeur principal a reçu sur son téléphone cellulaire un appel d'un homme qui s'est présenté comme étant membre d'un cercle bolivarien et qui lui a fait savoir que, la prochaine fois, il pourrait être tué.

[8]                Le demandeur principal et sa femme ont quitté le Venezuela au mois de janvier 2000; ils se sont installés à Orlando, en Floride. En effet, la demanderesse mineure était née à Orlando le 13 juillet 2000; elle est donc citoyenne américaine.


[9]                Les demandeurs sont entrés au Canada le 10 juin 2003; ils ont immédiatement demandé l'asile. La demande a été entendue par vidéoconférence le 14 janvier 2004.

Motifs de la Commission

[10]            La Commission a statué que la demanderesse mineure n'avait pas une crainte fondée de persécution aux États-Unis et qu'elle n'avait pas besoin de protection aux États-Unis. Elle a statué qu'il n'y avait qu'une simple possibilité que la demanderesse mineure soit victime de persécution aux États-Unis pour l'un des motifs énumérés dans la définition du « réfugié au sens de la Convention » . La demande de la demanderesse mineure a donc été rejetée.

[11]            La Commission a reconnu que le demandeur principal avait été victime d'un vol qualifié et d'un vol, et qu'il avait reçu des menaces de la part de criminels. Elle ne disposait d'aucun élément de preuve montrant que les autorités, au Venezuela, avaient refusé de protéger le demandeur principal. Le demandeur principal n'a pas présenté de preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de le protéger. La Commission a conclu que le demandeur principal n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu'il pouvait se prévaloir d'une protection étatique adéquate au Venezuela et qu'il était raisonnable de s'attendre à ce qu'il s'en prévale.


[12]            Le demandeur principal a reconnu ne pas avoir demandé la protection des autorités au Venezuela parce que, a-t-il allégué, il est notoire, particulièrement dans le cas d'un avocat, que le fait de signaler des incidents de ce genre ne ferait qu'aggraver la situation et provoquer une autre attaque, et que les policiers eux-mêmes pouvaient être les assaillants. La Commission a statué que l'idée que les assaillants auraient pu être des agents de police n'était qu'une simple conjecture, et elle a conclu qu'il était déraisonnable pour le demandeur principal de ne pas avoir fait d'efforts pour prendre des mesures juridiques afin de se protéger et de protéger sa famille.

[13]            La Commission a noté que le demandeur principal alléguait que les Cercles bolivariens attaquent et menacent les personnes qui s'opposent au gouvernement du Venezuela, alors que le demandeur n'avait jamais donné son appui à un parti politique et qu'il n'avait jamais participé à des manifestations contre le gouvernement. Le demandeur principal a déclaré à l'audience qu'il n'exprimait ouvertement son opposition au gouvernement que dans le cadre d'activités sociales ou non officielles.

[14]            Le demandeur principal a témoigné avoir expressément été ciblé parce qu'il est avocat et qu'il représentait des gens d'affaires, et que le gouvernement du Venezuela s'en prend aux citoyens qui exercent une profession, en particulier les personnes influentes qui s'opposent au gouvernement. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas de preuve documentaire à l'appui des allégations du demandeur principal selon lesquelles les avocats sont ciblés simplement parce qu'ils représentent des gens d'affaires qui s'opposent au gouvernement.


[15]            La Commission a pris note de la preuve documentaire qui révélait que, dans l'État de Portuguesa, certains avocats avaient été menacés de mort par des agents de police, que certains d'entre eux « auraient » déjà été assassinés et que les agents de police font l'objet d'une enquête. Toutefois, la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve tendant à montrer que les avocats font l'objet de menaces semblables dans d'autres régions du pays. La Commission a également noté qu'au mois de janvier 2000, un avocat avait été arrêté dans l'État de Carabobo pour avoir fait des déclarations contre l'armée dans un journal national. Cet avocat a par la suite été mis en liberté et un procès a été entamé.

[16]            La Commission a noté que le demandeur principal avait témoigné n'être au courant d'aucun problème que son père (un médecin qui n'appuyait pas le gouvernement actuel) ou que l'avocat principal, au cabinet d'avocats où il avait travaillé, auraient eu avec les Cercles bolivariens. Il a témoigné de la même façon qu'il avait entendu parler d'une personne d'affaires influente qui avait été ciblée par les Cercles bolivariens, mais il n'a pu fournir aucun détail à ce sujet. La Commission a conclu que la preuve n'étayait donc pas les allégations du demandeur principal indiquant que toute les personnes qui exercent une profession risquent d'être victimisées par les Cercles bolivariens ou d'autres groupes sous la protection du gouvernement du Venezuela.


[17]            La Commission a noté la preuve qui révélait que le gouvernement accusait la police métropolitaine de Caracas de réprimer les manifestations pro-gouvernement, ce qui était contraire aux allégations du demandeur principal selon lesquelles la police ne le protégerait pas contre ces personnes. La Commission a noté que le demandeur principal vivait à Caracas.

[18]            La Commission a statué que les renseignements figurant dans la lettre du 3 décembre 2003 qui avait été soumise à l'appui, laquelle avait été rédigée par le beau-frère du demandeur, ne constituaient pas une preuve indépendante, mais que le demandeur principal avait plutôt informé son beau-frère de la situation, et que cette lettre ne pouvait donc pas servir à corroborer le fait que le demandeur principal était en fait la cible des Cercles bolivariens.

[19]            La Commission a noté la preuve documentaire indiquant que le président Chavez aurait déclaré que les Cercles bolivariens sont des organisations sociales qui coopèrent avec la communauté, que ce ne sont pas des groupes armés et que ceux qui commettaient des erreurs seraient punis. En outre, la preuve indiquait que certains partisans de Chavez avaient été emprisonnés.

[20]            Le demandeur principal a témoigné qu'il était de notoriété publique dans son pays que les victimes qui portent plainte à la police sont immédiatement de nouveau victimisées, souvent par les forces de la sécurité. La Commission a noté que le demandeur principal n'avait pas fourni de preuve corroborant son allégation.


[21]            Le demandeur principal a en outre témoigné que des amis et des membres de sa famille lui avaient parlé de personnes qui avaient de nouveau été victimisées; pourtant, même en sa qualité d'avocat, il n'a pas cru bon de présenter de preuve corroborante à cet égard. La Commission a noté que le demandeur principal avait de fait produit d'autres lettres pour étayer ses allégations de vol, de vol qualifié et de menaces. La Commission a donc conclu que le demandeur principal avait tenté d'embellir sa demande au moyen de cette allégation dont elle ne reconnaissait pas la crédibilité.

[22]            La Commission a conclu que le Venezuela est un pays démocratique et que, bien que la situation ne soit pas parfaite, ce pays a le contrôle effectif de son territoire et qu'il est doté d'autorités militaires et civiles et d'une force policière. La Commission n'a pas conclu à l'existence d'une preuve claire et convaincante montrant que le Venezuela ne ferait pas des efforts sérieux raisonnables pour protéger le demandeur principal s'il devait aujourd'hui retourner au Venezuela et communiquer avec les autorités pour leur faire part de ses problèmes.

Questions en litige

[23]            Les points litigieux, tels qu'ils ont été formulés par les demandeurs, sont les suivants :


1.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant la définition du « réfugié au sens de la Convention » figurant au paragraphe 2(1) de la LIPR?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

3.          La Commission a-t-elle rendu une décision manifestement déraisonnable, eu égard à la preuve dont elle disposait, de sorte qu'elle a commis une erreur de droit?

4.          La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve et en interprétant d'une façon erronée la preuve, et notamment les témoignages, la preuve documentaire et les antécédents en matière de droits de la personne?

[24]            Je formulerai de nouveau la question comme suit :

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs bénéficiaient d'une protection étatique adéquate au Venezuela?

Prétentions des demandeurs


[25]            Les demandeurs ont soutenu que la Commission avait commis une erreur en concluant qu'une protection étatique adéquate était assurée au demandeur principal et qu'il n'y avait pas de possibilité sérieuse que celui-ci soit en danger au Venezuela. Ces conclusions ont été tirées de façon abusive et arbitraire, sans qu'il soit tenu compte de la preuve dont disposait la Commission, qui a interprété la preuve d'une façon erronée et s'est fondée sur des considérations non pertinentes.

[26]            Les demandeurs ont soutenu que le témoignage que le demandeur principal avait présenté au sujet de l'omission de l'État de protéger ses citoyens était étayé par la documentation concernant la situation dans le pays, qui était mise à la disposition de la Commission. Les seules mesures prises à l'encontre des Cercles bolivariens, dont la Commission a fait mention, ont été prises sur une période de trois jours, entre le 12 avril et le 14 avril 2002, lorsque le gouvernement Chavez a temporairement été évincé. Il est soutenu qu'il est arbitraire et abusif pour la Commission de se fonder sur les mesures que la police a prises sur une période de trois jours et de ne pas tenir compte de la preuve corroborant la preuve soumise par le demandeur au sujet des périodes pendant lesquelles Chavez était au pouvoir, comme il l'est aujourd'hui.

[27]            La Commission a mentionné le fait que la police métropolitaine était accusée d'avoir réprimé des manifestations pro-gouvernement, et elle a conclu que cela était contraire aux allégations des demandeurs selon lesquelles la police ne protégerait pas le demandeur principal contre ces personnes. Compte tenu des mesures que Chavez a par la suite prises contre les services de police, cette inférence est dénuée de fondement et elle a été faite sans qu'il soit tenu compte de la totalité de la preuve.


[28]            Les demandeurs ont soutenu que la Commission s'était également fondée sur les modifications qui avaient été apportées au Code de procédure criminelle de 1999, tout en omettant de tenir compte de la preuve confirmant que le système de justice criminelle ne réagit pas devant les crimes sérieux. À part ces mentions d'éléments de preuve non pertinents concernant les mesures prises par les services de police métropolitains et la modification du Code, la Commission n'a pas mentionné d'autres efforts que l'État faisait pour protéger ses citoyens.

[29]            Les demandeurs ont soutenu que la Commission avait omis de tenir compte de la preuve concernant l'omission de l'État de protéger ses citoyens, du propre aveu de Chavez, qui a déclaré ne plus être en mesure de contrôler les Cercles bolivariens, et de la preuve confirmant que les Cercles sont armés et qu'ils se livrent à des menaces, à de l'intimidation et à des actes de violence dans les efforts qu'ils font pour faire taire les personnes qui s'opposent, selon eux, à Chavez. Il s'agit d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État de protéger les personnes qui sont perçues comme s'opposant au régime Chavez.


[30]            Les demandeurs ont soutenu que la preuve documentaire indiquait clairement que les institutions, au Venezuela, ne sont pas démocratiques et que, cela étant, il n'était pas déraisonnable pour le demandeur principal de ne pas s'adresser à la police, aux tribunaux, à l'armée ou à d'autres institutions. Il est soutenu que la Commission aurait dû se fonder sur l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (l'arrêt Ward), dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que « l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] " aurait pu raisonnablement être assurée " » .

[31]            Les demandeurs ont soutenu que le demandeur principal n'avait jamais donné son appui à un parti politique et qu'il n'avait pas présenté de preuves indiquant qu'il aurait participé à des manifestations contre le gouvernement, mais que selon les documents, les activités des dissidents et de l'opposition attirent des persécutions. Il est soutenu que le demandeur principal exprimait ses opinions politiques, ou qu'il serait d'une façon raisonnable perçu comme s'opposant à Chavez parce que dans l'exercice de sa profession, il représente de riches gens d'affaires qui ont de l'influence.

[32]            Les demandeurs ont soutenu qu'en examinant la question de la protection étatique qui est accordée au Venezuela, les principaux organismes de droits de la personne ont conclu d'une façon indépendante que l'État et ses organismes étaient incapables de dispenser la justice d'une façon efficace et impartiale, que l'État ne traînait pas devant les tribunaux les individus responsables d'abus de justice et que le système de justice criminelle ne réagissait pas adéquatement à la criminalité. Compte tenu de cette preuve, il est soutenu que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable.


[33]            Les demandeurs ont soutenu que même s'il existe une présomption selon laquelle un tribunal tient compte de tous les éléments de preuve dont il dispose, il incombe également au tribunal d'expliquer clairement pourquoi il a choisi, à l'appui de sa décision, certains éléments de preuve plutôt que d'autres. Il en est d'autant plus ainsi lorsque le tribunal dispose d'un grand nombre d'éléments provenant de sources dignes de foi comme le Département d'État américain, Amnistie internationale et Human Rights Watch World, qui confirment clairement l'incapacité et l'omission de l'État d'assurer une protection.

[34]            Il est en outre soutenu que la Commission n'a pas mentionné la preuve provenant de ces sources indépendantes dignes de foi sur laquelle s'appuyait souvent la Section du statut de réfugié, laquelle corroborait entièrement les explications des demandeurs. Les demandeurs ont établi que les institutions nécessaires pour assurer la démocratie sont sérieusement affaiblies au Venezuela, ce qui a amené d'importantes organisations rendant compte de la situation en matière de droits de la personne à conclure que l'État avait omis ou qu'il n'était pas capable d'offrir une protection efficace utile.


[35]            La preuve documentaire établissait en outre qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable que la protection allait être assurée. Ce n'est que lorsque la police a complètement cessé de protéger la population qu'il n'est pas satisfait à ce critère. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel les demandeurs cherchent à obtenir une garantie de protection, mais plutôt d'un cas où ils ont refusé de se tourner vers un État dont on a dit qu'il était incapable et qu'il avait omis d'accorder une protection.

Prétentions du défendeur

[36]            La Cour a confirmé que la norme de contrôle qui s'applique aux conclusions relatives à la protection étatique se rapporte à la question de savoir si la décision de la Section de la protection des réfugiés est « manifestement déraisonnable » (voir Horvath et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 1206; Jahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 987; IMM-3434-99 (22 juin 2000) (C.F. 1re inst.)).

[37]            La Commission était au courant des problèmes qui continuent à exister au Venezuela. Toutefois, le demandeur principal a été victime de vol et de menaces. Il n'existait aucun élément de preuve montrant qu'il avait été victimisé par les Cercles bolivariens ou par un autre groupe contre lequel l'État ne serait pas capable d'accorder une protection adéquate. Le demandeur principal n'a jamais tenté d'obtenir la protection de la police et il n'a pas réussi à s'acquitter de la lourde obligation qui lui incombait de fournir une preuve « claire et convaincante » indiquant que la protection n'était pas assurée. Les demandeurs n'ont pas démontré que cette conclusion est manifestement déraisonnable.


[38]            En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il est généralement présumé que l'État est capable de protéger un demandeur. Cette présomption « sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange » . Il incombe aux demandeurs de fournir une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État de les protéger. Il suffit que cette protection soit adéquate; elle n'a pas à être parfaite. Le fait qu'il peut y avoir un problème dans le système juridique et dans le système de maintien de l'ordre dans un pays donné ne veut pas dire que la protection étatique ne peut pas être obtenue (voir Ward, précité).

[39]            La conviction du demandeur principal selon laquelle les assaillants auraient pu être des agents de police ou des membres des Cercles bolivariens ne constitue qu'une conjecture. Les demandeurs ne peuvent pas simplement refuser de demander la protection de leur propre pays. Ils ont complètement omis de fournir une preuve qui montre que la police refuserait de les aider. Il n'existe aucune preuve documentaire démontrant que tout problème que peut poser la police au Venezuela est de nature institutionnelle (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1997), 206 N.R. 272).


[40]            Rien n'indique que la Commission ait omis de tenir compte de la preuve documentaire mentionnée dans le mémoire des demandeurs. Cette preuve montre qu'il existe des problèmes au Venezuela, mais elle ne montre pas que le Venezuela a cessé d'être un pays démocratique ou que la police a complètement cessé de protéger les gens qui se plaignent d'avoir été victimes de vol ou de menaces. Les demandeurs ont omis de démontrer que la protection ne sera pas accordée s'ils la demandent.

[41]            Le défendeur a demandé le rejet de la demande de contrôle judiciaire.

Dispositions législatives pertinentes

[42]            L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la LIPR définissent comme suit les expressions « réfugié au sens de la Convention » et « personne à protéger » :


96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.


Analyse et décision

[43]            La norme de contrôle

La question de savoir si la protection étatique est accordée est une conclusion de fait à laquelle s'applique la norme de la décision manifestement déraisonnable (voir Judge c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) 2004 CF 1089, citant Czene c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 912 (C.F.) (QL), paragraphe 7; Charway c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 701 (C.F.) (QL), paragraphe 10; Doka c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 554 (C.F.) (QL), paragraphes 9 et 10; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) (2002), 20 Imm. L.R. (3d) 252 (C.F. 1re inst.)).

[44]            Au début de l'audience qui a eu lieu devant moi, les demandeurs ont indiqué qu'il y avait deux conclusions en cause, à savoir qu'ils ne craignaient pas avec raison d'être persécutés, et la conclusion que la Commission avait tirée au sujet de la possibilité pour le demandeur principal de bénéficier de la protection étatique. J'examinerai d'abord la question de la possibilité de bénéficier de la protection étatique.


[45]            Première question

La protection étatique était-elle assurée aux demandeurs?

Dans l'arrêt Ward, précité, la Cour suprême du Canada a dit qu'un demandeur doit fournir « une preuve claire et convaincante » de l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. Voici ce que la Cour a dit aux pages 724 à 726 :

Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

[...]

[...] Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. [...]


[46]            Dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a donné les lignes directrices suivantes au sujet de l'évaluation de la protection étatique :

Il n'est pas facile de se décharger de l'obligation de prouver que l'on ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays. Le test applicable est objectif, le demandeur étant tenu de démontrer qu'il lui est physiquement impossible de rechercher l'aide de son gouvernement [...] ou que le gouvernement lui-même ne peut d'une façon quelconque la lui accorder.

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.

[47]            Les demandeurs ont soutenu que la preuve documentaire montrait que les institutions, au Venezuela, ne sont pas démocratiques et que les institutions nécessaires pour assurer la démocratie sont sérieusement affaiblies. Ils ont soutenu que l'État est donc incapable de leur accorder sa protection. Parmi les exemples mentionnés par les demandeurs, il convient de citer ceux qui suivent :

Rapport de 2003 de Human Rights Watch World

[TRADUCTION]

[...] Après la tentative de coup d'État, la société vénézuélienne est demeurée fortement polarisée, les manifestations politiques ont continué et la situation économique a empiré, de sorte que le pays risquait de faire face à un autre conflit violent et que la démocratie et la primauté du droit étaient en danger. Des problèmes se posaient dans le domaine des droits de la personne, pour ce qui est de l'administration de la justice, des abus commis par la police et des menaces à la liberté d'expression.

[...]

La situation en matière de droits de la personne s'est détériorée dans cet environnement fortement polarisé.


[...]

Le fait qu'aucun progrès n'a été accompli lorsqu'il s'est agi d'enquêter sur les actes de violence, au mois d'avril, indiquait l'existence de problèmes endémiques dans l'ensemble du système de justice vénézuélien. Le bureau du procureur général et la magistrature - qui n'étaient pas dotés de fonds suffisants et qui étaient inefficaces - se sont avérés incapables de dispenser la justice d'une façon efficace et impartiale.

[...]

[...] Dans des examens antérieurs portant sur l'observation par le Venezuela [de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants], le comité [de l'ONU] a exprimé de graves inquiétudes au sujet du nombre élevé de cas de torture et d'abus dans le pays, ainsi qu'au sujet du fait que l'État ne traînait pas les responsables en justice.

Rapport de 2003 d'Amnistie internationale

[TRADUCTION]

La polarisation politique, la violence et les rumeurs réitérées de coups d'État ont augmenté l'instabilité et ont menacé d'entraîner d'autres abus sérieux en matière de droits de la personne. [...] Les journalistes et les partisans de l'opposition ont été victimes d'un certain nombre de menaces et d'attaques. Au moins trois chefs de groupes de paysans et de fermiers ont été tués. Le système de justice criminelle n'a pas réagi adéquatement à ces crimes, et a ainsi miné la primauté du droit.

[...]

Il y a eu une série d'attaques et de menaces contre des journalistes et des personnes des médias pendant l'année. L'absence d'enquêtes efficaces sur la violence a contribué à générer un climat d'impunité.

[...]

Le précédent de l'impunité pour des crimes similaires par le passé et les questions sérieuses qui se posent au sujet de la crédibilité et de l'impartialité de la magistrature, du bureau du procureur général, des services de police et de l'Ombudsman responsable des droits de la personne, ont amené des organismes non gouvernementaux de droits de la personne à proposer la création d'une commission de la vérité chargée de mener une enquête non judiciaire impartiale sur les violations en matière de droits de la personne. Toutefois, l'assemblée législative n'a pas fourni un soutien adéquat pour que la proposition puisse aller de l'avant.


Inter-America Commission on Human Rights (2002) :

[TRADUCTION]

Selon les renseignements reçus par l'IACHR et compte tenu en particulier de ce qui a été signalé par l'Ombudsman responsable des droits de la personne, il y a des escadrons de la mort ( « grupos de exterminio » ) composés d'agents de sécurité de l'État dans les États de Portuguesa, de Yaracuy, d'Anzoátegui, de Bolivar, de Miranda et d'Aragua. En visitant l'État de Portuguesa, la Commission a remarqué, ce qui a suscité de graves inquiétudes, que les escadrons de la mort constituent un moyen illégal de contrôle social, et que, dans le cas particulier de l'État de Portuguesa, ces escadrons font partie d'une organisation criminelle dont le but est la recherche du profit, au sein des services étatiques de police, et que cette organisation continue à fonctionner et à menacer les membres de la famille des victimes et des témoins, qui sont absolument sans défense.

Report on Human Rights Practices 2002 du Département d'État américain

[TRADUCTION]

[...] La magistrature civile est légalement indépendante; toutefois, elle est fort inefficace et parfois corrompue, et les juges à tous les paliers sont assujettis à l'influence d'un certain nombre de sources, y compris le pouvoir exécutif.

[...]

[...] L'impunité était l'un des problèmes les plus sérieux du pays en matière de droits de la personne. La police arrêtait rarement les suspects, et lorsqu'elle le faisait, les suspects étaient dans bien des cas rapidement mis en liberté. Les crimes comportant des abus en matière de droits de la personne n'entraînaient pas de procès à cause des retards judiciaires et administratifs. La longue détention préalable au procès et la corruption et l'inefficacité sérieuse des systèmes judiciaire et policier posaient également des problèmes.

[...] L'intimidation de la part du gouvernement était un problème sérieux. Le président, les fonctionnaires de l'administration et les membres de son parti politique s'élevaient souvent contre les médias, l'opposition politique, les syndicats, les tribunaux judiciaires, l'Église et les groupes oeuvrant dans le domaine des droits de la personne. Un grand nombre de gens ont interprété ces remarques comme une approbation tacite de la violence et, au cours de l'année, ils ont menacé et intimidé plusieurs membres de groupes s'opposant à Chavez ou s'en sont même pris physiquement à eux.

[...]


Un ONG de Caracas qui représente les victimes d'actes de violence, le COFAVIC, a fait l'objet de menaces qui lui ont été communiquées par courriel ou par téléphone, à partir du mois de janvier, de la part de Cercles bolivariens et d'individus qui se déclaraient partisans de Chavez. Le bureau du procureur général et le bureau de l'Ombudsman responsable des droits de la personne n'ont pas donné suite aux demandes que le COFAVIC leur avait faites pour que l'on enquête sur ce harcèlement. Au mois de mai, le COFAVIC a déposé une plainte auprès de l'IACHR, qui a recommandé au gouvernement de fournir la protection de la police aux bureaux et au directeur du COFAVIC. L'IACHR a également demandé au gouvernement d'enquêter sur les allégations du COFAVIC et de se prononcer à l'encontre de l'intimidation des organismes de droits de la personne. Le gouvernement n'a pas répondu à cette demande. [...]

[...]

De nombreux critiques ont allégué que l'Ombudsman n'était pas réellement impartial.

[48]            Le critère à appliquer lorsqu'il s'agit de savoir si la protection étatique [TRADUCTION] « [peut] raisonnablement être assurée » est un critère objectif. En l'espèce, la preuve confirme qu'au Venezuela, une démocratie constitutionnelle est en place. La preuve mentionnée par le demandeur indique sans équivoque que le Venezuela fait face à de graves difficultés, en particulier dans certaines régions comme l'État de Portuguesa. Toutefois, la preuve présentée en l'espèce n'étaye pas la prétention selon laquelle l'ensemble des mécanismes étatiques au Venezuela se sont dans une large mesure affaiblis, ou qu'il y a presque eu un effondrement de l'ordre interne, de sorte qu'il était objectivement raisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir communiqué avec l'État afin d'obtenir une protection.

[49]            Les demandeurs ont soutenu que la Commission avait commis une erreur en omettant de mentionner une preuve documentaire qui étayait leurs demandes et qui allait à l'encontre des conclusions qu'elle avait tirées.


[50]            Comme il a été dit dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.), aux paragraphes 16 et 17 :

[...] Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "    sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R.312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont il n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion.

[51]            La preuve susmentionnée, dont il est fait état dans le mémoire des demandeurs, ne contredit pas les principales conclusions de fait de la Commission. Les passages mentionnés par les demandeurs indiquent que, dans certaines régions du Venezuela, certaines gens font face à de graves problèmes, mais ils ne montrent pas que le gouvernement du Venezuela ne voudrait pas ou ne pourrait pas accorder une protection aux demandeurs. Par conséquent, étant donné que les passages mentionnés et le reste du dossier ne contredisent pas la principale conclusion que la Commission a tirée au sujet de la possibilité de bénéficier de la protection étatique, la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible d'examen en omettant de mentionner expressément ces passages.


[52]            Les demandeurs pourraient également réfuter la présomption relative à la protection étatique en présentant « le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la [leur] » et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées ou en présentant le témoignage du demandeur principal au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. Or, il n'existe aucune preuve de ce genre dans ce cas-ci.

[53]            Le demandeur principal a soutenu qu'il était ciblé parce qu'il était avocat et qu'il représentait des clients riches ou des personnes d'affaires qui s'opposaient au gouvernement. Aucun autre élément de preuve, à part la déclaration du demandeur, n'a été présenté sur ce point. Dans sa décision, la Commission a expressément mentionné un cas, dans l'État de Portuguesa, où des avocats avaient été menacés de mort par un [TRADUCTION] « groupe d'extermination » . La Commission a noté que les demandeurs ne vivaient pas dans l'État de Portuguesa. Elle a également fait remarquer que ces menaces avaient été proférées pendant des enquêtes sur l'inconduite possible de la police.

[54]            Il n'y a dans le dossier qu'un seul cas dans lequel des avocats étaient en cause et dont la Commission n'a pas expressément fait mention. Il s'agit du communiqué de presse du 7 mars 2003 de l'Association internationale du barreau (l'AIB), qui dit notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]

Parmi les questions qui préoccupent particulièrement les juristes internationaux qui ont déposé le rapport de l'AIB, il y a les soi-disant « systèmes transitoires » de droit, qui fonctionnent en dehors du cadre de la Constitution, et la preuve qu'ils ont entendue au sujet d'attaques et de menaces dont les juges et les avocats ont été victimes.


L'examen du communiqué de presse établit qu'il traite principalement des juges et qu'il ne donne pas de détails au sujet des avocats.

[55]            En outre, comme la Commission l'a fait remarquer, le demandeur principal n'a pas fourni de preuve montrant que toutes les personnes qui exercent une profession risquent d'être victimisées par les Cercles bolivariens ou par d'autres groupes sous la protection du gouvernement du Venezuela. Le demandeur principal a témoigné qu'au mieux de sa connaissance, même son père, qui s'opposait au gouvernement Chavez, ou un avocat principal de son cabinet, n'avaient pas eu de problèmes avec les Cercles bolivariens.

[56]            Enfin, le demandeur principal a confirmé qu'il ne s'était jamais adressé à la police ou qu'il n'avait pas par ailleurs demandé la protection étatique.

[57]            Compte tenu du dossier dont je dispose, je ne puis constater aucune erreur susceptible d'examen de la part de la Commission lorsqu'elle a conclu que la protection étatique était assurée aux demandeurs. La décision rendue par la Commission était une décision qu'il lui était loisible de rendre.

[58]            Étant donné la conclusion que j'ai tirée au sujet de la protection étatique, je n'ai pas à aborder l'autre question soulevée par les demandeurs.


[59]            La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[60]            Ni l'une ni l'autre partie n'a voulu proposer la certification d'une question grave de portée générale.

ORDONNANCE

[61]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

           « John A. O'Keefe »           

Juge

Ottawa (Ontario),

le 28 avril 2005

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-1008-04

INTITULÉ:

RAMON JOSE BRACAMONTE

LOUISIANA BRACAMONTE

DULCE MARIA ZAMBRANO DRAYER

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :

le 23 novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :

le 28 avril 2005

COMPARUTIONS :

John Grice

POUR LES DEMANDEURS

Ann Margaret Oberst

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davis & Grice

North York (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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