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Date : 20200522

Dossier : T‑821‑19

Référence : 2020 CF 634

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2020

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

RODNEY GENE TORRANCE

 

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Vue d’ensemble

[1]  Le 29 août 1998, le demandeur, M. Rodney Gene Torrance, a été grièvement blessé lors d’un accident. Devenu tétraplégique, il est atteint d’une invalidité grave et prolongée. Depuis, M. Torrance tente d’obtenir une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada [la pension d’invalidité du RPC], mais jusqu’ici ses démarches ont été infructueuses. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Torrance conteste la plus récente décision, rendue le 17 avril 2019 [la décision d’avril 2019, ou la décision] par Mme Jessica Clark, agente principale de législation et déléguée du ministre de l’Emploi et du Développement social [la déléguée du ministre]. Dans sa décision, la déléguée du ministre confirme que M. Torrance n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la pension d’invalidité prévue au Régime de pensions du Canada [RPC] lui avait été refusée en raison d’un avis erroné ou d’une erreur administrative attribuable aux fonctionnaires du ministère de l’Emploi et du Développement social [EDSC].

[2]  M. Torrance prétend que, lorsque la déléguée du ministre a rendu la décision d’avril 2019, elle a omis de procéder en bonne et due forme à l’examen et à l’appréciation de nouveaux faits comme il l’avait demandé, conformément aux paragraphes 66(4), 81(2) et 84(2) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C‑8 [la Loi sur le RPC]. Il demande à la Cour d’annuler la décision d’avril 2019, de procéder à l’examen des faits nouveaux demandé, de trancher la question de savoir si les bonnes dispositions législatives ont été appliquées pour établir la date de sa période minimale d’admissibilité [PMA] et d’établir s’il fallait considérer l’année 1998 comme une année admissible de contribution pour statuer sur son admissibilité à une pension d’invalidité du RPC.

[3]  La seule question que la Cour est appelée à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision d’avril 2019 était raisonnable.

[4]  Pour les motifs qui suivent, et en dépit de la sympathie que j’éprouve pour la situation malheureuse dans laquelle se trouve M. Torrance, je devrai rejeter sa demande. M. Torrance croit sans doute être la victime d’une injustice, et les efforts répétés qu’il déploie pour débattre à nouveau des questions qui le concernent et contester les décisions rendues en sa défaveur depuis 1998 sont compréhensibles. Malgré cela, je suis convaincu que la décision d’avril 2019 est justifiée et intelligible et que les conclusions tirées par la déléguée du ministre sont raisonnables, au regard de la preuve et du droit applicable. Les motifs détaillés donnés à l’appui de cette décision démontrent qu’elle est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles la déléguée du ministre est assujettie. La déléguée du ministre a relevé à juste titre qu’en 2013, la Cour d’appel fédérale [CAF] avait déjà tranché la question de savoir s’il y avait eu une erreur administrative dans le traitement de la demande de pension d’invalidité du RPC présentée par M. Torrance en 1998 et en 1999 [la demande de prestations du RPC]. En outre, il était raisonnable que la déléguée du ministre conclue, comme elle l’a fait, que la Cour fédérale avait elle aussi déjà confirmé, en 2008, qu’il n’était plus possible pour M. Torrance d’établir qu’il avait effectué des cotisations valides au RPC pour l’année 1998, et ce, du fait de l’écoulement du délai de prescription prévu par la loi. On peut aisément concevoir que M. Torrance soit insatisfait des décisions antérieures d’EDSC, de la Cour et de la CAF; cependant, on ne peut faire comme si ces décisions n’existaient pas. Les revendications de M. Torrance sont en fait la manifestation d’un désaccord continuel avec les décisions prises par les autorités compétentes au sujet de sa demande de prestations du RPC. Cela ne peut servir de justification à l’intervention de la Cour.

II.  Le contexte

A.  Le contexte factuel

[5]  M. Torrance travaillait à son compte comme livreur à bicyclette lorsque, le 29 août 1998, il est devenu quadriplégique à la suite d’une chute qui lui a endommagé l’épine dorsale. En raison du lieu et de la date auxquels la chute est survenue, le demandeur n’avait apparemment aucun recours en responsabilité civile délictuelle ou en vertu d’une loi d’indemnisation des victimes d’accident du travail pour atténuer les conséquences graves et prolongées de son accident.

[6]  En novembre 1998, M. Torrance a présenté une demande de pension d’invalidité au titre de la Loi sur le RPC. Un mois plus tard, soit en décembre, sa demande de prestations du RPC a été rejetée par Ressources humaines et Développement des compétences Canada (le nom que portait alors EDSC) parce qu’il n’avait pas suffisamment cotisé au RPC au fil des ans. Le RPC est un régime contributif, c’est-à-dire que l’admissibilité aux prestations et leur montant sont fonction des cotisations qu’une personne a versées au régime. Pour être admissible à la pension d’invalidité, M. Torrance devait avoir cotisé au RPC pendant au moins quatre des six années précédant son accident; en réalité, il avait versé des cotisations pendant deux années entre 1993 et 1998. À l’époque, M. Torrance n’avait pas encore produit ses déclarations de revenus de 1996, 1997 et 1998.

[7]  En raison de deux erreurs contenues dans l’adresse à laquelle la lettre de refus d’EDSC a été postée, ce n’est qu’en 2007 que M. Torrance a appris que sa demande de prestations du RPC avait été refusée.

[8]  Dans l’intervalle, M. Torrance a écrit à EDSC en février 1999 pour demander que son dossier soit laissé ouvert jusqu’à ce qu’il puisse produire ses déclarations de revenus de 1996, 1997 et 1998. L’adresse de l’expéditeur indiquée sur la lettre de M. Torrance était celle du centre G.F. Strong, un centre de réadaptation pour les personnes atteintes de lésions à la moelle épinière [le centre G.F. Strong], où il résidait à l’époque. En mars 1999, EDSC a accusé réception de la demande de M. Torrance en l’informant qu’un examen aurait lieu. Dans une lettre destinée à M. Torrance et envoyée aux soins du centre G.F. Strong, EDSC a invité le demandeur à produire tout élément de preuve supplémentaire dont il disposait afin d’étayer sa demande de prestations du RPC.

[9]  Peu après, en 1999, M. Torrance a produit sa déclaration de revenus de 1996 avec l’aide d’un membre de sa famille. Il affirme ne pas avoir été en mesure de produire celles de 1997 et de 1998 au même moment. En mai 1999, même s’il n’avait toujours pas reçu les déclarations de revenus de M. Torrance pour 1997 et 1998, EDSC a écrit à ce dernier pour accuser réception des [TRADUCTION] « renseignements sur les gains allant jusqu’en 1997 ». EDSC précisait par ailleurs que, pour l’année 1998, il n’était pas nécessaire de lui faire parvenir autre chose que l’avis de cotisation établi par les autorités fiscales. En revanche, l’information était demandée [TRADUCTION] « dans les plus brefs délais ». Cette lettre adressée à M. Torrance a aussi été envoyée aux soins du centre G.F. Strong.

[10]  En juin 1999, M. Torrance a quitté le service des soins de longue durée du centre G.F. Strong pour emménager dans un appartement. L’adresse d’expédition des lettres est restée celle du centre. Après avoir reçu la confirmation que M. Torrance était toujours résident du centre, EDSC lui a fait parvenir une nouvelle lettre pour l’informer qu’il avait besoin de plus amples renseignements pour établir s’il était admissible à une pension d’invalidité du RPC. Le délai de réponse accordé était de 45 jours. À la fin de juillet 1999, EDSC a rejeté une nouvelle fois la demande de pension d’invalidité de M. Torrance au motif qu’il ne respectait pas toutes les conditions d’admissibilité au RPC. La lettre contenait aussi de l’information sur la procédure à suivre pour présenter une demande de réexamen.

[11]  En février 2007, à l’issue d’une longue période de réadaptation et après avoir retenu les services d’un aide‑soignant au fait des questions de déclarations fiscales, M. Torrance a communiqué avec EDSC dans l’optique de relancer ses efforts pour obtenir une pension d’invalidité. Sa première démarche a consisté à demander une copie de son dossier auprès du Programme de prestations d’invalidité du RPC. En prenant connaissance du dossier, il a découvert les lettres de 1999 qui ne lui étaient jamais parvenues. En mai 2007, M. Torrance a donc prié le ministre de revoir sa décision de refuser sa demande de prestations du RPC, étant donné qu’il n’avait pas reçu les lettres censées l’aviser du rejet de la demande qu’il avait présentée afin de toucher une pension d’invalidité du RPC. Dans sa lettre, M. Torrance expliquait que sa demande de pension d’invalidité devait être acceptée, compte tenu de l’existence de nouveaux faits, conformément au paragraphe 84(2) de la Loi sur le RPC. S’appuyant sur le paragraphe 66(4) de la Loi sur le RPC, il prétendait également que le refus de sa demande de prestations du RPC était la conséquence d’un avis erroné et d’une erreur administrative de la part des fonctionnaires d’EDSC.

[12]  En 2006, M. Torrance a produit ses déclarations de revenus de travail indépendant pour les années 1997 et 1998. Toutefois, après avoir établi la cotisation relative à son année d’imposition 1998, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a informé M. Torrance qu’il ne pouvait verser de cotisations au RPC relativement aux gains qu’il avait tirés d’un travail indépendant au cours de l’année en question, parce qu’il n’avait pas produit sa déclaration de revenus dans le délai de quatre ans prescrit au paragraphe 30(5) de la Loi sur le RPC. Ainsi, comme M. Torrance était empêché par prescription législative de cotiser au RPC, l’année 1998 ne pouvait être considérée comme une année de cotisation aux fins de sa demande de prestations du RPC, et l’ARC a appliqué la présomption selon laquelle le montant cotisé au régime par M. Torrance pour cette année était nul.

[13]  M. Torrance a contesté cette conclusion de l’ARC devant la Cour. Or, en septembre 2008, la Cour a confirmé la décision de l’ARC portant que M. Torrance ne pouvait pas verser de cotisations valides au RPC pour 1998, ayant jugé que le paragraphe 30(5) de la Loi sur le RPC l’emportait sur les pouvoirs discrétionnaires dont elle disposait (Torrance c Le Ministre du Revenu national et l’Agence du revenu du Canada, 2008 CF 1083 [Torrance 2008]). M. Torrance n’a pas fait appel de la décision Torrance 2008.

[14]  En juin 2010, M. Torrance a fait valoir une fois de plus que les fonctionnaires d’EDSC lui avaient donné un avis erroné et avait commis des erreurs administratives dans le cadre de sa demande de prestations du RPC. En août 2010, à la demande de M. Torrance, le ministre a accepté de proroger le délai qui lui était imparti pour solliciter un réexamen et il l’a invité à produire les éléments de preuve supplémentaires qui permettraient d’étayer ce qu’il alléguait, à savoir qu’il y avait eu prestation d’un avis erroné et erreur administrative dans le traitement de son dossier. Une enquête a été lancée en application du paragraphe 66(4) de la Loi sur le RPC en vue d’établir si une erreur avait été commise relativement à la demande de prestations du RPC présentée par M. Torrance.

[15]  En octobre 2010, M. Torrance a décrit de la façon suivante les avis erronés et erreurs administratives qui, selon lui, auraient été commises : i) les renseignements fournis dans la lettre d’EDSC datée de mai 1999 étaient insuffisants et inexacts; ii) les fonctionnaires du RPC ont omis de s’assurer que les lettres de juin et juillet 1999 lui soient délivrées en temps utile; iii) les fonctionnaires du RPC ont statué sur sa demande de prestations du RPC et sa demande de révision à partir de renseignements incomplets.

[16]  Le 8 novembre 2011, le ministre a conclu que les fonctionnaires du RPC n’avaient pas prodigué d’avis erronés ni commis d’erreurs administratives dans le traitement de la demande de prestations du RPC faite par M. Torrance [la décision de novembre 2011]. En effet, le ministre a conclu que [TRADUCTION] « M. Torrance ne s’est pas vu refuser des prestations par suite d’un avis erroné ou d’une erreur administrative ». On peut résumer ainsi les motifs de cette décision. D’abord, il incombait à M. Torrance de produire ses déclarations de revenus à temps, et les fonctionnaires du RPC n’avaient pas la responsabilité de l’informer des conséquences du défaut de se plier à cette exigence. Ensuite, les fonctionnaires du RPC n’ont commis aucune erreur administrative en refusant la demande de pension d’invalidité de M. Torrance avant l’expiration du délai de 45 jours qui lui avait été accordé pour fournir des renseignements médicaux supplémentaires. Les renseignements obtenus du centre G.F. Strong confirmaient que M. Torrance n’avait été déclaré invalide qu’après 1997, selon les renseignements disponibles en juillet 1999. Cette décision a été prise environ cinq mois après que M. Torrance eut demandé la prorogation du délai imparti pour produire ses déclarations de revenus.

[17]  M. Torrance a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision de novembre 2011, demande que la Cour a accueillie en octobre 2012 dans la décision Torrance c Canada (Procureur général), 2012 CF 1269 [Torrance 2012]. Or, en septembre 2013, la CAF a accueilli l’appel du ministre et annulé la décision Torrance 2012 (Canada (Procureur général) c Torrance, 2013 CAF 227 [Torrance CAF]). La CAF a confirmé la décision initiale du ministre de refuser la demande de prestations du RPC de M. Torrance et rejeté l’argument de ce dernier selon lequel une erreur administrative lui avait fait perdre les prestations d’invalidité auxquelles il aurait par ailleurs eu droit. La CAF a plutôt jugé raisonnable la conclusion du ministre, à savoir que le fait que la lettre de juillet 1999 ne soit jamais parvenue à son destinataire n’était pas la cause du défaut de M. Torrance de produire ses déclarations de revenus en temps utile. Selon la CAF, c’était plutôt le défaut de M. Torrance de produire ses déclarations de revenus de 1997 et 1998 dans les quatre années suivant l’expiration du délai prescrit pour les produire qui a donné lieu à l’application du paragraphe 30(5) de la Loi sur le RPC, ce qui l’a rendu non admissible à des prestations (Torrance CAF, au par. 48).

[18]  En janvier 2018, M. Torrance a fait une nouvelle demande à EDSC, cette fois pour obtenir des prestations d’enfant de cotisant invalide pour ses deux enfants [PECI]. En mars et en mai 2018, EDSC a demandé à M. Torrance de lui fournir d’autres renseignements et de remplir la déclaration prévue par la loi. En août 2018, M. Torrance a produit une nouvelle lettre, dans laquelle il alléguait une fois de plus avoir reçu un avis erroné d’EDSC et fait l’objet d’une erreur administrative dans le cadre de sa demande de prestations du RPC. Vers la fin d’octobre 2018, la déléguée du ministre a fait parvenir une lettre à M. Torrance pour l’informer de son intention de procéder à une enquête concernant l’avis erroné et les erreurs administratives dont il alléguait avoir fait l’objet relativement au refus de sa demande de prestations du RPC; elle l’invitait par la même occasion à lui soumettre toute nouvelle observation susceptible d’étayer ces allégations.

[19]  M. Torrance n’a pas répondu à cette invitation et, en décembre 2018, lors d’une conversation téléphonique avec la déléguée du ministre, il a confirmé n’avoir aucune autre observation à présenter au soutien de ses allégations d’avis erroné et d’erreurs administratives. Le 3 décembre 2018 a été envoyée par la poste à M. Torrance une lettre de révision confirmant le refus initial de sa demande de prestations du RPC. Le 17 avril 2019, une autre lettre expliquant dans le détail les motifs pour lesquels la décision originale avait été maintenue a été envoyée à M. Torrance.

B.  La décision d’avril 2019

[20]  Dans la décision d’avril 2019, la déléguée du ministre a confirmé que M. Torrance n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été privé de prestations d’invalidité du RPC à la suite de l’avis présumé erroné formulé par les fonctionnaires d’EDSC ou d’erreurs administratives commises par ces derniers. La déléguée du ministre a conclu que, d’entrée de jeu, M. Torrance n’était pas admissible à une pension d’invalidité du RPC, parce qu’il n’avait pas cumulé suffisamment d’années admissibles de cotisation; elle a également conclu qu’aucun avis erroné n’avait été donné ni aucune erreur administrative commise. Dans sa décision, la déléguée du ministre rejette les quatre allégations avancées par M Torrance à l’appui de sa demande.

[21]  Premièrement, la déléguée du ministre a estimé que les bonnes dispositions législatives avaient été appliquées pour établir la PMA de M. Torrance aux fins de sa demande de prestations du RPC. Deuxièmement, la déléguée du ministre a conclu que la question des présumées erreurs administratives commises en lien avec les gains de M. Torrance pour 1998 était chose jugée, puisque la CAF avait déjà statué, dans l’arrêt Torrance CAF, qu’il n’y avait pas eu d’erreur administrative dans le traitement de ces gains. Troisièmement, la déléguée du ministre a constaté qu’aucune erreur administrative n’avait été commise concernant les gains de M. Torrance provenant d’un travail indépendant pour 1997 et 1998, en rappelant que cette question avait été tranchée par la Cour dans la décision Torrance 2008. Quatrièmement, la déléguée du ministre a jugé que les dispositions de la Loi sur le RPC concernant les « demandeurs tardifs » ne s’appliquaient pas à la situation de M. Torrance.

 

[22]  Pour en arriver à ces conclusions, la déléguée du ministre a d’abord exposé dans le détail le long et complexe historique procédural du dossier de M. Torrance, en commençant par la demande de prestations du RPC présentée par M. Torrance en 1998, pour ensuite reprendre les quatre allégations d’avis erronés et d’erreurs administratives avancées par ce dernier. Pour chacune de ces allégations, la déléguée du ministre a traité du droit applicable, appliqué les dispositions législatives pertinentes à la situation de M. Torrance à partir de renseignements qui lui étaient propres, comme le montant de ses gains et de ses cotisations au RPC, communiqués par l’ARC. De plus, lorsqu’elle évoque le principe de la chose jugée, la déléguée du ministre énonce les trois conditions préalables à l’application de cette doctrine; elle explique aussi en quoi la décision Torrance 2008 et l’arrêt Torrance CAF avaient réglé les questions soulevées par M. Torrance.

C.  Le cadre législatif applicable

[23]  Comme je l’ai dit plus haut, le RPC est un régime contributif, ce qui signifie que l’admissibilité aux prestations et leur montant sont déterminés par les cotisations qu’une personne y a versées. Dans le cas des employés, les cotisations au RPC sont retenues à la source et remises par l’employeur. Quant aux travailleurs indépendants, ils remettent leurs cotisations avec l’impôt qu’ils doivent lorsqu’ils produisent leur déclaration de revenus. Il s’ensuit que l’omission d’un travailleur indépendant de produire sa déclaration de revenus au moment et selon les modalités exigées entraîne des conséquences sur la situation de cette personne au regard du RPC. Le paragraphe 30(5) de la Loi sur le RPC est particulièrement éclairant à cet égard : suivant cette disposition, lorsqu’une personne omet de produire, dans les quatre années suivant la date à laquelle elle était tenue de le faire, sa déclaration de revenus relative aux gains qu’elle a réalisés en travaillant pour son propre compte, ses cotisations au RPC sont réputées nulles à l’égard des gains en question.

[24]  L’article 44 de la Loi sur le RPC prévoit que, pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, une personne doit avoir versé des cotisations pendant la PMA qui s’applique à elle. Pour la période débutant le 1er janvier 1998, la PMA, en l’espèce, correspondait à quatre des six dernières années civiles comprises dans la période se terminant à la date à laquelle l’intéressé avait été déclaré invalide.

[25]  La Loi sur le RPC prévoit des recours en appel et en révision des décisions rendues sur les questions de l’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC et du montant des éventuelles prestations. Par ailleurs, au paragraphe 66(4), la Loi sur le RPC traite de la façon de remédier aux conséquences d’une erreur administrative ou d’un avis erroné attribuable aux fonctionnaires d’EDSC. Le paragraphe 66(4) est ainsi rédigé :

Refus d’une prestation en raison d’une erreur administrative

66 (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

Where person denied benefit due to departmental error, etc.

66 (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

 

[26]  Ce paragraphe exige que le ministre soit « convaincu » qu’un avis erroné a été donné ou qu’une erreur administrative a été commise, faisant en sorte de priver l’intéressé d’une prestation. Il ne prescrit aucune procédure d’enquête particulière. C’est plutôt le ministre qui fixe à son gré les modalités de l’enquête, ce qui s’accorde avec la nature discrétionnaire de la décision elle-même. Le ministre dispose notamment d’un vaste pouvoir discrétionnaire quant aux mesures correctives à prendre et à l’établissement informel des faits.

D.  La norme de contrôle

[27]  Le procureur général du Canada, qui représente EDSC, soutient qu’il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable aux décisions rendues par le ministre ou ses délégués sous le régime du paragraphe 66(4) de la Loi sur le RPC, car il s’agit de décisions de nature discrétionnaire fondées sur les faits (Torrance CAF, au par. 34; Stenger c Canada (Procureur général), 2019 CF 561, au par. 6; Mackeen c Canada (Procureur général), 2015 CF 1032 [Mackeen], au par. 22). M. Torrance ne conteste pas cette position.

[28]  Que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision raisonnable a récemment été confirmé par la Cour suprême du Canada [CSC]. En effet, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], les juges majoritaires de la CSC ont présenté un cadre d’analyse révisé devant servir à la détermination de la norme à appliquer au contrôle des décisions administratives sur le fond; selon eux, il y a lieu de présumer que ces décisions doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable, sauf si l’intention du législateur ou la primauté du droit commande le recours à une autre norme. (Vavilov, aux par. 10 et 17). Je suis convaincu qu’aucune de ces deux exceptions ne s’applique en l’espèce et que rien ne justifie de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable à la décision d’avril 2019.

[29]  Sur le plan de la teneur même de la norme de la décision raisonnable, le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov ne représente pas un écart marqué par rapport à l’approche antérieure, énoncée par la CSC dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], ainsi que dans les décisions rendues dans son sillage, approche qui reposait sur les « caractéristiques d’une décision raisonnable », soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, au par. 99). La cour de révision « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision », pour établir si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux par. 83 et 85; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes], aux paragraphes 2 et 31).

[30]  Le cadre d’analyse révisé présenté dans l’arrêt Vavilov exige que la cour de révision adopte une approche du contrôle judiciaire qui « s’intéresse avant tout aux motifs » de la décision (Société canadienne des postes, au paragraphe 26). Si le décideur a motivé sa décision, la cour de révision doit amorcer son analyse du caractère raisonnable de la décision en « examin[ant] les motifs donnés avec "une attention respectueuse", et [en] cherch[ant] à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov, au par. 84). Les motifs d’une décision doivent être interprétés à la lumière de l’ensemble du dossier et en tenant dûment compte du contexte administratif dans lequel ils sont fournis (Vavilov, aux par. 91 à 94 et 97). Toutefois, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable. […] le décideur doit également […] justifier sa décision » (Vavilov, au par. 86).

[31]  Avant de pouvoir infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). L’appréciation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, tout en étant sensible et respectueuse du rôle du décideur administratif (Vavilov, aux par. 12 et 13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au par. 13). Il a comme point de départ la retenue judiciaire et le respect du rôle distinct et de l’expertise des décideurs administratifs (Vavilov, aux par. 13, 75 et 93). Autrement dit, la cour de révision doit continuer d’appliquer une approche fondée sur la déférence, surtout eu égard aux conclusions de fait et à l’appréciation de la preuve. Ainsi, à moins de circonstances exceptionnelles, par exemple si le décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte », elle ne modifiera pas les conclusions de fait du décideur administratif (Vavilov, aux par. 125 et 126).

III.  Analyse

[32]  Dans le cadre du réexamen qu’il a sollicité pour sa demande de prestations du RPC, M. Torrance a allégué l’existence de quatre occurrences distinctes d’avis erroné ou d’erreur administrative.

[33]  Premièrement, M. Torrance soutient que l’année 1998 n’a pas été prise en compte dans le calcul de sa PMA, contrairement aux exigences applicables prévues par divers articles de la Loi sur le RPC. Il insiste sur le fait que, sans la bonne PMA, une bonne partie des prestations prévues par la Loi sur le RPC allaient lui être refusées, et à sa mort, à sa succession. M. Torrance fait valoir que, n’eût été les nombreuses erreurs commises par des fonctionnaires d’EDSC, l’année 1998 aurait été incluse dans le calcul des années admissibles de cotisation. Il souligne que, du fait de cette erreur, sa succession ne pourra pas toucher la prestation de décès prévue à l’alinéa 44(1)c) de la Loi sur le RPC, et qu’advenant son décès, aucune pension du survivant ne sera payée au titre de l’alinéa 44(1)d), ni aucune prestation d’orphelin versée à ses enfants.

[34]  M. Torrance allègue également qu’il était déraisonnable que les fonctionnaires du RPC lui demandent des documents fiscaux se rapportant à l’année 1998 lorsqu’il a présenté sa demande de prestations du RPC, puisqu’il n’avait pas ces documents à sa disposition. Plus précisément, il avance qu’il était déraisonnable de lui demander de fournir un avis de cotisation pour 1998 et que ces fonctionnaires auraient plutôt dû lui demander ses documents d’entreprise afin d’évaluer ses gains pour l’année en question.

[35]  En outre, M. Torrance invoque la Directive en matière de politique sur les programmes de sécurité du revenu, qui énonce qu’aucun fardeau de preuve ne repose normalement sur le client, pour avancer qu’il était déraisonnable que le ministre lui impose le fardeau de faire la preuve de l’erreur administrative dont il prétendait avoir fait l’objet. Sur la question des dispositions de la Loi sur le RPC portant sur les « demandeurs tardifs », M. Torrance avance que la déléguée du ministre a déraisonnablement conclu qu’elles ne s’appliquaient pas à sa situation. Par ailleurs, M. Torrance avance que la décision d’avril 2019 omet à tort de faire un résumé exhaustif de sa lettre du 9 août 2018 [la lettre d’août 2018] et d’y répondre.

[36]  Enfin, M. Torrance conteste l’application du principe de la chose jugée par la déléguée du ministre. À cet égard, M. Torrance s’appuie plus particulièrement sur des sources juridiques laissant entendre que le ministre n’est pas lié par ce principe, par exemple les commentaires de l’honorable Gordon Killeen, c.r., et d’Andrew James qui, faisant référence à l’arrêt Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c MacDonald, 2002 CAF 48, écrivent ce qui suit : [TRADUCTION] « [A]ucune règle législative ou de la common law ne permet d’affirmer que le ministre est lié par le principe de la chose jugée » (Annotated Canada Pension Plan and Old Age Security Act, 17e édition (Toronto : LexisNexis Canada Inc, 2018), à la page 34).

[37]  Je ne trouve pas convaincants les arguments de M. Torrance et je ne suis pas persuadé qu’ils puissent à eux seuls permettre de conclure au caractère déraisonnable de la décision d’avril 2019.

[38]  La décision d’avril 2019 est à la fois approfondie et circonstanciée. Tout au long de ses motifs, la déléguée du ministre a cité et appliqué les lois et politiques applicables, elle a passé en revue de manière approfondie tous les documents pertinents en la possession d’EDSC, et elle n’a pas trouvé d’éléments de preuve propres à étayer ce que M. Torrance affirme, soit qu’un avis erroné a été donné ou que des erreurs administratives ont été commises dans le cadre du processus décisionnel visant sa demande de prestations du RPC.

[39]  La déléguée du ministre a jugé que M. Torrance alléguait l’existence de quatre occurrences distinctes d’avis erroné ou d’erreur administrative, et elle a fourni de longs motifs à l’égard de chacune de ces allégations, à savoir :

1. Que les mauvaises dispositions législatives ont été appliquées pour établir la PMA aux fins de la demande de prestations du RPC présentée par M. Torrance.

2. Que les gains de M. Torrance pour 1998 ont été [TRADUCTION] « écartés, au motif qu’ils ne correspondaient pas à une année admissible, avant que [l’ARC] ait l’information à sa disposition ».

3. Que les fonctionnaires du RPC n’ont pas tenu compte du fait que M. Torrance avait déclaré des gains de travail indépendant en 1997 et en 1998 dans sa demande de prestations du RPC.

4. Que les dispositions de la Loi sur le RPC traitant des « demandeurs tardifs » avaient été incorrectement appliquées dans le cadre du processus de décision visant la demande de prestations du RPC de M. Torrance.

[40]  En ce qui concerne la première allégation, la déléguée du ministre a conclu, à juste titre, que les bonnes dispositions législatives avaient été appliquées pour déterminer la PMA de M. Torrance. La Loi sur le RPC fixe le nombre minimum d’années civiles pendant lesquelles une personne doit avoir versé des cotisations valides pour être admissible à une pension d’invalidité. Cette exigence ayant évolué au fil du temps, la décision d’avril 2019 précise à l’intention de M. Torrance, au moyen d’un tableau détaillé, le nombre d’années de cotisation nécessaires en fonction de l’année civile qui comprend la date du début de l’invalidité. Dans le cas de M. Torrance, cette date correspondait à août 1998, ce qui signifie que sa situation était couverte par les dispositions législatives applicables à partir du 1er janvier 1998. C’est donc à juste titre que la déléguée du ministre a tenu compte de la règle des [TRADUCTION] « quatre années sur six » issue de la loi en vigueur au 1er janvier 1998. Elle a conclu que, M. Torrance n’ayant pas cumulé les gains et les cotisations exigés, que ce soit en 1993, en 1994 ou en 1998, il ne remplissait pas les conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité du RPC, car il lui manquait une année de cotisations valides.

[41]  Dans sa décision, la déléguée du ministre dresse la liste des gains de M. Torrance et de ses cotisations valides au RPC pour chacune des années allant de 1987 à 1998. M. Torrance n’avait cumulé que trois années de cotisations valides au cours de la période de six ans prenant fin en 1998. S’il y avait eu des gains et des cotisations valides pour l’une quelconque des années 1993, 1994 ou 1998 (lors desquelles ces montants étaient nuls), il aurait rempli les critères de la règle des « quatre années sur six ».

[42]  En ce qui concerne les deuxième et troisième allégations de M. Torrance, qui se rapportent à ses gains de 1997 et 1998, la déléguée du ministre a tenu compte du principe de la chose jugée, ou de préclusion découlant de la question déjà tranchée, principe que la CSC a dégagé dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 [Danyluk]. Selon cet arrêt, trois conditions sont à remplir pour que puisse être appliquée la préclusion découlant de la question déjà tranchée : 1) la même question a été décidée; 2) la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion a un caractère définitif; 3) les parties visées par la décision judiciaire, ou leurs ayants droit, sont les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée (Danyluk, au par. 25).

[43]  En ce qui concerne l’allégation de M. Torrance voulant que ses gains de 1998 aient été écartés, au motif qu’ils ne correspondaient pas à une année admissible, avant que l’ARC ait l’information à sa disposition, la décision d’avril 2019 explique que, dans l’arrêt Torrance CAF, la CAF avait déjà confirmé la décision de novembre 2011 rendue par EDSC en vertu du paragraphe 66(4) de la Loi sur le RPC, à savoir qu’aucune erreur administrative n’avait été commise dans le traitement des gains de M. Torrance pour 1998. M. Torrance avait déjà allégué l’existence d’une erreur administrative relativement à ses gains de 1998 en novembre 2011, et la CAF a jugé qu’il n’y en avait pas. Comme je l’ai expliqué plus haut, l’année 1998 ne pouvait être prise en compte dans le décompte des années admissibles de cotisation, étant donné qu’il n’y avait pas eu de versement de cotisations au RPC relativement à cette année-là, car M. Torrance avait tardé à produire ses déclarations de revenus.

[44]  Dans sa décision, la déléguée du ministre a examiné le principe de la chose jugée et les raisons pour lesquelles un appel ou une décision judiciaire ultérieure relative à une question peuvent être refusés au motif que l’affaire a déjà été jugée. Je ne décèle aucune erreur dans la conclusion tirée à cet égard par la déléguée du ministre.

[45]  Pour ce qui est de la troisième allégation de M. Torrance, selon laquelle les fonctionnaires d’EDSC aient omis de tenir compte des gains qu’il avait tirés d’un travail indépendant en 1997 et en 1998 pour les besoins de l’évaluation de sa demande de prestations du RPC, je suis convaincu du caractère raisonnable de la conclusion tirée dans la décision d’avril 2019, selon laquelle le principe de la chose jugée s’appliquait. La même question avait déjà été tranchée dans une affaire antérieure mettant en présence les mêmes parties et ayant abouti à la décision Torrance 2008. Dans cette décision, la Cour avait jugé que l’ARC n’avait pas commis d’erreur susceptible de révision en rejetant l’avis d’opposition à la cotisation pour l’année d’imposition 2008 signifié par M. Torrance en avril 2007. Dans l’avis de cotisation reçu par M. Torrance, il était établi que M. Torrance était empêché par prescription législative de verser des cotisations au RPC sur ses gains de 1998.

[46]  Pour en venir à la dernière allégation de M. Torrance concernant les dispositions relatives aux « demandeurs tardifs », la déléguée du ministre a conclu qu’aucune erreur administrative n’avait été commise eu égard à l’inapplicabilité des dispositions à la situation de M. Torrance. La déléguée du ministre a exposé correctement l’objet des dispositions et la condition selon laquelle le demandeur devait avoir cumulé suffisamment d’années de cotisations valides au RPC, au moment d’être déclaré invalide, pour que les dispositions sur les « demandeurs tardifs » puissent s’appliquer. J’estime qu’il était raisonnable de conclure, comme l’a fait la déléguée du ministre, que, puisque M. Torrance n’était pas dans une telle situation, les dispositions relatives aux « demandeurs tardifs » ne pouvaient tout simplement pas s’appliquer dans son dossier.

[47]  Les griefs formulés par M. Torrance s’articulent essentiellement autour d’une erreur administrative qui aurait été commise relativement à l’année 1998, année dont il a été conclu qu’elle ne constituait pas une année admissible de contribution à prendre en compte dans l’établissement de sa PMA. Nul ne conteste le fait que si l’année 1998 avait été retenue, M. Torrance aurait été admissible à une pension d’invalidité du RPC. Malheureusement pour ce dernier, la CAF et la Cour avaient déjà tranché cette question de manière définitive et la déléguée du ministre n’a eu d’autre choix que de reconnaître que M. Torrance avait besoin de compter l’année 1998 au nombre de ses années de cotisation pour être admissible à une pension d’invalidité du RPC, qu’il était empêché par prescription législative de cotiser au RPC pour cette année parce qu’il avait tardé à produire sa déclaration de revenus, et qu’aucune erreur administrative n’était à l’origine du rejet de sa demande de pension d’invalidité du RPC. Je souligne qu’à l’audience, M. Torrance a souvent fait référence à ses gains pour 1997, mais qu’en réalité, l’origine de son inadmissibilité à une pension d’invalidité du RPC n’est pas l’année 1997, mais bien 1998.

[48]  Dans la décision qu’elle a rendue en 2013, la CAF a bien précisé qu’aucune erreur administrative n’avait privé M. Torrance de prestations d’invalidité. La perte des prestations s’explique par le fait que l’année 1998 n’était pas une année admissible de cotisation. Et, malheureusement, c’est la propre omission de M. Torrance de produire ses déclarations de revenus de 1997 et 1998 à temps qui explique pourquoi l’année 1998 n’a pas pu être considérée comme une année de cotisation. Autrement dit, aucune erreur attribuable aux fonctionnaires d’EDSC n’a eu pour résultat que soient refusées à M. Torrance des prestations d’invalidité auxquelles il aurait eu droit.

[49]  Essentiellement, la déléguée du ministre s’est fondée, pour rendre sa décision, sur un examen exhaustif de l’ensemble du dossier et sur l’omission de M. Torrance de produire de nouveaux éléments de preuve (malgré les nombreuses possibilités qu’il a eues de le faire) à l’appui de son allégation selon laquelle un avis erroné lui avait été donné ou des erreurs administratives avaient été commises en lien avec la demande de prestations du RPC qu’il avait présentée en 1998. Aussi malheureux que soit le refus essuyé par M. Torrance relativement à sa demande de pension d’invalidité, je suis incapable de relever quelque forme d’arbitraire ou de mauvaise foi dans la décision d’avril 2019. Le réexamen de la décision de refuser ces prestations d’invalidité à M. Torrance a abouti à une décision raisonnable et légitime qui n’a été entravée par aucun avis erroné ni aucune erreur administrative attribuables à EDSC.

[50]  Aux termes du paragraphe 66(4) de la Loi sur le RPC, le ministre doit être convaincu de l’existence d’un certain état de fait. En effet, le ministre doit d’abord se convaincre qu’aucune erreur n’est survenue. Le ministre n’a l’obligation de prendre des mesures correctives qu’une fois convaincu qu’une erreur a entraîné le refus d’une prestation à laquelle une personne aurait eu droit. L’absence de relation causale entre, d’une part, l’avis erroné ou l’erreur administrative, et de l’autre, le refus d’accorder une prestation porte un coup fatal à la demande présentée en vertu de ce paragraphe. Il n’est pas contesté que certains actes peuvent constituer des erreurs administratives, comme le fait de demander de l’information sur les cotisations versées pour des années non pertinentes ou d’envoyer une lettre de refus à la mauvaise adresse. Toutefois, lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve, mais bien à juger si le ministre a suivi les bonnes procédures et appliqué les bons facteurs (Mackeen, au par. 27; Raivitch c Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), 2006 CF 1279, au par. 18). Je suis convaincu que c’est le cas en l’espèce.

[51]  Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d’avis qu’il était raisonnable que la déléguée du ministre conclue, selon la prépondérance des probabilités, que M. Torrance n’avait pas démontré l’existence d’un avis erroné ou d’une erreur administrative attribuable à EDSC. À mon sens, la décision d’avril 2019 est bien fondée et elle est à la fois justifiable et amplement justifiée dans les motifs. La déléguée du ministre a fourni des motifs détaillés qui montrent que la décision rendue au sujet de la demande de M. Torrance était fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur le ministre et sur la question en litige (Société canadienne des postes, au par. 30; Vavilov, aux par. 105 à 107).

[52]  Suivant l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par le décideur sont le point de départ de l’analyse. En effet, ils constituent le principal outil dont disposent les décideurs administratifs pour « montrer aux parties concernées que leurs arguments ont été pris en compte et démontre[r] que la décision a été rendue de manière équitable et licite » (Vavilov, au par. 79). Dans l’affaire qui nous occupe, la décision d’avril 2019 explique les conclusions tirées par la déléguée du ministre de manière transparente et intelligible (Société canadienne des postes, aux par. 28 et 29; Vavilov, aux par. 81 et 136; Dunsmuir, au par. 48), les motifs me permettent de comprendre sur quoi elle s’est fondée pour conclure que M. Torrance ne s’est pas vu refuser une pension d’invalidité par suite d’un avis erroné donné ou d’une erreur administrative commise par EDSC.

[53]  La norme de la décision raisonnable exige que la cour de révision porte une « attention respectueuse à l’expertise établie du décideur » et à ses connaissances spécialisées, telles qu’elles ressortent de ses motifs (Vavilov, au par. 93). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au par. 13). Cette norme a pour point de départ la retenue judiciaire. La cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur, car la norme de la décision raisonnable « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au par. 33; Dunsmuir, aux par. 48 et 49). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit s’inscrit parfaitement dans le domaine d’expertise d’un décideur, le rôle de la cour de révision n’est pas d’imposer l’approche de son choix (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au par. 57). Naturellement, la cour de révision doit s’assurer que la décision à l’examen est justifiée par rapport aux faits qui sont pertinents, mais la déférence qui est due aux décideurs signifie plus précisément de s’en remettre à leurs conclusions de fait et à leur appréciation de la preuve. Ainsi, une cour de révision devrait éviter « de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Société canadienne des postes, au par. 61; Vavilov, au par. 125).

[54]  La déléguée du ministre dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de rendre des décisions sous le régime de la Loi sur le RPC et, compte tenu de son expertise particulière, ses décisions appellent un degré élevé de déférence de la part de la Cour. En l’espèce, la déléguée du ministre a procédé à un examen approfondi de la preuve soumise aux fonctionnaires du RPC, dont l’ensemble des observations présentées par M. Torrance; or, ce dernier ne m’a pas convaincu que la déléguée du ministre n’a pas fondé ses conclusions sur la preuve dont elle disposait effectivement (Vavilov, au par. 126). Il ne s’agit pas d’une situation où le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Au contraire, j’ai la conviction que la déléguée du ministre a traité valablement des questions importantes et des arguments centraux soulevés par M. Torrance relativement à sa demande de prestations du RPC, et qu’elle s’est montrée attentive et sensible à la preuve dont elle disposait. Lors du contrôle, la cour de révision doit éviter de se lancer dans une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »; elle doit plutôt aborder les motifs et le résultat de la décision du tribunal comme un « tout » (Vavilov, au par. 102; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 53; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Irving Pulp & Paper, Ltd., 2013 CSC 34, au par. 54). Il ressort clairement des motifs, si on les considère dans leur ensemble, que la déléguée du ministre s’est livrée à une appréciation approfondie et détaillée de la preuve avant de conclure à l’absence d’avis erroné ou d’erreur administrative dans le traitement de la demande de prestations du RPC de M. Torrance. Par conséquent, rien ne justifie que la Cour intervienne.

[55]  À l’audience, M. Torrance a insisté sur le fait que la décision d’avril 2019 passait sous silence certains éléments de la lettre qu’il avait écrite en date du 9 août 2018. Il a également affirmé que la déléguée du ministre avait réalisé sa propre évaluation au lieu de passer en revue les erreurs administratives et l’avis erroné reprochés aux fonctionnaires d’EDSC dans le traitement de sa demande de prestations du RPC. J’ai examiné la lettre d’août 2018 de M. Torrance très attentivement et je suis convaincu que la décision d’avril 2019 traite dans une mesure raisonnable de chacune des principales allégations avancées par M. Torrance dans ses observations.

[56]  Dans sa lettre d’août 2018, longue de dix pages, M. Torrance a avancé qu’un avis erroné et des erreurs administratives étaient survenus, alléguant : 1) que les mauvaises dispositions législatives avaient été appliquées et qu’il aurait plutôt fallu recourir à celles en vigueur en 1998, au moment où il avait subi ses lésions (à savoir, la règle des quatre années sur six) pour déterminer ses années admissibles de cotisation; 2) que l’année 1998, pour laquelle il avait déclaré des gains de travail indépendant à l’ARC et versé au RPC les cotisations exigées, n’avait pas été prise en compte; 3) que les mauvaises dispositions législatives (c’est-à-dire, une PMA prenant fin en décembre 1997) avaient été appliquées, et qu’il aurait plutôt fallu appliquer celles entrées en vigueur en 1998; 4) que ses gains et cotisations pour les années 1997 et 1998 n’avaient pas été pris en compte.

[57]  Contrairement à ce qu’affirme M. Torrance dans ses observations, la décision d’avril 2019 confirme que ce dernier n’était pas admissible à une pension d’invalidité du RPC à l’issue d’un examen et de l’analyse de chacune de ces quatre allégations. Pour ce qui est des première et troisième allégations, la déléguée du ministre a expressément conclu que les bonnes dispositions législatives avaient été appliquées pour les besoins de la demande de pension d’invalidité du RPC de M. Torrance. Quant à la deuxième et à la quatrième allégation, la déléguée du ministre a jugé que les deux questions avaient déjà été tranchées de manière définitive par la Cour et la CAF, dans la décision Torrance 2008 et l’arrêt Torrance CAF.

[58]  Il est bien établi que le décideur est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée, à moins que l’on démontre le contraire (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au par. 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au par. 1). Le fait de ne pas mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16), et le décideur n’est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve qui sous-tend ses conclusions. C’est uniquement lorsqu’un décideur administratif passe sous silence des éléments de preuve qui viennent directement contredire ses conclusions de fait que la Cour peut intervenir et en déduire qu’il a omis de tenir compte d’éléments de preuve contradictoires en prenant sa décision (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux par. 9 et 10; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (QL), 157 FTR 35 [Cepeda-Gutierrez], au par. 17). Le défaut de tenir compte de certains éléments de preuve bien précis doit être examiné au regard du contexte, et ce défaut pourra suffire à entraîner l’annulation d’une décision uniquement lorsque les éléments de preuve non mentionnés sont essentiels et contredisent la conclusion du décideur et que, de l’avis de la cour de révision, l’omission signifie que ce dernier n’a pas tenu compte de ce qui lui a été présenté. Ce n’est pas le cas en l’espèce, et M. Torrance n’a pas attiré l’attention de la Cour sur quelque élément de preuve qui puisse correspondre à ce cas d’exception.

[59]  Dans les observations qu’il a présentées de vive voix, M. Torrance a aussi critiqué la décision d’avril 2019 : ainsi, il a déclaré qu’au lieu de traiter de ses allégations d’avis erroné et d’erreurs administratives, la déléguée du ministre s’était concentrée sur les erreurs que lui-même avait commises. Je ne suis pas de cet avis. Le fait que la décision traite des manquements de M. Torrance ne justifie pas l’intervention de la Cour. Dans le cadre de l’instance visée par l’arrêt Torrance CAF, M. Torrance avait présenté ce même argument à la CAF, à savoir que la lettre de décision qu’il contestait à l’époque ne traitait pas des erreurs administratives alléguées et qu’elle s’attardait plutôt sur les manquements de l’intéressé. Or, la CAF a expliqué que les fonctionnaires sont autorisés à mentionner les manquements d’un demandeur lorsqu’ils se livrent à l’examen prévu au paragraphe 66(4) du RPC (Torrance CAF, au par. 23) :

[23] L’avocat de M. Torrance a critiqué cette lettre en soulignant qu’il n’y était pas question des erreurs administratives reprochées et qu’elle se concentrait plutôt sur les manquements de M. Torrance. Il a observé, à juste titre, que le paragraphe 66(4) exige que l’on examine le comportement des fonctionnaires et non celui de M. Torrance. Cela dit, le paragraphe 66(4) exige également que l’erreur administrative se soit traduite par le refus de verser à l’intéressé des prestations auxquelles il aurait autrement eu droit. Il n’est donc pas inapproprié que les fonctionnaires mentionnent la raison pour laquelle le prestataire n’avait pas droit à des prestations pour démontrer que les erreurs administratives, s’il en est, n’étaient pas à l’origine de la non‑admissibilité de M. Torrance à des prestations.

[60]  Enfin, j’aimerais souligner que les « nouveaux faits » allégués par M. Torrance dans sa lettre d’août 2018 existaient déjà avant que la CAF rende sa décision dans Torrance CAF. Dans sa lettre, M. Torrance allègue notamment qu’il existait de nouveaux faits se rapportant à l’année 1997, et que ces faits étaient importants, parce que l’année 1997 était appelée à devenir une année admissible de cotisation, ce qui aurait pour effet de modifier le sort réservé à sa demande de prestations du RPC. Il précise que sur un document officiel du RPC intitulé « Votre état de compte du cotisant » était inscrite la somme de 3527 $ pour 1997, ce qui, selon lui, constituait un fait nouveau et important : que l’année 1997 devienne ainsi une année admissible de cotisation modifiait en effet le cours de sa demande de prestations du RPC. Toutefois, contrairement à ce qu’affirme M. Torrance, les nouveaux faits liés aux années 1997 et 1998 existaient déjà avant que la CAF ne rende l’arrêt Torrance CAF. Dans les faits, la CAF a reconnu que les déclarations de revenus produites par M. Torrance pour les années 1997 et 1998 le rendaient, en principe, admissible à une pension d’invalidité, étant donné que ses gains cotisables étaient suffisants lors de ces années. En revanche, de l’avis de la CAF, l’ARC avait correctement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 30(5) du RPC afin de conclure que les cotisations de M. Torrance pour 1997 et 1998 étaient réputées nulles (Torrance CAF, au par. 17). La CAF était donc bien consciente du fait que M. Torrance « avait accumulé suffisamment de gains cotisables en 1997 et 1998 pour être admissible à une pension d’invalidité » (Torrance CAF, au par. 17).

IV.  Conclusion

[61]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de M. Torrance est rejetée. La cour siégeant en révision d’une décision doit être convaincue que la lacune ou la déficience invoquée par la partie contestant cette décision est suffisamment capitale ou grave pour rendre cette décision déraisonnable (Vavilov, aux par. 96, 97 et 100). Ces lacunes fondamentales peuvent prendre la forme d’un manque de logique interne du raisonnement ou d’une décision indéfendable sous certains rapports au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. En l’espèce, je ne suis pas convaincu que la présente affaire est une situation où le processus logique par lequel les faits ont été déduits de la preuve était vicié, où la déléguée du ministre s’est fondamentalement méprise sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte, ou encore, une situation où elle a tiré une conclusion qui allait à l’encontre de l’essentiel de la preuve (Vavilov, au par. 126; Dunsmuir, au par. 47). La déléguée du ministre connaissait l’ensemble des faits et elle a tenu compte de tous les éléments de preuve pertinents.

[62]  Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au par. 85). Je suis convaincu que c’est le cas en l’espèce, et M. Torrance n’a pas réussi à me convaincre que la décision d’avril 2019 souffre de lacunes graves au point qu’il soit permis d’affirmer que cette décision ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Lorsque la Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire comme celle dont il est question ici, son rôle consiste à contrôler la légalité de la décision en cause et à trancher la question de savoir si cette décision est raisonnable et a été rendue à l’issue d’une procédure équitable. La décision d’avril 2019 possède les attributs d’une décision raisonnable, et je n’y ai relevé aucune lacune grave m’incitant à douter du résultat auquel est arrivée la déléguée du ministre.

[63]  Compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire et des parties et à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, aucuns dépens ne seront accordés.


JUGEMENT dans le dossier T‑821‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de juillet 2020

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑821‑19

 

INTITULÉ :

RODNEY GENE TORRANCE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2020

 

COMPARUTIONS :

Rodney Gene Torrance

le DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

John Unrau

Pour Le DÉFENDeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EN BLANC

EN BLANC

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour Le DÉFENDeur

 

 

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