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Date : 20000302


T-1245-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi de l"impôt sur le revenu

E n t r e :


     SAM GOLDMAKER

     demandeur

     - et -

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     défendeur



LE JUGE HENEGHAN


[1]      Le demandeur, M. Goldmaker, sollicite le contrôle judiciaire d"une décision en date du 20 mai 1998 par laquelle M. H.C. Beaulac, directeur du Centre des services fiscaux d"Ottawa, a refusé la demande présentée par M. Goldmaker en vue d"obtenir du ministre qu"il renonce aux intérêts accumulés sur son impôt sur le revenu.

[2]      Par lettre datée du 2 mars 1998, le demandeur a écrit à Revenu Canada pour demander un réexamen des frais d"intérêt figurant sur son compte d"impôt sur le revenu et se chiffrant, au 22 janvier 1998, à un solde de 12 831,84 $. Le demandeur affirmait que cette somme représentait uniquement les intérêts accumulés sur sa dette fiscale et il demandait qu"elle soit réexaminée sous le régime des dispositions d"équité de la Loi de l"impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), (5e suppl.), ch. 1, modifiée, au motif qu"il était incapable de payer la somme réclamée.

[3]      Par suite de cette lettre, M. Goldmaker a reçu un appel téléphonique de fonctionnaires de Revenu Canada avec qui il a discuté de sa situation financière. Il a par la suite été décidé que M. Goldmaker passerait aux bureaux de Revenu Canada pour prendre des formulaires de déclaration de produits et de charges et de l"état de l"actif et du passif qu"il remplirait lui-même. M. Goldmaker s"est présenté aux bureaux de Revenu Canada le 20 mars 1998 où il a pris les formulaires qu"il a remplis et retournés le 25 mars 1998.

[4]      Une " fiche d"équité " a été rédigée pour le compte du ministre le 25 mars 1998. On y recommandait au ministre de ne pas renoncer aux intérêts calculés sur l"impôt à payer par M. Goldmaker. Le document a été approuvé le 26 mars 1998 avec la recommandation qu"il contenait. Par lettre en date du 27 mars 1998, M. Goldmaker a été informé que sa demande de renonciation aux intérêts fondée sur les dispositions d"indulgence des dispositions d"" équité " de la Loi était refusée.

[5]      À la suite d"une autre conversation téléphonique entre M. Goldmaker et un représentant de Revenu Canada, M. Goldmaker a écrit à Revenu Canada le 14 avril 1998 pour demander le réexamen de sa situation fiscale.

[6]      Une rencontre a eu lieu le 23 avril 1998 entre MM. Goldmaker et J.P. Henley et Mme Lynn McConnery de Revenu Canada pour réexaminer la situation. Voici le texte du dernier paragraphe de la note de service pertinente :

     [TRADUCTION]

     Le client n"a pas fourni d"autres renseignements que ceux qu"il avait initialement communiqués pour justifier sa demande d"équité en se fondant sur ses difficultés financières.


[7]      Une seconde " fiche d"équité " a été préparée par Revenu Canada. Cette fiche, établie le 8 mai 1998 et approuvée le 14 mai 1998, recommandait elle aussi que la demande d"équité du contribuable soit refusée. La raison invoquée pour justifier cette recommandation était que [TRADUCTION] " ses difficultés financières n"ont pas été démontrées ".

[8]      La décision du ministre a été communiquée au demandeur par lettre en date du 20 mai 1998. Le 18 juin 1998, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]      La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la personne désignée par la loi pour représenter le ministre s"est acquittée de son obligation d"agir avec équité dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l"impôt sur le revenu en faveur du demandeur.

[10]      Le paragraphe 220(3.1) est ainsi libellé :

The Minister may at any time waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by a taxpayer or partnership and, notwithstanding subsections 152(4) to (5), such assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made as is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

Le ministre peut, à tout moment, renoncer à tout ou partie de quelque pénalité ou intérêt payable par ailleurs par un contribuable ou une société de personnes en application de la présente loi, ou l"annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

[11]      Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l"impôt sur le revenu confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de renoncer à tout ou à partie de quelque pénalité ou intérêt payable par le contribuable sur son impôt sur le revenu ou encore à l"annuler en tout ou en partie. Cette disposition d"indulgence s"applique aux années d"imposition remontant jusqu"à 1985. Des lignes directrices concernant l"annulation des intérêts et des pénalités sont publiées dans la Circulaire d"information 92-2 du 18 mars 1992. L"article 5 de ces lignes directrices énumère certains des facteurs dont le ministre tient compte pour décider s"il doit exercer ou non son pouvoir discrétionnaire. La liste n"est pas exhaustive et le paragraphe 5 commence par les mots suivants :

Il sera convenable d'annuler la totalité ou une partie des intérêts ou des pénalités, ou de renoncer à ceux-ci, si ces intérêts ou ces pénalités découlent de situations indépendantes de la volonté du contribuable ou de l'employeur.

[12]      Au paragraphe 9 sont précisés les renseignements qui doivent être présentés à l"appui d"une demande de renonciation d"intérêts. L"alinéa c) oblige le contribuable à démontrer ce qui suit :

         c)      les faits et les raisons qui tendent à montrer que les intérêts ou les pénalités établis ou à établir découlent principalement de facteurs indépendants de la volonté du contribuable.


[1]      Le demandeur invoque deux moyens au soutien de sa demande :

     1.      Le défendeur a commis une erreur de droit en n"exerçant pas le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par les dispositions législatives applicables pour rendre la décision en question.
     2.      Le défendeur a commis une erreur de droit en manquant à son devoir d"agir avec équité envers le demandeur et en ne divulguant pas au demandeur la totalité des éléments auxquels il devait répondre.

[2]      Dans ses observations orales, le demandeur a également fait valoir que les représentants de Revenu Canada ont refusé d"examiner la preuve et qu"ils ne lui ont pas accordé suffisamment de temps pour présenter tous les éléments de preuve.

[3]      L"avocate du ministre soutient que la preuve versée au dossier ne permet pas de penser que Revenu Canada n"a pas tenu compte des éléments de preuve soumis par le demandeur à l"appui de sa demande d"" équité ". L"avocate du ministre souligne que les éléments de preuve relatifs à la chronologie des événements ayant contribué aux difficultés financières du demandeur n"étaient pas pertinents, puisque le demandeur demandait au ministre de renoncer aux intérêts au motif qu"il n"était pas en mesure de les payer.

[4]      Bien que je ne sois pas disposée à aller jusqu"à dire que les circonstances factuelles qui peuvent contribuer à l"incapacité du contribuable de payer des intérêts ne sont pas pertinentes, je suis d"accord avec l"avocate du ministre pour dire que la question soumise au ministre en l"espèce était celle de savoir s"il y avait lieu de renoncer aux intérêts parce que le demandeur ne pouvait les payer.

[5]      Dans le jugement Kaiser c. Ministre du Revenu national, (1995), 95 D.T.C. 5187 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau, de notre Cour, a tenu les propos suivants au sujet de l"objet du paragraphe 220(3.1), à la page 5188 :

L'objet de cette disposition législative est de permettre à Revenu Canada, Impôt, de gérer plus équitablement le régime fiscal, en faisant la place au bon sens dans le traitement des contribuables qui, en raison de leur infortune ou de situations indépendantes de leur volonté, sont incapables de respecter des délais ou de se conformer aux règles propres au régime fiscal. Le libellé de l'article confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire de renoncer aux intérêts en tout temps. Pour le guider dans l'exercice de ce pouvoir, des lignes directrices ont été formulées ; elles sont exposées dans la circulaire 92-2.

[18]      Il est évident que le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l"impôt sur le revenu confère au ministre un pouvoir discrétionnaire, et non une obligation, en matière d"annulation de frais d"intérêts. La question à se poser est donc celle de savoir si le ministre " ou, en l"occurrence, son représentant désigné par la loi " a bien exercé ce pouvoir discrétionnaire.

[19]      Le fait que le contribuable n"est pas d"accord avec la décision du ministre n"entraîne pas nécessairement l"annulation de la décision de ce dernier.

[20]      Le contrôle judiciaire d"une décision ministérielle prise en vertu d"un pouvoir discrétionnaire porte exclusivement sur la question de savoir si le ministre a bien exercé son pouvoir discrétionnaire, s"il a tenu des facteurs pertinents et s"il n"a pas tenu compte de facteurs étrangers. La norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires prises en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l"impôt sur le revenu a été examinée par le juge Rouleau dans l"affaire Kaiser c. Ministre du Revenu national , précité :

La jurisprudence a établi une norme que sont tenus d'appliquer les tribunaux lorsqu'ils doivent contrôler l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire comme celui dont il est question en l'espèce. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. p. 2, (1982), (1982) 137 D.L.R. (3d) 558 (C.S.C.), le juge McIntyre a dit aux pages 7 et 8 :
     En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l'espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. À mon avis, lorsqu'elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[21]      Il m"est impossible de conclure, vu les faits de l"espèce, que le ministre a mal exercé son pouvoir discrétionnaire dans le cas qui nous occupe. L"argument du demandeur qu"on ne lui a pas donné l"occasion de faire valoir son point de vue n"est pas appuyé par la preuve. Au contraire, il ressort du dossier que le demandeur a eu amplement l"occasion de présenter des éléments de preuve au sujet de sa situation financière actuelle, notamment en ce qui concerne son revenu, ses dépenses, son actif et son passif. Le demandeur a eu l"occasion de formuler des observations sur les raisons pour lesquelles le ministre devait renoncer aux intérêts et il a soutenu tant devant le ministre que devant notre Cour qu"il n"avait pas l"argent nécessaire pour payer les intérêts réclamés. Pour expliquer son incapacité à payer, M.Goldmaker a parlé des difficultés et problèmes professionnels qu"il avait eus par le passé pour recouvrer ses créances. Ces faits sont relatés dans l"affidavit qui a été versé au dossier du demandeur.

[22]      Il ressort à l"évidence des deux lettres provenant de Revenu Canada que, par l"intermédiaire de ses employés autorisés, le ministre a attentivement examiné tous les éléments de preuve que le demandeur lui avait présentés. Le ministre a conclu, compte tenu des renseignements relatifs au revenu et aux dépenses, et à l"actif et au passif du demandeur que ce dernier était capable de régler les intérêts en souffrance.

[23]      Dans ses observations, le demandeur a affirmé qu"il avait sous-estimé ses dépenses. Je constate que, dans le cadre d"une instance en contrôle judiciaire, il n"est pas loisible au demandeur de témoigner sans avoir prêté serment. En tout état de cause, les observations formulées par le demandeur en l"espèce ne changent en rien mon opinion que le ministre a tenu compte des éléments pertinents, à savoir les renseignements présentés par le demandeur dans la demande qu"il avait initialement présentée au ministre pour obtenir du ministre qu"il renonce aux intérêts en souffrance. À mon avis, le ministre disposait de suffisamment d"éléments d"information pour justifier la conclusion à laquelle il en est venu.

[24]      Je cite de nouveau la décision du juge Rouleau dans l"affaire Kaiser c. Ministre du Revenu national , précitée, dans laquelle il déclare ce qui suit :

Si le ministre n"a pas fait preuve de mauvaise foi, n"a pas manqué aux principes de justice naturelle ou n"a pas tenu compte de facteurs étrangers ou non pertinents, il n"y a rien qui justifie l"intervention de la Cour dans l"exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

[25]      Les mêmes considérations s"appliquent en l"espèce. Il n"y a rien dans le présent dossier qui permette de prétendre que le ministre a manqué aux principes de justice naturelle auxquels il était tenu envers le demandeur. Il n"y a rien au dossier qui démontre que le ministre a tenu compte de facteurs étrangers ou non pertinents dans le cas qui nous occupe.


[26]      Par ces motifs, la demande est rejetée.


                 " E. Heneghan "

                                     J.C.F.C.





Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1245-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SAM GOLDMAKER c. MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L"AUDIENCE :          OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :          LE LUNDI 31 JANVIER 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcé par Mme le juge Heneghan

                     en date du vendredi 3 mars 2000



ONT COMPARU :

M. S. Goldmaker                      POUR SON PROPRE COMPTE

Me Wendy Burnham                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Goldmaker                      POUR SON PROPRE COMPTE

Nepean (Ontario)

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)

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