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Date : 20051207

Dossier : IMM-2719-05

Référence : 2005 CF 1663

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE EN CHEF LUTFY                         

ENTRE :

                                                   Kanagasingam RAJARATNAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un Canadien et Tamoul hindou originaire du Sri Lanka. Sa demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration (SAI) a rejeté son appel d'une décision négative concernant l'authenticité de son mariage avec une sri lankaise dont il souhaitait parrainer la demande de résidence permanente au Canada. La validité légale du mariage n'est pas en cause.

[2]                Le demandeur était représenté devant la Section d'appel de l'immigration par une avocate autre que celle qui représente ses intérêts devant la Cour en l'espèce.

[3]                L'argument principal dans la demande de contrôle judiciaire consiste en ce que le commissaire de la Section d'appel de l'immigration a commis au moins deux manquements aux principes de justice naturelle et d'équité procédurale : a) il a perturbé la présentation ordonnée de l'appel du demandeur; b) il a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité sans offrir au demandeur l'occasion d'expliquer certaines contradictions.

[4]                Quant au premier point, le demandeur ne soulève aucune partialité ni crainte de partialité de la part du commissaire de la SAI. Le demandeur soutient plutôt qu'une proposition du commissaire a eu pour effet de perturber indûment l'audience, de telle sorte qu'il n'a pas bénéficié de l'équité procédurale.

[5]                Vers la fin de la première journée de l'audience, qui a duré deux jours, il est apparu que la portion religieuse du mariage n'avait pas encore été célébrée et que le mariage n'avait pas été consommé. Seul le demandeur avait témoigné durant la première séance; son épouse devait témoigner par téléconférence à une autre occasion.


[6]                C'est dans ce contexte que le commissaire, avant d'ajourner l'audience, a proposé au demandeur de réfléchir à la possibilité de retirer son appel, compte tenu de la preuve entendue jusqu'alors et sans présumer la teneur des témoignages à venir. Il est utile de reproduire au complet l'intervention du commissaire :

[Traduction]

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : [...] Ne conviendriez-vous pas que jusqu'à ce que la cérémonie du tali soit célébrée - et je ne parle pas ici de la validité légale du mariage ...

[L'AVOCATE] : Oui, oui.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : - ils ne vivent pas une relation authentique en ce sens qu'il a déjà été établi et que - autrement dit, seriez-vous d'avis qu'il existe à tout le moins une intention authentique, mais qu'au-delà de cette intention, nous n'avons aucun élément?

[L'AVOCATE] : Je sais --

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : C'est la raison d'être de ma proposition. Je vous laisse entrevoir la possibilité --

[L'AVOCATE] : Oui.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : -- plutôt que -- et je ne présume pas la teneur des témoignages à venir ni les questions qui pourraient être posées --

[L'AVOCATE] : Mm-hmm.

LE PRÉSIDENT D'AUDIENCE : -- Je vous laisse entrevoir la possibilité suivante. S'il est exact qu'ils n'ont pas vécu comme mari et femme et qu'ils n'entretiennent pas une relation conjugale, seriez-vous encline, après en avoir reçu instructions, à retirer cet appel - et [maître], quelle serait votre position quant à un éventuel retrait? L'avantage pour l'appelant, bien sûr, est que s'il retire son appel, il n'y aura pas chose jugée quant à l'appréciation du mariage et à l'authenticité de la relation telle qu'elle est définie dans le Règlement - si l'appel est rejeté et s'il est décidé que le demandeur ne répond pas aux critères de l'article 4 du Règlement, vous devrez surmonter une décision négative si son intention est bien de vivre en permanence avec son épouse. En supposant qu'il retourne, que le tali soit célébré, qu'il vive avec son épouse et qu'il décide ensuite de reprendre la procédure, il se peut qu'il doive alors surmonter une décision négative.

Par ailleurs, si l'appelant choisissait de retirer son appel et de finaliser la célébration du mariage de façon à ce qu'il y ait une relation conjugale, il n'aurait pas à surmonter une décision négative. D'un autre côté, si vous êtes d'avis que le caractère conjugal de la relation est déjà établi du seul fait qu'ils se sont tenu la main, embrassés, etc., et si vous estimez que le caractère conjugal est une composante essentielle d'un mariage authentique, vous pouvez poursuivre l'appel. Comprenez-vous mon propos?


[7]                La transcription laisse voir que l'avocate du demandeur a été surprise d'entendre que le fondement de l'appel était peut-être beaucoup moins solide qu'elle pouvait l'avoir cru. Après une courte pause, elle s'est vu attribuer trois journées additionnelles pour réfléchir à la question. Finalement, le demandeur a décidé de poursuivre son appel et de ne pas accepter la proposition du commissaire.

[8]                La deuxième journée d'audience a été fixée pour deux mois plus tard. L'avocate du demandeur devant la SAI n'a mis en cause le caractère approprié de l'intervention du commissaire à aucun moment durant les deux mois d'ajournement ni à la reprise de l'audience.

[9]                Je ne suis pas convaincu que l'intervention du commissaire a indûment perturbé la présentation de l'appel du demandeur. Aucun indice dans la transcription ne laisse entrevoir que l'avocate du demandeur à la SAI ait été de cet avis. Selon mon examen du dossier, la proposition du président de l'audience n'a été perçue comme une mesure de pression indue ni par le demandeur ni par son avocate à la SAI. La période de deux mois qui s'est écoulée entre les deux séances de l'audience était suffisante pour remédier à toute distraction ou surprise que l'intervention du commissaire avait pu causer. Le fait que le commissaire n'a pas attendu que la proposition concernant le retrait de l'appel soit faite par l'avocat du ministre ne constitue pas, dans les circonstances de l'espèce, une erreur donnant lieu à révision.

[10]            J'ai aussi étudié la transcription en gardant à l'esprit l'argument du demandeur selon lequel les interruptions du président de l'audience ont porté atteinte à la tenue d'une audience équitable. Je n'ai pu arriver à une telle conclusion. Il n'était pas inapproprié de la part du président d'audience de demander qu'on formule des réponses directes. La tendance occasionnelle du commissaire à poser des questions additionnelles au témoin avant la fin de l'interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire n'a pas été suffisamment répétitive ni suffisamment marquée pour faire obstacle à la tenue d'une audience équitable. L'avocate du demandeur à la SAI n'a formulé aucune plainte à cet égard. Même si le silence de l'avocate sur cette question n'empêche pas nécessairement d'affirmer que l'audience n'a pas été équitable, il est signe néanmoins, à mon avis, que la présentation de l'appel du demandeur n'a pas été indûment perturbée.


[11]            Les interventions du président de l'audience sont loin de répondre au critère de l' « intervention flagrante » établi dans l'arrêt Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 14 (C.A.), et dans la décision Reginald c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 523, 2002 CFPI 568. Ses interventions, que l'on pourrait plutôt qualifier d' « énergiques » , n'ont entraîné, dans le contexte global de l'audience, aucun manquement aux principes de justice naturelle à l'égard du demandeur : voir Mahmoud c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 1308, aux paragraphes 10 et 11; Mihajlovics c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 215, au paragraphe 28; Chamo c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CF 1219, aux paragraphes 12 et 13.

[12]            Comme second argument, le demandeur invoque qu'il n'a pas été invité à expliquer les contradictions qui fondent la conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[13]            Durant la deuxième journée d'audience, l'épouse du demandeur a été interrogée par téléconférence après la fin du témoignage du demandeur. Dans l'affidavit qu'il a souscrit pour la présente instance, le demandeur a reconnu qu'il existe des contradictions importantes entre son témoignage et celui de son épouse à propos de l'époque et du lieu où leur mariage a été consommé. Il attribue les contradictions dans ses propres réponses, qui ont précédé celles de son épouse, à la façon dont les questions ont été posées.

[14]            Tout de suite après la fin des témoignages et durant les exposés oraux, l'avocate du demandeur à la SAI a demandé au tribunal de donner au demandeur une autre occasion de clarifier les faits au dossier. Cette demande a été présentée après que le demandeur eut entendu le témoignage de son épouse. La demande a été refusée. Je suis d'avis qu'il était loisible au commissaire de la SAI de prendre cette décision, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré quant à la conduite de l'audience. L'authenticité du mariage et la crédibilité des témoins ont été des questions litigieuses durant toute l'audience.


[15]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. J'estime, comme les parties, que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale justifiant qu'une question soit certifiée.

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Allan Lutfy »            

              _                                                       

JUGE EN CHEF

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-2719-05

INTITULÉ :               Kanagasingham RAJARATNAM c. LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 10 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE EN CHEF LUTFY

DATE DES MOTIFS :                                   Le 7 décembre 2005    

COMPARUTIONS :

Nicole Hainer               POUR LE DEMANDEUR       

Caroline Christiaens     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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