Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200514


Dossier : T-1353-19

Référence : 2020 CF 618

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

NATCO PHARMA (CANADA) INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et GILEAD SCIENCES CANADA INC.

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  L’audience concernant la demande de contrôle judiciaire était prévue le 12 mai 2020. Les documents avaient tous été déposés. Les avocats se préparaient à plaider la question de fond le jour fixé. La Cour se préparait également à instruire l’affaire de la manière habituelle. Puis, une pandémie s’est déclarée.

[2]  Comme tout le monde dans le pays, y compris les institutions publiques et privées, la Cour a dû s’adapter aux règles mises en place par les autorités de santé publique pour protéger la sécurité publique et prévenir la propagation rapide de l’infection par la COVID-19. Elle a notamment dû ajourner des audiences prévues antérieurement, car les mesures de santé publique ne permettaient pas de continuer à tenir des audiences en personne. Les mesures adoptées par la Cour sont énoncées dans trois directives sur la procédure et ordonnances, datées du 17 mars, du 4 avril et du 29 avril 2020.

[3]  Dans la dernière directive sur la procédure et ordonnance, la Cour a poursuivi l’ajournement général de toutes les affaires préalablement fixées (décrit comme une période de suspension), sous réserve de plusieurs exceptions. La troisième exception prévoit ce qui suit :

Exception 3 : À la demande d’une partie : la Cour s’efforce de répondre à toute demande d’audience par téléphone ou vidéoconférence pendant la période de suspension. Ces demandes seront évaluées au cas par cas et soumises aux exigences énoncées dans l’ordonnance ci-jointe.

[4]  Aux termes de cette exception, la demanderesse, Natco Pharma (Canada) Inc. a demandé que sa demande de contrôle judiciaire soit traitée dans le cadre d’une audience par vidéoconférence pendant la semaine du 8 juin 2020. Le défendeur, le procureur général du Canada (le ministre défendeur), ne s’oppose pas à cette demande, mais a plusieurs questions sur la manière dont une telle audience devrait se dérouler. La partie défenderesse, Gilead Sciences Canada Inc. (la défenderesse Gilead), s’oppose à la demande, et prétend que ses demandes faisant valoir des droits importants ne devraient pas être tranchées autrement que lors d’une audience en personne, et que l’affaire n’est pas urgente à tel point qu’un retard de quelques mois porterait préjudice à l’une des parties.

[5]  J’ai entendu les observations des parties à propos de la présente demande le 8 mai 2020, par conférence téléphonique. Au cours de la procédure, il est apparu clairement que la réticence à procéder par vidéoconférence était en partie liée au manque de clarté quant à la manière dont ces audiences se dérouleraient devant la Cour. J’ai fourni de plus amples détails aux parties, et leur ai donné l’occasion de consulter leurs clients et de présenter d’autres observations en fonction de ces renseignements complémentaires. En fin de compte, aucune partie n’a présenté d’autres observations.

[6]  Voici les raisons pour lesquelles j’ai accepté d’accueillir la demande de la demanderesse de procéder par vidéoconférence, à une date en juin qui sera fixée par l’administrateur judiciaire après la consultation habituelle des parties.

II.  Contexte

[7]  La présente cause concerne une tentative d’un fabricant de médicaments génériques (la demanderesse) de mettre en marché son médicament d’après une comparaison avec une autre drogue, développée et commercialisée par une société pharmaceutique « fabricante du médicament de marque » ou « innovatrice » (la défenderesse Gilead). Le ministre défendeur a refusé d’accepter les présentations de la demanderesse visant à faire approuver son produit, parce qu’il a interprété la réglementation pertinente comme interdisant une telle demande pour le moment.

[8]  Les parties conviennent que l’affaire repose sur la question de savoir si l’interprétation de la disposition par le ministre peut être maintenue conformément à la norme juridique appropriée applicable au contrôle judiciaire, une question qui n’a pas à être tranchée aujourd’hui. La seule question en litige qui se pose est celle de savoir si la présente cause doit se dérouler par vidéoconférence ou si l’audience doit être reportée jusqu’à ce qu’elle puisse être entendue en personne.

[9]  Un résumé de la demande sous-jacente aidera à comprendre le contexte de la demande visant à procéder par vidéoconférence.

[10]  Le 21 août 2019, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire concernant la décision du Bureau des présentations et de la propriété intellectuelle de Santé Canada de refuser d’accepter sa présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) pour un avis de conformité (AC) relativement à un médicament générique qu’elle voulait mettre en marché. La PADN visait à comparer le produit générique de la demanderesse avec un médicament commercialisé par la défenderesse Gilead, sous la marque DESCOVY.

[11]  Le ministre défendeur a refusé d’accepter la PADN de la demanderesse en raison de l’alinéa C.08.004.1(3)a) du Règlement sur les aliments et drogues, CRC c 870 (le Règlement), qui prévoit une période de protection des données de six années de « non-dépôt » lorsqu’un fabricant demande un avis de conformité pour une nouvelle drogue fondée sur une comparaison avec une drogue innovante qui a été précédemment approuvée.

[12]  La PADN de la demanderesse établissait une comparaison entre son produit et celui de la défenderesse. La demanderesse allègue que le ministre défendeur a conclu que ce médicament n’est pas une « drogue innovante » et qu’elle ne peut bénéficier d’une durée de protection des données distincte. Le ministre a toutefois également conclu que DESCOVY était en droit de bénéficier de la même période de protection des données que GENVOYA, un autre médicament commercialisé par la défenderesse Gilead. Il semble que les produits pharmaceutiques de la défenderesse comprennent au moins un ingrédient similaire, et le ministre a estimé qu’il était conforme à l’intention du Règlement de fournir la même période de protection des données pour les deux produits.

[13]  Dans la demande de contrôle judiciaire, la demanderesse fait valoir qu’elle n’a fait aucune comparaison avec une « drogue innovante » parce que le produit DESCOVY commercialisé par la défenderesse Gilead n’était pas le produit qui avait bénéficié de la protection des données aux termes du régime réglementaire. Elle déclare qu’elle n’a pas cherché à comparer son produit avec le produit GENVOYA qui avait bénéficié de la protection des données. La demanderesse fait valoir que le ministre défendeur a commis une erreur dans son interprétation du Règlement.

[14]  Le ministre défendeur défend son interprétation et indique qu’il a l’intention de prendre part activement à la présente instance, puisque c’est la décision du ministre qui fait l’objet du contrôle. La défenderesse Gilead cherche à défendre ses intérêts, y compris son intérêt dans la période d’exclusivité commerciale prévue par la règle du délai de six ans de « non-dépôt » énoncée dans le Règlement.

[15]  Aux fins de la présente décision, il n’est ni nécessaire ni approprié d’en dire plus sur la nature ou le bien-fondé des questions en litige.

[16]  Le 18 février 2020, la Cour a fixé l’audience de la présente affaire au 12 mai 2020, à Toronto, pour une durée de trois heures. Lorsque la pandémie a éclaté, l’audience a été ajournée conformément à la période de suspension imposée par les directives sur la procédure et ordonnances de la Cour. Le 1er mai 2020, la demanderesse a écrit à la Cour, conformément aux directives sur la procédure et ordonnances du 29 avril 2020, sollicitant une audience par vidéoconférence. Les défendeurs ont fait connaître leur position sur cette question, et leur différend a été entendu par voie de conférence téléphonique le 8 mai 2020. Comme il est indiqué ci-dessus, les parties ont bénéficié d’une brève période après l’audience pour présenter des observations supplémentaires, mais aucune de ces observations n’a été reçue.

[17]  La seule question en litige soumise à la Cour est de savoir s’il faut faire droit à la demande de la demanderesse de procéder à l’audience par vidéoconférence.

III.  Discussion

A.  Thèse des parties

[18]  La demanderesse fait valoir que sa demande devrait être inscrite au rôle pour audition pendant la semaine du 8 juin 2020, car [traduction] « il s’agit d’une affaire idéale à instruire par vidéoconférence ». Le dossier est complet et accessible sous forme électronique. La seule preuve au dossier est un unique affidavit, et il n’y a pas eu de contre-interrogatoire à ce sujet. Les faits substantiels ne sont pas contestés. La demande a une portée limitée en ce sens qu’elle concerne uniquement la question de savoir si la protection des données accordée à une drogue innovante peut être étendue à une drogue de marque différente, ce qui constitue une question d’interprétation législative.

[19]  La demanderesse fait valoir qu’il y a une certaine urgence à ce que l’affaire soit entendue et tranchée le plus tôt possible. La protection des données pour le produit GENVOYA de la défenderesse Gilead prend fin le 27 mai 2024, et un fabricant de médicaments génériques peut déposer une présentation demandant l’approbation de son produit de comparaison à partir du 27 novembre 2021. La demanderesse fait valoir que si elle obtient gain de cause dans sa demande et que le ministre défendeur reçoit l’ordre d’accepter sa PADN aux fins de dépôt, elle aura un avantage à titre de première déposante pour pénétrer le marché.

[20]  La demanderesse note que l’affaire a été inscrite au rôle pour audition le 12 mai 2020, que les dossiers étaient complets et que toutes les parties connaissaient cette date d’audition depuis plusieurs mois. Les parties ont eu amplement l’occasion de se préparer. Quant à la date de l’audience par vidéoconférence, la demanderesse a déclaré que lorsque l’affaire a été ajournée pour la première fois, les avocats ont discuté de leurs disponibilités mutuelles et, à ce moment-là, la semaine du 8 juin 2020 était libre pour tous les avocats. La demanderesse propose donc à la Cour d’inscrire l’affaire au rôle pour audition au cours de cette semaine-là.

[21]  Le ministre défendeur ne s’est pas opposé à la procédure par vidéoconférence et n’a pas pris position sur l’urgence de l’affaire. Selon le ministre défendeur, si une audience en personne était préférable, il était disposé à participer à une vidéoconférence dans la mesure où toutes les parties avaient pleinement l’occasion de faire valoir leur cause. Le ministre défendeur a souligné l’importance de l’affaire, puisque la question de l’interprétation des lois, qui est au cœur de l’affaire, aura une portée qui ne se limitera pas au litige précis entre les parties. Il a également noté que des dispositions seraient nécessaires pour permettre la consultation, pendant l’audience, de l’avocat en second, de représentants du client et éventuellement de l’avocat de l’autre défendeur dans la présente cause. Sous réserve de ces questions techniques, le ministre défendeur n’avait aucune objection à procéder par vidéoconférence.

[22]  La défenderesse Gilead s’oppose à la demande de procéder par vidéoconférence pour plusieurs raisons : elle a des droits importants en jeu dans la présente instance et devrait avoir l’occasion d’être pleinement et équitablement entendue; il n’y a pas d’urgence à entendre l’affaire en juin, car attendre quelques mois pour fixer une audience en personne permettra encore de trancher la cause de la demanderesse, bien avant la date limite du 27 novembre 2021 pour le dépôt de sa PADN; ce court délai ne porte pas préjudice à la demanderesse; et, il y a plusieurs parties en cause, ce qui rendra l’audience par vidéoconférence plus compliquée.

[23]  En ce qui concerne ses droits importants, la défenderesse Gilead fait valoir que la période d’exclusivité commerciale accordée à son produit pharmaceutique DESCOVY, conformément aux dispositions du Règlement relatives à la protection des données, a une valeur commerciale importante, et qu’elle devrait avoir la possibilité de défendre pleinement et équitablement ses intérêts dans le cadre d’une audience publique.

[24]  En ce qui concerne le calendrier, elle fait valoir qu’il n’y a pas d’urgence qui nécessite que la présente cause soit entendue par vidéoconférence en juin 2020. La défenderesse Gilead souligne que tout fabricant cherchant à vendre une version générique du produit DESCOVY n’est pas autorisé à déposer une PADN avant au moins le 27 novembre 2021. Par conséquent, attendre quelques mois pour fixer une audience en personne permettra d’entendre et de trancher la cause de la demanderesse bien avant cette date limite.

[25]  En ce qui concerne le préjudice, la défenderesse Gilead soutient qu’il n’y a aucune preuve que la demanderesse serait lésée par un court délai. Elle ajoute qu’il n’y a aucune preuve que la demanderesse est le seul fabricant de médicaments génériques prêt à déposer une PADN relativement à ce produit pharmaceutique, et qu’il n’est par conséquent pas clair si elle jouira réellement d’un avantage à titre de première déposante. La défenderesse souligne également que la durée de protection des données du produit DESCOVY a été mise en place et publiée dans le registre des drogues innovantes depuis le 29 avril 2016, mais que la demanderesse n’a pas déposé sa PADN ou contesté la protection des données pour ce produit avant mars 2019, ce qui signifie qu’elle accuse déjà trois ans de retard. Quelques mois de plus ne lui porteront pas préjudice.

[26]  Enfin, la défenderesse souligne que de multiples parties sont engagées dans cette affaire et qu’il sera difficile de procéder par vidéoconférence, car il y a deux codéfendeurs avec des avocats et des clients distincts. Au minimum, si une audience par vidéoconférence a lieu, des dispositions seront nécessaires pour permettre aux avocats de se consulter de façon appropriée et de consulter leurs clients, et du temps supplémentaire sera nécessaire pour l’audition de l’affaire.

[27]  La défenderesse Gilead souligne qu’en l’absence de toute urgence immédiate nécessitant l’audition de la présente affaire par vidéoconférence en juin 2020, sa demande selon laquelle elle souhaite contester en personne ses droits substantiels importants devrait être prioritaire et une audience devrait être fixée de nouveau au cours des prochains mois, conformément à la dernière directive sur la procédure et ordonnance de la Cour.

B.  Analyse

[28]  Après avoir examiné les observations des parties, je suis persuadé que l’audience de la présente cause devrait se poursuivre par la vidéoconférence prévue en juin 2020. Je présente ci-après mes motifs.

[29]  Nous devons partir des principes fondamentaux. Premièrement, la Cour doit s’efforcer de garantir que toutes les parties à la présente procédure soient traitées équitablement et aient pleinement l’occasion de prendre connaissance de la preuve à réfuter, et de présenter leurs arguments à la Cour. Deuxièmement, la Cour doit respecter le principe de la publicité des débats. Ces principes, exprimés par la phrase souvent citée [traduction] « il faut qu’il y ait justice et apparence de justice » (R v Sussex Justices, [1924] 1 KB 256, [1923] All ER Rep 233), doivent guider la Cour dans la détermination de la question de savoir si l’audience doit avoir lieu en personne ou par vidéoconférence.

[30]  J’ai déterminé qu’une audience par vidéoconférence respectera ces principes fondamentaux autant qu’une audience en personne, compte tenu des circonstances particulières de la présente cause.

[31]  À cet égard, je considère qu’il est important que la présente cause comporte une question d’interprétation législative et que les faits ne sont pas réellement contestés. Aucun témoignage oral ne sera entendu. Le dossier factuel est constitué d’un seul affidavit ainsi que des documents qui ont servi de base au processus décisionnel de Santé Canada. Les parties ont chacune mis leur dossier en état, y compris les recueils de jurisprudence, et le dossier est accessible sous forme électronique. Dans la mesure où les documents contenus dans le dossier ne sont pas accessibles sous forme électronique, le demandeur s’est engagé à faire en sorte que les dossiers papier soient numérisés, signifiés et classés sous forme électronique bien avant l’audience.

[32]  Je reconnais que la défenderesse Gilead a des droits et des intérêts importants qui peuvent être touchés par la décision dans la présente cause. Elle a un intérêt commercial légitime à chercher à protéger sa période d’exclusivité commerciale. De même, la demanderesse a des intérêts importants qu’elle cherche à faire valoir, en se fondant sur sa thèse selon laquelle il n’existe aucun obstacle juridique l’empêchant de demander l’autorisation de pénétrer le marché avec son produit générique. S’il n’existe effectivement aucune protection juridique pour le produit de la défenderesse Gilead, il n’y a peut-être aucune raison de retarder l’accès des consommateurs canadiens au produit de la demanderesse. En outre, le ministre défendeur a des intérêts importants en jeu, dans la mesure où son interprétation représente sa compréhension de l’intention et de l’objectif public du régime réglementaire.

[33]  Le fait que toutes les parties aient des intérêts importants et légitimes peut expliquer pourquoi la présente cause est portée devant la Cour et fait l’objet d’une audience. Dans les circonstances de l’espèce, cependant, l’importance des intérêts respectifs des parties est un facteur neutre pour évaluer si une audience par vidéoconférence est appropriée, étant donné la nature de la procédure, les questions de droit et de fait, et l’incertitude quant au moment où une audience en personne sera possible. Les questions importantes peuvent être traitées de manière appropriée, digne et efficace dans le cadre d’une vidéoconférence ou d’une audience en personne, et en l’espèce, il ne s’agit pas d’un élément de persuasion.

[34]  S’il est vrai qu’une audience engageant plusieurs parties sera plus complexe qu’une audience engageant seulement deux parties, cela ne constitue en aucun cas un obstacle insurmontable. La Cour a récemment entendu une affaire complexe par vidéoconférence visant une longue requête urgente avec plus de trente avocats, avocats en second et représentants de clients, et l’audience a été ordonnée, digne et efficace (voir Iris Technologies Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CF 532).

[35]  La Cour a pris des mesures pour pouvoir entendre les affaires au moyen de la plateforme de vidéoconférence Zoom. Des mesures de sécurité appropriées sont en place pour assurer un contrôle adéquat de l’audience et pour prévenir toute atteinte à la sécurité. Quoi qu’il en soit, la présente cause devait être entendue en audience publique et aucune question de nature confidentielle n’a été soulevée. Le personnel de la Cour a été formé en vue d’utiliser cette technologie et des conseils détaillés seront bientôt disponibles auprès de la Cour sur la manière de se préparer et de participer à une audience en utilisant cette technologie. D’autres orientations similaires sont déjà offertes auprès d’autres sources.

[36]  Un nombre croissant d’affaires ont déjà été entendues de cette manière devant la Cour, et des audiences similaires se déroulent ailleurs au Canada et dans d’autres pays (voir, par exemple : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kljajic, 2020 CF 570, aux paragraphes 59 à 62, une affaire antérieure à la pandémie avec témoignage oral par vidéoconférence). Depuis que la pandémie s’est déclarée, un certain nombre de tribunaux ont adopté les audiences virtuelles. Voir par exemple les décisions Capic v Ford Motor Company of Australia Limited (Adjournment), [2020] FCA 486; Arconti v Smith, 2020 ONSC 2782; Ontario v Ontario Association of Midwives, 2020 CanLII 25862, et le site remotecourts.org pour obtenir des renseignements sur ces développements.

[37]  Je dois également tenir compte de la situation actuelle. Si les parties peuvent préférer une audience en personne parce que c’est ce à quoi elles sont habituées, la réalité est qu’il n’est tout simplement pas possible d’entendre la présente cause de cette manière à l’heure actuelle. Il se peut que cette situation ne change pas pendant une période inconnue à l’avenir.

[38]  La Cour a suspendu son calendrier d’audience habituel en raison des risques pour la santé publique et des mesures imposées dans tout le Canada pour faire face à ces risques. Selon la dernière directive sur la procédure et ordonnance datée du 29 avril 2020, les audiences régulières sont suspendues jusqu’au 29 mai 2020, et la Cour ne tiendra pas d’audiences régulières avant le 29 juin 2020 au plus tôt.

[39]  Dans certains endroits, certaines des restrictions de santé publique et des ordonnances d’urgence mises en place pour faire face à la pandémie ont commencé à être levées, mais toutes les autorités conviennent que la nature, la portée et le calendrier de ces mesures restent inconnus et, dans une certaine mesure, inconnaissables à l’heure actuelle. À ce jour, il n’existe tout simplement aucun fondement rationnel permettant de prévoir que l’audition en personne de la présente cause pourrait être fixée de nouveau dans quelques mois.

[40]  Je reconnais et accepte qu’il serait injuste de procéder dans une situation où une ou plusieurs parties ne peuvent pas avoir accès à leurs dossiers sur papier ou à une version électronique de ceux-ci afin de se préparer à une audience. Il peut en être de même lorsqu’une partie n’a pas accès à une connexion Internet haute vitesse fiable. De même, il ne serait pas approprié de procéder lorsqu’une ou plusieurs parties n’ont pas l’accès requis aux clients ou aux témoins. Toutefois, aucune de ces considérations ne s’applique à la présente instance.

[41]  En fait, la présente cause se prête parfaitement à une audience par vidéoconférence. Le dossier a été préparé et est accessible sous forme électronique, et tout ce qui n’est pas déjà accessible sera numérisé et fourni par la demanderesse. Les parties sont toutes représentées par des avocats expérimentés, et elles étaient prêtes à plaider l’affaire en mai. Procéder en juin ne portera préjudice à personne. Les faits ne sont pas réellement contestés, et l’affaire portera sur une question d’interprétation législative.

[42]  La Cour a pris des dispositions pour entendre les affaires par vidéoconférence en utilisant la plateforme Zoom, ce qui permettra à toutes les parties d’avoir droit à une audition complète et équitable de leurs arguments, dans le respect du principe de la publicité des débats. En outre, des dispositions seront prises pour que les avocats puissent mener les consultations appropriées et nécessaires pendant l’audience avec les avocats en second, leurs clients et l’avocat du codéfendeur. L’audience sera d’une durée appropriée, afin que les parties aient une possibilité raisonnable de présenter leur cause. Si les avocats ont des questions sur l’un de ces points, ils peuvent communiquer avec le greffe pour demander une conférence de gestion de l’instance préalable à l’audience. En outre, le juge qui présidera l’audience peut décider de convoquer une telle discussion, ou de délivrer une directive détaillée aux parties sur la manière dont l’audience se déroulera.

[43]  À ce stade, il n’est pas nécessaire ou approprié pour moi d’énoncer ces détails. En outre, bien que la demanderesse ait demandé que l’audience soit fixée à la semaine du 8 juin 2020, selon la discussion préalable qu’ont eue les avocats, la défenderesse Gilead a indiqué au cours de l’audience qu’une date à la mi-juin serait préférable. L’administrateur judiciaire consultera les avocats de la manière habituelle, afin de fixer la date et l’heure précises de l’audience.

[44]  Pour ces motifs, j’accède à la demande de la demanderesse d’entendre la présente cause par vidéoconférence en juin 2020. Les détails précis concernant les modalités de l’audience, ainsi que la date et l’heure précises, seront fixés en temps utile.

[45]  En conclusion, il convient de noter que la pandémie a amené de nombreuses institutions publiques à reconsidérer leur mode de fonctionnement. Elle a accéléré le passage de la présence physique traditionnelle à un mode de fonctionnement virtuel pour de nombreux lieux de travail et institutions, y compris le Parlement, les assemblées législatives provinciales et les tribunaux. Pour beaucoup de gens, il s’agit d’un changement dérangeant, et certains peuvent le considérer comme une solution temporaire « de second choix ». À cet égard, je voudrais simplement reprendre les mots du juge Roger Lafrenière dans la décision Rovi Guides, Inc. v Videotron Ltd., 2020 FC 596 :

[traduction]
[26]  La Cour reste ouverte à la révision de cette ordonnance si les autorités de santé publique compétentes acceptent que le risque de contracter et de propager la COVID-19 est passé ou minimisé à un degré acceptable.

[27] D’ici là, je ne peux que répéter les propos du juge Nye Perram de la Cour fédérale d’Australie dans la décision Capic v Ford Motor Company of Australia Limited (Adjournment) [2020] FCA 486, au paragraphe 25 :

[traduction]
[...] nous sommes entrés dans une période où beaucoup de ce qui nous entoure est et va continuer à être insatisfaisant. Je pense que nous devons faire de notre mieux pour que ce procès fonctionne. Si cela devient impossible, il peut être ajourné, mais nous devons au moins essayer.

[46]  La réalité est que tant que les risques liés à la pandémie ne diminueront pas et que les restrictions en matière de santé publique ne seront pas levées, il est nécessaire de s’adapter à cette nouvelle réalité. L’accès à la justice est tout simplement trop important pour attendre. Il s’agit aussi d’un « intérêt public », qui doit être considéré à la lumière des intérêts des parties au litige, des autres parties qui attendent que leur affaire soit entendue, et du grand public qui cherche également à accéder aux tribunaux.

[47]  Dans cette optique, le report d’une affaire prête à être entendue par vidéoconférence impose un coût non seulement aux parties à l’instance, mais aussi aux autres parties dont les affaires seront ainsi retardées, car l’ajournement de ces affaires se répercutera sur le calendrier. Il incombe à tous les acteurs du système juridique d’essayer d’atténuer cet impact dans la mesure du possible. Les parties immédiatement touchées, les autres parties attendant leur tour pour une audience devant la Cour, et tous les Canadiens, ne méritent pas moins.

[48]  En l’espèce, j’ai constaté que la présente affaire peut et doit se dérouler par vidéoconférence en juin 2020. Le juge qui présidera l’audience peut répondre à toute question précise sur la manière dont l’audience se déroulera. L’administrateur judiciaire consultera les parties de la manière habituelle, afin de fixer la date et le lieu précis de l’audience.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1353-19

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande de la demanderesse de faire instruire la présente cause par vidéoconférence est accueillie.

  2. L’affaire doit être inscrite au rôle pour audition en juin 2020, à une heure et une date qui seront fixées par l’administrateur judiciaire après consultation des parties.

  3. Le juge qui présidera l’audience peut répondre à toute question concernant les détails du déroulement de l’audience afin de garantir une audition complète, équitable et appropriée de l’affaire.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1353-19

INTITULÉ :

NATCO PHARMA (CANADA) INC. C LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET GILEAD SCIENCES CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

(PAR VOIE DE CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MAI 2020

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2020

COMPARUTIONS :

Lesley Caswell

Bryan Norrie

Pour la demanderesse

J. Sanderson Graham

Charles Maher

Pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Kristin Wall

Jordana Sanft

Adam Haller

Pour la défenderesse

GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour la demanderesse

Le procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour les défendeurs

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Norton Rose Fullbright S.E.N.C.R.L., s.r.l

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la défenderesse

GILEAD SCIENCES CANADA, INC.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.