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Date : 20010712

Dossier : T-27-99

Référence neutre: 2001 CFPI 789

Entre :

                                                     BERNARD ALLARD

                                                                                                                          Demandeur

                                                                   - ET -

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                            Défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX,

INTRODUCTION

[1]                Les principales questions soulevées par cette demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la cour fédérale, sont de savoir l'étendu du pouvoir de la Commission de l'emploi et de l'immigration (la « Commission » ) de défalcation d'un trop-payé de prestations d'assurance emploi, pouvoir qui lui est conféré à l'article 60 du Règlement sur l'assurance emploi (le « Règlement » ) et son application aux circonstances du demandeur, Bernard Allard.


FAITS

[2]                Bernard Allard (le « demandeur » ) est président et conseiller de Paysage Gaspésie Inc. ( « Paysage Gaspésie » ). Il détient depuis 1983, 90% des actions et son épouse, Françoise Boulizon en a pour 10%. Paysage Gaspésie est une entreprise de services en horticulture fondée par M. Allard en 1983 ; elle voit à la conception de l'aménagement et la réalisation de plans d'aménagement paysagé ainsi que de l'entretien.

[3]                Sa conjointe, François Boulizon, est présidente de la compagnie Pelouse Gaspé Inc. ( « Pelouse Gaspé » ) fondée par elle en 1984; elle détient en janvier 1999, 99% des actions. M. Allard, en 1994, détenait 10% des actions dans Pelouse Gaspé Inc. ( « Pelouse Gaspé » ) mais seulement 1% de ceux-ci en janvier 1999.

[4]                Le 30 août 1991, M. Allard fait une demande de prestations d'assurance emploi en fournissant un relevé d'emploi provenant de Pelouse Gaspé pour la période du 14 janvier 1991 au 5 avril 1991. M. Allard se dit employé comme technicien-conseil. Dans son formulaire de demande, il déclare être marié à son employeur, avoir des relations d'affaire avec Pelouse Gaspé et avoir cessé de travailler en raison d'un manque de travail.


[5]                Le 19 septembre 1991, la Commission demande à Revenu Canada de déterminer si l'emploi de M. Allard par Pelouse Gaspé est assurable puisqu'il avait déclaré cette participation en actions. Revenu Canada, le 21 octobre 1991, décide que son emploi rencontre les exigences législatives pour la période du 14 janvier 1991 au 5 avril 1991; des prestations lui furent payées par la Commission.

[6]                M. Allard dépose subséquemment de nouvelles demandes de prestations reliées à son emploi avec Pelouse Gaspé qui furent acceptées et payées; toutes indiquent une cessation d'emploi en raison d'un manque de travail chez Pelouse Gaspé:

(1)        demande du 9 décembre 1992 pour la période d'emploi du 31 août 1992 au 28 novembre 1992;

(2)        demande du 16 septembre 1993 pour la période d'emploi du 31 mai 1993 au 20 août 1993;

(3)        demande du 6 janvier 1994 pour la période d'emploi du 31 mai 1993 au 20 août 1993;

(4)        demande du 12 septembre 1994 pour la période d'emploi du 30 mai 1994 au 2 septembre 1994; et

(5)        demande du 22 décembre 1994 pour la période d'emploi du 30 mai 1994 au 2 septembre 1994;


[7]                Il n'y a aucune explication au dossier à savoir pourquoi il y avait dédoublement de demandes pour certaines périodes.

[8]                Les demandes de prestations se font sur formulaire et exigent des réponses à plusieurs questions. Je résume les réponses pertinentes de M. Allard:

(1)        il a toujours indiqué son lien de mariage avec son épouse Françoise Boulizon, propriétaire de Pelouse Gaspé et a toujours dit qu'il n'avait aucune participation majoritaire dans l'une ou l'autre entreprise pour lesquelles il avait travaillé;

(2)        dans sa demande du 9 décembre 1992, à la question « décrivez les autres emplois importants que vous avez occupés (y compris à titre bénévole) » , il répond, « Paysage Gaspésie -- PDG de 06/92 à 07/92 » raison de départ -- « remplacé » ; il se dit bénévole. Dans chacune des demandes suivantes, il y a absence de mention de sa relation avec Paysage Gaspésie.

(3)        dans cette même demande du 9 décembre 1992, à la question 38, il répond que Paysage Gaspésie ne lui a pas remis de relevé d'emploi durant la période pertinente parce qu'il est non admissible; il déclare « je suis l'actionnaire majoritaire » . Pour chacune des demandes subséquentes, il n'y a aucune indication à cet effet.


(4)        à la question « Avez-vous des relations d'affaire avec votre employeur » il déclare « oui » mais dans toutes les demandes subséquentes il dit « non » .

(5)        finalement, dans toutes les demandes, il écrit « non » à la question « Travaillez-vous à votre compte » mais explique que pour sa demande d'août 1991, il avait indiqué « oui » mais l'avait changé sur avis d'un agent de la Commission puisqu'au moment de sa demande, il ne travaillait pas à son compte.

[9]                Le 29 septembre 1993, la Commission lance une enquête sur les demandes de prestations de M. Allard; un agent de la Commission avait des doutes quant à l'état de chômage du demandeur et plus particulièrement parce qu'il n'avait pas déclaré qu'il travaillait à son compte. La Commission rencontre M. Allard le 30 novembre 1994.

[10]            Dans sa déclaration solennelle de la même date, M. Allard dépose les faits suivants:

(a)        Paysage Gaspésie Inc.

(i)         fondée par lui en 1983, il est président, conseiller et actionnaire principal à 90%, son épouse Françoise Boulizon détenant la balance;


(ii)        l'entreprise est située à 33 rue York à Gaspé et comprend un bureau et trois petites serres d'une valeur de $45,000. Il n'est pas rémunéré dans son emploi;

(iii)       la compagnie a aussi un comptoir de vente de produits de jardinage et dans le passé s'occupait du déblayage de neige;

(iv)       chiffre d'affaire entre $350,000 et $400,000 par année;

(b)        Pelouse Gaspé Inc.:

(i)         fondée en 1984 par Françoise Boulizon (ils se marient en 1987) l'entreprise, elle aussi, est située à 33 rue York à Gaspé et comprend à Pointe St-Pierre, 102 acres de terrain dont 24 sont en culture de pelouse;

(ii)        l'entreprise possède des hangars, des tracteurs (2), une récolteuse à pelouse, un épandeur d'engrais et a un chiffre d'affaire les trois dernières années de $50,000 à $75,000 par année;

(iii)       la période d'activité pour la compagnie est de juin à septembre chaque année;

(iv)       Paysage Gaspésie est un client important de l'entreprise;


(v)        il est à l'emploi de l'entreprise depuis 1991 et agit comme technicien-conseil; il fait de l'administration, s'occupe de la publicité et des clients et donne des cours de formation en horticulture dont Pelouse Gaspé est signataire des contrats;

(vi)       son épouse détient 90% des actions, signe les chèques et les documents légaux; elle travaille trois jours par semaine au C.L.S.C. de la Pointe;

(vii)      l'entreprise emploie une à trois personnes et durant l'été, deux étudiants à temps partiel.

[11]            Françoise Boulizon a aussi fourni durant l'enquête, une déclaration solennelle le 2 décembre 1994. Elle reconnaît n'avoir aucune formation en horticulture et que la maison à la rue York, Gaspé, appartient à son époux, Bernard. Elle indique que Pelouse Gaspé a un emprunt mais ne sait pas combien et elle dit qu'il y a de la machinerie mais que c'est son époux Bernard qui s'en occupe.


[12]            La Commission, l'enquête terminée, demande à Revenu Canada de ré-examiner l'assurabilité de l'emploi de M. Allard par Pelouse Gaspé pour les périodes d'emploi précitées au motif que le prestataire dit travailler comme conseiller technique pour Pelouse Gaspé dont il détient 1% des actions et son épouse 99% et détient 90% des actions dans Cie Paysage Gaspésie. Revenu Canada, le 2 février 1995, déterminait, de façon rétroactive, que son emploi avec Pelouse Gaspé n'était pas assurable. Cette décision de Revenu Canada se fonde sur le paragraphe 3(1)a) et le paragraphe 3(2)c) de Loi sur l'assurance chômage (la « Loi » ) [maintenant la Loi sur l'assurance emploi]. M. Allard interjette appel à la Division des appels de Revenu Canada qui, le 13 décembre 1995, l'avise qu'il n'occupait pas un emploi assurable en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi.

[13]            Le 18 avril 1995, la Commission, en application de la décision de Revenu Canada du 2 février 1995, annulait rétroactivement les périodes de prestations établies pour M. Allard créant, de ce fait, des trop-payés pour un total de $48,183.00, montant qui fut par la suite réduit à $29,827.00 puisqu'une partie des prestations payées se situait à plus de 36 mois avant la décision d'annulation (voir, l'article 43 de la Loi) c'est-à-dire les prestations payées en 1991 et une partie en 1992.

[14]            De plus, la Commission, après avoir examiné les demandes de prestations formulées par M. Allard, lui imposait des pénalités en vertu de l'article 33 de la Loi étant d'avis qu'il avait sciemment fait des déclarations fausses ou trompeuses en omettant de déclarer qu'il exploitait sa propre entreprise alors qu'il était en chômage avec Pelouse Gaspé.


[15]            M. Allard interjeta appel devant un Conseil arbitral des décisions de la Commission lui imposant des pénalités pour avoir fait sciemment de fausses déclarations et le 23 mai 1996, le Conseil arbitral accueillait son appel pour les motifs suivants:

Si nous nous référons aux différentes pièces au dossier, nous constatons que Revenu Canada Impôt a déclaré l'emploi du prestataire non-assurable pour les périodes visées. Tout au cours de l'audition, Monsieur Allard nous a semblé un homme sincère et honnête, n'a rien tenté de cacher et nous a dit ne pas vouloir tromper personne.

Si nous nous référons à sa déclaration statutaire, nous constatons la même franchise. Quant à savoir s'il y a fait des déclarations fausses ou trompeuses, sciemment, nous nous référons au DPP 807, pièce 2.2, questions 36 et 38 où, clairement, il dit être propriétaire de Paysage Gaspésie. De même, à la question 41, il dit être uni à la propriétaire (épouse) de Pelouse Gaspé, propriétaire à 99%.

Devant ces faits, unanimement, le Conseil Arbitral accueille la demande du prestataire et rejette la décision de la Commission.

[16]            La Commission n'a pas porté en appel au juge arbitre cette décision et les pénalités imposées par la Commission furent révoquées.

[17]            Suite à cette décision du Conseil arbitral, M. Allard, le 13 juin 1996, demande à la Commission dans une lettre à l'attention de M. Marc Simoneau, Directeur général du centre des ressources humaines du ministère du Développement des ressources humaines du Canada à Gaspé (le « ministère » ), de défalquer les trop-payés des prestations dont il était redevable à la Commission suite à l'annulation de plusieurs périodes de prestations pour les années 1991 à 1994.


[18]            Après étude, M. Simoneau, par lettre en date du 18 juillet 1996, informait M. Allard de son refus de recommander la défalcation étant d'avis que le paragraphe 60(1)e) du Règlement ne pouvait trouver application en l'espèce.

[19]            Dans une lettre du 25 octobre 1996 adressée au Mouvement Action Chômage de Gaspé, M. Simoneau donne son interprétation de l'article 60 du Règlement et de son application aux circonstances de M. Allard:

Le libellé de l'article 60(1)e) du Règlement est clair; la Commission peut défalquer un trop-payé si celui-ci ne résulte pas d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse de la part du débiteur; il s'agit là d'une condition essentielle. Il n'est pas nécessaire que celles-ci aient été faite sciemment. Il suffit qu'il y ait présence d'une représentation ou déclaration fausse ou trompeuse.

Dans le cas présent, afin de pouvoir procéder à la défalcation, il faudrait en venir à la conclusion que Monsieur Allard n'avait aucun contrôle véritable sur les événements et n'y a joué aucun rôle, si ce n'est que d'avoir demandé et reçu des prestations de toute bonne foi.

Je considère qu'il est impossible d'en arriver à cette conclusion et je maintiens ma décision de ne pas recommander la défalcation du trop-payé.

Il est à noter que la défalcation est un pouvoir discrétionnaire de la Commission et aucun appel au Conseil arbitral n'est possible.

Dans le cas présent, l'article 60(2)a) et 60(2)b)ii) et (v) ne s'applique pas. En effet, c'est plutôt l'article 60(1)e) du règlement qui est en cause. L'article 60(1)e) vise des décisions ou des règlements de questions par Revenu Canada Impôt ou de la Cour Canadienne de l'Impôt. Il s'agit de décisions de Revenu Canada Impôt ou de la Cour Canadienne de l'Impôt déterminant qu'un emploi ou une rémunération est assurable ou non.

L'article 60(2) s'applique lorsque le trop-payé ne résulte pas d'une erreur, d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse du prestataire mais qu'il résulte d'un retard ou une erreur imputable à la Commission, une erreur sur le relevé d'emploi émis par l'employeur, le versement d'indemnités d'accident de travail dans des circonstances particulières ou d'autres circonstances particulières.


[20]            Le 29 janvier 1998, M. Simoneau envoie une lettre au conseiller juridique de M. Allard, Me de Merchant, dans laquelle il confirme son interprétation de l'article 60 du Règlement. Voici ce qu'il écrit:

Comme il a été mentionné dans une réponse donnée à « Le Mouvement action chômage » le 25 octobre 1996 et dont une copie conforme a été envoyée à M. Allard, je considère qu'il est impossible d'en arriver à la conclusion de recommander la défalcation du trop-payé.

Le libellé de l'article 56(1)c) [auparavant 60(1)e)] du Règlement est clair: « La Commission peut défalquer un trop-payé si celui-ci ne résulte pas d'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse de la part du débiteur; il s'agit là d'une condition essentielle. Il n'est pas nécessaire que celle-ci ait été faite sciemment. Il suffit qu'il y ait présence d'une représentation ou d'une déclaration fausse ou trompeuse » .

Dans le cas présent, afin de pouvoir procéder à la défalcation, il faudrait en venir à la conclusion que M. Allard n'avait aucun contrôle véritable sur les événements et n'y a joué aucun rôle, si ce n'est que d'avoir demandé des prestations de toute bonne foi.

Étant donné que les faits au dossier ne me permettent pas d'en arriver à cette conclusion, je maintiens ma décision de ne pas défalquer le trop-payé.

Il est à noter que la défalcation est un pouvoir discrétionnaire de la Commission et aucun appel au Conseil arbitral n'est possible.

[21]                        M. Simoneau est conseillé dans son interprétation de l'article 60 du Règlement par Jean-Yves Cronier du ministère. Dans une note de service en date du 4 juillet 1996, M. Cronier recommande ce qui suit à M. Simoneau:

L'article 60 du règlement a été amendé pour favoriser un traitement équitable et souple à l'égard des prestataires. Ainsi voulait-on permettre à la Commission de défalquer des dettes qui ne sont pas survenues à cause du prestataire.


Dans le cas présent, l'article 60 du règlement ne s'applique pas. En effet, afin de pouvoir procéder à la défalcation, il faudrait en venir à la conclusion que le prestataire n'avait aucun contrôle véritable sur les événements et n'y a joué aucun rôle, si ce n'est que d'avoir demandé et reçu des prestations de toute bonne foi.

Je considère qu'il est impossible d'en arriver à la conclusion que le prestataire n'a joué aucun rôle et qu'il n'avait aucun contrôle sur les événements. En effet, le prestataire y joue un rôle de premier plan étant le spécialiste dans le domaine de la pelouse. De plus, dans sa déclaration statutaire du 2 décembre 1995, Mme Françoise Boulizon mentionne qu'elle ne possède pas de formation en horticulture, que Pelouse Gaspé a un emprunt mais qu'elle ne sait pas le montant exact car il y a de la machinerie et que c'est Bernard qui s'en occupe.

D'autre part, le prestataire mentionne dans sa déclaration du 29 novembre 1995, que ce serait idéal qu'un jour il en fasse son principal gagne-pain. Tous les détails fournis par le prestataire dans sa déclaration démontrent bien sa connaissance, son intérêt et le contrôle qu'il exerce dans l'entreprise Pelouse Gaspé.

De plus, M. Allard possède une entreprise (Paysage Gaspésie Inc.) depuis 1983; il en est le président et il possède 90% des parts.

Avec un chiffre d'affaire de $350,000 à $400,000 par année, les serres, le comptoir, il est presque certain que même si son emploi pour Pelouse Gaspé Inc. avait été considéré assurable, il aurait été déclaré non en chômage ou du moins des gains auraient été imposés.

Compte tenu de tous ces éléments, et de l'interprétation que fait la Commission de l'article 60 du règlement sur la défalcation, il est recommandé de ne pas défalquer le trop-payé. Il est à noter que la défalcation est un pouvoir discrétionnaire de la Commission et aucun appel au Conseil arbitral n'est possible. [je souligne]

[22]            M. Allard saisi, une deuxième fois, le Conseil arbitral de la décision de la Commission de ne pas défalquer les trop-payés créés par la décision de Revenu Canada en 1995, d'une façon rétroactive, que son emploi n'était pas assurable ayant, en 1991, décidé qu'il l'était.


[23]            Dans une décision rendue le 24 août 1998, le Conseil arbitral donne raison à M. Allard. Le Conseil arbitral motive sa décision de cette façon:

QUESTION EN LITIGE: Est-ce que le trop-payé du prestataire doit être défalqué eut égard à l'art. 56 du règlement (anciennement l'article 60 du règlement)?

LES FAITS: le prestataire était présent à son audience en compagnie de son représentant Me William DeMerchant, avocat. Le prestataire et son avocat déposent les pièces P-A et P-B qui sont une demande d'assurabilité et une confirmation d'assurabilité du prestataire datée du 19 septembre 1991 (demande) et 23 octobre 1991 (confirmation). À la P-8 en date du 2 décembre 1994 et à la P-9 en date du 10 février 1995, la Commission décide de vérifier l'assurabilité du prestataire avec Revenu Canada pour 1991, 1992, 1993, et 1994. La P-16 confirme la non assurabilité de l'emploi du prestataire pour les années 1991, 1992, 1993 et 1994. Le Conseil est d'avis qu'il s'agit d'un examen à effet rétroactif entrepris par la Commission et le conseil défalque le trop-payé du prestataire selon l'article 56(2)b)ii).

CONCLUSION: Unanimement, le conseil accueille l'appel du prestataire et rejette la décision de la Commission.

[24]            Le 18 septembre 1998, la Cour d'appel fédérale rend jugement dans la cause Canada (Procureur général) c. Filiatreault (1998), 235 N.R. 274, et décide qu'un Conseil arbitral établit selon la Loi n'a aucune juridiction d'entretenir un appel d'une décision de la Commission refusant une défalcation en vertu de l'article 60 du règlement. La procédure appropriée visant une telle décision est par contrôle judiciaire sous l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale et ce devant la Section de première instance.


[25]            Suite à Filiatreault, précité, le 7 octobre 1998, la Commission fait appel au juge arbitre de la décision du Conseil arbitral du 24 août 1998. Le demandeur consent dans les circonstances à ce que l'appel soit accueilli.

[26]            Le 7 janvier 1999, le demandeur, Bernard Allard, dépose une demande de contrôle judiciaire et exige l'annulation des décisions du 23 septembre 1996, du 25 octobre 1996 et du 29 janvier 1998 de M. Marc Simoneau et, aussi, demande que les trop-payés soient défalqués.

[27]            M. Allard invoque les motifs suivants plaidés devant la Cour:

(a)        le Directeur du bureau local a rendu une décision d'une façon non judiciaire en tenant compte d'éléments au dossier non pertinents et en ne tenant pas compte d'éléments pertinents;

(b)        le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du demandeur ni d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse de sa part, mais découle d'une décision à effet rétroactif rendue en vertu de la Partie III de la Loi.


LÉGISLATION ET RÉGLEMENTATION

[28]            Les alinéas 33(1), 35(1) et (2), 43(1) et le paragraphe 44(i) de la Loi, L.R. (1985), ch. U-1, modifiée par S.R.C. 1990, ch. 40, se lisent comme suit:

   33. (1) Lorsque la Commission prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu'un prestataire ou une personne agissant pour le compte de celui-ci a, relativement à une demande de prestations ou à l'occasion de renseignements exigés par la présente loi ou par les règlements, sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse, fourni un renseignement faux ou trompeur ou présenté des observations fausses ou trompeuses, elle peut infliger au prestataire, pour chacun des déclarations, renseignements ou observations faux ou trompeurs, une pénalité dont le montant ne dépasse pas le triple de son taux de prestations hebdomadaires.

                                                    . . .

   35. (1) Lorsque'une personne a touché des prestations en vertu de la présente loi au titre d'une période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des prestations ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas admissible, elle est tenu de rembourser la somme versée par la Commission à cet égard.

   (2) Les sommes payables en vertu du présent article ou des articles 33, 37 ou 38 constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la présente loi.

                                                    . . .

   43. (1) Nonobstant l'article 86 mais sous réserve du paragraphe (6), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.

   44. La Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, prendre des règlements:

(i) pour la validation des sommes versées sous forme de prestations à des personnes n'y étant pas admissibles et pour la défalcation de ces sommes ainsi que de toute pénalité prévue par l'article 33 et de toute somme due en vertu des articles 35, 37 et 38 et de tous frais recouvrés sur ces personnes; [je souligne]

[29]            L'article 60 du règlement, DORS/90-208, modifié en 1994 par DORS/94-446 se lit comme suit:



60. (1) La Commission peut défalquer une pénalité payable prévue par l'article 33 de la Loi ou une somme due en vertu des articles 35, 37 ou 38 de la Loi si, selon le cas:

a) le total des pénalités et des sommes dues par le débiteur ne dépasse pas 5_$ et le débiteur n'est pas visé par une période de prestations en cours;

b) le débiteur est décédé;

c) le débiteur est un failli libéré;

d) le débiteur est un failli non libéré à l'égard duquel le dernier dividende a été payé et le syndic a été libéré;

e) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse de la part du débiteur, que ce dernier ait su ou non que la déclaration ou la représentation était fausse ou trompeuse, mais découle:

(i) d'une décision ou d'un règlement à effet rétroactif rendu en vertu de la partie III de la Loi;

(ii) d'une décision à effet rétroactif rendue en vertu des parties I ou IV de la Loi relativement à des prestations versées selon l'article 25 de la Loi;

f) la Commission estime, compte tenu des circonstances :

(i) soit que la pénalité ou la somme est irrécouvrable,

(ii) soit que le remboursement de la pénalité ou de la somme imposerait au débiteur un préjudice abusif.

(2) La Commission peut défalquer la partie de toute somme due aux termes de l'article 35 de la Loi qui se rapporte à des prestations reçues plus de 12 mois avant qu'elle avise le débiteur du versement excédentaire, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse de la part du débiteur; que ce dernier ait su ou non que la déclaration était fausse ou trompeuse;

b) le versement excédentaire résulte de l'une des situations suivantes:

(i) un retard ou une erreur de la part de la Commission relativement au traitement d'une demande de prestations,

(ii) des mesures de contrôle à effet rétroactif entrepris par la Commission,

(iii) une erreur dans le relevé d'emploi fourni par l'employeur,

(iv) le calcul erroné, par l'employeur, de la rémunération assurable du débiteur ou de ses semaines d'emploi assurable,

(v) le fait d'avoir assuré par erreur l'emploi ou une autre activité du débiteur. [je souligne]

60. (1) A penalty owing under section 33 of the Act or an amount owing under section 35, 37 or 38 of the Act may be written off by the Commission if

(a) the total of the penalties and amounts owing by the debtor does not exceed $5 and a benefit period in respect of the debtor is not current;

(b) the debtor is deceased;

(c) the debtor is a discharged bankrupt;

(d) the debtor is an undischarged bankrupt in respect of whom the final dividend has been paid and the trustee has been discharged;

(e) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading statement or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not, but arises from a retroactive application of

(i) a decision, ruling or determination made under Part III of the Act, or

(ii) a decision made under Part I or Part IV of the Act in relation to benefits paid under section 25 of the Act; or

(f) the Commission considers that, having regard to all the circumstances,

(i) the penalty or amount is uncollectable, or

(ii) the repayment of the penalty or amount would result in undue hardship to the debtor.

(2) That portion of an amount owing under section 35 of the Act in respect of benefits received more than 12 months before the Commission notifies the debtor of the overpayment may be written off by the Commission if

(a) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or from a false or misleading statement or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not; and

(b) the overpayment arises as a result of

(i) a delay or error made by the Commission in processing a claim for benefit,

(ii) retroactive control procedures or a retroactive review initiated by the Commission,

(iii) an error made on the record of employment by the employer,

(iv) an incorrect calculation by the employer of the debtor's insurable earnings or insurable weeks, or

(v) an error in insuring the employment or other activity of the debtor.


ANALYSE

(1)       La norme de contrôle en l'espèce

(i)         Le contexte

[30]            Je souscris à l'encadrement juridique suivant avancé par le Procureur général du Canada concernant la défalcation d'une créance de la Commission en vertu de l'article 60 du Règlement:


(a)        lorsque la Commission conclut après un réexamen de la demande de prestations qu'une personne a reçu des prestations auxquelles elle n'avait pas droit au terme de la Loi, dès lors cette dernière doit rembourser la somme versée à la Commission (voir les articles 33 et 35 de la Loi et l'arrêt Canada (Procureur général) c. Tjong (1996), 206 N.R. 149 (C.F.A.));

(b)        au terme de l'article 35 de la Loi, cette somme constitue une créance de Sa Majesté et est la conséquence d'une décision portant sur l'inadmissibilité ou comme c'est le cas en l'espèce, une décision de Revenu Canada qui a déterminé que l'emploi du demandeur n'était pas assurable selon l'article 3 de la Loi. Le recouvrement de cette créance peut être poursuivi en Cour fédérale, selon les modalités prévues par la Loi, ou devant tout autre tribunal compétent;

(c)        les renonciations à une créance de la Couronne relèvent de la prérogative royale; toutefois, le législateur a prévu notamment à la Loi sur la gestion des finances publiques, que le Gouverneur général en conseil pouvait, sur recommandation d'un ministre compétent, ou du Conseil du trésor, remettre une dette et, le cas échéant, effacer cette dette;

(d)        de même, le législateur a clairement interdit à l'article 24.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, la renonciation totale ou partielle aux créances sauf sous le régime d'une loi de crédit ou d'une autre loi fédérale;


(e)        la Loi et le Règlement prévoient respectivement au paragraphe 44(i) de la Loi et à l'article 60 du Règlement, que la Commission peut renoncer à une créance établie en sa faveur en tenant compte des conditions identifiées à l'article 60 du Règlement;

(f)         ce n'est pas en qualité de prestataire mais bien en qualité de débitrice qu'une personne demande une remise de dette;

(g)        la présence d'une ou de plusieurs des conditions prévues à l'article 60 du Règlement enclenche la possibilité pour la Commission d'exercer sa discrétion et n'a pas pour effet d'assurer au débiteur une défalcation automatique de sa dette;

(h)        à titre de condition préalable à l'exercice de la discrétion, la Commission peut choisir de défalquer sa créance si les versements excédentaires de prestations de chômage ne résultent pas de représentations fausses ou trompeuses.


[31]            Il est important de préciser l'étendue de la condition préalable au paragraphe 60(1)e) du Règlement à l'exercice de la discrétion de défalquer que possède la Commission, c'est-à-dire « le versement excédentaire ne résulte pas d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse du débiteur, que ce dernier ait su ou non que la déclaration était fausse ou trompeuse » . Deux points se dégagent à la lecture du texte:

(1)        Il importe peu que les représentations fausses ou trompeuses aient été faites sciemment ou en toute connaissance de cause puisque, comme le suggère le Procureur général du Canada, au terme de l'article 60 du Règlement, la seule présence de ces représentations fausses ou trompeuses ayant provoqué les versements excédentaires est suffisante pour faire échec à une possibilité de défalcation. Je note l'absence du terme « sciemment » que l'on retrouve, par exemple, à l'article 33 de la Loi autorisant la Commission à imposer des pénalités lorsqu'elle prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu'un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse; (voir aussi Canada (Procureur général) c. Pilote (1998), 243 N.R. 203 (C.A.) paragraphe 2);

(2)        Les mots « que ce dernier ait su ou non que la déclaration était fausse ou trompeuse » élimine le caractère intentionnel, frauduleux ou volontaire de la fausse représentation.


[32]            À mon avis, l'existence de la condition préalable au paragraphe 60(1)e) du Règlement, c'est-à-dire un versement excédentaire résultant d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse du débiteur doit être constatée d'une façon objective. Ce paragraphe n'importe aucun élément subjectif. L'absence voulue du critère « sciemment » dans le Règlement exige cette conclusion sur laquelle la Cour d'appel fédérale s'est penchée dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Gates, [1995] 3 F.C. 17 (C.A.).

(ii)        Le critère d'évaluation de l'existence de la condition préalable au paragraphe 60(1)e)

[33]            Deux jugements de la Cour d'appel fédérale interprétant l'article 33 de la Loi, Canada (Procureur général) c. Purcell, [1996] 1 F.C. 644 et Canada (Procureur général) c. Dunham, [1997] 1 F.C. 462, nous guident sur le critère d'intervention de la cour à l'encontre de la décision de la Commission devant nous à l'effet que « le versement excédentaire ne résulte pas d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse du débiteur . . . » .


[34]            Je rappelle qu'au terme de l'article 33 de la Loi, la Commission peut infliger une pénalité lorsque celle-ci « prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu'un prestataire ... a ... sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse, fourni un renseignement faux ou trompeur ou présenté des observations fausses ou trompeuses » .

[35]            L'arrêt Purcell, précité, établit clairement que la décision de la Commission à cet effet est une conclusion de faits qui n'exige pas de la Commission des connaissances techniques particulières. Le juge Robertson dans Purcell ajoute que la Commission a le fardeau de preuve d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que le prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse.

[36]            Dans l'arrêt Dunham, précité, le juge Marceau précise que dans Purcell, il ne s'agissait pas de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire proprement dit mais de la mise en oeuvre de l'autorité de la Commission de donner effet à « l'opinion » qu'elle peut se faire de l'existence d'une situation. Il s'exprime comme suit au paragraphe 11:

C'était la présence de la condition requise pour l'imposition d'une pénalité en vertu du paragraphe 33(1) qui était en cause, c'est-à-dire, que la Commission soit d'avis que les fausses déclarations ont été faites sciemment. Mais se former une opinion n'est pas exercer une discrétion. Il ne saurait être question là de considérations étrangères ou pertinentes. Comme la Cour le dit, la condition d'intervention dans ces cas est tout simplement la constatation que la Commission aurait formé cet avis ou cette opinion à laquelle elle a donné effet sur la base d'une vue incomplète, ou d'une perception ou interprétation fausse, des faits. [je souligne]


[37]            À mon avis, dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission basée sur l'existence de la condition préalable d'une déclaration fausse ou trompeuse de la part du débiteur (ce qui enfreint l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission de défalquer le trop-payé), je crois que le juge Marceau dans Dunham, précité, rejoint les éléments de l'article 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale qui s'appliquent dans les circonstances.

(iii)       Normes de contrôle de l'exercise du pouvoir discrétionnaire

[38]            Il ne fait aucun doute qu'en application de l'article 60 du Règlement, la Commission exerce un pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle décide de renoncer ou non à une dette (celle d'un trop-payé).

[39]            Les principes d'intervention de la cour lorsqu'un tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire sont bien connus. Je reprends les paroles du juge Robertson dans Purcell, précité, à la page 653:

L'avocat de la Commission reconnaît qu'un pouvoir discrétionnaire doit être exercé « judiciairement » . J'entends par cela que si l'on parvient à établir que le décideur a agi de mauvaise foi, ou dans un but ou pour un motif irrégulier, qu'il a pris en compte un facteur non pertinent ou ignoré un facteur pertinent ou qu'il a agi de manière discriminatoire, toute décision découlant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire sera annulée.


[40]            Le récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ajoute un deuxième élément, celui de l'intervention de la cour au mérite de l'exercice du pouvoir discrétionnaire et la question est de savoir quelles circonstances justifient cette intervention: une décision simplement mal fondée, une décision déraisonnable, ou une décision manifestement déraisonnable.

[41]            Les quatre facteurs considérés par le juge L'Heureux-Dubé pour conclure à la norme d'intervention appropriée sont:

(1)        la présence ou l'absence d'une clause privative;

(2)        l'expertise du décideur;

(3)        l'objet et la disposition, en particulier, la Loi dans son ensemble;

(4)        la nature du problème en question particulièrement s'il s'agit de questions de droit ou de faits.

[42]            Dans Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé conclut de cette façon au paragraphe 62:


Tous ces facteurs doivent être soupesés afin d'en arriver à la norme d'examen appropriée. Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la Loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable, simpliciter.

[43]            À l'instance du juge L'Heureux-Dubé, je conclus que la norme de contrôle appropriée au mérite de la décision de la Commission de défalquer ou non est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[44]            Nous ne sommes pas en présence d'une clause privative restreignant le contrôle judiciaire. La Commission a une certaine expertise par rapport aux tribunaux en ce qui concerne les questions de défalcation ou non. L'objet du Règlement est de favoriser un traitement plus équitable et souple des prestataires pour permettre à la Commission de défalquer les dettes qui ne sont pas survenues à cause du débiteur et, en particulier, de défalquer des dettes découlant de décisions de Revenu Canada à l'effet rétroactif en matière d'assurabilité ce qui suggère une retenue moins large. La décision d'accorder la défalcation ou non se fonde principalement sur l'appréciation des faits relatifs au cas d'une personne et ne porte pas sur l'application ni sur l'interprétation des règles de droit précises, un facteur qui milite en faveur de la retenue.


[45]            Le jugeIacobucci nous explique dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, ce qu'est une décision déraisonnable. Il s'exprime comme suit aux pages 776-77:

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.

APPLICATION DES PRINCIPES ET CONCLUSIONS

[46]            Le demandeur ne peut réussir dans sa demande de contrôle judiciaire à moins de franchir deux barrières. La première est de convaincre la Cour que le versement excédentaire ne résulte pas d'une déclaration ou d'une représentation fausse ou trompeuse de la part du débiteur, que ce dernier ait su ou non que la déclaration ou la représentation était fausse, car il s'agit d'une condition préalable d'ouverture à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Deuxièmement, s'il franchit la première étape, le demandeur doit démontrer que la Commission a mal exercé sa discrétion en refusant la défalcation des trop-payés.


(1)        La première étape -- condition préalable

[47]            Le critère d'évaluation est celui établi par le juge Marceau dans Dunham, précité: est-ce que la constatation de la Commission est fondée sur une vue incomplète ou d'une perception ou interprétation fausse des faits.

[48]            Les faits essentiels ont leur source dans les demandes de prestations soumises à la Commission par M. Allard et ceux établis après enquête.

[49]            À mon avis, chacune des demandes de prestations de M. Allard doit être examinée indépendamment l'une de l'autre puisque le trop-payé est spécifique à chaque période de prestations et, en l'espèce, a été créé par l'annulation de chacune de celle-ci suite à la décision de Revenu Canada que son emploi par Pelouse Gaspé n'était pas assurable ce qui déclenche l'exercice du pouvoir de défalcation de la Commission d'une créance qui lui est due.


[50]            Je suis aussi d'avis que chacune des demandes de prestations de M. Allard doit être appréciée dans son ensemble afin de constater si oui ou non nous sommes, objectivement parlant, en présence d'une déclaration fausse ou trompeuse. En l'espèce, la question est de savoir est-ce que les réponses de M. Allard masquaient la réalité, c'est-à-dire, son exploitation de Paysage Gaspésie et son implication, de facto, dans Pelouse Gaspé alors qu'il demandait et recevait des prestations d'assurance emploi pour un manque de travail chez Pelouse Gaspé.

[51]            D'après les dictionnaires Larousse et le Nouveau Petit Robert, une déclaration ou une représentation fausse en est une qui est contraire à la vérité; une qui est trompeuse est celle qui induit en erreur.

[52]            D'après The New English Oxford Dictionary, et Webster's Third New International Dictionary, a false declaration or representation is one not corresponding to the truth or reality, one which is erroneous while a misleading declaration or representation is one that leads somewhat astray, that causes error, confusion or deception.

[53]            Il faut aussi apprécier comme l'a dit la Cour d'appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Lai (1998), 229 N.R. 42, que l'intégrité du schéma législatif en matière d'assurance-emploi repose sur la bonne foi des bénéficiaires.


[54]            En l'espèce, la demande du 30 août 1991 n'est pas pertinente puisque la Commission n'a pas exigé le remboursement des prestations payées étant d'avis qu'il était prescrit par l'article 43 de la Loi.

[55]            Vu dans son ensemble, la demande du 9 décembre 1992 a-t-elle induit en erreur la Commission en ce qui concerne Paysage Gaspésie et le rôle que M. Allard y jouait ainsi que dans Pelouse Gaspé. Je crois que non.

[56]            M. Allard dévoile son emploi chez Paysage Gaspésie (question 38), comme président bénévole et le fait que son emploi n'est pas admissible aux prestations puisqu'il est actionnaire majoritaire. Il déclare aussi avoir des relations d'affaire avec son employeur Pelouse Gaspé et un lien de mariage avec Françoise Boulizon, son président.


[57]            S'appuyant sur ces faits quoiqu'en appliquant un critère différent, le Conseil arbitral du 16 mai 1996 est venu à la conclusion que M. Allard n'avait pas sciemment fait de déclarations fausses ou trompeuses. À mon avis, les réponses données par M. Allard étaient essentiellement vraies et suffisamment précises pour permettre à la Commission de décider sur sa demande de prestations ou d'approfondir la question de son admissibilité à de telles prestations ce qui semble s'être produit considérant le questionnaire aide-pratique du 11 février 1993 sur l'état de chômage Pelouse Gaspé et Paysage Gaspésie (dossier du défendeur, volume I, pages 52 à 59).

[58]            Les demandes du 16 septembre 1993, du 6 janvier 1994, du 12 septembre 1994 et du 22 décembre 1994, sont plus problématiques puisque M. Allard ne fait aucune mention de Paysage Gaspésie et indique qu'il n'a aucune relation d'affaire avec Pelouse Gaspé, ce qui n'est pas vrai. Vu dans son ensemble, ces demandes masquaient sa présence dans Paysage Gaspésie et étaient susceptibles d'induire la Commission en erreur. Cependant, on ne peut pas oublier que la Commission connaissait tous les faits pertinents sur Paysage Gaspésie, ses relations d'affaire avec Pelouse Gaspé, faits dévoilés dans les réponses à l'aide-pratique, précité, et dans la déclaration de M. Allard du 30 novembre 1994. Cette connaissance brise le lien de causalité entre les déclarations et les trop-payés.

[59]            Dans ce contexte particulier et unique, je ne peux conclure que les trop-payés en liesse découlent de déclarations fausses ou trompeuses de la part de M. Allard constituant ainsi un obstacle à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission.


(2)        L'exercice du pouvoir discrétionnaire

[60]            Selon les termes de l'article 60 du Règlement, la Commission a une discrétion de défalquer ou non un versement excédentaire provenant d'une déclaration ou d'une représentation véridique ou non trompeuse.

[61]            Les motifs du refus de défalquer les trop-payés se retrouvent dans la lettre du 25 octobre 1996 de M. Simoneau à Mouvement Action Chômage et celle de celui-ci à Me de Merchant, procureur de M. Allard en date du 29 septembre 1998, tous deux s'appuyant sur la note de service de M. Cronier du 4 juillet 1996. La Commission refuse de défalquer parce que M. Allard contrôlait Pelouse Gaspé et possédait une entreprise (Paysage Gaspésie) avec un chiffre d'affaire de $350,000 à $400,000 par année.

[62]            À mon avis, ces deux facteurs sont sans aucun doute des considérations pertinentes pour la Commission ayant à décider si une créance provenant de prestations payées dues à la Commission devrait être renoncée ou remboursée. Au mérite, le refus de défalcation dans ces circonstances ne constitue pas une décision déraisonnable.


[63]            Me de Merchant, procureur de M. Allard, prétend que la Commission n'a pas pris en considération des éléments pertinents du dossier, en particulier, la décision de Revenu Canada en 1991, la décision du Conseil arbitral de 1996, les déclarations du demandeur sur ses demandes d'assurance-emploi en 1991 et 1992, les demandes d'enquête de 1991 et de 1992, ainsi que la déclaration statutaire de 1994. À mon avis, ces éléments étaient tous connus par la Commission et constituaient une partie de la toile de fond entourant le refus de défalcation. Effectivement, ce que le demandeur me demande est de soupeser à nouveau des facteurs pris en considération par la Commission et de substituer mon opinion à celle de celle-ci, ce qui ne m'est pas loisible.

[64]            En dernier lieu, je n'accepte pas la prétention du demandeur qu'il y eu un manquement à l'équité procédurale. M. Allard connaît pourquoi la Commission lui refuse la défalcation et le dossier indique qu'il a fait plusieurs représentations à la Commission.


DISPOSITIF

[65]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                              "François Lemieux"    

                                                                                                                                                             

                                                                                                J U G E             

Ottawa, (Ontario)

le 12 juillet 2001


Date : 20010712

Dossier : T-27-99

Ottawa, Ontario, le 12e jour de juillet 2001

En présence de :         L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                   BERNARD ALLARD

                                                                                         Demandeur

                                                 - ET -

                LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                          Défendeur

                                   O R D O N N A N C E

Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                              "François Lemieux"      

                                                                                                                                                                   

                                                                                                J U G E                 

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