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Date : 20050527

Dossier : IMM-1963-04

Référence : 2005 CF 756

ENTRE :

                                        PAKEERATHAN THAMOTHARAMPILLAI

                                                                                                                              demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs suivent l'audition de la demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision prise par une agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente), dans laquelle l'agente a conclu que le demandeur ne courait pas de risques d'être soumis à la torture, d'être tué ou de subir des traitements ou peines cruels et inusités s'il retournait au Sri Lanka, son pays de nationalité. La décision contrôlée porte la date du 13 janvier 2004.


INTRODUCTION

[2]                Le demandeur est Tamoul, citoyen du Sri Lanka et originaire du Nord du Sri Lanka. Il est né en avril 1971 et a par conséquent trente-quatre (34) ans. Le demandeur est arrivé au Canada comme immigrant admis en 1991, parrainé par son frère qui avait reçu ici le statut de réfugié au sens de la Convention. En 1996, le demandeur a plaidé coupable à l'accusation de possession d'héroïne en vue d'en faire le trafic et a été condamné à huit (8) ans de prison. En août 1997, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a déclaré que le demandeur était un danger pour le public. En octobre 1997, on a ordonné que le demandeur soit expulsé du Canada. En 1999, le demandeur a intenté une procédure de jugement déclaratoire par laquelle il voulait faire reconnaître que son expulsion au Sri Lanka violerait ses droits garantis par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés[1]. En attendant l'issue de l'instance, il a réussi à obtenir un sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion émise contre lui[2]. Le 1er juin 2001, le demandeur s'est désisté de la procédure qu'il avait intentée.


[3]                En juin 2001, un agent s'occupant des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada a conclu que le demandeur courrait un risque personnel s'il retournait au Sri Lanka à ce moment-là. Cependant, un an plus tard, la demande présentée par le demandeur pour obtenir la résidence permanente pour raisons d'ordre humanitaire lui était refusée. La Cour annulait cette décision en juillet 2003 et ordonnait que l'on prenne une nouvelle décision et que l'on fasse une nouvelle évaluation des risques[3].

[4]                Le 1er août 2003, la libération conditionnelle que le demandeur avait obtenue à la suite de sa condamnation pour possession de drogue en vue d'en faire le trafic était suspendue et un mandat d'arrêt était émis parce qu'il avait violé les conditions de sa liberté conditionnelle. Le 24 novembre 2003, la demande présentée par le demandeur pour obtenir l'établissement pour des raisons humanitaires était à nouveau refusée. La décision faisant l'objet du présent contrôle a suivi.   

[5]                Une demande de sursis à l'expulsion du demandeur du Canada en attendant l'issue de sa demande de contrôle judiciaire a été refusée par ordonnance de la Cour en date du 19 avril 2004. Les motifs de ce refus ont été donnés le jour suivant[4]. Bien que mon collègue le juge Mosley, qui a refusé le sursis à l'expulsion, ait conclu qu'il y avait une question sérieuse à juger dans le contrôle judiciaire sous-jacent, il a conclu que le demandeur n'avait pas établi qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était expulsé au Sri Lanka dans les conditions existant à l'époque. Il a écrit :


Après avoir soigneusement examiné les éléments de preuve présentés par le demandeur et la décision de l'agent d'ERAR, je suis d'avis que le demandeur n'a pas démontré qu'il allait subir un préjudice irréparable s'il était expulsé au Sri Lanka dans les circonstances actuelles. La preuve objective que l'agent d'ERAR a prise en considération révélait que la situation au pays avait beaucoup changé après que l'examen des risques de 2001, qui était basé sur des rapports touchant les années 1999 et 2000, a été effectué. L'agent a conclu que le demandeur pouvait vivre en sécurité à Colombo, au sein de la grande communauté tamoule qui habite dans cette ville. Le demandeur n'a avancé aucun argument pour contester cette conclusion, à part de vagues hypothèses quant à la possibilité qu'il fût qualifié de gangster tamoul par les autorités en raison de sa condamnation au criminel et de ses présumés liens avec les TLET. Le demandeur est au Canada depuis 1991. Aucun élément de preuve permettant de conclure que les autorités sri-lankaises s'intéressent à lui n'a été présenté. Une conclusion concernant le préjudice irréparable ne peut pas être fondée sur un hypothèse ou sur une série de possibilités [...] [Renvoi omis.]

[6]                Finalement, le demandeur a été expulsé au Sri Lanka.

LES QUESTIONS EN LITIGE DANS LA PRÉSENTE DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[7]                Dans son Exposé des faits et du droit, le demandeur exprime les questions en litige de la manière suivante :

[TRADUCTION]

-               Est-ce que l'agente a commis une erreur de droit en appliquant la mauvaise charge de la preuve?

-               Est-ce que l'agente a commis une erreur de droit parce qu'elle n'a pas pris en considération le fait qu'il y avait eu antérieurement une évalaution des risques favorable?


[8]                À l'audience, l'avocat du demandeur a abandonné la première question au vu de la décision récente de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5]. À la fin de l'audience, la Cour a soulevé avec les avocats la question du caractère théorique, en particulier compte tenu de la décision de mon collègue le juge Martineau dans l'affaire Figurado c. Canada (Solliciteur général)[6] (Figurado). Les avocats ont été invités à présenter des arguments écrits sur la question du caractère théorique et aussi sur la certification d'une question. Ces arguments ont été reçus et examinés par la Cour. J'examinerai d'abord la question du caractère théorique et une question que je considère connexe, soit la décision précédente de mon collègue le juge Mosley de rejeter la demande de sursis à l'expulsion du demandeur au Sri Lanka, pour le motif que le demandeur n'avait pas réussi à établir qu'il subirait un préjudice irréparable à cause de cette expulsion.

ANALYSE

a)          Le caractère théorique

[9]                Dans l'affaire Figurado, le juge Martineau avait devant lui une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'ERAR relative à un citoyen du Sri Lanka qui, comme le demandeur dans la présente affaire, n'avait pas obtenu un sursis à son expulsion en attendant la décision sur sa demande de contrôle judiciaire mais qui, encore comme le demandeur dans la présente affaire, avait été autorisé à faire une demande de contrôle judiciaire. Le juge Martineau a écrit au paragraphe [8] de ses motifs :


Le demandeur sollicite l'annulation de la décision ERAR et le renvoi de la question à un agent différent pour nouvel examen. Toutefois, entre-temps, le 16 février 2004, la Cour a rejeté la requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi du demandeur jusqu'à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit entendue et tranchée. Le juge des requêtes a décidé qu'il n'y avait aucune question sérieuse à trancher. Par la suite, le demandeur a été renvoyé du Canada. Cela dit, le 17 septembre 2004, le juge des requêtes a autorisé la demande de contrôle judiciaire.

[10]            Ainsi, bien que les conditions devant le juge Martineau aient été semblables à celles de la présente demande de contrôle judiciaire, elles étaient différentes en ce qu'un sursis à l'expulsion dans cette affaire avait été refusé pour le motif qu'il n'existait pas de question sérieuse à juger alors que, dans la présente affaire, on a conclu qu'il existe une question sérieuse, mais que le demandeur n'a pas établi l'existence d'un préjudice irréparable.

[11]            Le précédent faisant autorité en matière de caractère théorique est l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Borowski c. Canada (Procureur général)[7], où le juge Sopinka, pour la Cour, a écrit à la page 353 :


La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire.La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel » . Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient. [Non souligné dans l'original.]

[12]               Comme l'a fait le juge Martineau après une l'analyse approfondie dans l'affaire Figurado, je considère que la présente affaire est théorique dans la mesure où elle ne satisfait pas au critère de « litige actuel » . Le juge Martineau a écrit au paragraphe [41] :

Conformément à l'article 232 du RIPR, les demandeurs d'ERAR bénéficient d'un sursis de la mesure de renvoi. Le législateur voulait donc que l'ERAR soit complétée avant le renvoi des demandeurs pour faire face au risque qu'ils allèguent. L'ERAR a pour objet principal de décider si une personne peut être renvoyée d'une manière sécuritaire du Canada sans qu'elle soit exposée à la persécution, à la torture ou à des traitements inhumains. Cet objet cesse d'exister si la personne est renvoyée. En outre, si le demandeur est renvoyé et qu'il a été persécuté ou soumis à la torture ou à un traitement inhumain, la nouvelle ERAR n'aura peut-être aucun effet pratique. Dans ce contexte, on peut comprendre que les juges des diverses juridictions aient dit que, dans ce type de situation, lorsqu'il y a une question sérieuse à trancher, il y a lieu d'accorder un sursis pour éviter un préjudice irréparable. Comme l'a décidé le juge Lane de la Cour de l'Ontario (Division générale) dans Suresh c. R. [...], lorsque [traduction] « la preuve révèle que [le demandeur] sera fort probablement détenu et interrogé et exposé à un risque de torture et d'exécution sommaire [...] il est fort probable que les tribunaux canadiens ne seront à même d'exercer aucune influence sur la situation. Sa demande sera inutile puisque toute réparation obtenue ne sera pas exécutoire » . [...] Il s'ensuit que le refus par la Cour d'accorder un sursis à un demandeur en attendant qu'une décision soit prise au sujet de sa demande de contrôle judiciaire « sera définitif » et constituera très certainement, dans ces circonstances, un préjudice irréparable. [Renvoi omis.]

[13]            Il est évident que mon collègue le juge Mosley ne partageait pas l'opinion du juge Martineau selon laquelle le refus d'un sursis dans un contexte factuel comme celui qui se trouve maintenant devant la Cour constitue certainement un préjudice irréparable. En l'espèce, je suis d'accord avec le juge Mosley. Au paragraphe [43] de ses motifs dans l'affaire Figurado, le juge Martineau a ajouté :

[...] Une demande de protection en vertu de l'article 112 de la LIPR n'a pas pour objet principal l'obtention du statut de résident permanent ni d'un visa une fois le renvoi exécuté. Il devient très certainement plus difficile, voire impossible, pour le Canada de protéger efficacement une personne qui se trouve en dehors de ses frontières, en attendant le réexamen d'une demande de protection si la Cour a annulé une décision ERAR négative. Par conséquent, j'estime que l'argument présenté par l'avocat du demandeur est très percutant. Ce dernier soutient que toute demande de contrôle judiciaire d'une décision négative ERAR est [quelque peu théorique] si la personne visée a été renvoyée du Canada. [...]

[14]         Je suis tout à fait d'accord avec la conclusion du juge Martineau dans la dernière phrase de la citation reproduite ci-dessus, sauf que je ne suis pas certain de comprendre ce qu'il entend par « [quelque peu théorique] » . Je crois que toute demande de contrôle judiciaire dirigée contre un ERAR défavorable est théorique quand le demandeur du contrôle judiciaire a été renvoyé du Canada à la suite d'une décision d'un juge de la Cour selon laquelle il n'a pas droit à un sursis au renvoi parce qu'il n'a pas satisfait à l'élément préjudice irréparable du critère tripartite qui s'applique au demandeur de sursis.

[15]               Dans l'affaire Freitas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], j'ai écrit au paragraphe [29], dans le contexte du contrôle judiciaire d'un refus d'accorder le statut de réfugié au sens de la Convention :

Cet objectif nettement en rapport avec les droits de la personne constituant le contexte de la présente affaire, j'adopte la position de l'avocat du demandeur. En l'absence de dispositions expresses de la Loi qui m'obligeraient à le faire, je ne suis pas disposé à conclure que le droit conféré au demandeur par le paragraphe 82.1(1) de la Loi est rendu inopérant du fait que le défendeur s'acquitte de son obligation d'exécuter une mesure de renvoi dès que les circonstances le permettent. Je ne suis pas non plus disposé à accepter que le droit du demandeur soit rendu indirectement inopérant par suite d'une décision de notre Cour qui confère un droit vide de sens à une nouvelle décision de la part de la SSR. Je considère que la présente demande n'est pas théorique et qu'elle constitue la poursuite d'un litige réel. Je suis convaincu que cette conclusion est fidèle à la décision du juge Rothstein dans Ramoutar [...] [Renvoi omis.]

[16]         Je suis convaincu, parce que la présente affaire devant la Cour est une demande de contrôle judiciaire d'un ERAR plutôt que d'une décision d'accorder ou non le statut de réfugié au sens de la Convention, qu'elle se distingue de Freitas, en particulier parce qu'ici, la Cour a déjà conclu que le demandeur ne subira pas de préjudice irréparable par suite de son retour au Sri Lanka.

[17]         Je passe maintenant à la deuxième étape de l'analyse en une telle situation, à savoir si, nonobstant une conclusion au caractère théorique, la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire. Dans l'affaire Borowski, précitée, la Cour suprême du Canada a énuméré les facteurs à prendre en considération pour décider d'exercer, ou non, ce pouvoir :


-          premièrement l'existence d'un contexte contradictoire;

-          deuxièmement, la préoccupation d'économie des ressources judiciaires; et

-          troisièmement, la nécessité pour les tribunaux de montrer qu'ils peuvent exercer à bon escient leur fonction juridictionnelle.

[18]               Bien qu'on puisse prétendre avec une certaine force qu'un contexte contradictoire continue à exister dans la présente affaire, je suis persuadé que, quel qu'il soit, le cas échéant, je n'ai pas à rendre une décision. Dans l'affaire Canada (Solliciteur général) c. Bubla[9], le juge Strayer a écrit au paragraphe [16] de ses motifs :

[...] Les juges n'ont aucune autorité inhérente de se prononcer sur le bien-fondé des décisions des autres juges de juridiction équivalente. La décision d'un juge d'une cour supérieure n'est pas non plus susceptible de contrôle dans des procédures indirectes. Bien qu'il puisse être loisible au juge saisi d'une demande d'autorisation d'examiner de nouveau l'affaire lui-même dans certaines circonstances restreintes, il n'est pas permis à un autre juge de se prononcer en appel sur cette décision. L'audition d'une demande de contrôle judiciaire n'offre pas l'occasion de statuer en appel sur la décision d'accorder l'autorisation de demander le contrôle en question. Par conséquent, le juge de première instance aurait dû refuser de traiter de la contestation, par l'avocat de M. Bubla, de la validité de l'ordonnance par laquelle le juge MacKay a donné son autorisation.


[19]            Par analogie, je suis convaincu que si je devais juger le présent contrôle judiciaire, il ne me serait pas loisible, en l'absence d'une preuve qualitativement importante régulièrement présentée à la Cour, mais qui n'aurait pas été présentée au juge Mosley, de statuer sur la validité de la décision que mon collègue a rendue en se fondant sur les preuves qui lui étaient présentées, à savoir que le demandeur dans la présente affaire n'avait pas établi qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était expulsé au Sri Lanka dans les conditions existant alors. Je suis convaincu que ce serait l'essence de toute décision renvoyant l'ERAR défavorable contrôlé ici à un autre agent d'ERAR pour réexamen[10].

[20]               Compte tenu de ma conclusion relativement au premier facteur, il n'est pas nécessaire que j'examine le deuxième facteur quant à l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire de juger l'affaire. J'examinerai cependant brièvement le troisième facteur, soit la nécessité pour la Cour de montrer qu'elle peut exercer à bon escient sa fonction juridictionnelle.


[21]            L'article 232 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés[11] prévoit un sursis à une mesure de renvoi quand une demande d'ERAR est faite, et ce sursis se poursuit en général jusqu'à la conclusion défavorable de l'ERAR, le cas échéant. C'est ce qui s'est produit dans la présente affaire. Il faut noter que ce même règlement ne prévoit pas une continuation du sursis quand une demande de contrôle judiciaire d'un ERAR est faite, que l'intéressé ait obtenu ou non l'autorisation d'engager la procédure de contrôle judiciaire. Ainsi, le gouverneur en conseil, agissant en vertu des pouvoirs conférés par le Parlement, n'a pas jugé bon d'élargir le sursis prévu par l'article 232 à des circonstances telles que celles qui existent dans la présente demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, il était loisible à mon collègue le juge Mosley d'exercer son pouvoir discrétionnaire et de refuser le sursis judiciaire demandé et, cela fait, au défendeur de renvoyer le demandeur malgré ses allégations qu'il courrait un grave risque de subir un préjudice irréparable.

[22]            Si la Cour annulait l'incidence de la décision du juge Mosley de ne pas accorder un sursis, soit le renvoi du demandeur au Sri Lanka par le défendeur, on pourrait dire que cela équivaudrait pour la Cour à s'arroger la fonction réglementaire du gouverneur en conseil qu'il a clairement décidé de ne pas exercer. Le juge Mosley a conclu que le demandeur n'avait pas prouvé qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé au Sri Lanka. Par conséquent, je suis persuadé qu'il ne serait pas convenable que la Cour entende néanmoins la demande de contrôle judiciaire et, si elle l'accueillait, qu'elle renvoie l'affaire à un autre agent d'ERAR pour qu'il détermine s'il y a un risque, car cela constituerait un empiétement sur la fonction réglementaire du gouverneur en conseil.

[23]            En conséquence, la Cour refuse d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre la demande de contrôle judiciaire malgré son caractère théorique.

[24]            Compte tenu de ce qui précède, la Cour n'examinera pas la seule question substantielle qui lui ait été régulièrement présentée, à savoir si l'agente d'ERAR a fait une erreur de droit parce qu'elle n'aurait pas tenu compte du fait qu'un examen du risque effectué antérieurement s'était conclu favorablement pour le demandeur.

[25]            La question de savoir si la décision faisant l'objet du contrôle a été prise d'une manière qui a violé les principes de justice naturelle et les principes de justice fondamentale évoqués à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, en ce sens que cette décision aurait été prise par un tribunal qui n'aurait pas l'indépendance institutionnelle nécessaire ou qui aurait été soumis à un préjugé institutionnel, n'a pas été soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire, bien qu'elle ait été soulevée et en fait plaidée lors du contrôle judiciaire de décisions semblables. Cette question ne sera pas examinée ici. Elle l'est dans les motifs exposés dans l'affaire Say et al c. Le solliciteur général du Canada[12], qui ont été déposés en même temps que les présents motifs.

CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[26]               L'avocat du demandeur a demandé, dans la présente demande de contrôle judiciaire, la certification des questions suivantes :

[TRADUCTION]

-                Est-ce que, dans le contexte d'une demande de prise en compte de considérations humanitaires, un agent d'examen des risques avant renvoi doit tenir compte d'un examen des risques effectué antérieurement par un autre agent d'ERAR qui s'était conclu de façon favorable?

-               Est-ce qu'une demande de contrôle judiciaire d'un examen des risques avant renvoi devient théorique après qu'une personne a été renvoyée du Canada?

[27]            L'avocat du demandeur a soutenu que ces deux questions dépassent les intérêts en cause dans la présente demande et par conséquent qu'elles sont de portée générale, qu'elles sont des questions graves et qu'elles seraient déterminantes d'un appel de ma décision.

[28]               L'avocat du défendeur a plaidé que la première question ne devrait pas être certifiée, parce qu'elle ne serait pas déterminante. Compte tenu de ma décision de ne pas décider le fond de la présente demande, je partage l'avis de l'avocat du défendeur. L'avocat du défendeur a plaidé que la deuxième question est trop générale pour être déterminante d'un appel de la présente décision. Je suis d'accord avec lui, mais la Cour certifiera une modification de la question parce que la Cour est convaincue que c'est une question grave de portée générale qui, dans sa version modifiée, serait déterminante d'un appel. La deuxième question sera donc rédigée de la manière suivante :

-Est-ce qu'une demande de contrôle judiciaire d'un examen des risques avant renvoi est théorique quand la personne qui fait l'objet de la décision a été renvoyée du Canada après le rejet d'une demande de sursis au renvoi au motif que le demandeur n'a pas réussi à établir que le renvoi lui ferait subir un préjudice irréparable et, en outre, si elle est théorique, la Cour a-t-elle le droit de refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre la demande de contrôle judiciaire malgré son caractère théorique?


CONCLUSION

[29]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Une question, dans la forme qui lui est donnée ci-dessus, sera certifiée.

                                                             « FREDERICK E. GIBSON »           

                                                                                                     Juge                               

Ottawa (Ontario)

le 27 mai 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1963-04

INTITULÉ :               PAKEERATHAN THAMOTHARAMPILLAI

                                                                                                           

c.

SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MERCREDI 14 AVRIL 2005       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET

ORDONNANCE :    Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                   le 27 mai 2005

COMPARUTIONS :                                      Brena Parnes

Pour le demandeur

Lorne McClenaghan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       Mme Brena Parnes

Barrister & Solicitor

Waldman & Associates

281 Eglinton Avenue East

Toronto (Ontario) M4P 1L3

Pour le demandeur

John. H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur                                 


         



[1]         Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. 1985, appendice II, no 44].

[2]       Thamotharampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 246 (1re inst.) (QL).

[3]         Thamotharampillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1058 (1re inst.) (QL).

[4]         2004 CF 583.

[5]         (2005), 41 Imm. L.R. (3d) 157, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée, [2005] S.C.C.A. no 119.

[6]         [2005] A.C.F. no 458 (QL).

[7]         [1989] 1 R.C.S. 342.

[8]         [1999] 2 C.F. 432 (C.F. 1re inst.).

[9]         [1995] 2 C.F. 680 (C.A.F.) (arrêt que les parties n'ont pas cité).

[10]       Dans le même sens, voir la décision Guzman c. Canada (MCI), [2002] A.C.F. no 25, au paragraphe [16] (C.F. 1re inst.), et Zhu c. Canada (MCI), [1995] A.C.F. no 1396, au paragraphe [8] (C.F. 1re inst.).

[11]       DORS/2002-227.

[12]       2005 CF 739.


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