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Date : 20060605

Dossier : IMM-1890-05

Référence : 2006 CF 684

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

BALBIR SINGH

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               En l’espèce, le demandeur, Balbir Singh, conteste une décision d’une agente des visas rendue le 22 décembre 2004, dans laquelle sa demande de permis de travail comme aide familial a été rejetée.

 

Le contexte

[2]               En 2004, le demandeur s’est vu offrir un poste d’aide familial chez sa sœur et son beau-frère à Brampton (Ontario). Le demandeur était appelé à prendre soin de deux jeunes enfants, quarante heures par semaine, à un salaire horaire de dix dollars. Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) a examiné et approuvé la proposition d’emploi, à condition que Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) accorde au demandeur un permis de travail.

 

[3]               La demande de permis de travail du demandeur, aux termes de l’article 112 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), DORS/2002-227, a été rejetée au motif que le demandeur ne possédait pas la formation ou l’expérience de travail nécessaire dans le domaine des soins aux enfants. Il est reconnu que le demandeur n’avait pas suivi une formation officielle suffisante pour obtenir un permis de travail, mais il conteste la conclusion selon laquelle il ne possédait pas l’expérience de travail nécessaire.

 

[4]               Depuis 1990, le demandeur a travaillé dans le domaine des soins de santé. En 1994, il a réussi son examen en sciences infirmières et depuis ce temps, il travaille comme infirmier d’unité de soins à l’Institute House of Charity, qui est un hôpital gériatrique reconnu à Vienne. Bien que le demandeur ait une grande expérience dans le domaine des soins en gériatrie – un fait que le défendeur reconnaît sans hésiter – il n’a présenté aucune preuve selon laquelle il aurait de l’expérience de travail dans le domaine des soins aux enfants. Le permis de travail lui a été refusé en raison de ce manque d’expérience dans le domaine des soins aux enfants.

 

Les questions en litige

1.       Dans quelle mesure l’article 112 du Règlement exige-t-il que le demandeur d’un permis de travail à titre d’aide familial possède de l’expérience de travail liée aux caractéristiques individuelles de l’éventuel bénéficiaire canadien?

2.       Dans l’application de l’article 112 du Règlement, l’agent des visas doit-il effectuer une évaluation qualitative des compétences transférables d’un demandeur, acquises au cours d’une expérience de travail antérieure, qui répondraient aux besoins de l’éventuel bénéficiaire canadien?

 

Analyse

[5]               Par souci de commodité, je reproduis ici les dispositions de l’article 112 du Règlement :

112.    Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger qui cherche à entrer au Canada au titre de la catégorie des aides familiaux que si l’étranger se conforme aux exigences suivantes :

112.     A work permit shall not be issued to a foreign national who seeks to enter Canada as a live-in caregiver unless they

a) il a fait une demande de permis de travail à titre d’aide familial avant d’entrer au Canada;

(a) applied for a work permit as a live-in caregiver before entering Canada;

b) il a terminé avec succès des études d’un niveau équivalent à des études secondaires terminées avec succès au Canada;

(b) have successfully completed a course of study that is equivalent to the successful completion of secondary school in Canada;

c) il a la formation ou l’expérience ci-après dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé :

(c) have the following training or experience, in a field or occupation related to the employment for which the work permit is sought, namely,

(i) une formation à temps plein de six mois en salle de classe, terminée avec succès,

(i) successful completion of six months of full-time training in a classroom setting, or

(ii) une année d’emploi rémunéré à temps plein — dont au moins six mois d’emploi continu auprès d’un même employeur — dans ce domaine ou cette catégorie d’emploi au cours des trois années précédant la date de présentation de la demande de permis de travail;

(ii) completion of one year of full-time paid employment, including at least six months of continuous employment with one employer, in such a field or occupation within the three years immediately before the day on which they submit an application for a work permit;

d) il peut parler, lire et écouter l’anglais ou le français suffisamment pour communiquer de façon efficace dans une situation non supervisée;

(d) have the ability to speak, read and listen to English or French at a level sufficient to communicate effectively in an unsupervised setting; and

e) il a conclu un contrat d’emploi avec son futur employeur.

 

(e) have an employment contract with their future employer.

 

 

L’expression « aide familial » est définie à l’article 2 du Règlement comme suit : 

« aide familial » Personne qui fournit sans supervision des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée, dans une résidence privée située au Canada où résident à la fois la personne bénéficiant des soins et celle qui les prodigue.

“live-in caregiver” means a person who resides in and provides child care, senior home support care or care of the disabled without supervision in the private household in Canada where the person being cared for resides.

 

 

[6]               En l’espèce, il est évident que dans sa décision, l’agente des visas a conclu qu’il fallait interpréter l’article 112 du Règlement comme si celui-ci exigeait que le demandeur possède une expérience de travail précise dans le domaine des soins aux enfants. Par conséquent, l’expérience et les qualifications reconnues du demandeur dans le domaine des soins en gériatrie n’étaient pas suffisantes pour lui permettre d’obtenir un permis de travail. Il est également évident qu’en raison de la décision qu’elle avait prise quant à l’interprétation, l’agente des visas ne voyait pas le besoin de se lancer dans une évaluation pragmatique des compétences transférables du demandeur en tant qu’infirmier.

 

[7]               L’approche que l’agente des visas a adopté dans sa prise de décision constitue une question de droit portant sur l’interprétation de l’article 112 du Règlement. Le demandeur soutient que l’exigence en matière d’expérience de travail de cette disposition devrait être interprétée au sens large et devrait comprendre l’expérience générale dans le domaine des soins sans tenir compte des caractéristiques individuelles de l’éventuel bénéficiaire canadien. Le défendeur affirme que la phrase « expérience […] dans un domaine ou une catégorie d’emploi lié au travail pour lequel le permis de travail est demandé » signifie que l’expérience de travail antérieure doit être directement liée aux caractéristiques individuelles du bénéficiaire ou, en l’espèce, aux soins des enfants.

 

[8]               Il ne s’agit pas d’une situation dans laquelle l’agent des visas aurait appliqué un principe de droit aux circonstances de fait de l’affaire. En l’espèce, l’agente des visas ne s’est pas rendue à cette étape parce qu’elle a rejeté la demande de permis de travail uniquement sur le fondement d’une interprétation juridique de l’article 112. Il s’agit d’une question d’interprétation de la loi; la norme de contrôle en l’espèce est donc la décision correcte : voir l’affaire Hamid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2013, 2005 CF 1632, au paragraphe 4.

 

[9]               Il me semble que le libellé de l’article 112 est suffisamment ambigu pour pouvoir se prêter aux interprétations données par les deux parties. Bien qu’elles ne soient pas obligatoires en droit, les lignes directrices opérationnelles de CIC qui s’appliquent à l’article 112 aident quelque peu à comprendre la façon dont le ministère applique le critère d’admissibilité pour l’émission de permis de travail d’aide familial. La ligne directrice applicable, soit OP 14 (Traitement des demandes aux termes du programme des aides familiaux résidants), porte sur les exigences en matière de formation et d’expérience. L’article 5.4 se lit comme suit :

5.4  L'agent doit évaluer la qualité du programme suivi et déterminer s'il est suffisant pour permettre au requérant d'accomplir les tâches imposées par l'emploi éventuel. Dans le cas où les programmes de formation visent essentiellement à dispenser une formation en prestation de soins répondant à nos exigences, il est nécessaire de déterminer si ces programmes sont légitimes et si la formation est suffisante.

 

[…]

 

La formation et l'expérience doivent se situer dans un domaine ou une catégorie d'emploi lié à l'emploi recherché. Ainsi, l'aide familial résidant éventuel peut avoir une formation ou de l'expérience en éducation des jeunes enfants, en soins gériatriques ou pédiatriques, ou en premiers soins en pédiatrie ou en gériatrie. L'expérience de la prestation de soins dans une institution (garderie, orphelinat, hôpital, centre pour personnes âgées, etc.) doit être prise en considération lorsqu'on détermine si le requérant satisfait à l'exigence relative à l'expérience. [Non souligné dans l’original]

 

De plus, l’article 5.5 de l’OP 14 offre les conseils suivants aux agents des visas qui doivent évaluer les programmes de formation dans le domaine des soins :

 

5.5 La formation d'aide familial résidant doit s'apparenter à celle qui est dispensée par les collèges communautaires canadiens offrant une formation en garde d'enfants ou dans des domaines connexes.

 

[…]

 

Il n'existe pas de liste de cours exigés par CIC, le Ministère n'étant pas un organisme de réglementation en matière d'éducation. Toutefois, le bureau des visas peut évaluer la légitimité, la qualité, le caractère adéquat et la pertinence des programmes de formation offerts dans sa région, notamment en déterminant si le nombre d'heures de formation en classe est suffisant.

 

[…]

 

Note : L'agent doit demander l'aide du bureau des visas du pays où se situe le centre de formation afin de vérifier la légitimité du centre et le sérieux de sa formation.

 

                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

[10]           Les dispositions susmentionnées souffrent, dans une certaine mesure, du même manque de clarté que l’article 112. Cependant, je me laisse guider par la teneur de ces dispositions, qui laissent entendre que les étiquettes qui sont attachées à la formation ou à l’expérience ne sont pas révélatrices, mais que l’admissibilité à l’obtention d’un permis de travail doit être jaugée selon les compétences pertinentes qui sont acquises. Mon opinion à ce sujet est renforcée par le fait que les lignes directrices conseillent à l’agent des visas d’examiner l’expérience de la prestation des soins dans un milieu institutionnel, y compris les hôpitaux.

 

[11]           L’adoption de l’interprétation fondée sur l’objet visé pour interpréter l’article 112 donne le même résultat. Manifestement, ces dispositions permettent à l’agent de s’assurer que l’aide familial possède les compétences requises pour effectuer adéquatement les tâches qui lui seront assignées. Il ne fait aucun doute qu’un infirmier qualifié en bonne et due forme possède amplement l’expérience et les connaissances générales nécessaires à la prestation des soins. Le fait que, lors de son expérience précédente, les bénéficiaires du demandeur ont pu ne pas être des enfants, ne veut pas dire qu’il ne possède pas de compétences transférables qui s’appliqueraient au domaine des soins aux enfants. Le dossier en l’espèce montre que le demandeur posséde de nombreuses compétences qui s’appliquaient tout autant au domaine des soins aux enfants, notamment en nutrition, en hygiène, en premiers soins, en supervision, en soins à domicile et en techniques comportementales.

 

[12]           Pour appliquer l’article 112 à toute situation de fait, il faut évaluer l’expérience de travail du demandeur afin de cibler les compétences qui sont transférables à l’emploi éventuel au Canada. Il est possible que dans un même foyer se trouvent des enfants qui ont besoin des soins habituels, ainsi que des personnes âgées ou handicapées qui auraient des besoins différents ou uniques. Une approche trop rigide à l’interprétation des dispositions de l’article 112 au sujet de l’expérience de travail ou des exigences en matière de formation pourrait priver une famille du soutien que ces dispositions sont censées offrir.

 

[13]           Bien qu’il existe peu de jurisprudence au sujet de l’article 112, j’ai recours à l’approche du juge Yves de Montigny dans l’affaire Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 592, 2005 CF 459. Dans cette affaire, la demanderesse avait présenté une demande de permis de travail comme aide familial, conformément à l’article 112 du Règlement, et soutenait qu’elle était capable de s’occuper d’enfants en raison de l’expérience de travail qu’elle avait acquise au Maroc comme institutrice. Le défendeur avait alors pris une position légèrement différente en contestant la demande de permis de travail au motif que la demanderesse n’avait pas d’expérience en tant qu’aide familial. Pourtant, comme c’est le cas en l’espèce, le défendeur avait soutenu que l’article 112 devait être interprété de façon restrictive. Le juge de Montigny avait rejeté l’argument du défendeur après avoir examiné les compétences qu’un instituteur pouvait transférer à un emploi comme aide familial et avait conclu que ces compétences étaient suffisantes pour répondre aux critères nécessaires à l’obtention d’un permis de travail. Au paragraphe 31, il avait énuméré ces compétences comme suit :

Par conséquent, à mon avis, la demanderesse remplit tous les critères. La preuve démontre qu'elle est institutrice avec des enfants d'âge primaire depuis 7 ans. Par conséquent, elle a fort probablement les aptitudes requises pour surveiller et prendre soin des enfants, les initier à l'hygiène personnelle et au développement social, veiller à leur bien-être émotif, les discipliner, organiser des activités pour les divertir, les accompagner à l'école, et veiller à créer un environnement sain à la maison (ce sont là quelques-unes des fonctions principales des aides à la famille telles que décrites dans la classification nationale des professions).

 

 

[14]           À mon avis, il aurait fallu suivre la même approche pour la demande de permis de travail du demandeur en l’espèce. L’agente des visas aurait dû examiner les compétences en matière de soins que le demandeur avaient acquises au cours des dix (10) ans pendant lesquels il avait travaillé comme infirmier dans un hôpital, pour déterminer si ces compétences répondaient adéquatement aux critères d’emploi pour le poste qui lui était offert. Lors de l’examen de l’expérience antérieure, il n’est pas suffisant de se fonder uniquement sur les caractéristiques ou l’âge des éventuels bénéficiaires des soins. Il faut comparer l’expérience du demandeur dans le domaine des soins avec les besoins probables des bénéficiaires et déterminer s’il existe une concordance suffisante qui justifierait la délivrance d’un permis de travail. En effet, il est difficile de croire qu’une personne qui a travaillé comme infirmier dans un hôpital pendant plus de dix (10) ans n’ait pas acquis de nombreuses compétences et aptitudes qui soient facilement applicables à la prestation de soins aux enfants dans un milieu familial.

 

[15]           L’affaire doit être renvoyée devant un autre agent des visas pour nouvel examen sur le fond, parce que l’agente des visas a commis une erreur dans son interprétation des exigences décrites à l’article 112 du Règlement.

 

[16]           L’avocate du défendeur a mentionné qu’elle n’avait aucune question à présenter pour la certification, peu importe la décision rendue en l’espèce. Compte tenu de la décision que je rends, il n’est pas nécessaire de certifier une question pour le compte du demandeur.

 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée devant un autre agent des visas pour nouvel examen sur le fond.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1890-05

 

INTITULÉ :                                       BALBIR SINGH

 

                                                            c.

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE MARDI 30 MAI 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee                                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

Judy Michaely                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Mr. John Pro

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Toronto (Ontario)                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

 

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