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Date : 20020524

Dossier : IMM-2763-01

Toronto (Ontario), le vendredi 24 mai 2002

En présence de :         Monsieur le juge McKeown

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                               BERNADETT OLAH, KLARA ZAKAR

                                                                                                                                                  défenderesses

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission en date du 25 avril 2001 est annulée, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

« W. P. McKeown »

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                                                                                                                                                               JUGE                         

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B, D.D.N.


                                                                                                                                           Date : 20020524

                                                                                                                             Dossier : IMM-2763-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 595

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                               BERNADETT OLAH, KLARA ZAKAR

                                                                                                                                                  défenderesses

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, demande le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 25 avril 2001, que les défenderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention.


[2]                 La principale question, en l'espèce, consiste à déterminer si la Commission a commis une erreur en concluant que la protection de l'État était inadéquate. Il s'agit également de savoir si la Commission a commis une erreur en se fondant sur la notion de persécution indirecte pour conclure que la revendicatrice mineure était une réfugiée au sens de la Convention, et en n'abordant pas la question de la possibilité d'un refuge intérieur.

FAITS :

[3]                 La défenderesse, Klara Zakar et sa fille, Bernadette Olah, âgée de 11 ans, sont des citoyennes de la Hongrie. Elles ont d'abord fondé leur revendication sur les problèmes qu'elles ont rencontrés en raison de leur origine rome. Elles ont ensuite déclaré que ce qu'elles craignaient vraiment, c'était de subir la violence conjugale exercée par le conjoint de fait de la défenderesse principale.

[4]                 La Commission a conclu que les défenderesses étaient des réfugiées au sens de la Convention en raison de la crainte de la défenderesse principale d'être victime de violence conjugale. La Commission a estimé que la revendicatrice était crédible, affirmant à la page 4 :

Le tribunal conclut que la revendicatrice était claire et qu'elle a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées. Elle a témoigné avec franchise. La revendicatrice a démontré qu'elle avait la ferme volonté de se protéger non seulement elle-même, mais également sa fille, contre toute agression de Gyrogy Olah, le présumé agent de persécution.

En ce qui concerne la protection de l'État, la Commission a affirmé :


S'agissant de protection de l'État, la revendicatrice s'est présentée à la police et a déposé des plaintes contre son ex-conjoint de fait. Elle a estimé que la réponse de la police n'était pas suffisante pour la protéger. Selon le document d'information du département d'État américain, la violence conjugale semble être courante... et les victimes qui tentent de la dénoncer reçoivent généralement peu d'aide des autorités. Les organisations de défense des droits des femmes soutiennent qu'une femme sur 10 est victime de violence conjugale et que les attitudes de la société en ce qui concerne la violence conjugale sont « archaïques » . En l'espèce, il convient de noter également que la victime est une femme d'origine rome et que d'après la preuve documentaire, en général les Roms ne bénéficient pas du même niveau de protection que les Hongrois. Donc, bien que la revendicatrice soit allée demander la protection de la police et qu'elle ait porté plainte, elle estime que la protection qu'elle a reçue n'était pas adéquate. Au vu de la preuve documentaire citée ci-dessus et également des circonstances particulières de la revendicatrice, le tribunal conclut qu'elle n'a pas accès à une protection adéquate.

Pour ce qui est de la fille de la revendicatrice, la Commission a dit :

La demande de la revendicatrice mineure dépendait du témoignage de sa mère, qui a démontré que la revendicatrice mineure a fait l'objet et a été témoin d'actes de violence à une occasion. En conséquence, le tribunal ayant conclu que la revendicatrice craint avec raison d'être persécutée, il conclut également que le bien-fondé de la crainte de persécution de la revendicatrice mineure a également été établi.

  

ANALYSE :

[5]                 Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en incorporant un élément subjectif dans son analyse de la protection de l'État. À deux reprises dans ses motifs, la Commission mentionne le fait que la revendicatrice estimait que la protection qu'elle avait reçue n'était pas adéquate. Bien que la Commission ait également fait référence à la preuve documentaire, le demandeur fait valoir que le fait que ledit élément subjectif ait été évoqué deux fois indique qu'il a joué un rôle important dans l'analyse.


[6]                 L'arrêt de principe en matière de protection de l'État est Canada (Procureur général) c. Ward, 103 D.L.R. (4th) 1. À la page 21, le juge Laforest a affirmé :

Il est clair que l'analyse est axée sur l'incapacité de l'État d'assurer la protection : c'est un élément crucial lorsqu'il s'agit de déterminer si la crainte du demandeur est justifiée, de sorte qu'il a objectivement raison de ne pas vouloir solliciter la protection de l'État dont il a la nationalité. L'affirmation de Goodwin-Gill, qui est apparemment à l'origine de la proposition de la Commission, se lit ainsi, à la p. 38 :

[traduction] La crainte d'être persécuté et l'absence de protection sont elles-mêmes des éléments intimement liés. Les persécutés ne bénéficient manifestement pas de la protection de leur pays d'origine, alors que la preuve de l'absence de protection, que ce soit au niveau interne ou externe, peut créer une présomption quant à la probabilité de la persécution et au bien-fondé de la crainte. [Non souligné dans l'original.]

Ayant établi que le demandeur éprouve une crainte, la Commission a, selon moi, le droit de présumer que la persécution sera probable, et la crainte justifiée, en l'absence de protection de l'État. La présomption touche le coeur de la question, qui est de savoir s'il existe une probabilité de persécution. Cependant, je ne vois rien de mal dans cela si la Commission est convaincue qu'il existe une crainte légitime et s'il est établi que l'État est incapable d'apaiser cette crainte au moyen d'une protection efficace.

Selon moi, ce passage indique que la question de la protection de l'État touche l'élément objectif du critère relatif à la crainte de persécution, c'est-à-dire l'élément qui consiste à vérifier si la crainte subjective du revendicateur est fondée d'un point de vue objectif. La preuve pertinente permettant de trancher cette question comprendrait la preuve documentaire et les circonstances personnelles du revendicateur. Les sentiments subjectifs du revendicateur à l'égard de la protection de l'État ne constitueraient donc pas un facteur pertinent. En l'espèce, même s'il est clair que la Commission a tenu compte de la preuve documentaire objective dans son analyse, ses motifs donnent à penser qu'elle a également accordé une importance aux sentiments subjectifs de la revendicatrice. Je suis d'avis que c'était une erreur d'agir ainsi.


[7]                 Le demandeur prétend également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de certains éléments probants de la preuve documentaire, et plus particulièrement, de trois rapports de police qui lui ont été soumis. Le premier rapport, daté du 7 septembre 1995, faisait état d'une agression contre la revendicatrice survenue le 29 août 1995. Le rapport fournit certains détails sur l'agression, mais indique qu'aucune accusation n'a été portée et que la revendicatrice a été informée qu'elle pouvait intenter une poursuite privée pour entrée illégale. La revendicatrice a été agressée de nouveau le 17 octobre 1995. Le conjoint de la revendicatrice a été détenu du 7 au 10 novembre 1995 relativement à cette agression, et une accusation a été portée contre lui par le poursuivant public qui a recommandé le paiement d'une amende. Un troisième incident est survenu en août 1996, à la suite duquel la police a arrêté et détenu le conjoint. Aucune preuve n'a été déposée quant au dénouement des procédures intentées contre le conjoint.


[8]                 Le demandeur allègue que la Commission n'a pas tenu compte de ces rapports dans son analyse, que ces rapports démontrent que la protection offerte par l'État était adéquate, et qu'en réalité, la protection reçue par la revendicatrice en l'espèce équivalait à celle qu'elle aurait reçue au Canada. La défenderesse, par contre, fait valoir que les rapports indiquent clairement que la protection de l'État était inadéquate, puisque la police a été incapable de la mettre à l'abri des autres agressions, que le conjoint n'a été détenu que 3 jours en novembre 1995, et que le poursuivant a recommandé une amende plutôt qu'une peine d'emprisonnement lors de la mise en accusation. La défenderesse prétend que ces rapports ont été examinés par la Commission, et que celle-ci n'est pas tenue de traiter en détail de tous les éléments de preuve dont elle est saisie.

[9]                 Je remarque qu'aucune preuve n'a été fournie à la Commission ni à notre Cour concernant le degré de protection dont aurait bénéficié la revendicatrice au Canada. Cependant, je crois qu'il est un fait bien établi, dont je peux prendre connaissance d'office, que les services de police du Canada sont souvent incapables de protéger totalement la victime de violence conjugale contre son agresseur. En l'espèce, la police a réagi aux actes de violence, allant même jusqu'à arrêter et détenir le conjoint et à porter une accusation contre lui. Bien que je sois d'accord que la protection de l'État, en l'espèce, aurait certainement pu être plus efficace, je ne crois pas que la protection qu'elle a reçue soit très différente de celle qu'elle aurait reçue au Canada. Dans Smirnov c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] 1 C.F. 780 (1re inst.), le juge Gibson a rejeté la norme fixée par le juge Tremblay-Lamer en matière de protection de l'Étatdans la décision Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1364 (1re inst.). Le juge Tremblay-Lamer y a affirmé :

Ainsi donc, même si l'État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace. Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d'aider. Lorsque la preuve révèle qu'un demandeur a connu de nombreux incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination sans que l'État le défende efficacement, la présomption joue, et on peut conclure que l'État veut peut-être protéger le demandeur, mais qu'il ne peut le faire.

[...] Le fait que le grand nombre d'incidents de discrimination et de harcèlement n'a pas cessé après que les requérants eurent demandé l'aide de la police prouve suffisamment que l'État dans ce cas particulier ne pouvait leur assurer une protection efficace.


Le juge Gibson, dans Smirnov, affirme à la page 5 :

En toute déférence, je conclus que Madame le juge Tremblay-Lamer fixe une norme trop élevée en ce qui concerne la protection de l'État, norme que, dans bien des cas, il serait difficile d'atteindre même dans notre pays. C'est une réalité moderne que la protection offerte est parfois inefficace. Bien des incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination peuvent survenir d'une manière qui rend très difficiles toute enquête et toute protection efficaces [...]. Dans de tels cas, même la police la plus efficace, la mieux équipée et la plus motivée aura de la difficulté à fournir une protection efficace. Notre Cour ne devrait pas imposer à d'autres pays une norme de protection « efficace » que malheureusement la police de notre propre pays ne peut parfois qu'ambitionner d'atteindre.

De même, je crois qu'en l'espèce la Commission a fixé une norme trop élevée en ce qui concerne la protection de l'État. Bien que la preuve documentaire citée par la Commission puisse indiquer que les femmes victimes de violence conjugale ne reçoivent pas beaucoup d'aide des autorités, et que les Roms ne bénéficient généralement pas du même degré de protection que les autres, j'estime que dans les circonstances de la présente affaire la revendicatrice n'a pas fourni une preuve claire et convaincante que l'État de la Hongrie n'a pas assuré une protection adéquate, et je suis d'avis que la Commission a commis une erreur en fixant une norme trop élevée en matière de protection de l'État. De plus, la Commission aurait à tout le moins dû examiner les rapports de police plus en détail dans son analyse, ces rapports contenant des éléments de preuve convaincants directement pertinents quant à la question de la protection de l'État.

[10]            La seconde question en l'espèce consiste à déterminer si la Commission a eu raison de conclure que l'enfant de la revendicatrice principale était une réfugiée au sens de la Convention. La Commission a affirmé :


La demande de la revendicatrice mineure dépendait du témoignage de sa mère, qui a démontré que la revendicatrice mineure a fait l'objet et a été témoin d'actes de violence à une occasion. En conséquence, le tribunal ayant conclu que la revendicatrice craint avec raison d'être persécutée, il conclut également que le bien-fondé de la crainte de persécution de la revendicatrice mineure a également été établi.

Le demandeur allègue que cette conclusion était indirecte, qu'il n'y avait aucun lien direct entre la fille et la persécution. Je ne suis pas d'accord. Il ressortait de la preuve soumise à la Commission que la fille avait elle-même été victime de violence, et je ne vois aucune erreur dans la décision de la Commission portant qu'elle était également une réfugiée au sens de la Convention.

[11]            Des arguments ont été avancés à l'égard de la possibilité d'un refuge intérieur. Cependant, cette question n'ayant pas été soulevée de façon explicite à l'audience tenue par la Commission, celle-ci n'a pas commis d'erreur en n'abordant pas cette question dans ses motifs.

        

[12]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission en date du 25 avril 2001 est annulée, et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                 « W. P. McKeown »                       

Juge     

Toronto (Ontario)

Le 24 mai 2002                         

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

           Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                        IMM-2763-01

INTITULÉ :                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  demandeur

- et -

BERNADETT OLAH, KLARA ZAKAR

                                                                                              défenderesses

DATE DE L'AUDIENCE :            MARDI 21 MAI 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE MCKEOWN

DATE DES MOTIFS :         VENDREDI 24 MAI 2002

COMPARUTIONS :         M. Stephen Jarvis

Pour le demandeur

M. Harvey Savage

M. Gary Shorser

Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le demandeur

Harvey Savage

Avocats

393, avenue University, bureau 2000

Toronto (Ontario)

M5G 1E6

Pour les défenderesses


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

     Date : 20020524

Dossier : IMM-2763-01

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                             demandeur

- et -

BERNADETT OLAH, KLARA ZAKAR

                                      défenderesses

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                   

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