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Date : 20010828

Dossier : IMM-5626-00

Référence neutre : 2001 CFPI 955

ENTRE :

                                                                        ISAM JABER

                                                                                                                            Partie demanderesse

                                                                                  ET

                                                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                              ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                Partie défenderesse

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du 10 octobre 2000 de la section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la "section d'appel") ordonnant le rejet de l'appel de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur le 10 janvier 1996 en vertu de l'alinéa 27(1)(e) de la Loi sur l'immigration (la "Loi").


FAITS

[2]                 Le demandeur, âgé de 35 ans et originaire du Koweit, a obtenu le statut de résident permanent en 1992. Le 13 décembre 1990, le père du demandeur a présenté une demande de résidence permanente à titre de demandeur principal pour lui-même et ses dépendants, ce qui incluait ses enfants qui n'étaient pas mariés. Cette demande était parrainée par un des frères du demandeur déjà installé au Canada.

[3]                 Le 9 octobre 1992, le demandeur a obtenu un visa qui lui permettait de se rendre au Canada à titre de résident permanent. Le 13 novembre 1992, soit dix jours avant son arrivée au Canada, le demandeur qui était en Syrie, a signé un contrat de mariage avec Shahinaz Lolou, également citoyenne syrienne.

[4]                 Le demandeur est arrivé au Canada le 23 novembre 1992 en compagnie de ses parents, de son jeune frère et de ses deux soeurs. Le demandeur a déclaré dans le formulaire intitulé "visa d'immigrant et fiche relative au droit d'établissement", qu'il devait remplir lors de son arrivée, que son statut était célibataire, jamais marié.

[5]                 Quelques mois plus tard, soit le 13 avril 1993, il a signé un formulaire d'engagement d'aide à l'égard de Shahinaz Lolou, la déclarant alors comme son épouse.

[6]                 Le père du demandeur est décédé en 1999, une des soeurs du demandeur est mariée et l'autre travaille. Le demandeur vit avec sa mère et son jeune frère qui est encore aux études. C'est le demandeur qui pourvoit financièrement aux besoins de cette famille restreinte.

[7]                 Le demandeur a toujours travaillé depuis janvier 1993. Il a acquis un commerce en 1995 et l'a vendu en avril 2000. Il a ainsi accumulé un capital de 50 000 $ à 52 000 $ qui lui permet de rencontrer ses obligations.

[8]                 Le demandeur est retourné aux études pour obtenir un certificat à l'Université Concordia en « Software Development for Business Applications » et souhaite terminer au dernier semestre de l'an 2001. Le demandeur détient également une attestation d'études de l'Université de Damas à titre de bachelier en économie, concentration en comptabilité depuis novembre 1992.


DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL

[9]                 Devant la section d'appel, le demandeur a expliqué que, selon sa religion et sa culture, pour qu'il y ait mariage, non seulement devait-il y avoir un contrat de mariage mais également contact physique entre l'époux et l'épouse.

[10]            Ainsi, le contrat de mariage signé par le demandeur le 13 novembre 1992 ne serait valide et complet que lorsqu'un contact physique se serait produit entre lui-même et son épouse. Ce n'est qu'en 1995, lors d'un voyage que le demandeur a effectué en Syrie pour visiter Mme Lolou, que toutes les formalités du mariage furent complétées. Depuis lors, le demandeur a témoigné être retourné à chaque année en Syrie pour visiter son épouse. De plus, c'est depuis 1995 que le demandeur pourvoit aux besoins de celle-ci puisque c'est « sa responsabilité » .

[11]            En contre-interrogatoire, le demandeur, qui a parrainé Mme Lolou en signant un formulaire d'engagement le 13 avril 1993, a admis l'avoir décrite comme épouse. Il a expliqué que des amis lui avaient recommandé d'agir ainsi pour faciliter l'admission de Mme Lolou.


[12]            L'avocat du demandeur a soutenu devant la section d'appel que la déclaration faite par le demandeur lors de son admission au Canada le 23 novembre 1992, à l'effet qu'il était célibataire, jamais marié, constitue une erreur involontaire de sa part. En effet, il ne pouvait alors se déclarer marié puisque toutes les conditions à l'existence de son mariage, selon ses traditions religieuses, n'avaient pas encore été complétées.

[13]            Selon l'avocat du demandeur, l'erreur involontaire de ce dernier résultait du fait qu'il était jeune à l'époque, de sa culture, des circonstances dans lesquelles il a signé un document sans en connaître les critères et sa compréhension de ce qu'est le mariage.

[14]            Pour sa part, la représentante de la partie défenderesse a insisté devant la section d'appel sur le caractère important de la fausse représentation faite non seulement par le demandeur, à l'effet qu'il était célibataire et jamais marié au moment de son arrivée au Canada le 23 novembre 1992, mais également par la famille.

[15]            La section d'appel a jugé que le facteur important, sinon déterminant, dans cette affaire était l'aspect volontaire ou non de l'omission du demandeur au moment de son arrivée au Canada le 23 novembre 1992, d'indiquer qu'il n'était plus célibataire, jamais marié.

[16]            La section d'appel a souligné que le demandeur est un homme instruit possédant un diplôme universitaire de l'Université de Damas. Il vivait avec sa famille en Jordanie avant d'immigrer au Canada. Il a été parrainé par un de ses frères qui, en tant que résident permanent du Canada, connaissait ou devait connaître les lois canadiennes relatives à l'immigration et ce quelles que soient sa religion et/ou ses origines ethniques.

[17]            La façon nerveuse et parfois évasive dont le demandeur a témoigné à l'audition de l'appel n'a pas convaincu la section d'appel du caractère involontaire de son omission. La section d'appel a noté que le demandeur s'est constamment réfugié derrière ses traditions religieuses pour justifier le fait qu'il n'ait pas mentionné à l'agent d'immigration qu'il avait changé de statut civil entre l'obtention de son visa d'immigration et son arrivée au Canada.

[18]            La section d'appel s'est interrogée sur le fait que le demandeur avait parrainé Mme Lolou à titre d'épouse en avril 1993. La section d'appel a trouvé que l'explication du demandeur à savoir qu'il aurait été mal conseillé par des amis est une excuse trop facile à laquelle la section d'appel n'a pu donner de créance. Le demandeur demeurait au Canada et pouvait bénéficier des conseils de son frère et de personnes qualifiées, tout comme avant son arrivée au Canada d'ailleurs.

[19]            La section d'appel a également noté que cette explication n'était pas celle du demandeur lors de son enquête le 19 juin 1995.

[20]            La section d'appel a également expliqué que le fait que le demandeur se soit considéré comme marié ou non lors de son arrivée en novembre 1992 ne saurait changer le fait qu'il savait à ce moment qu'il avait signé un contrat de mariage avec Mme Lolou quelques jours avant et que ce contrat constituait un fait suffisamment important qu'il se devait de divulguer à son arrivée au Canada.

[21]            La section d'appel a conclu que le demandeur avait fait preuve de mauvaise foi. Non seulement le demandeur, qui se présente lui-même comme un homme instruit et avisé, a volontairement caché un fait important à l'agent d'immigration lors de son arrivée au Canada en novembre 1992, mais encore il a déclaré être marié à Mme Lolou lorsqu'il l'a parrainée en avril 1993 alors qu'il prétend qu'il n'était pas alors marié selon ses traditions religieuses.

[22]            La section d'appel n'a pas trouvé le demandeur crédible et a trouvé ses explications ajustées et réajustées au besoin encore moins crédibles.


[23]            La section d'appel a noté que certains facteurs pourraient militer en faveur du demandeur, c'est-à-dire qu'il a toujours travaillé depuis janvier 1993 et qu'il est le soutien financier de sa mère et de son jeune frère. Cependant, la section d'appel a souligné que si le demandeur avait pu travailler et accumuler des économies au Canada, c'est parce qu'il est entré illégalement au Canada.

[24]            La section d'appel a considéré qu'elle ne pouvait donner au demandeur le plein crédit et sanctionner positivement les acquis que le demandeur a accumulés après avoir été admis au Canada sans avoir dévoilé un renseignement important qui l'aurait normalement empêché d'y être admis.

[25]            La section d'appel a par conséquent rejeté l'appel.

QUESTIONS EN LITIGE

[26]            1-          La section d'appel a-t-elle erré en ne considérant pas toutes les circonstances particulières de l'affaire?

2-          La section d'appel a-t-elle erré en n'indiquant pas au demandeur la prétendue contradiction dans ses explications et en ne lui permettant pas de s'expliquer quant à cette prétendue contradiction?

3-          La décision de la section d'appel est-elle déraisonnable?

ANALYSE

1-          La section d'appel a-t-elle erré en ne considérant pas toutes les circonstances particulières de l'affaire?

[27]            L'alinéa 70(1)b) de la Loi prévoit:

70. (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants:

70. (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeal Division on either or both of the following grounds, namely,

a) question de droit, de fait ou mixte;

(a) on any ground of appeal that involves a question of law or fact, or mixed law and fact; and

b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

(b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

[28]            Le demandeur soutient que même en présence d'une fausse déclaration faite intentionnellement, la section d'appel doit prendre en considération toutes les circonstances particulières de l'affaire qui pourraient jouer en faveur du demandeur et les considérer dans son appréciation des faits afin d'exercer équitablement sa compétence.


[29]            Le demandeur allègue qu'il apparaît à la lecture des motifs de la section d'appel en l'espèce, que la section d'appel refuse de tenir compte des autres critères et ce, parce qu'elle considère que le demandeur a pu s'établir au Canada en raison de son entrée illégale au Canada.

[30]            Le demandeur soutient que le refus de la section d'appel de tenir compte des autres facteurs prouvés lors de l'audition devant elle et non contestés constitue un défaut d'exercer sa compétence en équité.

[31]            Le demandeur note que la section d'appel considère que les événements qui ont mené à l'infraction et à l'inadmissibilité du demandeur au Canada sont suffisants pour empêcher d'évaluer les autres facteurs qui pourraient jouer en faveur du demandeur puis reproche par la suite au demandeur de ne pas avoir démontré, eu égard à l'ensemble des circonstances, qu'il existait des motifs justifiant son non-renvoi.

[32]            Selon le demandeur, la section d'appel a erré en droit en ne considérant pas les autres facteurs qui justifiaient son non-renvoi du Canada.

[33]            Dans l'affaire Chieu c. Canada(M.C.I.), [1999] 1 C.F. 605 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a expliqué que la section d'appel devait examiner les circonstances particulières d'une affaire afin de déterminer si la mesure d'expulsion a été prononcée correctement et équitablement et a ajouté:


[18] ... Ces considérations peuvent comprendre les sujets suivants, mais elles ne seraient pas limitées à celles-ci :

·                 la gravité de l'infraction à l'origine de l'expulsion;

·                 la possibilité de réhabilitation (si un crime a été commis);

·                 les répercussions du crime (si un crime a été commis) pour la victime;

·                 les remords du demandeur (si un crime a été commis);

·                 la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant ici;

·                 la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

·                 les effort faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction;

·                 le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité.

[34]            La section d'appel a conclu dans ses motifs que le facteur important, sinon déterminant, de l'appel du demandeur était l'aspect volontaire ou non de l'omission du demandeur au moment de son arrivée au Canada le 23 novembre 1992. La section d'appel a conclu que le demandeur ne l'avait pas convaincue du caractère involontaire de son omission et la section d'appel, après étude du témoignage du demandeur à l'audition n'a pu conclure qu'à la mauvaise foi de celui-ci.

[35]            La section d'appel a par la suite indiqué à la page 5 de sa décision ce qui suit:


Certains facteurs pourraient militer en faveur de l'appelant. Il en est ainsi du fait qu'il a toujours travaillé depuis janvier 1993 et qu'il est le soutien financier de sa mère et de son jeune frère. Cependant s'il a pu travailler et accumuler des économies au Canada, c'est parce qu'il est entré illégalement au Canada. Le tribunal ne saurait lui en donner le plein crédit et sanctionner positivement les acquis que l'appelant a accumulés après avoir été admis au Canada sans avoir dévoilé un renseignement important qui l'aurait normalement empêché d'y être admis.

[36]            En vertu de l'alinéa 70(1)b), la section d'appel doit examiner les circonstances particulières de l'espèce afin de déterminer si le demandeur ne devrait pas être renvoyé du Canada. Pour ce faire, certains facteurs doivent être considérés, dont :

-            la durée de la période passée au Canada et le degré d'établissement de l'appelant ici;

-            la présence de la famille qu'il a au pays et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

-            les efforts faits par le demandeur pour s'établir au Canada, notamment en ce qui concerne l'emploi et l'instruction;

-            le soutien dont bénéficie le demandeur, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité.


[37]            Le but de l'alinéa 70(1)b) de la Loi est de vérifier si malgré le fait que le demandeur ait omis de divulguer un fait important, il y a des circonstances justifiant qu'il demeure au Canada. Ces circonstances doivent être considérées de façon indépendante de l'omission de divulguer du demandeur sinon il s'agirait d'une sorte de double pénalité imposée au demandeur puisque la question de l'omission de divulguer sera considérée lorsqu'il s'agira de mettre en balance toutes les circonstances de l'affaire et les peser. Le but de l'alinéa 70(1)b) de la Loi n'est pas de pénaliser le demandeur mais bien d'examiner les circonstances de l'établissement du demandeur au Canada malgré le fait qu'il puisse ne pas avoir divulgué un fait important et qu'ainsi il ait pu obtenir sa résidence permanente.

[38]            J'ai considéré soigneusement la décision rendue, et particulièrement à savoir si la section d'appel avait examiné les circonstances particulières de ce dossier.

[39]            Bien que la section d'appel ait donné beaucoup de poids à l'entrée illégale du demandeur au Canada, elle a également examiné les facteurs positifs qui militaient en faveur du demandeur, notamment le fait qu'il soit bien établi au Canada, financièrement indépendant, et pourvoyant aux besoins de sa mère et de son jeune frère (page 2 de la décision).

[40]            Ce n'est pas à la Cour fédérale qu'il revient d'apprécier les faits, mais à la section d'appel.

[41]            La Cour suprême, dans Boulis c. Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] R.C.S. p. 875, précise à la page 877 :

Cet article confère à la Commission des pouvoirs discrétionnaires étendus lui permettant d'autoriser une personne qui n'est pas admissible en vertu de la Loi sur l'immigration à demeurer au Canada. Avant la mise en vigueur de cet article, cette faculté appartenait exclusivement au pouvoir exécutif.

[42]            Page 882 :

Cela étant, la question qui reste à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve soit en la rapportant ou en la comprenant mal soit en méconnaissant certaines parties pertinentes au point de rendre la décision de la Commission contraire à la preuve. Je ne crois pas que la compétence d'appel de cette Cour à l'égard d'une décision de la Commission rendue en vertu de l'art. 15(1)b)(i) devrait s'étendre jusqu'à modifier le poids que la Commission a attribué à la preuve lorsque, considérée en elle-même ou à la lumière d'une preuve contradictoire ou divergente, la Commission doit décider de sa valeur en regard des critères établis par l'art. 15 (1) b)(i).

[43]            Page 883 :

La preuve démontre que l'appelant s'est révélé bon travailleur doué d'initiative depuis son entrée au Canada.

[44]            Page 884 :

Il est clair que la Commission en a tenu compte, mais n'a pas accordé le même poids à toutes les expressions d'opinions au sujet de ce qui arriverait peut-être à l'appelant s'il était renvoyé en Grèce.

[45]            Page 885 :


Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu'ils laissent voir une compréhension des questions que l'art. 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission.

[46]            Dans Villareal c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) , [1999] A.C.F. no 708 (no du greffe IMM-1338-98) (QL), le juge Evans précise :

[para 9] ... la Commission a expressément déclaré que [Traduction] "le fait qu'elle a donné une fausse indication ne constitue que l'un des éléments à prendre en compte dans l'évaluation des circonstances particulières". Lorsque la Commission a dit que les accomplissements de la demanderesse [Traduction] "ne compensent pas le fait qu'elle a donné une fausse indication", elle a annoncé le résultat de son appréciation.

[para10]      Deuxièmement, la Commission a également tenu compte du fait que la demanderesse a délibérément donné cette fausse indication afin de garantir son admission au Canada. C'est pourquoi, la Commission a déclaré :

                [Traduction]

L'appelante a donné sciemment une fausse indication très grave concernant son état afin d'entrer au Canada.

Ainsi, même si la Commission a mentionné plus tard "le fait qu'elle a donné une fausse indication", il est clair qu'elle a aussi tenu compte de l'état d'esprit de la demanderesse au moment où elle l'a donnée.

                                                                           . . .

[para 15] ... Il me semble parfaitement clair qu'en examinant les "circonstances particulières de l'espèce", la Commission est en droit de tenir compte de la gravité de la fausse indication. La présence au Canada d'une personne qui obtient son admission par suite d'un mensonge réfléchi et calculé est certainement moins désirable que celle d'une personne dont la fausse indication résulte d'une négligence ou d'un malentendu. Déterminer si une personne tente d'obtenir un avantage, à savoir demeurer au Canada, en commettant délibérément un acte fautif fait certainement partie des "circonstances particulières de l'espèce".

                                                                           . . .


[para 17] Par conséquent, il me semble que le recours au pouvoir d'expulsion aux fins de protéger l'intégrité du régime législatif en matière de contrôle de l'immigration contre d'éventuels abus constitue une question d'ordre public, qui peut être légitimement prise en considération dans l'exercice d'un pouvoir qui n'est pas de nature criminelle ou pénale au sens de la Charte. Ainsi, en décidant si une personne doit être renvoyée "eu égard aux circonstances particulières de l'espèce", la Commission peut tenir compte de la gravité de la fausse indication dans cette perspective.

                                                                           . . .

[para 19]    Toutefois, malgré les éléments de cette cause qui suscitent manifestement la sympathie, il aurait fallu avoir recours à un moyen plus ingénieux pour réussir à prouver, qu'en raison de la façon dont elle a apprécié les facteurs pertinents, la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon manifestement déraisonnable, commettant ainsi une erreur de droit : Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 3 C.F. p. 299, 331 à 333 (C.F. 1re inst.).

[47]            Le demandeur ne m'a pas convaincu que la section d'appel n'avait pas considéré toutes les circonstances particulières de l'affaire.

2-          La section d'appel a-t-elle erré en n'indiquant pas au demandeur la prétendue contradiction dans ses explications et en ne lui permettant pas de s'expliquer quant à cette prétendue contradiction?

[48]            Le demandeur soutient que l'obligation de la section d'appel de lui demander une explication sur une contradiction déterminante est d'autant plus importante puisque la section d'appel a considéré des explications données lors d'une enquête qui a eu lieu il y a cinq ans pour apprécier la crédibilité du témoignage du demandeur lors de l'audition et conclure qu'il s'était contredit et qu'il avait ajusté son témoignage.

[49]            Par ailleurs, le demandeur soutient que la contradiction soulevée par la section d'appel n'en est pas une. En effet, il est fort possible que des amis du demandeur aient conseillé au demandeur d'inscrire Mme Lolou comme son épouse puisqu'elle allait éventuellement être son épouse et ce, afin de faciliter les démarches entourant son immigration vers le Canada.

[50]            Aux pages 3 et 4 de la décision, la section d'appel a indiqué, relativement à l'explication du demandeur au sujet du parrainage de Mme Lolou à titre d'épouse :

[...] Si tel était le cas, pourquoi alors avoir parrainé Shahinaz Lolou à titre d'épouse en avril 1993? Il aurait alors été mal conseillé par des amis, a-t-il prétendu à l'audition de son appel! Excuse trop facile à laquelle le tribunal ne saurait donner de créance. L'appelant demeurait alors au Canada et pouvait bénéficier des conseils de son frère et de personnes qualifiées ... tout comme avant son arrivée au Canada d'ailleurs.

De plus, cette explication n'est pas celle donnée par l'appelant lors de son enquête en date du 19 juin 1995 alors qu'à la question:

Q. Est-il exact Monsieur que le 13 avril 1993 vous avez signé un parrainage dans lequel vous indiquer que madame Shainaz (sic) Lolou est votre épouse?

il a répondu:

R. Lorsque j'avais rempli la demande pour faire le parrainage pour ma femme dans le future, pour mon épouse dans le futur, je ne connaissais pas la loi, je ne savais pas qu'on distinguait en fiancé ou marié ou pas fiancé.

et un peu plus loin, à la question:

Q. Pourquoi à ce moment-là., plutôt que d'indiquer fiancé, comme vous le prétendez aujourd'hui, vous avez indiqué marié?

il a répondu:


R. Parce que la traduction ici, c'est écrit mariage ici, alors selon la traduction, pour qu'il y ait pas d'équivoque. Lorsque j'avais écrit, c'était en ce qui concerne mon épouse dans le futur.

[51]            À mon avis, la section d'appel n'avait pas à demander une explication au demandeur sur cette contradiction. Le fait demeure que le demandeur a donné deux réponses différentes à deux moments différents, peu importe l'explication qu'il aurait pu donner.

[52]            De toute façon, cette « contradiction » n'est d'ailleurs pas déterminante puisqu'elle touchait à la question à savoir si le demandeur se considérait marié ou non alors que la question déterminante était de savoir si le contrat de mariage était un fait important qui devait être divulgué. C'est pourquoi la section d'appel a indiqué à la page 4 de la décision :

Que l'appelant se soit considéré comme marié ou pas, lors de son arrivée en novembre 1992, ne saurait changer le fait qu'il savait alors qu'il avait signé un contrat de mariage avec Shahinaz Lolou quelques jours avant et que ce contrat constituait un fait suffisamment important qu'il se devait de divulguer à son arrivée au Canada.

[53]            Je ne peux conclure que la section d'appel a erré en ne confrontant pas le demandeur avec les deux réponses différentes qu'il avait données.

3-          La décision de la section d'appel est-elle déraisonnable?

[54]            En alternative, le demandeur soutient que, si la Cour venait à la conclusion que la section d'appel n'a pas fait d'erreur de droit dans l'exercice de sa compétence, la conclusion de la section d'appel à l'effet que la gravité de l'omission est déterminante est manifestement déraisonnable.

[55]            Le demandeur soutient que son omission constitue une erreur moins grave que celle d'un individu qui obtient son droit d'établissement en produisant de faux documents ou encore en donnant une fausse identité.

[56]            Selon le demandeur, son omission ne peut pas être considérée comme un mensonge réfléchi et calculé si, à son arrivée au Canada, il se considérait célibataire et que l'ensemble de sa famille le considérait comme tel, puisque le mariage n'avait pas été célébré publiquement et n'avait pas encore été consommé et ce, conformément aux traditions religieuses et culturelles de son pays.

[57]            Le demandeur soutient de plus que la section d'appel a omis de considérer son explication raisonnable à l'effet que son interprétation de sa situation particulière résultait d'une différence culturelle puisque au moment de son arrivée au Canada, le demandeur ne se considérait pas marié et ce, en raison de ses traditions religieuses et de sa méconnaissance des lois canadiennes en matière de mariage.


[58]            Par conséquent, en considérant cette omission comme déterminante par rapport aux autres critères, le demandeur affirme que la section d'appel a tiré une conclusion manifestement déraisonnable et a ainsi commis une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire.

[59]            Il est vrai que l'omission du demandeur peut être considérée une erreur moins grave qu'une personne qui est entrée avec de faux papiers. Néanmoins, là n'est pas la question. L'explication du demandeur à l'effet qu'il se considérait célibataire en raison de sa tradition religieuse et sa méconnaissance des lois n'enlève pas le fait qu'il avait signé un contrat de mariage et que ceci constitue un fait important qu'il se devait de divulguer.

[60]            Bien que je n'aurais pas nécessairement pris la même décision que la section d'appel, considérant que la décision est discrétionnaire et bien fondée, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. Comme il fut indiqué dans l'affaire Bickin c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1495 (C.F. 1ère Inst.) par le juge Dubé :

Le pouvoir conféré à la section d'appel aux termes de cet alinéa [70(1)b)] est de nature discrétionnaire et le seul fait que cette Cour ne soit pas d'accord avec une décision de cette nature ne justifie pas son intervention. Dans la mesure où le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu.


[61]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[62]            Les procureurs n'ont soumis aucune question pour certification.

                  Pierre    Blais                     

                         Juge

Montréal (Québec)

Le 28 août 2001


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 IMM-5626-00

INTITULÉ :              ISAM JABER

                                                                              Partie demanderesse

                                                         et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                 ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                 Partie défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                              31 juillet 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

L'HONORABLE JUGE BLAIS

EN DATE DU :         28 août 2001

COMPARUTIONS:

Me Jacques Beauchemin                                                   pour la partie demanderesse

Me Martine Valois                                                pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Alarie, Legault, Beauchemin, Paquin

Jobin, Brisson & Philpot

Montréal (Québec)                                               pour la partie demanderesse


Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                               pour la partie défenderesse

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