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Date : 20011123

Dossier : DES-4-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1287

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée en vertu

de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985),

ch. I-2, (la Loi)

ET le renvoi de cette attestation à la Cour fédérale

du Canada en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi

ET Mahmoud JABALLAH

        MOTIFS DES ORDONNANCES

LE JUGE MacKAY

[1]         Les présents motifs concernent le règlement de plusieurs questions préliminaires soulevées par l'intimé, M. Mahmoud Jaballah, en réponse à l'attestation qui a été renvoyée à la Cour en vertu du paragraphe 40.1(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), pour que le juge délégué par la Cour conformément au paragraphe 40.1(4) de la Loi décide si cette attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition ou, dans le cas contraire, si cette attestation devrait être annulée.


[2]         Dans cette attestation, les demandeurs, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général du Canada se sont dits d'avis, à la lumière de renseignements secrets dont ils avaient eu connaissance, que M. Jaballah, qui n'est pas un citoyen canadien mais qui revendique le statut de réfugié au sens de la Convention en vertu de la Loi, appartenait à l'une des catégories de personnes non admissibles visées à l'article 19 de la Loi. Parmi ces catégories de personnes se trouvent celles dont il y a des motifs raisonnables de croire :

a)             soit, pendant leur séjour au Canada, qu'elles travailleront ou inciteront au renversement d'un gouvernement par la force, dans le cas qui nous occupe, le gouvernement de l'Égypte [sous-alinéa 19(1)e)(ii)];

b)             soit qu'elles sont membres d'une organisation, dans le cas qui nous occupe, le Jihad, dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle travaillera ou incitera au renversement du gouvernement de l'Égypte par la force [disposition 19(1)e)(iv)(B)] ou qu'elle commettra des actes de terrorisme [disposition 19(1)e)(iv)(C)];

c)             soit qu'elles se sont livrées à des actes de terrorisme [sous-alinéa 19(1)f)(ii)];

d)             soit qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation, en l'occurrence le Jihad, dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre à des actes de terrorisme [disposition 19(1)f)(iii)(B)].

[3]         La présente instance est inusitée, parce qu'il s'agit de la seconde attestation que les ministres demandeurs délivrent aux mêmes fins générales au sujet de M. Jaballah. La première, qui a été renvoyée à la Cour le 6 avril 1999 s'est soldée par une décision aux termes de laquelle le juge Cullen a statué, le 2 novembre 1999, que l'attestation des ministres n'était pas raisonnable, compte tenu de tous les éléments de preuve dont la Cour disposait alors (Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Jaballah, [1999] F.C.J. No. 1681, dossier DES-6-99 (C.F. 1re inst.) (Jaballah no 1)).


[4]         Le 14 août 2001, à la suite de la délivrance de la seconde attestation par les ministres demandeurs, le défendeur a été arrêté et il est depuis détenu en vertu de la Loi.

[5]         Le 15 août 2001, l'attestation à l'origine de la présente instance a été renvoyée à notre Cour. Le 22 août 2001, conformément aux sous-alinéas 40.1(4)a) et b) et au paragraphe 40.1(5.1) de la Loi, j'ai examiné à huis clos et en l'absence de l'intéressé les éléments de preuve soumis au nom des ministres. J'ai ensuite approuvé le résumé qui devait être fourni au défendeur pour lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu à l'attestation, après en avoir retranché les renseignements dont la communication porterait à mon avis atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. Outre ce résumé, le défendeur a reçu six classeurs contenant des copies des documents pertinents. Ces classeurs portaient respectivement la cote A1, A2, A3, A4, A5 et B. Ces documents sont des doubles de ceux dont disposaient les ministres, qui les avaient soumis à la Cour à titre d'éléments de preuve ou d'information sur lesquels ils fondaient leur avis, en excluant les documents pertinents qui avaient été retranchés pour des motifs de protection de la sécurité nationale.

[6]         À la suite de la remise de ce résumé au défendeur, des dispositions ont été prises en vue de la tenue d'audiences au sujet de l'attestation des ministres. L'instruction des requêtes préliminaires et des requêtes procédurales, qui devait commencer le 24 octobre 2001, a été reportée au 31 octobre 2001 à Toronto, à la demande des ministres demandeurs. L'instruction de ces requêtes a commencé le 31 octobre et s'est poursuivie le 1er novembre 2001.


[7]         Parmi les questions qui ont alors été abordées, mentionnons les suivantes :

1.             Une requête présentée verbalement pour le compte des ministres demandeurs en vue d'obtenir :

a)             l'annulation des subpoenas duces tecum délivrés par le défendeur le 19 octobre qui étaient présentables le 24 octobre et dont la date de présentation a été reportée au 2 novembre 2001 à la suite de l'ajournement ordonné par la Cour;

2.             Les requêtes préliminaires présentées au nom du défendeur relativement à :

a)             des questions de compétence;

b)             des questions constitutionnelles;

c)             des questions de procédure;

d)             pour le cas où la Cour ne suspendrait pas l'instance en réponse aux moyens préliminaires, des directives sur l'utilisation éventuelle des pièces versées au dossier DES-06-99 (l'instance de 1999 relative à la première attestation délivrée par les ministres au sujet de M. Jaballah) et au dossier IMM-1828-99 (l'instance qui s'est soldée par l'ordonnance faisant droit à la demande d'examen judiciaire présentée par M. Jaballah au sujet de la décision concernant sa revendication du statut de réfugié et les demandes connexes des membres de sa famille);

e)             des questions concernant les frais engagés pour répondre à la présente demande, y compris une ordonnance dite « Rowbotham » ou les dépens extrajudiciaires, quelque que soit l'issue de la cause.

[8]         Le 1er novembre 2001, après avoir entendu les avocats des parties, j'ai ordonné verbalement que les subpoenas délivrés le 19 octobre 2001 à l'égard de chacun des ministres demandeurs soient annulés, pour les motifs que j'ai exposés verbalement et que je confirme par les présentes. J'ai reporté à plus tard le prononcé de ma décision sur les autres points litigieux que j'ai alors instruits et qui font l'objet des présents motifs et des présentes ordonnances.


1.          Les subpoenas duces tecum délivrés aux ministres

[9]         Des subpoenas duces tecum ont été délivrés pour le compte du défendeur le 19 octobre 2001 pour contraindre les ministres défendeurs, c'est-à-dire le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et le solliciteur général, à comparaître devant la Cour avec tous les documents pertinents, pour témoigner dans la présente instance.

[10]       La partie à qui un subpoena est délivré au nom d'une des parties à l'instance doit normalement comparaître devant le tribunal, même s'il s'agit d'un ministre de la Couronne, à moins que le tribunal compétent n'annule le subpoena en question. Tout tribunal répugne à intervenir dans l'administration de la preuve en annulant unsubpoena délivré pour le compte d'une des parties au procès. La Cour doit pourtant se prononcer sur la contestation du bien-fondé du subpoena. En l'espèce, cette contestation est formulée sous forme de requête présentée verbalement par l'avocat des ministres demandeurs.


[11]       En l'espèce, la contestation du subpoena soulève la question de la pertinence de tout témoignage que les ministres pourraient être appelés à donner pour répondre aux questions qui leur sont posées. L'avocat des ministres soutient que le défendeur cherche à produire des éléments de preuve qui auraient pour effet de contourner le régime législatif par lequel le juge désigné en vertu du paragraphe 40.1 de la Loi sur l'immigration se voit confier un rôle limité. L'avocat du défendeur affirme que le témoignage des ministres se rapporte à la question de l'abus de procédure qui est soulevée en l'espèce à titre de question préliminaire, avant que tout élément de preuve ne soit présenté.

[12]             L'avocat du défendeur était, comme on peut jusqu'à un certain point le comprendre, peu disposé à expliquer l'objet et la pertinence des éléments de preuve qu'il pourrait chercher à présenter pour le cas où les ministres seraient contraints à comparaître, mais il a ajouté qu'eu égard aux circonstances exceptionnelles de la présente affaire, il avait le droit de réclamer des éléments de preuve au sujet de la procédure suivie par les ministres demandeurs et de ce que ceux-ci en comprenaient au moment où l'attestation a été délivrée en l'espèce. Il explique son désir de prendre connaissance des éléments de preuve en question par le fait que le rôle du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et la procédure que ce dernier a suivie dans l'affaire Jaballah no 1 ont fait l'objet d'un examen après que le juge Cullen eut statué, en novembre 1999, que la première attestation signée au sujet du défendeur n'était pas raisonnable.

[13]       À mon avis, remettre en question les éléments d'information ou l'intention des ministres au moment de leur décision de délivrer la seconde attestation ne constituerait rien de plus qu'une recherche à l'aveuglette. Je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve évoqués par l'avocat puissent aider le juge désigné à rendre la décision qu'il doit prononcer aux termes de l'alinéa 40.1(4)d), en l'occurrence

décide[r] si l'attestation est raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition [...]


[14]       Les ministres ont signé et remis l'attestation dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire ministériel. Il s'agissait de mesures administratives prises dans l'exécution du mandat que le législateur fédéral leur avait confié dans l'intérêt de la sécurité de l'État.

[15]       En août 2001, M. Jaballah a fait l'objet d'une seconde attestation délivrée par les demandeurs en des termes analogues à ceux de la première attestation de 1999 et il a de nouveau été détenu en vertu de la Loi sur l'immigration. La procédure inusitée consistant à délivrer une seconde attestation constitue le fondement des requêtes préliminaires présentées par le défendeur en vue d'obtenir la suspension de l'instance en raison de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige et de l'abus de procédure. En ce qui concerne les questions préliminaires, ce sont les agissements des ministres, et non leur intention ou ce qu'ils savaient, qui sont en cause. Les éléments de preuve relatifs à l'intention ou à la connaissance ne sont pas utiles lorsqu'il s'agit d'examiner ces questions préliminaires.

[16]       C'est pourquoi j'ai, au moyen d'une ordonnance prononcée à l'audience, annulé les subpoenas qui avaient été délivrés au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et au solliciteur général le 19 octobre 2001 pour les sommer de se présenter devant la Cour le 24 octobre 2001 et aux termes desquels ils devaient comparaître le vendredi 2 novembre 2001, sous réserve de toute autre ordonnance. J'ai effectivement prononcé à l'audience le 1er novembre 2001 une « autre ordonnance » par laquelle j'ai annulé les subpoenas en question, ordonnance que je confirme par la présente ordonnance écrite.


[17]       Les subpoenas en question ont été annulés sous réserve du droit du défendeur de délivrer d'autres subpoenas contre les mêmes ministres, contre d'autres fonctionnaires ou contre toute autre personne susceptible de fournir des éléments de preuve jugés pertinents en l'espèce.

2.             Questions de compétence

[18]       Le défendeur conclut au prononcé d'une ordonnance portant suspension de l'instance et annulant à toutes fins utiles l'attestation délivrée par les ministres sur le fondement de plusieurs moyens qui, selon ce que le défendeur affirme, rendent les ministres en question incompétents pour agir. Ainsi, le défendeur soutient que les ministres n'ont pas compétence pour signer l'attestation à l'origine de la présente instance et que la Cour n'est pas compétente pour examiner l'attestation en question pour les motifs suivants :

- l'affaire est chose jugée et les demandeurs sont irrecevables à revenir sur les points litigieux qu'ils soulèvent de nouveau, compte tenu de la décision et des motifs prononcés par le juge Cullen en 1999 dans l'affaire Jaballah no 1;

- eu égard aux circonstances de l'espèce, l'attestation que les demandeurs « déterrent » constituent un abus de procédure;

- l'attestation est nulle ab initio en raison du défaut de respecter les conditions prescrites pour les motifs précisés et elle n'est par ailleurs pas raisonnable selon l'arrêt Baker de la Cour suprême ([1999] 2 R.C.S. 817).

[19]       Dans l'attestation qu'ils ont délivrée en 1999 au sujet de M. Jaballah, les demandeurs se sont dits d'avis, à la lumière des renseignements secrets en matière de sécurité dont ils disposaient, que M. Jaballah n'était pas admissible au Canada parce qu'il appartenait à l'une des catégories de personnes visées au sous-alinéa 19(1)e)(ii), aux dispositions 19(1)e)(iv)(B) et 19(1)e)(iv)(C), au sous-alinéa 19(1)f)(ii) et à la disposition 19(1)f)(iii)(B). Dans l'attestation qu'ils ont délivrée en août 2001, ils ont exprimé de nouveau le même avis au sujet de l'admissibilité du défendeur en citant les mêmes dispositions de la Loi.


[20]       Malgré les similitudes qu'offrent les attestations que les ministres demandeurs ont signées en 1999 et en 2001 au sujet de M. Jaballah, je ne suis pas convaincu, à cette étape-ci de l'instance, que les ministres n'avaient pas compétence pour délivrer la seconde attestation. De toute évidence, le juge délégué par la Cour en vertu de l'article 40.1 de la Loi est compétent pour statuer sur toute instance portant sur l'attestation. À mon avis, la Cour a, « en vertu de la common law, un pouvoir discrétionnaire inhérent et résiduel de contrôler [sa] propre procédure et d'empêcher qu'on en abuse » pour reprendre les termes employés par la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Arbour, pour expliquer la compétence générale des tribunaux canadiens (États-Unis d'Amérique c. Cobb, [2001] 1 R.C.S. 587, à la page 604).

[21]       Dans le cas qui nous occupe, les demandeurs acceptent le pouvoir inhérent qu'a la Cour de contrôler sa propre procédure en statuant sur la question de la chose jugée, sur l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige et sur l'abus de procédure, mais ils prient instamment la Cour de ne pas exercer à cette étape-ci son pouvoir discrétionnaire de suspendre l'instance. À leur avis, aucun des principes de l'autorité de la chose jugée, de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ou de l'abus de procédure ne s'applique en l'espèce, étant donné que l'attestation de 2001 n'a été signée qu'après que les ministres eurent reçus de nouveaux éléments de preuve à la suite de la décision rendue par le juge Cullen dans l'affaire Jaballah no 1.


[22]       Les demandeurs soutiennent que, si c'est bien le cas, le principe de l'autorité de la chose jugée ne s'applique pas et que la Cour ne devrait pas, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, examiner la question de la fin de non-recevoir résultant de l'autorité de la chose jugée, laquelle constitue une réparation en equity qui est accordée pour assurer que justice est faite à la lumière de l'ensemble des circonstances (Arnold v. National Westminster Bank plc., [1991] 3 All 41, à la page 50 (C.L.)). Les demandeurs font en outre valoir que le critère permettant de conclure à un abus de procédure n'a pas été respecté en l'espèce, c'est-à-dire le critère suivant lequel l'instance se déroule d'une manière inéquitable au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice. Les demandeurs affirment que nous ne sommes pas en présence d'un de ces cas extraordinaires qui justifieraient la suspension de l'instance (Canada c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, à la page 429).

[23]       Dans l'arrêt R. c. Keyowski, [1988] 1 R.C.S. 657, aux pages 658 et 659, la Cour suprême du Canada a confirmé que le critère à appliquer pour déterminer s'il y a eu abus de procédure justifiant la suspension de l'instance est celui qui a été formulé pour la première fois par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt R. v. Young, (1984), 40 C.R. (3d) 289. Suivant ce critère, la suspension de l'instance doit être accordée, à tout le moins en matière criminelle, lorsque le fait de forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu'a la société ou, comme la Cour suprême l'a précisé dans l'arrêt R. c. Jewitt, [1985] 2 R.C.S. 128, aux pages 136 et 137, lorsqu'il s'agit d'une procédure abusive ou vexatoire. En l'espèce, les demandeurs soutiennent qu'il y a lieu de tenir compte des obligations nationales et internationales imposées au Canada en ce qui concerne les mesures à prendre à l'égard des personnes soupçonnées d'être des terroristes ou d'être impliquées dans des actes de terrorisme et ils affirment que la suspension de l'instance ne constituerait pas une mesure appropriée.


[24]             L'avocat du défendeur affirme qu'il y a peu ou point de nouveaux éléments de preuve, du moins peu ou point d'éléments qui ressortent à l'évidence lorsqu'on compare le résumé de la preuve déposé au soutien de l'attestation de 1999 qui a alors été remise à M. Jaballah avec le résumé qui lui a été communiqué au sujet de l'attestation de 2001. Un des faits nouveaux signalés par l'avocat de M. Jaballah, est la peine de mort qu'un tribunal égyptien a prononcée in absentia contre M. Jaballah après le prononcé du jugement dans l'affaire Jaballah no 1. Pour ce qui est des autres éléments de preuve qui, selon ce que les demandeurs soutiennent, sont nouveaux, le défendeur se demande quand les demandeurs ont pu en prendre connaissance et il laisse entendre que, s'ils les connaissaient avant que le juge Cullen ne rende sa décision en novembre 1999, les demandeurs ne pouvaient les invoquer pour justifier l'introduction d'une nouvelle instance. Le défendeur affirme que, s'il y avait de nouveaux éléments de preuve, ils doivent être suffisamment importants pour justifier la délivrance d'une nouvelle attestation sans égard aux éléments de preuve présentés au soutien de la première attestation.

[25]       Le différend entre les parties sur ces questions préliminaires s'explique par leur divergence de points de vue sur la question de savoir si les « nouveaux éléments de preuve » dont disposent maintenant les ministres demandeurs justifient la délivrance d'une seconde attestation ainsi que l'introduction de la présente instance en vue de décider si cette attestation est raisonnable. Ce différend ne peut être réglé à la présente étape préliminaire de l'instance. La Cour n'avait pas encore pris connaissance de la décision rendue par le juge Cullen dans l'affaire Jaballah no 1 avant l'audience et elle n'avait pas encore cherché à comparer les résumés remis au défendeur avec chacune des attestations et ce, malgré le fait que ces deux résumés avaient été versés au dossier de la requête présentée par le défendeur en vue d'obtenir une ordonnance au sujet des questions préliminaires. C'est de propos délibéré que la Cour s'est abstenue de comparer les résumés en question avec la décision du juge Cullen avant d'entendre les arguments préliminaires des avocats.


[26]       Dans ces conditions, la Cour n'avait aucun moyen de savoir si les nouveaux éléments de preuve communiqués aux ministres avaient pour effet de soustraire la présente affaire à l'application du principe de l'autorité de la chose jugée ou à celui de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige, et il ne lui était pas loisible non plus de savoir si la présente instance était susceptible d'être en fin de compte considérée comme un abus de procédure. La requête préliminaire présentée par le défendeur en vue d'obtenir la suspension de l'instance ou un jugement déclarant que la Cour n'est pas compétente est en conséquence rejetée par la présente ordonnance, ce qui n'empêche pas le défendeur de tenter de relancer le débat sur l'application de ces principes à la lumière des éléments de preuve qui pourront être présentés.


[27]       Le dernier moyen que le défendeur fait valoir au sujet de la compétence des ministres et de la Cour est tiré de l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, précité, de la Cour suprême du Canada. Il fait valoir que la décision des ministres qui fait l'objet de l'attestation délivrée en août 2001 n'était pas motivée, alors qu'il était nécessaire qu'elle le soit en raison de sa gravité et de ses conséquences pour M. Jaballah. Bien que la Cour suprême ait reconnu, sous la plume du juge L'Heureux-Dubé, que la décision doit être motivée lorsqu'elle revêt une importance particulière pour l'intéressé ou que la loi prévoit un droit d'appel, j'estime, en toute déférence, que l'on peut trouver les motifs de la décision dans d'autres documents et ce, malgré le fait que l'obligation d'agir avec équité exige que la décision soit motivée. Dans l'affaire Baker, le juge a trouvé les motifs de la décision dans les notes du fonctionnaire qui avait recommandé la décision qui avait par la suite été prise. En l'espèce, l'obligation de motiver la décision a été, à mon avis, entièrement respectée par le résumé qui a été communiqué au défendeur dans lequel étaient résumés les éléments de preuve et d'information sur lesquels les ministres se fondaient, à l'exclusion des renseignements secrets en matière de sécurité dont ils avaient eu connaissance et qu'ils avaient soumis à la Cour lors de l'audience à huis clos tenue en l'absence du défendeur. C'est à la Cour qu'il appartient de décider si ce résumé, ainsi que les autres éléments de preuve qui ont été communiqués aux ministres et qui ont été examinés par la Cour lors de l'audience à huis clos tenue en l'absence du défendeur, justifient de façon raisonnable l'avis des ministres.

[28]       Cela ne règle pas pour autant en totalité le moyen que le défendeur tire de l'arrêt Baker et l'importance qu'il accorde au caractère raisonnable de la décision en question dans le contexte plus large de la présente affaire. Parmi les aspects que la Cour est appelée à examiner en l'espèce, le défendeur mentionne la décision de 1999 aux termes de laquelle la Cour a jugé que la première attestation délivrée au sujet de M. Jaballah n'était pas raisonnable. La Cour doit également examiner la procédure exceptionnelle prévue à l'article 40.1 de la Loi qui permet de se fonder sur des éléments de preuve secrets qui n'ont pas été révélés au défendeur, une procédure qui mettrait en péril l'indépendance de la magistrature, laquelle constitue un des piliers de notre Constitution. De plus, notre Cour ne devrait pas oublier les autres moyens de contrainte dont elle dispose pour statuer sur le cas de M. Jaballah. L'avocat du défendeur affirme que, dans ces conditions, la délivrance de la seconde attestation est vexatoire et qu'elle choque la conscience de ceux qui ont à coeur la primauté du droit au Canada. En somme, les agissements des ministres et l'instance introduite devant la Cour constitueraient en l'espèce un abus de procédure.

[29]       À l'audience, j'ai signalé la différence qui existe entre la perception des demandeurs et celle du défendeur sur la question de savoir s'il existe de nouveaux éléments de preuve que les ministres demandeurs ne connaissaient pas avant le prononcé de la décision dans l'affaire Jaballah no 1 et sur lesquels reposerait l'attestation dont la Cour est saisie. Étant donné que la Cour n'est pas en mesure, à cette étape-ci, de déterminer s'il existe de nouveaux éléments de preuve à l'appui de la seconde attestation, je rejette la requête en suspension du défendeur.


[30]       Il n'en demeure pas moins, à mon avis, que l'équité exigeait de toute évidence que M. Jaballah soit mis au courant des « nouveaux éléments de preuve » qui ne constituaient pas des renseignements secrets en matière de sécurité et qui, selon ce qu'on affirme maintenant, seraient à la base de l'attestation des ministres. À titre de première mesure visant à permettre aux demandeurs de satisfaire à cette exigence, j'ai ordonné à leur avocat de préparer et de remettre à l'avocat du défendeur un relevé des « nouveaux éléments de preuve » relatés dans le résumé remis relativement à l'attestation d'août 2001 qui ne faisaient pas partie du résumé précédent communiqué en 1999.

[31]       J'ai constaté, depuis l'audience du 1er novembre 2001, que les avocats ont échangé de la correspondance, ce qui témoigne des mesures prises par l'avocat des ministres demandeurs pour expliquer à la satisfaction du défendeur quels sont les « nouveaux » éléments de preuve et d'information à la base de l'attestation de 2001. J'invite les avocats à se pencher de nouveau sur la question de l'identification des nouveaux éléments d'information, en vue notamment de donner leur avis à la Cour au sujet d'une éventuelle déclaration par le juge délégué au sujet de la désignation des éléments de preuve et d'information considérés comme nouveaux qui ont été portés à la connaissance de la Cour mais sur lesquels l'avis donné en 1999 n'était pas fondé. La communication de cette déclaration, s'il en est, devrait être accompagnée d'un relevé précisant les documents qui ont été communiqués à M. Jaballah dans les classeurs A1, A2, A3, A4, A5 et B le 23 août 2001 et qui ne faisaient pas partie du classeur comparable de documents « publics » qui lui a été remis en 1999.


Questions constitutionnelles

[32]          L'avocat du défendeur soulève des questions constitutionnelles à titre de questions préliminaires à trancher. Elles concernent des questions de fond relatives à la validité ou à l'applicabilité des dispositions législatives sur lesquelles repose la présente instance ou à l'applicabilité de la jurisprudence de la Cour fédérale traitant d'autres instances analogues. Des questions constitutionnelles d'ordre procédural présentent également un intérêt, advenant le cas où la présente instance ne serait pas suspendue. Il s'agit en effet de savoir si l'instance est régie par des normes ou des valeurs constitutionnelles. Je vais examiner ces questions à tour de rôle.

[33]       Pour ce qui est des questions de fond, je signale que le défendeur a soulevé les mêmes questions dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mahjoub dans le cadre d'une requête préliminaire que mon collègue le juge Nadon a rejetée aux termes d'une décision datée du 23 janvier 2001 ((2001), 13 Imm. L.R.), [2001] F.C.J. No. 79 QL. (C.F. 1re inst.)). L'avocat de M. Jaballah reconnaît que les questions soulevées en l'espèce sont semblables à celles qui ont été soumises au juge Nadon et qui ont été tranchées par celui-ci, mais pour le cas où la décision que je pourrais rendre en l'espèce serait contestée, elles sont une fois de plus soumises à l'examen de la Cour. Ces questions, que je qualifie de questions de fond, sont à la base de la requête que le défendeur a présentée en vue d'obtenir les réparations suivantes :

i)                  une ordonnance déclaratoire portant que les paragraphes 40.1(1), (2) et (3) sont nuls et inopérants, au motif qu'ils portent atteinte aux droits consacrés par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, par le Bill of Rights (1689) anglais et par l'article 7 de la Charte;

ii)                  une ordonnance déclaratoire portant que les paragraphes 40.1(4) et (5.1), le fait que les audiences se déroulent à huis clos et le refus de communication des documents portent atteinte au droit de l'intéressé de subir un procès public et équitable devant un tribunal équitable et impartial, comme le consacrent :

A) la common law;

B) les Loi constitutionnelle de 1867 et Loi constitutionnelle de 1982;

C) l'article 7 de la Charte;


                                  iii)                  une ordonnance déclaratoire portant que les paragraphes 40.1(4) et (5.1) ainsi que les audiences se déroulant à huis clos et en l'absence de l'intéressé portent atteinte à l'article 7 de la Charte pour les motifs suivants :

A) ils sont « nulles pour cause d'imprécision » , en ce sens que l'expression « sécurité nationale » est nulle car elle est imprécise, au même titre que le terme « terrorisme » ;

B) ils ont une « portée excessive » , en ce sens que la portée des mesures législatives générales est trop large;

C) ils sont nuls pour cause d'imprécision et ont une portée excessive compte tenu de l'article 7 de la Charte et de la common law;

iv)                  une ordonnance déclaratoire portant que, dans leur ensemble, la portée, l'effet, l'applicabilité et la procédure propres à l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration portent atteinte aux impératifs constitutionnels qui sous-tendent le principe de l'indépendance judiciaire, lequel est consacré :

A) par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867;

B) par l'article 7 de la Charte;

v)                  une ordonnance déclaratoire portant que la « common law » ou la jurisprudence de la Cour fédérale relative à l'interprétation de la portée, de la procédure et de l'applicabilité de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration est inconstitutionnelle, pour les motifs cités précédemment aux alinéas (i) à (iv), et qu'elle s'appuie en outre sur la doctrine de persona designata, nonobstant le fait que cette doctrine ait été abolie par la CSC en 1982;

[...]

vii)                  une ordonnance portant annulation de l'attestation ministérielle, ainsi que toute autre réparation prévue au paragraphe 24(1) de la Charte et de la Loi sur la Cour fédérale que l'avocat peut juger indiquée et que cette Cour peut juger bon d'accorder.

[34]       Je constate que certaines, mais pas la totalité, des questions de fond soulevées par le défendeur semblent avoir été résolues pour ce qui est de la procédure visée à l'article 40.1 à la suite de la décision rendue par le juge McGillis dans l'affaire Ahani c. Canada, [1995] 3 C.F. 669, [1995] F.C.J. No. 1190 QL, (appel rejeté à [1996] F.C.J. No. 93 (C.A.F.), autorisation de former un pourvoi refusée à [1997] 2 R.C.S., [1996] S.C.C.A. No. 496)). Le juge McGillis a statué que l'article 40.1 (exception faite du paragraphe 40.1(5.1), qui n'était pas en litige) ne porte pas atteinte aux droits garantis par les articles 7 et 9 et l'alinéa 10c) de la Charte ou par l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.


[35]       Je constate également que, dans l'affaire Mahjoub, précitée, après avoir entendu les plaidoiries et avoir remis le prononcé de sa décision à plus tard, le juge Nadon a statué que le paragraphe 40.1(4) accorde au juge délégué le seul pouvoir de décider si l'attestation délivrée par le ministre en vertu du paragraphe 40.1(1) est raisonnable compte tenu des éléments de preuve à sa disposition. Il a ajouté que le juge délégué n'est en particulier pas compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de la loi. Pour tirer cette conclusion, il a suivi la décision rendue par le juge Denault dans l'affaire Baroud, (1995), 98 F.T.R. 99, et celle prononcée par le juge Cullen dans l'affaire Suresh c. Canada, (1996), 105 F.T.R. 299. Il s'est également fondé sur l'inférence qu'il tirait du fait que le juge McDonald, qui écrivait au nom de la Cour d'appel et qui établissait une distinction entre l'instance visée au paragraphe 40.1(4) et celle dont il était saisi en vertu du paragraphe 40.1(9) en vue d'obtenir la mise en liberté d'une personne détenue, n'avait formulé aucun commentaire au sujet de ces décisions. Dans ce dernier cas, le juge a statué que le jugé délégué a compétence pour se prononcer sur des moyens tirés de la Charte au sujet des modalités de la mesure contestée.


[36]       Les questions constitutionnelles de fond qui ont été soulevées à titre de questions préliminaires n'ont pas été débattues devant moi le 1er novembre au même titre que d'autres questions préliminaires. Après avoir consulté les parties avant l'audience, j'avais donné pour directives que, si le défendeur désirait débattre ces questions, il pourrait le faire après la première audience. Quoi qu'il en soit, je me reporte à la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne une partie sinon la totalité des questions constitutionnelles qui sont soulevées en l'espèce et je signale que, si elles sont débattues, je me rallierai à la position de la Cour d'appel et j'adopterai selon toute vraisemblance les conclusions et le raisonnement de mes collègues de la Section de première instance, à moins qu'on me convainque que leurs conclusions sont manifestement erronées. Ainsi, l'avocat du défendeur ne sera pas pris au dépourvu. Cette façon de procéder serait conforme au principe de la courtoisie judiciaire et favoriserait la sécurité du droit, à moins qu'une juridiction supérieure n'en décide autrement.

[37]       Ceci étant dit, je prends acte du fait que le défendeur désire qu'il soit mentionné au dossier que ces questions ont été soulevées. Je suis prêt à ce qu'elles soient plaidées ou à entendre à leur sujet les mêmes arguments que ceux que le juge Nadon a entendus dans l'affaire Mahjoub, précitée, et qui peuvent ressortir de la transcription des débats auxquels il a présidé, ou encore à accepter le fait que ces questions ont effectivement été soulevées et à préciser qu'on ne réussira probablement pas à me convaincre que la Cour n'était pas compétente pour trancher les questions constitutionnelles de fond à la base des ordonnances sollicitées selon les mêmes modalités que celles qui ont été énoncées dans l'affaire Mahjoub. La Cour attend que l'avocat du défendeur lui donne une idée au sujet de la façon d'aborder ces questions en l'espèce à une future date d'audience.


[38]       Je passe au second volet des questions constitutionnelles soulevées par le défendeur, en l'occurrence la question de savoir si, lorsqu'elle tient l'audience prévue au paragraphe 40.1(4), notre Cour s'estime liée par des normes constitutionnelles. L'avocat du défendeur suggère plusieurs questions qui ont trait à la procédure à suivre. Ces questions sont exposées dans les observations écrites qui ont été mentionnées (aux pages 180 à 184 du dossier du défendeur) mais qui n'ont pas été débattues lors de l'audience préliminaire.

[39]       La Cour n'est pas disposée à répondre à ces questions ou à accepter des suggestions précises au sujet de ses attributions sans avoir entendu des arguments sur ces questions. Pour le moment, la Cour ne peut donner que la réponse générale suivante aux questions soulevées par le défendeur au sujet de la procédure à suivre : lors du déroulement de la présente instance, la Cour est, dans le cadre précis de l'article 40.1, liée par des normes et des valeurs constitutionnelles, dont celles que l'on trouve dans la Charte.


[40]       Ainsi, à moins que l'on me convainque du contraire, la présente instance porte sur la question de savoir si l'avis et l'attestation des ministres demandeurs étaient raisonnables, compte tenu des éléments de preuve et d'information dont ils disposaient et qui ont été portés à la connaissance du juge délégué de la Cour pour l'application du paragraphe 40.1(4). Sous réserve de l'alinéa 40.1(4)b) et du paragraphe 40.1(5.1), l'instance peut porter notamment sur l'examen de la procédure d'enquête, à condition qu'elle se rapporte à la pertinence et à la fiabilité des éléments de preuve soumis aux ministres et à la Cour. La Cour se penchera sur la validité de l'attestation qui a été remise uniquement si elle conclut que l'attestation n'est pas raisonnable, compte tenu des éléments de preuve et d'information à sa disposition, auquel cas elle annulera l'attestation en vertu de l'alinéa 40.1(4)d). Je ne considère pas la présente instance comme un contrôle judiciaire typique, car les réparations que la Cour peut accorder et la question en litige sont plus restreints que dans le cas d'une instance en contrôle judiciaire habituelle. En l'espèce, la seule question en litige est celle de savoir si l'avis et l'attestation étaient raisonnables, compte tenu des éléments de preuve et d'information dont la Cour dispose.

[41]       Ceci étant dit, si elles désirent des éclaircissements au sujet de l'application, dans le cas qui nous occupe, des normes et des valeurs constitutionnelles par rapport à des questions précises, les parties peuvent les soulever et les débattre à l'occasion d'audiences ultérieures.

Questions procédurales

[42]       Pour le cas où la Cour ne suspendrait pas l'instance à cette étape-ci, le défendeur soulève des questions procédurales, autres que ses questions constitutionnelles, en vue d'obtenir notamment les réparations suivantes :

[TRADUCTION]

1.             « des directives semblables à celles que l'on trouve dans le cas d'une demande de type Garofoli, Carey ou O'Connor en vue de communiquer une version expurgée des éléments soumis au juge MacKay qui sont différents de ceux dont disposait le juge Cullen en 1999 » ;

2.             Forçant le demandeur à divulguer notamment le nom de certaines personnes qui devront comparaître devant le tribunal et produire les enregistrements ou les notes des fonctionnaires qui ont interrogé le défendeur ou des tiers au sujet du défendeur.


[43]       Le défendeur conclut par ailleurs au prononcé d'une ordonnance condamnant les ministres aux dépens extrajudiciaires, quelle que soit l'issue de la cause. Je vais examiner ces questions dans l'ordre inverse.

[44]       Pour ce qui est des honoraires des avocats du défendeur, il semblerait que, malgré la demande d'aide juridique présentée en vertu du Régime d'aide juridique de l'Ontario et des demandes de suivi formulées par la suite, rien ne permette de penser qu'une décision avait été rendue en date du 1er novembre au sujet d'une éventuelle aide provenant de cette source. Pourtant, M. Jaballah affirme qu'il ne dispose pas des ressources nécessaires pour se payer les services essentiels d'un avocat et il soutient que le Procureur général du Canada devrait lui fournir les fonds nécessaires. On ne m'a soumis aucun élément de preuve qui appuie la demande présentée par M. Jaballah en vue d'obtenir une ordonnance Rowbotham ((1988) 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.)) ou d'autres motifs justifiant l'octroi d'une aide matérielle pour payer les services d'un avocat. Je refuse à cette étape-ci de rendre une ordonnance en réponse à cette demande, que je me contente d'ajourner.

[45]       Il est pourtant indubitable que le défendeur, M. Jaballah, a besoin des conseils et de l'aide d'un avocat. Les avocats ne contestent pas le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'adjuger des dépens à la clôture des débats, conformément aux Règles de la Cour fédérale (1998). D'ailleurs, depuis l'audience du 1er novembre 2001, le juge McKeown a adjugé à M. Jaballah les dépens entre parties dans l'affaire Jaballah no 1.


[46]       Après avoir entendu les avocats des deux parties au sujet de la divulgation du nom des personnes devant comparaître avec des enregistrements ou des notes des entrevues du défendeur avant ou après sa détention ou de tiers interrogés au sujet du défendeur, je constate que l'avocat des ministres a précisé que le nom des agents du SCRS qui ont mené les entrevues serait communiqué et que ces fonctionnaires seraient disponibles pour le cas où le défendeur souhaiterait les faire témoigner. Quant aux agents de la GRC qui ont pu interroger M. Jaballah ou des tiers à son sujet, les demandeurs affirment que le défendeur peut les assigner à comparaître pour les faire témoigner.

[47]             J'ordonne par conséquent à l'avocat des ministres demandeurs de communiquer à l'avocat du défendeur :

i)             le nom des agents du SCRS qui sont au courant des résumés qui ont été remis à M. Jaballah en l'espèce et dans l'affaire Jaballah no 1;

ii)             une liste de tous les agents du SCRS ou de la GRC et de tout autre fonctionnaire du gouvernement du Canada qui ont interrogé M. Jaballah, ou des tiers à son sujet, sauf si la divulgation du nom de ces tiers pourrait raisonnablement être considérée comme les mettant en danger. Cette liste devrait préciser la date des entrevues et indiquer s'il existe un enregistrement, des notes ou des compte-rendus écrits de ces entrevues.


[48]       Le défendeur réclame également, dans ses observations écrites, un synopsis [TRADUCTION] « de la nature des documents dont le juge Nadon a ordonné la mise sous scellé le 30 juin 2000, et en cas de refus de les communiquer, des précisions au sujet de l'atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes qui empêche leur communication » et [TRADUCTION] « dans le cas où ces documents sont de la nature d'actes de procédure ou d'éléments de preuve légalement régis par une procédure, tels que les dispositifs d'écoute électronique, l'autorisation légale pour la mise sur écoute électronique et une décision sur sa validité » . Je ne sais pas très bien ce sur quoi porte ces conclusions et je ne rends donc aucune ordonnance à leur sujet.

[49]       Je refuse de prononcer à cette étape-ci d'ordonnance de divulgation inspirée de celles qui ont été rendues dans les affaires R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637 ou R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411. d. J'invite cependant les avocats des parties à formuler d'autres observations au sujet de la demande présentée par le défendeur en vue susmentionnées.


[50]       La requête présentée pour le compte de M. Jaballah en vue d'obtenir une ordonnance enjoignant aux demandeurs de « divulguer le contenu du rapport du SCRS que le juge McKay a ordonné au défendeur de communiquer aux termes d'une ordonnance pro forma » est rejetée. J'ai rendu l'ordonnance pro forma en question le 22 août 2001 à la suite de l'audience à huis clos que j'ai tenue en présence de l'avocat des ministres mais en l'absence de M. Jaballah ou de son avocat selon la demande faite en vertu de l'alinéa 40.1(4)a) et du paragraphe 40.1(5.1) de la Loi. Cette ordonnance, qui a été prononcée en vertu des alinéas 40.1(4)b) et 40.1(5.1)a), reproduit le texte de la requête visant à faire admettre en preuve des renseignements obtenus sous le sceau du secret de gouvernements d'États étrangers ou d'organisations internationales, ainsi que ma décision de ne pas ordonner la communication des renseignements secrets sur lesquels les ministres fondaient leur avis au motif que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes. J'ai de plus ordonné, en vertu de l'alinéa 40.1(5.1)d) de la Loi, que les renseignements secrets en question ne fassent pas partie du résumé des informations dont les ministres et la Cour disposaient, lequel résumé a été remis à M. Jaballah conformément à l'alinéa 40.1(4)b) de la Loi. Il n'y a pas lieu de modifier cette ordonnance.

[51]       La demande formulée par M. Jaballah en vue d'obtenir des directives au sujet de l'utilisation éventuelle dans la présente instance des documents se trouvant dans les dossiers DES-06-99 (Jaballah no 1) et IMM-1828-99 de la Cour est ajournée. La Cour l'examinera de nouveau lorsque les avocats des parties lui auront soumis leurs arguments à ce sujet.

Dispositif

[52]       La Cour rend deux ordonnances, la première confirmant l'ordonnance prononcée oralement à l'audience le 1er novembre 2001 par laquelle les subpoenas délivrés le 19 octobre aux ministres ont été annulés, et la seconde portant sur les autres questions qui ont été examinées en l'espèce, le tout conformément aux présents motifs.


[53]       Des dispositions provisoires visant à poursuivre l'instruction de la présente affaire le 5 décembre 2001 à Toronto ont été discutées à la clôture des débats le 1er novembre. J'ordonne par la présente au greffe de faire le nécessaire pour la tenue d'une conférence téléphonique avec les avocats des parties, dès la semaine du 26 novembre, selon la date et l'heure qui conviendront aux avocats, pour discuter des dispositions en question et pour fixer la date d'autres séances dans le cadre du présent renvoi.

     « W. Andrew MacKay »

____________________________

             JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 23 novembre 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


             Date : 20011123

        Dossier : DES-4-01

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée en vertu

de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985),

ch. I-2, (la Loi)

ET le renvoi de cette attestation à la Cour fédérale

du Canada en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi

ET Mahmoud JABALLAH

ORDONNANCE

LA COUR, STATUANT SUR le renvoi par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et par le solliciteur général du Canada, en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi sur l'immigration, du double de l'attestation signée par les deux ministres en question au sujet de Mahmoud Jaballah, pour qu'il soit décidé si l'attestation devrait être annulée;

APRÈS AUDITION des avocats des ministres et de l'avocat de M. Jaballah à Toronto les 31 octobre et 1er novembre 2001, relativement aux questions préliminaires qui ont alors été soulevés, après avoir ordonné à l'audience que les subpoenas duces tecum délivrés le 19 octobre 2001 aux ministres soient annulés et après avoir reporté à plus tard le prononcé de la décision sur les autres questions alors soulevées :


1.             REJETTE la requête présentée par le défendeur en vue d'obtenir la suspension de l'instance en raison de l'autorité de la chose jugée ou du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige ou parce que la présente instance constitue un abus de procédure;

2.             ENJOINT aux avocats des ministres de fournir à l'avocat du défendeur :

i)             le nom des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui sont au courant du résumé des éléments de preuve et d'information soumis à la Cour et qui peuvent être interrogés ou témoigner au sujet de ce résumé, à l'exclusion des renseignements secrets en matière de sécurité qui n'ont pas été communiqués au motif que leur communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, au sujet des documents qui ont été communiqués à M. Jaballah aux termes de l'ordonnance prononcée par la Cour le 22 août 2001, et au sujet d'un résumé semblable et des documents qui ont été fournis à M. Jaballah relativement à l'attestation que les ministres ont remise relativement à M. Jaballah en mars 1999. Tout interrogatoire ou témoignage visera à comprendre le résumé des renseignements sur lesquels les ministres ont fondé leur avis de 2001 et la différence entre ce résumé et celui que le juge Cullen a examiné en 1999 dans l'affaire Jaballah no 1.

ii)             une liste de tous les agents du SCRS ou de la GRC et de tout autre fonctionnaire du gouvernement du Canada qui ont interrogé M. Jaballah, ou des tiers à son sujet, sauf si la divulgation du nom de ces tiers pourrait raisonnablement être considérée comme les mettant en danger. Cette liste devra préciser la date des entrevues et indiquer s'il existe un enregistrement, des notes ou des compte-rendus écrits de ces entrevues.


3.                    REFUSE de prononcer à cette étape-ci une ordonnance inspirée de celles qui ont été rendues dans les affaires R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, Carey c. Ontario, [1986] 2 R.C.S. 637 ou R. c. O'Connor, [1995] 4 R.C.S. 411 en vue d'obtenir la communication d' « une version expurgée des éléments soumis au juge MacKay qui sont différents de ceux dont disposait le juge Cullen en 1999 (dans l'affaire Jaballah no 1), mais INVITE les avocats des parties à formuler d'autres observations au sujet de la procédure à suivre pour l'éventuelle rédaction du relevé des différences réclamé par M. Jaballah.

4.                    REJETTE la requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant aux demandeurs de « divulguer le contenu du rapport du SCRS que le juge McKay a ordonné au défendeur de communiquer aux termes de son ordonnance pro forma » ;

5.                    AJOURNE la requête présentée par M. Jaballah en vue d'obtenir une ordonnance dite « Rowbotham » (voir (1988) 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.) ou les dépens extrajudiciaires;

6.                    ORDONNE la tenue d'une conférence téléphonique avec les avocats des parties, dès la semaine du 26 novembre, selon la date et l'heure qui conviendront aux avocats, pour discuter des dispositions à prendre pour la tenue d'autres audiences et pour en fixer la date et INVITE les avocats des deux parties à examiner les points qui peuvent être inscrits à l'ordre du jour de cette conférence.

W. Andrew MacKay

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             DES-4-01

INTITULÉ :                            AFFAIRE INTÉRESSANT une attestation délivrée en vertu de l'article 40.1 de la Loi sur l'immigration; ET le renvoi de cette attestation à la Cour fédérale du Canada en vertu de l'alinéa 40.1(3)a) de la Loi; ET Mahmoud JABALLAH

LIEU DE L'AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE : 31 octobre et 1er novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge MacKay le 23 novembre 2001

COMPARUTIONS :

Mes Robert F. Batt, Marthe Beaulieu,                                                 POUR LES DEMANDEURS

Donald MacIntosh et David Tyndale

Me Rocco Galati                                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                                     POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada

Galati, Rodrigues, Azecedo & Associés                                                 POUR LE DÉFENDEUR

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