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Date : 20040618

Dossier : IMM-4867-03

Référence : 2004 CF 878

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                            TAULANT GRAMSHI

ENDRITA GRAMSHI

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Taulant Gramshi (le demandeur) et Mme Endrita Gramshi (la demanderesse) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) dont les motifs sont datés du 26 mai 2003. Dans cette décision, la Commission a conclu que M. et Mme Gramshi n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et qu'ils n'avaient pas la qualité de personne à protéger. Les demandeurs tentent d'obtenir une ordonnance annulant cette décision et une ordonnance renvoyant l'affaire à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.


LES FAITS

[2]                Les demandeurs sont frère et soeur et sont citoyens d'Albanie. Le demandeur est âgé de 31 ans alors que la demanderesse est âgée de 27 ans. Les demandeurs prétendent être des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées du fait de leur appartenance à un groupe social, c'est-à-dire en tant que membres d'une famille bien connue pour ses opinions anticommunistes et son opposition à l'actuel gouvernement du Parti socialiste. De plus, le demandeur craint d'être persécuté du fait de sa propre appartenance et de ses propres activités au sein du parti politique nommé le « Parti de la légalité » .

[3]                Les demandeurs, qui résidaient à Shkodër, en Albanie, prétendent que leur famille est bien connue dans la région de Shkodër où elle s'est installée il y a environ cent ans. Les membres de la famille étaient des propriétaires terriens importants dont les terres ont été saisies par le gouvernement communiste après la Seconde Guerre mondiale. Leur grand-père a participé à l'organisation d'un soulèvement contre les communistes dans la région située au sud de Shkodër.

[4]                Actuellement, la famille appuie le Parti de la légalité que le demandeur et son père ont joint en 1993. L'oncle paternel des demandeurs était un militant bien connu dans ce parti à Shkodër et parlait souvent lors des rassemblements du Parti de la légalité.

[5]                Cet oncle a été tué en 1997. Il y a eu une tentative d'assassinat à l'endroit du père des demandeurs en 1994. Il a en outre été battu par les policiers de Shkodër en raison des activités politiques de la famille. Le demandeur participait activement au recrutement de membres pour le parti à Shkodër et il a travaillé pour le parti au cours de diverses campagnes électorales. Des policiers de Shkodër ont battu le demandeur en juillet 1997, en août 1998 et en septembre 1998. Il a en outre été détenu par les policiers pendant trois jours en septembre 1999. Le demandeur a reçu une citation à comparaître au poste de police le 25 mai 2000, mais des dirigeants du Parti de la légalité de Shkodër lui ont dit que, selon ce qu'ils savaient à l'égard de ce qui était arrivé à d'autres membres du parti qui avaient répondu à une telle citation, il ne devrait pas comparaître. Il s'est par conséquent caché dans un village chez un oncle. Pendant qu'il se tenait caché, les policiers se sont rendus chez lui à sa recherche.

[6]                En juin 2000, le père du demandeur a pris sa retraite et a déménagé la famille à Tirana. Le demandeur a quitté le lieu où il se tenait caché et il a rejoint sa famille à Tirana le 12 juin 2000. À Tirana, il a repris ses activités au sein du Parti de la légalité. Il prétend qu'en juillet 2000 deux hommes l'ont battu dans la rue à Tirana et l'ont traité de [TRADUCTION] « chien monarchiste » .


[7]                La demanderesse n'est pas membre d'un parti politique. Cependant, il y a eu une tentative d'enlèvement à son endroit et à celui de sa soeur le 7 août 2000 alors qu'elles revenaient de rendre visite à leur tante. Elles étaient près de la maison lorsqu'une voiture s'est approchée d'elles. Un homme en est sorti et a tenté de forcer la demanderesse à y monter. Elle a frappé l'homme avec un sac à main et les deux femmes ont réussi à rentrer à la maison.

[8]                La famille a conclu que cette tentative d'enlèvement était une agression qui avait des motifs politiques en raison de la forme de persécution subie dans le passé et du fait que les hommes qui avaient tenté d'enlever la demanderesse étaient bien vêtus et que la voiture avait des vitres teintées, ce qui n'est permis que pour les véhicules de la police en Albanie.

[9]                Le 20 août 2000, le demandeur a reçu une citation à comparaître de la police de Tirana. Le demandeur a une fois de plus consulté des membres du Parti de la légalité à cet égard. On lui a dit qu'il était dangereux de répondre à une telle citation à comparaître. Le demandeur ne s'est pas rendu au poste de police et il s'est plutôt caché jusqu'à ce que des passeurs de clandestins prennent des dispositions pour qu'il vienne au Canada avec sa soeur.

La décision de la Commission

[10]            La Commission a accepté le témoignage du demandeur à l'égard de la persécution qu'il avait subie de 1997 à 1998. Elle a ensuite examiné la preuve documentaire et elle a conclu que de façon générale les personnes qui font l'objet de persécution du fait de leurs opinions politiques sont des gens en vue du Parti démocratique ou des journalistes.

[11]            Elle a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi et elle a déclaré que selon son expérience les citations à comparaître sont imprimées dans une forme très différente de celle présentée par le demandeur. Bien que l'agent de protection des réfugiés (APR), qui avait attiré l'attention du demandeur sur cette incohérence, ait demandé au demandeur d'expliquer l'incohérence, ce dernier a été incapable de le faire. Compte tenu du fait que les faux documents sont largement répandus en Albanie, la Commission n'a pas accordé d'importance au document et elle a tiré une inférence défavorable de la tentative du demandeur d'embellir sa demande avec le faux document.

[12]            La Commission a mentionné que l'exposé narratif initial du demandeur ne mentionnait pas le fait que le 26 avril 2000 les policiers de Tirana le recherchaient, mais que son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) avait été modifié pour inclure ce renseignement. La Commission a tiré une inférence défavorable de cette omission de départ.

[13]            La Commission a en outre conclu que le récit du demandeur à l'égard du fait qu'il avait été battu n'était pas digne de foi étant donné qu'il était à Tirana depuis environ un mois lorsque cela s'était soi-disant produit, qu'il n'avait pas participé activement au mouvement et que sa famille n'était pas connue à Tirana.


[14]            À l'égard de la demanderesse, la Commission a mentionné que ses soi-disant ravisseurs n'avaient pas dit ou fait quoi que ce soit pour indiquer que leur agression à son endroit avait des motifs politiques. La Commission a ensuite déclaré que, compte tenu du fait que le trafic de femmes était répandu en Albanie et du fait que les policiers sont souvent impliqués dans le trafic, la tentative d'enlèvement avait pu être une tentative pour forcer la demanderesse à faire de la prostitution plutôt qu'une tentative pour lui faire du mal parce que sa famille était active en politique.

[15]            La Commission a conclu que ni l'un ni l'autre des demandeurs ne risquait d'être persécuté s'ils retournaient en Albanie. De plus, ni l'un ni l'autre des demandeurs n'a allégué un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou un risque de subir de la torture s'ils retournaient en Albanie. Les demandeurs n'étaient par conséquent pas des personnes à protéger ou des réfugiés au sens de la Convention.

QUESTIONS EN LITIGE

[16]            1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la tentative d'enlèvement de la demanderesse avait pu avoir été faite aux fins de la prostitution et qu'elle a alors omis de se prononcer sur la question de savoir si la demanderesse pouvait toujours, en se fondant sur ce motif, prétendre être une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger?

2. Le tribunal a-t-il commis une erreur lorsqu'il s'est fondé sur son expertise en tant que spécialiste sans donner aux demandeurs un avis qu'il le ferait?

3. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi?


POSITIONS DES PARTIES et ANALYSE

La Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a omis d'examiner pour un autre motif de la Convention la demande de la demanderesse

[17]            Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la tentative d'enlèvement de la demanderesse avait pu ne pas avoir été faite pour des motifs politiques, mais qu'elle ait plutôt pu avoir été faite en vue de trafic. Étant donné que la Commission a accepté que les membres de la famille étaient actifs en politique et qu'ils avaient fait l'objet de persécution dans le passé, l'explication de la demanderesse était aussi vraisemblable que celle de la Commission. La Commission a ainsi commis une erreur lorsqu'elle a préféré une explication à une autre.

[18]            Les demandeurs prétendent en outre que la Commission a commis une erreur en omettant alors de se prononcer sur la question de savoir si la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention ou avait la qualité de personne à protéger sur le fondement de la tentative d'enlèvement qu'elle avait subie. Les demandeurs s'appuient sur l'arrêt Cheung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 309 (C.A.) (QL) .       


[19]            Le défendeur prétend que la demande de la demanderesse était, au mieux, fondée sur un incident résultant du hasard. En outre, le tribunal a simplement conclu qu'il ne pouvait pas accepter l'explication fournie par la demanderesse à l'égard de l'incident, en raison des autres possibilités qui n'avaient pas de liens avec les motifs invoqués par les demandeurs, mais il n'a pas déclaré d'une façon décisive qu'il s'agissait d'une tentative pour la forcer à faire de la prostitution.

[20]            À l'égard de cette question, la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle n'a pas accepté la prétention selon laquelle la tentative d'enlèvement de la demanderesse avait des motifs politiques. Une hypothèse quant aux motifs, fondée sur l'habillement des assaillants et sur le fait que les vitres de leur véhicule étaient teintées, était, selon la prépondérance des probabilités, insuffisante pour satisfaire au fardeau de preuve de la demanderesse.

[21]            La Commission, bien qu'elle ait accepté que la demanderesse ait été victime d'une tentative d'enlèvement, a avancé qu'il y avait une autre explication, également vraisemblable, pour la tentative d'enlèvement. Cela n'équivalait pas, à mon avis, à une conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse risquait d'être forcée de faire de la prostitution et que pour ce motif elle pouvait prétendre être une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger. Ce n'était simplement qu'une autre hypothèse avancée pour expliquer les motifs inconnus de la tentative d'enlèvement.


[22]            La demanderesse n'a mentionné, à aucune étape de l'instance devant la Commission, que sa demande était fondée sur son appartenance à un groupe social, à savoir celui des femmes qui risquent d'être forcées de faire de la prostitution. Il ne s'agit pas d'un cas comme l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu'elle entendrait un appel dans les cas où un motif devant être examiné dans le cadre d'une demande de statut de réfugié au sens de la Convention n'a pas été examiné, en dépit des éléments de preuve au soutien de ce motif, dans l'instance devant la Commission et la Cour fédérale. Dans ces circonstances, la Commission était tenue de trancher la demande à l'égard de ce motif malgré qu'il n'ait pas été soulevé ou allégué par le demandeur.

[23]            La Cour d'appel fédérale avait tranché plus tôt dans l'arrêt Pierre-Louis c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 420 (C.A.) (QL), que le demandeur ne pouvait pas avoir gain de cause en appel à l'égard d'un nouveau motif qui n'avait pas été soulevé devant la Commission. La Cour d'appel a eu l'occasion de réexaminer la question dans l'arrêt Guajardo-Espinoza c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 797 (C.A.) (QL). Elle a statué que l'arrêt Pierre-Louis n'avait pas été infirmé par l'arrêt Ward et elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

[...] l'on ne saurait reprocher à la Section du statut de ne pas s'être prononcée sur un motif qui n'avait pas été allégué et qui ne ressortait pas de façon perceptible de l'ensemble de la preuve faite. Accepter le contraire conduirait à un véritable jeu de cache-cache et de devinette et forcerait la Section du statut à se livrer à des enquêtes interminables pour éliminer des motifs qui ne s'appliquent pas de toute façon, que personne ne soulève et que la preuve ne fait que ressortir en aucune manière, le tout sans compter les appels vains et inutiles qui ne manqueraient pas de s'ensuivre.


[24]            La Commission ne disposait d'aucun élément de preuve au soutien d'une conclusion selon laquelle la demanderesse était membre d'un groupe social, à savoir celui des femmes qui risquent d'être forcées de faire de la prostitution ou selon laquelle elle était exposée personnellement à un risque. L'autre hypothèse avancée par la Commission quant aux motifs des ravisseurs ne « ressortait pas de façon perceptible » de la preuve au point d'exiger que la Commission l'examine comme une possibilité sérieuse. Ce n'était rien de plus qu'une simple hypothèse de sa part. La Commission aurait pu choisir ses mots avec plus d'attention, mais je ne peux pas conclure qu'elle a commis une erreur en omettant d'examiner la question de savoir si cela constituait pour la demanderesse un motif valable de demande.

Manquement à la procédure du fait de s'être fondée sur ses connaissances spécialisées

[25]            Quant à la deuxième question, les demandeurs prétendent que la Commission s'est fondée sur ses connaissances spécialisées pour conclure que la citation à comparaître du demandeur était frauduleuse sans leur donner un avis adéquat ni la possibilité de répondre. En faisant cela, la Commission a enfreint l'alinéa 170i) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Les demandeurs soutiennent qu'il s'agit d'une erreur de droit qui est déterminante dans la décision de la Commission et ils s'appuient sur l'arrêt Lawal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 2 C.F. 404 (C.A.).

[26]            Le défendeur prétend qu'il ressort de façon évidente de ses motifs que la Commission était attentive au dossier documentaire dont elle disposait. Elle a en outre donné au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations. Le défendeur prétend en outre que la Commission pouvait se fonder sur ses connaissances spécialisées et il renvoie à l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL), au paragraphe 4, et à la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1032 (1re inst.) (QL), au paragraphe 10.

[27]            Je suis d'accord avec les demandeurs. Le défendeur a raison lorsqu'il déclare que la Commission pouvait se fonder sur ses connaissances spécialisées. Cependant, la Commission est tenue suivant l'alinéa 170i) de la LIPR et l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), de donner à un demandeur un avis lorsqu'elle a l'intention de se fonder sur ses connaissances spécialisées de même que la possibilité de répondre à ces connaissances.

[28]            Contrairement à la prétention du défendeur, la Commission n'a, à aucun moment lors de l'audience, mentionné que compte tenu de ses connaissances spécialisées elle était préoccupée par la citation à comparaître. L'APR, d'un autre côté, a effectivement déclaré pendant qu'il questionnait le demandeur qu'il avait des connaissances spécialisées à l'égard des citations à comparaître, ou des [TRADUCTION] « avis de convocation » comme il les décrivait, délivrées en Albanie. (Voir à la page 86 du dossier des demandeurs, transcription de l'audience). Alors, l'attention des demandeurs a sans doute été éveillée à l'égard du fait que l'authenticité de la citation à comparaître était en cause et ils ont eu la possibilité de répondre à cette allégation.

[29]            Je n'accepte pas cette prétention. L'article 18 des Règles énonce clairement que c'est la Commission qui doit donner aux parties un avis de son intention de se fonder sur ses connaissances spécialisées. Elle ne peut pas, par conséquent, utiliser l'APR comme porte-parole pour procéder à cette étape obligatoire dans le processus de l'audience.

[30]            En outre, le fait d'entendre un APR faire une prétention en se fondant sur ses connaissances spécialisées peut avoir un effet différent pour le demandeur que si c'est la Commission qui déclare qu'elle a l'intention de se fonder sur ses connaissances spécialisées. Un demandeur, ou l'avocat d'un demandeur, peut rejeter la prétention de l'APR si la Commission ne la répète pas. La situation serait différente si la Commission elle-même déclare qu'elle a des doutes à l'égard du témoignage du demandeur en se fondant sur ses connaissances spécialisées.

[31]            C'est particulièrement vrai en l'espèce. Le demandeur n'aurait pas nécessairement su personnellement à quoi ressemblait une citation à comparaître valide et n'aurait peut-être pas été capable de répondre efficacement lorsqu'on l'aurait questionné lors de l'audience. Si la Commission avait éveillé l'attention des demandeurs sur le fait qu'elle avait des connaissances spécialisées à l'égard des citations à comparaître en Albanie, les demandeurs auraient pu demander à fournir après l'audience d'autres éléments de preuve et d'autres observations à l'égard de cette question. Étant donné qu'elle n'a pas éveillé l'attention des demandeurs, la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans la procédure qu'elle a utilisée lors de l'audience.

Les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas susceptibles de contrôle

[32]            Finalement, je traite de la troisième question précédemment mentionnée qui se rapporte aux conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission à l'égard des prétentions du demandeur et de son témoignage.


[33]            Les demandeurs prétendent que la Commission s'est fondée sur ses connaissances spécialisées, mais qu'elle n'a pas renvoyé à la preuve documentaire au soutien de son opinion. En outre, la Commission a omis de prendre en compte le fait que, comme le demandeur l'a expliqué, il peut bien y avoir différentes formes de citation à comparaître utilisées à des fins différentes.

[34]            En plus de sa prétention selon laquelle la Commission peut se fonder sur ses connaissances spécialisées, le défendeur prétend de façon plus générale que les questions de crédibilité et d'importance accordée à la preuve relèvent de la compétence de la Commission et nécessitent qu'elles fassent l'objet d'une grande retenue; voir l'arrêt Aguebor, précité, et l'arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL). Les motifs de la Commission ne démontrent pas que sa conclusion à l'égard de la citation à comparaître a été tirée d'une manière arbitraire.


[35]            Sur cette question, je suis d'accord avec le défendeur. Comme il a été mentionné précédemment, la Commission peut clairement se fonder sur ses connaissances spécialisées et, par voie de conséquence, lorsqu'elle le fait, elle ne renverra pas à la preuve documentaire. En l'espèce, la Commission n'était pas non plus tenue de mentionner l'explication fournie par le demandeur selon laquelle il pouvait y avoir différentes formes de citation à comparaître utilisées à des fins différentes, étant donné que le demandeur a reconnu qu'il ne connaissait pas la forme des citations à comparaître en Albanie (voir le dossier des demandeurs aux pages 87 et 88, transcription de l'audience) et qu'il ne faisait par conséquent qu'une hypothèse quant à la raison pour laquelle sa citation à comparaître était différente. La Commission n'a pas commis une erreur en ne mentionnant pas cette hypothèse dans ses motifs.

[36]            Les demandeurs prétendent en outre que la Commission n'a pas tenu compte de l'explication du demandeur à l'égard de l'omission dans le FRP de l'incident du 26 avril 2000 lorsqu'elle a tiré sa conclusion selon laquelle le demandeur n'était pas digne de foi. La Commission pouvait examiner et rejeter cette explication, mais elle ne pouvait pas simplement ne pas la mentionner dans ses motifs. Les demandeurs citent la décision Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.).

[37]            Le défendeur ne fait aucune observation précise à l'égard de cette question.


[38]            Les motifs d'un tribunal de la Commission seront inadéquats dans des situations dans lesquelles elle ne tient pas compte de l'explication fournie par un demandeur à l'égard des incohérences et des contradictions contenues dans sa preuve. Toutefois, dans la présente affaire, le demandeur a fourni une explication incomplète. Il a effectivement déclaré, comme les demandeurs prétendent, que l'incohérence résultait d'une mauvaise traduction (à la page 93 du dossier des demandeurs, transcription de l'audience). Toutefois, lorsque l'APR a insisté, il a admis que l'interprète lui avait traduit en albanais le FRP rempli en anglais (à la page 94 du dossier des demandeurs, transcription de l'audience). Comme pour tous les autres éléments de preuve, la Commission est tenue de mentionner une telle explication dans ses motifs lorsque cela est pertinent et important quant à ses conclusions; voir la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL), aux paragraphes 16 et 17. En l'espèce, cependant, l'explication était si boiteuse qu'elle avait très peu de pertinence. La Commission n'était par conséquent pas tenue de la mentionner lorsqu'elle a tiré sa conclusion.

[39]            Les demandeurs prétendent en outre que le demandeur a témoigné qu'après que les membres de sa famille et lui ont déménagé à Tirana, ils se sont rendus au siège du Parti de la légalité afin de voir de quelle façon ce parti fonctionnait à Tirana. Le demandeur est allé à deux ou trois réunions politiques et il est devenu membre à cet endroit. Il a en outre appris comment amasser des votes et des signatures pour l'opposition. Par conséquent, contrairement à la conclusion de la Commission, le demandeur avait eu à Tirana une participation active qui aurait pu attirer l'attention des autorités sur lui. La Commission, selon les demandeurs, a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que le demandeur n'avait pas eu une participation suffisamment active à Tirana pour être considéré comme une personne en vue et que par conséquent il ne serait pas une cible de persécution.

[40]            Encore une fois, le défendeur ne présente aucune observation précise sur cette question.

[41]            La preuve révèle que le demandeur était actif au sein du Parti de la légalité à Tirana, mais ne démontre pas de façon accablante qu'il était si en vue qu'il pouvait être identifié par les ennemis du parti. Par conséquent, à mon avis, la Commission pouvait conclure que le demandeur n'était pas très actif au sein du parti au moment où il a soi-disant été battu à Tirana.


[42]            La question de savoir si la citation à comparaître était frauduleuse était une question importante dans la décision et avait des conséquences non seulement sur la force de la preuve probante présentée par les demandeurs au soutien de leurs demandes, mais également sur leur crédibilité. Étant donné que je suis convaincu que la Commission a commis une erreur en matière de procédure en omettant de donner aux demandeurs un avis quant à ses connaissances spécialisées dans ce domaine et en omettant de leur donner la possibilité de répondre, on ne peut pas savoir quel effet cela peut avoir eu sur l'issue des deux demandes fondées sur le motif d'opinions politiques ou d'opinions politiques imputées. Par conséquent, les deux demandes doivent être renvoyées à la Commission afin qu'elle statue à nouveau sur ces demandes.            

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et qu'un tribunal différemment constitué examine à nouveau les demandes des demandeurs en conformité avec les présents motifs. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-4867-03

INTITULÉ :               TAULANT GRAMSHI

ENDRITA GRAMSHI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 18 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman                                                POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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