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Date : 20050901

Dossier : IMM-6045-04

Référence : 2005 CF 1193

Ottawa (Ontario), le 1er septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

KATIA MONTANO COVARRUBIAS,

ANGEL GABRIEL OLVERA RAMIREZ,

BEERI NOE OLVERA MONTANO,

ASAEL OLVERA MONTANO

et ELIEZER IVAN OLVERA MONTANO

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

et LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), concernant un examen des risques avant renvoi (l'ERAR) daté du 19 mai 2004. Les demandeurs sont des membres d'une même famille venant du Mexique. M. Angel Gabriel Olvera Ramirez et Mme Katia Montano Covarrubias ont trois jeunes enfants. Ils sont arrivés au Canada en octobre 2001 et ont immédiatement demandé l'asile en invoquant leur appartenance au groupe social des personnes pauvres et des victimes de crime.

[2]                M. Ramirez a appris qu'il souffrait d'une grave maladie des reins en février 2002. Il a été admis à l'hôpital et, depuis ce temps, il se soumet à trois séances d'hémodialyse par semaine.

[3]                Un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté les demandes d'asile des demandeurs le 7 mars 2003. La Commission a considéré que les demandeurs ne couraient pas un risque personnalisé attribuable à la pauvreté et à la criminalité et qu'ils n'étaient pas des personnes à protéger en raison d'une menace à leur vie, y compris dans le cas de M. Ramirez. La Commission a statué que la menace ou le risque dont il est question à l'alinéa 97(1)b) ne peuvent être causés par l'incapacité d'un pays à fournir des soins de santé adéquats. La famille n'a pas demandé le contrôle judiciaire de cette décision.

[4]                La famille a présenté une demande de résidence permanente pour des raisons d'ordre humanitaire. Les droits afférents à cette demande ont été payés en mars 2003, mais le consultant en immigration représentant la famille à l'époque a omis de déposer la demande. La famille l'a déposée elle-même un an plus tard. Cette demande était toujours en instance au moment de l'audition de la présente demande.

[5]                Dans les observations qu'ils ont présentées relativement à l'ERAR, les demandeurs ont demandé, se fondant sur l'interprétation donnée par leur conseil à la décision Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 241 F.T.R. 289 (C.F.), que des facteurs d'ordre humanitaire soient pris en compte. Ils ont produit une preuve démontrant que M. Ramirez ne pourrait pas recevoir de dialyse au Mexique parce qu'il n'a pas les moyens de payer ce traitement. Cette preuve était surtout composée d'un affidavit dans lequel un étudiant en droit ayant aidé la famille rapporte ce que lui a dit un médecin d'une clinique spécialisée dans les maladies rénales située à Vallarta, au Mexique.

[6]                Il a été sursis à l'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce que la Cour se prononce sur le présent contrôle judiciaire. L'avocate a fait savoir à l'audience que le défendeur s'était engagé à ne pas exécuter la mesure de renvoi tant qu'une décision ne serait pas rendue relativement à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

[7]                L'agent d'ERAR a refusé de prendre en compte des raisons d'ordre humanitaire et a indiqué que la question de la possibilité d'obtenir des soins de santé au Mexique ne devait pas être prise en considération :


[TRADUCTION] Le conseil des demandeurs a soutenu qu'aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés un agent peut tenir compte de raisons d'ordre humanitaire dans le cadre d'une demande d'ERAR; il a cité à cet égard la décision Zolotareva c. M.C.I. Le paragraphe 25(1) s'applique aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire. Dans l'affaire dont je suis saisi cependant, la loi indique clairement qu'une demande d'ERAR ne peut être examinée qu'en conformité avec les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Les demandeurs ont invoqué seulement des circonstances personnelles qui ne peuvent être prises en considération sous le régime du sous-alinéa 97(1)b)(iv) et qui ne peuvent donc pas être soupesées dans le cadre de l'examen des risques en l'espèce.

[8]                L'agent a considéré qu'il ne disposait d'aucun nouvel élément de preuve au regard de la menace à la vie à laquelle seraient exposés les demandeurs s'ils étaient renvoyés au Mexique et, après avoir examiné les documents sur les conditions existant dans ce pays, il a rejeté la demande d'asile.

[9]                Les demandeurs ont déposé en l'espèce un nouvel affidavit de l'étudiant en droit qui renferme des éléments de preuve dont, comme l'avocate le reconnaît, ne disposait pas l'agent d'ERAR. L'étudiant y rapporte notamment, encore une fois, les déclarations du médecin de Vallarta. Un affidavit signé par Mme Covarrubias aux fins de la demande de sursis ainsi que des lettres des médecins canadiens de M. Ramirez sont joints à cet affidavit.

[10]            Les demandeurs font valoir que M. Ramirez souffre d'une insuffisance rénale terminale et doit se soumettre à une séance de dialyse trois fois par semaine. La preuve indique que seules les personnes qui, contrairement aux demandeurs, ont une assurance maladie privée ou les moyens de payer peuvent obtenir ce traitement au Mexique. La preuve indique également que M. Ramirez vivrait tout au plus une semaine sans dialyse.


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[11]            Les dispositions pertinentes de l'article 97 prévoient ce qui suit :

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[...]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

[...]

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

[...]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[...]

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

1.          L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que les demandeurs étaient exclus par l'application du sous-alinéa 97(1)b)(iv)?

2.          L'agent d'ERAR a-t-il eu tort de ne pas prendre en considération des facteurs d'ordre humanitaire comme les demandeurs le lui demandaient?


3.          Si la réponse aux deux questions précédentes est négative, l'application de l'article 97 qui en résulte est-elle contraire à l'article 7 ainsi qu'au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et est-elle non justifiée par l'article premier de celle-ci?

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[13]            Le défendeur soutient tout d'abord que certaines parties de l'affidavit de l'étudiant en droit (les paragraphes 7 à 11) n'auraient pas dû être présentées à la Cour puisque l'agent d'ERAR n'en disposait pas : Lemeicha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49 (1re inst.); Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 713 (1re inst.).

[14]            Le défendeur soutient également que les demandeurs auraient dû produire leurs propres affidavits en l'espèce et que, en conséquence, la Cour ne devrait accorder que peu de poids, voire aucun, à l'affidavit souscrit par l'étudiant en droit pour leur compte : Mazuryk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 257.


[15]            Les demandeurs prétendent qu'il est acceptable que l'étudiant en droit, qui avait une connaissance directe de l'historique de leur dossier, souscrive l'affidavit. Les paragraphes 7 à 11 sont pertinents parce qu'ils traitent de questions relatives à la procédure (ils décrivent les tentatives visant à obtenir un sursis) et montrent comment l'étudiant en droit a effectué les recherches que l'agent d'ERAR aurait dû faire, selon eux, pour connaître l'état actuel du système de soins de santé au Mexique.

[16]            L'admission d'une preuve par ouï-dire présentée au moyen d'un affidavit souscrit par un étudiant en droit était contestée également dans la décision Mazuryk, précitée, une affaire régie par l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, dont les faits étaient semblables à ceux en l'espèce et où les demandeurs étaient représentés par la même avocate que ceux en l'espèce. Dans cette décision, la juge Dawson a fait remarquer, au paragraphe 21 de ses motifs, que la pratique consistant à demander à un tiers plutôt qu'au demandeur lui-même de souscrire des affidavits au soutien de la demande était une mauvaise pratique. La preuve qui n'est pas fondée sur la connaissance personnelle et qui, par ailleurs, n'est pas recevable en vertu des exceptions de la common law à la règle du ouï-dire ne devrait pas être prise en considération.

[17]            La juge Dawson a aussi rappelé que la preuve qui n'était pas devant le décideur n'est recevable que dans des circonstances très limitées, par exemple lorsqu'elle est nécessaire pour établir un manquement à la justice naturelle. Or, on ne prétend pas en l'espèce que l'agent d'ERAR a privé les demandeurs de l'équité procédurale, quoique ces derniers soutiennent que l'agent aurait dû effectuer d'autres recherches.

[18]            Je suis conscient que, dans les circonstances particulières de l'espèce, les demandeurs semblent ne pas avoir été bien servis par leur consultant en immigration et avoir eu beaucoup de difficulté à obtenir des services juridiques. L'étudiant en droit dont l'affidavit a été déposé pour leur compte a fait preuve de diligence en tentant de les aider et il faut le féliciter pour ses efforts. Je rappellerais cependant à l'avocate des demandeurs - qui était également l'avocate des demandeurs dans Mazuryk - qu'il faut tenir compte des commentaires de la juge Dawson pour éviter qu'une demande qui pourrait par ailleurs être fondée soit rejetée.

[19]            Dans la mesure où ils expliquent les étapes procédurales qui se sont déroulées depuis le dépôt de la demande d'ERAR, les paragraphes 7 à 11 de l'affidavit de l'étudiant sont acceptables parce qu'ils aident la Cour à comprendre le contexte de la présente affaire. Par contre, les déclarations qui sont rapportées dans l'affidavit au sujet de l'état de santé de M. Ramirez ou du système de santé du Mexique dont ne disposait pas l'agent d'ERAR ne sont pas admissibles.

LA NORME DE CONTRÔLE


[20]            Les parties n'ont pas présenté d'observations concernant la norme de contrôle qui s'applique à la décision de l'agent d'ERAR. Dans la décision Figurado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2005), 262 F.T.R. 219, le juge Martineau a statué que, si la décision de l'agent d'ERAR contestée est considérée « dans sa totalité » , c'est la décision raisonnable simpliciter qui devrait s'appliquer comme norme de contrôle : voir aussi les décisions Zolotareva, précitée, et Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 39; [2004] A.C.F. no 30 (QL), au paragraphe 7.

[21]            Dans la décision Rith Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 437, j'ai conclu, en utilisant une approche pragmatique et fonctionnelle, que, dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision d'un ERAR, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui devrait généralement s'appliquer aux questions de fait, celle de la décision raisonnable simpliciter aux questions mixtes de droit et de fait et celle de la décision correcte aux questions de droit : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982.

[22]            Lorsqu'une conclusion de fait particulière est tirée par l'agent d'ERAR, la Cour ne devrait y substituer sa propre décision que si le demandeur démontre que cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont l'agent disposait (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et modifications, Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1501; [2003] A.C.F. no 1904, et Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 238 F.T.R. 194, au paragraphe 14).

[23]            Appliquant le droit pertinent aux faits constatés par l'agent d'ERAR « dans [leur] totalité » , je suis d'accord avec le juge Martineau que c'est la décision raisonnable qui devrait s'appliquer comme norme générale.

[24]            On ne demandait pas à l'agent d'ERAR d'examiner la question de savoir si l'application de l'article 97 pouvait contrevenir à la Charte, conformément à la conclusion tirée par le juge Russell dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323 (C.F.), selon laquelle l'ERAR n'est pas le forum approprié pour la résolution de questions complexes de droit, y compris celles touchant l'interprétation de la Constitution. La Cour a évidemment compétence pour trancher les questions constitutionnelles qui se posent dans le cadre du contrôle judiciaire d'une décision rendue par un tribunal administratif qui ne peut connaître de telles questions. Un tribunal administratif qui fonde sa décision sur une disposition qui n'est pas constitutionnellement valide commet une erreur de compétence : Gwala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 3 C.F. 404 (C.A.F.).


L'ARGUMENTATION ET L'ANALYSE

1.          Le sous-alinéa 97(1)b)(iv)

[25]            Les demandeurs soutiennent que l'expression « l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats » ( « inability of that country to provide adequate health or medical care » en anglais) au sous-alinéa 97(1)b)(iv) devrait recevoir une interprétation restrictive de façon à s'appliquer seulement dans le cas où un État est véritablement incapable de fournir des soins de santé adéquats. Lorsque l'État est capable de fournir des soins, mais qu'il choisit de ne pas le faire pour quelque raison que ce soit, notamment le coût, les personnes dont la vie est menacée et qui ne peuvent recevoir de soins de santé dans leur pays d'origine devraient pouvoir obtenir une protection de substitution au Canada.

[26]            Si je comprends bien leur prétention, les demandeurs s'appuient en partie sur l'analyse de la distinction entre « ne peut » et « ne veut » se réclamer de la protection de l'État effectuée dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689. Les demandeurs soutiennent que l'objet du sous-alinéa 97(1)b)(iv) est d'éviter de faire en sorte que des États soient montrés du doigt comme ne respectant pas les droits de la personne alors qu'ils sont véritablement incapables de fournir des soins de santé adéquats. L'exclusion ne devrait pas s'appliquer lorsqu'un État est capable de fournir des soins de santé, mais qu'il choisit de ne pas les fournir à ses résidents qui n'ont pas les moyens de payer.


[27]            Aussi, les demandeurs soutiennent que l'agent d'ERAR n'a pas interprété ni appliqué correctement la LIPR et qu'il a commis une erreur de droit en ne se demandant pas si la raison pour laquelle M. Ramirez ne recevrait pas de traitements médicaux au Mexique, ce n'était pas que l'État ne pouvait pas lui offrir des traitements de dialyse, mais c'était plutôt que l'État ne voulait pas fournir ces traitements gratuitement ou à un coût qu'il aurait les moyens de payer.

[28]            La preuve indique que toute personne ayant les moyens de payer peut avoir de la dialyse au Mexique. Selon les demandeurs, cela signifie que le Mexique ne veut pas fournir de soins de santé adéquats et que, comme cette situation causera la mort du demandeur, la stigmate du non-respect des droits de la personne est tout à fait justifiée, ce qui fait que l'exclusion fondée sur le sous-alinéa 97(1)b)(iv) n'est pas légitime.

[29]            Le défendeur soutient que l'agent d'ERAR a appliqué correctement l'exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv). Il n'appartient pas à l'agent d'ERAR d'évaluer la caractère adéquat des soins de santé. Si M. Ramirez n'a pas les moyens de payer les traitements dont il a besoin et que ces traitements ne lui sont pas offerts pour cette raison, c'est donc dire qu'il ne peut, dans les faits, les obtenir. Et s'il ne peut les obtenir, ces traitements ne sont pas des soins médicaux ou de santé adéquats au sens du sous-alinéa 97(1)b)(iv) et sont exclus des facteurs de risque personnalisé : Singh, précitée.

[30]            Les faits étaient semblables dans la décision Singh. Le juge Russell disposait d'une preuve selon laquelle la demanderesse pouvait avoir accès à des traitements de dialyse en Inde, mais à un prix que sa famille n'avait pas les moyens de payer. Il indique au paragraphe 20 de ses motifs, où sont résumées les prétentions des parties, que la demanderesse faisait valoir en fait qu'elle ne devrait pas être renvoyée en Inde parce que ce pays n'offre pas les soins de santé universels et gratuits dont elle avait besoin compte tenu de sa maladie particulière et de sa situation financière. Le défendeur prétendait, comme en l'espèce, qu'il s'agissait de facteurs d'ordre humanitaire devant être pris en compte dans le cadre d'une demande visée à l'article 25 de la LIPR et non d'un ERAR.

[31]            Les notes explicatives de chacun des articles qui ont été présentées au Parlement au moment de l'étude du projet de loi C-11 [Loi concernant l'immigration au Canada et l'asile conféré aux personnes déplacées, persécutées ou en danger, 1re session, 37e législature, 2001], qui est ensuite devenu la LIPR, ont été produites devant la Cour, dans l'affaire Singh, afin d'établir l'intention du législateur au moment d'adopter le sous-alinéa 97(1)b)(iv). Les notes ne traitent pas abondamment de cette question, mais elles indiquent ce qui suit au sujet de l'article 97 et des ressources médicales :

Dans les cas où une personne serait exposée à un risque faute de soins médicaux ou de santé adéquats, il est plus approprié de recourir à d'autres dispositions de la Loi et de tels cas sont donc exclus de la définition. L'absence de soins médicaux ou de santé adéquats ne constitue pas un motif reconnu pour accorder la protection en vertu de la Loi.

[32]            Tout en reconnaissant qu'il s'agissait d'un cas très difficile, le juge Russell a conclu au paragraphe 24 :

Cela m'amène à conclure que le défendeur a raison quant à cette question. La question d'une menace à la vie suivant l'article 97 ne devrait pas inclure l'obligation d'évaluer la question de savoir s'il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question. Il y a diverses raisons pour lesquelles les soins médicaux et de santé peuvent être « inadéquats » . Il se peut que ces soins n'existent pas du tout ou qu'ils ne soient pas offerts à un demandeur en particulier parce qu'il n'est pas dans une situation dans laquelle il peut en profiter. Lorsqu'un demandeur n'a pas la possibilité d'obtenir ces soins, alors ils ne sont pas adéquats pour lui. [Non souligné dans l'original.]

[33]            Je pense qu'il est évident que le régime législatif avait pour but d'exclure de la portée de l'article 97 les demandes d'asile fondées sur les risques découlant du caractère inadéquat des soins de santé et des traitements médicaux dans le pays d'origine du demandeur, notamment lorsque les traitements sont offerts aux personnes qui ont les moyens de payer. Je souscris à l'interprétation donnée à la loi par le juge Russell. Aussi, j'estime que l'agent d'ERAR n'a pas commis d'erreur en appliquant l'exclusion à M. Ramirez et la demande ne peut être accueillie pour ce motif.

2.          Les facteurs d'ordre humanitaire

[34]            Les demandeurs prétendent que l'agent d'ERAR était tenu de prendre en compte des facteurs d'ordre humanitaire dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire : Zolotareva, précitée. Son refus de le faire constituait une erreur de droit et allait à l'encontre du régime législatif voulu par le législateur.


[35]            Le défendeur soutient que la décision Zolotareva ne s'applique pas parce que, en l'espèce, la demande examinée par l'agent d'ERAR était une demande d'ERAR alors que, dans l'affaire Zolotareva, l'agent d'ERAR était saisi d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Obliger le personnel à prendre en compte des facteurs d'ordre humanitaire à toutes les étapes du processus de décision paralyserait l'administration de la LIPR : Banik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (3 juillet 2003) IMM-4861-03, Padda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1081, et Firsova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 933.

[36]            J'ai fait les commentaires suivants aux paragraphes 63 et 64 de la décision Rith Kim, précitée :

Je conviens avec le défendeur que la présente espèce se distingue de la décision Zolotareva. Premièrement, les auteurs de la décision Zolotareva n'ont pas conclu que les agents d'ERAR sont obligés de tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire, mais plutôt qu'il était permis à l'agent d'ERAR dans cette affaire de représenter le ministre aux fins de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et de l'ERAR. Dans cette affaire, l'agente effectuait l'évaluation des deux demandes. En l'espèce, rien n'indique qu'il y ait eu une demande distincte fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, encore moins qu'une telle demande ait été présentée à l'agente.

En fait, la décision Zolotareva n'aborde pas l'argument sous-jacent du demandeur qui est, d'après mon interprétation, le suivant : en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, tout délégué ministériel est obligé de tenir compte des facteurs d'ordre humanitaire si un demandeur sollicite un examen de ses circonstances. [...]


[37]            J'ai conclu dans Kim que les agents d'ERAR ne sont pas tenus de prendre en compte des facteurs d'ordre humanitaire pour rendre leurs décisions. Seul le risque personnalisé doit être pris en compte dans le cadre de l'enquête de l'ERAR et du processus décisionnel. La présentation d'une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est un meilleur moyen à utiliser pour obtenir une mesure de redressement discrétionnaire.

[38]            Aussi, j'estime que l'agent d'ERAR n'a pas commis d'erreur de droit en refusant de tenir compte de facteurs d'ordre humanitaire dans le cadre de l'ERAR.

3.          Les questions relatives à la Charte

[39]            Les demandeurs soutiennent que la LIPR prévoit la tenue d'un ERAR afin que personne ne soit renvoyé du Canada vers un endroit où sa vie est en danger, ce qui est conforme aux valeurs de la Charte et aux engagements internationaux du Canada : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 53; Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), article 25, paragraphe 1.


[40]            Les demandeurs soutiennent que l'agent d'ERAR a contrevenu à la Charte de deux façons en interprétant et en appliquant le sous-alinéa 97(1)b)(iv). Premièrement, si aucune protection ne peut être offerte aux personnes qui n'ont pas droit à des soins médicaux dans leur pays d'origine et qu'il n'est pas approprié que l'agent d'ERAR prenne en compte des facteurs d'ordre humanitaire lorsqu'il rend sa décision, l'exclusion entraîne de la discriminatoire fondée sur la déficience, ce qui est contraire à l'article 15 de la Charte, et cette discrimination ne peut être sauvegardée par l'article premier.

[41]            Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la décision d'exclure M. Ramirez de la protection prévue à l'article 97 de la LIPR fait entrer en jeu son droit à la vie et à la sécurité de sa personne garanti par l'article 7 de la Charte. Si M. Ramirez devait retourner au Mexique où sa vie est menacée, il subirait un traitement cruel ou inusité contraire aux principes de justice fondamentale. Comme il est atteint d'une maladie qui menace sa vie, la possibilité d'obtenir des soins médicaux adéquats est indissociable de son droit à la vie et à la sécurité de sa personne.

[42]            Des avis de questions constitutionnelles ont été signifiés aux procureurs généraux fédéral et provinciaux, conformément à l'article 57 de la Loi sur les Cours fédérales.

[43]            Le défendeur fait valoir que la Cour ne dispose pas d'une preuve suffisante pour rendre une décision concernant la Charte : MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, Mazuryk, précitée, aux paragraphes 35 à 41, et Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 242 F.T.R. 295. Dans l'arrêt MacKay et dans d'autres, la Cour suprême du Canada a statué que les décisions concernant la Charte ne devaient pas être rendues dans un vide factuel, car le faire banaliserait la Charte et produirait inévitablement des opinions mal motivées.

[44]            Dans la décision Mazuryk, précitée, la demanderesse invoquait des arguments relatifs à la Charte semblables à ceux présentés en l'espèce. Elle affirmait que son retour en Ukraine entraînerait sa mort immédiate. La juge Dawson a estimé que cette prétention n'était pas étayée par la preuve. L'agente de révision des revendications refusées, qui avait rendu la décision contestée sous le régime de l'ancienne loi, avait conclu que l'incapacité d'un pays à fournir des soins médicaux et de santé adéquats n'était pas un facteur de risque pertinent, tout en ajoutant cependant que la demanderesse pourrait obtenir des soins médicaux adéquats de l'État dans son pays d'origine. Cette conclusion était suffisante pour trancher la demande et il n'a pas été nécessaire d'examiner les violations de la Charte qui étaient alléguées.

[45]            De même, dans la décision Adviento, précitée, la Cour a considéré que l'agente s'était appuyée sur la preuve factuelle pour refuser de différer le renvoi en raison de la maladie de la demanderesse - une insuffisance rénale. Une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire sur laquelle l'agente de renvoi s'est appuyée avait auparavant été rejetée parce que le traitement était disponible aux Philippines et accessible avec l'aide financière du gouvernement. La demanderesse n'avait pas épuisé les recours dont elle disposait en matière de contrôle judiciaire pour contester cette conclusion. Dans ces circonstances, bien que la preuve de la possibilité d'obtenir des soins médicaux adéquats aux Philippines ait été contradictoire, la Cour a décidé que la demanderesse n'avait pas produit les éléments de preuve nécessaires pour établir une violation de la Charte.

[46]            Dans Singh (C.F. 2004), dont il a été question précédemment, l'agente d'ERAR a été invitée à ne pas tenir compte du sous-alinéa 97(1)b)(iv) et à soustraire le demandeur à son application en vertu de l'article 7 de la Charte. La décision de l'agente selon laquelle elle n'avait pas compétence pour trancher cette question a été confirmée lors d'un contrôle judiciaire. La Cour ne semble pas avoir été invitée dans cette affaire à déterminer si la disposition était invalide.

[47]            En l'espèce, je dispose de très peu d'éléments de preuve étayant les allégations des demandeurs concernant la Charte. Comme je l'ai mentionné précédemment, je n'accepte pas en preuve la partie de l'affidavit produit par les demandeurs qui renferme des renseignements obtenus d'un tiers. Le reste de la preuve consiste en un affidavit souscrit par Mme Covarrubias aux fins de la demande de sursis, dans lequel elle décrit l'état de santé de son mari ainsi que la situation financière de la famille et déclare que celle-ci n'aurait pas les moyens de payer la dialyse si elle était renvoyée au Mexique. Il y a aussi des lettres de médecins de l'hôpital selon lesquelles M. Ramirez a besoin de façon ininterrompue de dialyse, de médicaments dispendieux pour contrôler la composition de son sang et de visites de suivi chez des spécialistes, ce qu'il ne pourrait pas obtenir au Mexique selon eux. Je ne dispose d'aucune preuve expliquant comment les médecins en arrivent à cette conclusion. Comme il s'agit de ouï-dire, je ne suis pas convaincu que, en l'absence d'éléments de preuve additionnels les étayant, les déclarations soient suffisamment dignes de foi pour établir la véracité de leur contenu en tant que fait.

[48]            À part le bref extrait des notes explicatives présentées au Parlement qui est reproduit ci-dessus, je ne dispose d'aucune preuve de l'objet et de l'historique de la disposition, ainsi que du contexte social, économique et culturel dans lequel elle a été adoptée.

[49]            Considérant la preuve des demandeurs de la manière la plus favorable possible, je ne suis pas convaincu que celle-ci est suffisante pour permettre à la Cour de convenablement décider si l'application du sous-alinéa 97(1)b)(iv), de façon à exclure de la protection des personnes dont la vie est menacée par l'absence de soins médicaux adéquats dans leur pays d'origine, entraîne une violation de la Constitution.

[50]            Je suis par contre persuadé que la demande de résidence permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire que les demandeurs ont présentée et qui est toujours en instance représente une autre mesure de redressement adéquate. Le processus d'examen des raisons d'ordre humanitaire, bien qu'il soit discrétionnaire, permet d'examiner la situation des demandeurs et, en particulier, la disponibilité des services de soins de santé au Mexique. Les demandeurs pourraient aussi présenter une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision s'ils sont déboutés.


[51]            Je rappelle que le défendeur s'est engagé à différer le renvoi jusqu'à ce qu'une décision soit rendue relativement à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. Les demandeurs soutiennent que cet engagement n'est pas satisfaisant parce que, dans l'intervalle, ils n'auront pas le statut de résidents et ne seront pas admissibles à l'assurance maladie de l'Ontario. Ils reconnaissent que M. Ramirez continuerait de recevoir des traitements jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, les hôpitaux et les médecins de l'Ontario ayant l'obligation de traiter les personnes non assurées qui ont besoin de soins d'urgence. Si leur demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire est accueillie, les membres de la famille pourraient obtenir des permis de séjour temporaire, mais M. Ramirez ne pourrait probablement toujours pas obtenir le statut de résident permanent à cause de sa maladie. Il ne fait aucun doute que cette solution ne serait pas la plus satisfaisante pour la famille, mais la Cour doit seulement déterminer si l'autre mesure de redressement est adéquate et non si elle est parfaite : Froom c. Canada (Ministre de la Justice), [2005] 2 R.C.F. 195 (C.A.F.).

[52]            Au cas où ces conclusions seraient erronées, j'examinerai brièvement les prétentions des parties au regard de la Charte.


[53]            Il va peut-être de soi de dire, dans toute analyse de l'application de la Charte en matière d'immigration, que « tout être humain qui se trouve au Canada et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne » peut jouir des droits et des libertés qui sont garantis : Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 1 R.C.S. 177, au paragraphe 35. L'alinéa 3(3)d) de la LIPR prévoit expressément que celle-ci doit être interprétée et mise en oeuvre de manière à assurer que les décisions prises en vertu de ses dispositions sont conformes à la Charte, notamment en ce qui touche les principes d'égalité et de protection contre la discrimination. L'alinéa 3(3)f) exige que la LIPR soit interprétée conformément aux instruments internationaux portant sur les droits de l'homme dont le Canada est signataire.

[54]            Le législateur a le droit d'adopter une politique en matière d'immigration et une loi prévoyant les conditions à remplir par les non-citoyens pour qu'il leur soit permis d'entrer au Canada et d'y demeurer. La Charte reconnaît expressément à l'article 6 que les non-citoyens n'ont pas les mêmes droits de demeurer au Canada que les Canadiens : Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711.

[55]            Dans l'arrêt Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, la juge en chef McLachlin et le juge Major ont écrit succinctement, avec le concours du juge Bastarache, au paragraphe 104 : « La Charte ne confère aucun droit constitutionnel distinct à des soins de santé. Cependant, lorsque le gouvernement établit un régime de soins de santé, ce régime doit respecter la Charte. »

[56]            Le législateur a expressément énoncé, à l'alinéa 97(1)b), plusieurs restrictions au droit à la protection contre la menace à la vie ou le risque de traitements ou peines cruels et inusités qui limitent l'étendue de la protection offerte aux ressortissants d'autres pays. Il a notamment décidé d'exclure de la protection les personnes qui risquent de subir un préjudice découlant explicitement de l'absence de soins médicaux dans leur pays d'origine et, implicitement, de leur propre état de santé et non de la menace provenant d'un agent ou d'un facteur extérieur.


[57]            En adoptant les dispositions prévoyant la non-admissibilité pour des raisons médicales qui étaient contenues au sous-alinéa 19(1)a)(ii) de l'ancienne Loi sur l'immigration et qui figurent maintenant à l'article 38 de la LIPR, le législateur a, de toute évidence, conclu également que les besoins en matière de santé des ressortissants étrangers demandant la résidence permanente au Canada pouvaient imposer un fardeau excessif aux systèmes de santé provinciaux et que ces personnes pourraient être interdites d'entrée pour cette seule raison. Les dispositions de la Loi sur l'immigration concernant la non-admissibilité pour des raisons médicales ont résisté à un examen attentif visant à déterminer si elles étaient conformes aux articles 7 et 15 de la Charte dans la décision Chesters c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 1 C.F. 361.

[58]            Comme je l'ai souligné dans la décision S.C.F.P. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 261 F.T.R. 237, des questions importantes concernant la pénurie de médecins, d'infirmières et d'autres professionnels de la santé dans beaucoup de régions et les listes d'attente pour des diagnostics ou des interventions chirurgicales ont suscité des débats publics sur le caractère adéquat et le coût des services de santé au pays. Comme l'a dit la juge Deschamps dans l'arrêt Chaoulli, précité, au paragraphe 2, « [e]n ce début de 21e siècle, la santé est une préoccupation constante. Auparavant source de fierté nationale, le système de santé public est devenu l'objet de critiques, parfois acerbes. »

[59]            Ainsi, il ne semble pas déraisonnable que le législateur ait décidé que le droit à la protection au Canada contre les risques personnalisés à la vie dans d'autres pays ne devrait pas englober les risques découlant du défaut de ces pays de fournir des soins médicaux adéquats à leurs propres ressortissants.

[60]            J'examinerai maintenant les prétentions des parties concernant l'application des articles 15 et 7 aux dispositions législatives en cause en l'espèce.

L'article 15

[61]            Le paragraphe 15(1) prévoit ce qui suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.


[62]            Les demandeurs prétendent que M. Ramirez est victime de discrimination contrairement au paragraphe 15(1) de la Charte parce qu'il ne peut bénéficier de la protection offerte par l'article 97 en raison d'une déficience physique, à savoir l'insuffisance rénale terminale dont il souffre. Il n'a pas droit au même bénéfice de la loi puisque celle-ci n'a pas sur lui le même effet que sur les personnes en santé : Law Society of British Columbia c. Andrews, [1989] 1 R.C.S. 143, Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, et Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493.

[63]            Le défendeur soutient pour sa part qu'il n'y a pas violation du paragraphe 15(1) puisque le demandeur n'est pas exclu de la protection prévue à l'alinéa 97(1)b) à cause de sa déficience physique. L'article 97 a pour objet de protéger les personnes qui peuvent avoir raison de ne pas vouloir se réclamer de la protection de leur pays d'origine contre des menaces graves à leur vie ou à leur santé découlant d'actes violents comme la torture, ou contre le risque de traitements ou peines cruels et inhumains, ou dont on ne peut s'attendre qu'elles se réclament de cette protection. Il n'a pas pour but d'offrir une protection aux personnes qui ne peuvent obtenir des soins de santé dans le pays d'où elles viennent.


[64]            Dans l'arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, la Cour suprême du Canada a indiqué, à la page 529, que le paragraphe 15(1) de la Charte avait pour objet d'empêcher toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l'imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux. Une disposition législative qui produit une différence de traitement entre des personnes ou des groupes est contraire à cet objectif fondamental si ceux qui font l'objet de la différence de traitement sont visés par un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues et si la différence de traitement traduit une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou que, par ailleurs, elle perpétue ou favorise l'opinion que l'individu concerné est moins capable, ou moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain.

[65]            Bien qu'une analyse fondée sur le paragraphe 15(1) ne doive pas être limitée à une formule rigide, la Cour suprême a adopté dans l'arrêt Law une méthode en trois étapes qui doit être utilisée pour déterminer si une violation a été commise.

[66]            La première étape consiste à déterminer si une distinction a été faite entre le demandeur et d'autres personnes appartenant à un groupe de comparaison. Règle générale, il convient d'utiliser le groupe de comparaison indiqué par le demandeur dans le cadre d'une analyse concernant la discrimination. Je pense qu'il est raisonnable de conclure, comme M. Ramirez le laisse entendre, que le groupe de comparaison est formé des demandeurs d'asile déboutés qui n'ont pas de déficience physique mais qui sont exposés à d'autres menaces à leur vie ou à leur sécurité physique dans leur pays d'origine. Selon M. Ramirez, la distinction réside dans le fait que les membres du groupe de comparaison qui sont susceptibles d'être tués par de tels actes de violence peuvent demander la protection du Canada, alors que lui ne le peut pas à cause de sa déficience et de l'incapacité du Mexique à lui fournir des soins adéquats. L'existence d'une distinction ne suffit pas cependant. Il faut que cette distinction soit véritablement discriminatoire.


[67]            De son côté, le défendeur soutient qu'il n'y a pas de distinction entre le demandeur et les autres personnes qui peuvent être protégées par l'article 97. Si M. Ramirez avait établi qu'il était exposé à un risque ou à une menace visés par cette disposition, sa demande aurait été accueillie en dépit de sa déficience. Quoi qu'il en soit, la distinction ne doit pas seulement être établie : elle doit être véritablement discriminatoire.

[68]            L'étape suivante de la méthode décrite dans l'arrêt Law consiste, si une distinction existe, à se demander si elle est fondée sur l'un des motifs énumérés ou sur un motif analogue. Dans l'arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 R.C.S. 358, le juge Iacobucci a souligné, au paragraphe 69, que « [l]orsque la négation du droit en cause est fondée sur l'un des motifs expressément énumérés au par. 15(1) ou sur un motif analogue, elle sera généralement jugée discriminatoire, bien qu'il puisse évidemment y avoir des exceptions : voir, par exemple, Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872 » .

[69]            Le demandeur est atteint d'une déficience médicale - un motif énuméré - mais cela n'est pas suffisant, selon le défendeur, pour établir qu'il a fait l'objet d'un traitement différent en conséquence. Le sous-alinéa 97(1)b)(iv) limite l'étendue des risques et des menaces pour lesquels la protection peut être obtenue, mais il n'accorde pas ou ne refuse pas la protection aux personnes qui sont en bonne santé ou qui ont une déficience.


[70]            La troisième étape consiste à déterminer si la discrimination est réelle, « faisant ainsi intervenir l'objet du par. 15(1) de la Charte pour remédier à des fléaux comme les préjugés, les stéréotypes et le désavantage historique » (Law, précité, à la page 524). Il peut aussi y avoir violation du paragraphe 15(1) si la disposition législative en cause crée indirectement une discrimination par suite d'un effet préjudiciable sur les membres de groupes visés par des motifs énumérés ou par des motifs analogues : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3.

[71]            Il n'est pas difficile d'avoir de la sympathie pour M. Ramirez dans les circonstances, mais je ne suis pas convaincu que la disposition a eu, directement ou indirectement, un effet discriminatoire sur lui. L'article 97 confère à la Commission la compétence d'évaluer les risques de préjudice, en plus des motifs pour lesquels une personne peut se voir reconnaître la qualité de réfugiée au sens de la Convention suivant l'article 96. Il s'agit de ce qu'il est convenu d'appeler le regroupement des motifs de protection. Auparavant, d'autres facteurs de risque étaient évalués par le ministre en vertu du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré en matière humanitaire à l'article 114 de l'ancienne Loi sur l'immigration. L'article 97, en conférant cette compétence à la Commission, en restreint expressément l'étendue aux sous-alinéas (i) à (iv).


[72]            Le sous-alinéa 97(1)b)(iv) a pour effet d'exclure les risques et les menaces découlant de l'incapacité du pays d'origine à fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. Les personnes qui se trouvent dans la situation de M. Ramirez sont traitées de la même façon que les membres du groupe de comparaison en ce qui a trait aux risques et aux menaces visés à l'article 97. Chacun doit démontrer qu'il est exposé à une menace à sa vie ou à sa sécurité à l'intérieur de cette catégorie. Le législateur peut choisir de restreindre ou d'élargir la catégorie de risques ou de menaces à laquelle il souhaite étendre la protection, à la condition, à mon avis, qu'il ne le fasse pas de façon arbitraire. Comme je l'ai indiqué précédemment, je reconnais qu'il y a des raisons logiques d'exclure de la protection des personnes dont la demande est fondée uniquement sur l'incapacité de leur État à fournir des soins de santé.

[73]            La disposition législative ne fait pas une distinction entre les demandeurs en fonction d'une caractéristique personnelle - les demandeurs qui ont une déficience et ceux qui n'en ont pas - mais plutôt en fonction de la nature du risque ou de la menace auxquels ils sont exposés. Si la distinction avait été fondée sur la déficience du demandeur, j'aurais conclu sans difficulté à la discrimination, mais, à mon avis, l'exclusion d'une forme particulière de risque ou de menace ne constitue pas de la discrimination.

[74]            Par conséquent, j'estime que l'application du sous-alinéa 97(1)b)(iv) ne contrevient pas au paragraphe 15(1) de la Charte.

L'article 7

[75]            L'article 7 prévoit ce qui suit :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

[76]            Deux questions se posent au regard de l'article 7 de la Charte : l'application de la disposition législative contestée a-t-elle porté atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et, si c'est le cas, cette atteinte est-elle contraire aux principes de justice fondamentale : Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123? La Cour suprême a statué que l'expulsion d'une personne vers un pays où elle risque la torture peut compromettre sa liberté, sa sécurité et, peut-être, sa vie : Suresh, précité, au paragraphe 44.

[77]            Les demandeurs soutiennent que le droit à la vie de M. Ramirez est menacé par son exclusion de la protection offerte par l'article 97. Ils prétendent que le droit à la vie prévu à l'article 7 inclut le droit de ne pas être privé des soins médicaux qu'il reçoit actuellement au Canada. Son renvoi dans un endroit où il ne peut obtenir les soins dont il a besoin pour demeurer en vie serait contraire aux principes de justice fondamentale. En ne lui permettant pas de demander la protection prévue à l'article 97 afin qu'il puisse continuer de recevoir des traitements médicaux financés par l'État, on porterait atteinte à son droit à la vie, tout comme le fait de ne pas fournir l'assistance d'un avocat payé par l'État peut, dans certaines circonstances, compromettre la sécurité d'une personne : Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46.

[78]            Les demandeurs soutiennent en outre que la responsabilité du Canada est engagée même si la violation des droits garantis par la Charte à M. Ramirez devait survenir après son renvoi du Canada : États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283.

[79]            Les demandeurs citent l'arrêt R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, et la décision Collin c. Lussier, [1983] 1 C.F. 218 (1re inst.) (inf. par [1985] 1 C.F. 124), pour démontrer que, dans certains cas, les soins médicaux sont indissociables du droit à la vie et à la sécurité de la personne.

[80]            Les demandeurs me pressent de conclure que, lorsque la vie du demandeur est menacée comme en l'espèce, ce seul fait devrait être suffisant pour considérer qu'il y a eu violation de l'article 7. Je souligne que le sous-alinéa contesté ne fait pas de distinction en fonction de la nature de la maladie pour laquelle des soins de santé adéquats ne sont pas disponibles. On peut supposer que, si l'exclusion prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv) fait entrer en jeu les droits garantis à l'article 7, ces droits ne sont pas limités aux maladies mettant la vie en danger. On peut poser comme principe que l'absence de soins de santé adéquats pour toute maladie grave peut menacer la sécurité psychologique ou physique d'une personne. Aussi, la prétention des demandeurs selon laquelle on pourrait limiter l'effet de la disposition me pose problème.


[81]            Le défendeur nie qu'il y ait violation de l'article 7 en l'espèce, mais, si l'on suppose que le droit à la vie est en cause, les principes de justice fondamentale qu'il faut appliquer à l'étape suivante doivent être ceux qui s'appliquent en matière d'immigration : Chiarelli, précité, et Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053. La procédure suivie en l'espèce est conforme aux principes de justice fondamentale parce que les demandeurs ont eu la possibilité de faire valoir leur point de vue, de faire des prétentions écrites par l'entremise de leur avocate et de présenter à l'agent d'ERAR tous les documents qu'ils voulaient que ce dernier examine : Office des services à l'enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519.

[82]            Dans l'arrêt G. (J.), précité, le juge en chef Lamer a fait remarquer, au paragraphe 65, que « l'objet de l'art. 7 est le comportement de l'État en tant qu'il fait observer et appliquer la loi, lorsque ce comportement prive un individu de son droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne » . Dans cette affaire, l'État avait entrepris une procédure en matière de protection de l'enfance contre l'appelante au terme de laquelle il pourrait lui retirer la garde de son enfant. Le fait que l'appelante n'a pas eu droit à des services d'aide juridique financés par l'État a menacé sa sécurité psychologique et n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale relatifs au droit à l'assistance d'un avocat.


[83]            Dans l'arrêt Morgentaler, précité, l'État ne permettait l'avortement que lorsqu'il était approuvé par un comité de l'avortement thérapeutique. La majorité de la Cour a conclu que la loi mettait indûment en danger la santé des femmes, compromettant ainsi leur sécurité, et ne pouvait pas être sauvegardée par l'article premier. Comme le juge Beetz l'a écrit au paragraphe 121, « l'État est intervenu de manière à créer un risque additionnel pour la santé et, par conséquent, cette intervention constitue une violation de la sécurité de la personne de la femme » .

[84]            Par analogie, une loi qui empêcherait des personnes se trouvant dans la même situation que M. Ramirez de recevoir des traitements médicaux pendant qu'elles sont au Canada serait vraisemblablement contraire à l'article 7, car elle constituerait une intervention de l'État menaçant leur vie ou leur sécurité. Le raisonnement suivi dans l'arrêt Morgentaler ne peut cependant, à mon avis, appuyer la proposition selon laquelle des personnes ont le droit d'entrer ou de demeurer au Canada pour recevoir des soins médicaux si elles ne sont pas des citoyens ni des résidents permanents.


[85]            Dans la décision Collin c. Lussier, précitée, un détenu souffrant d'une affection cardiaque prétendait ne pas avoir reçu un traitement adéquat dans l'unité à sécurité maximale où il avait été transféré. Le juge Décary (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) a statué que le fait d'empêcher le détenu de recevoir des soins médicaux adéquats compromettait sa sécurité. Il a conclu que le transfert contrevenait à l'article 7 parce qu'il n'avait pas été effectué en conformité avec les principes de justice fondamentale. La Cour d'appel a infirmé cette décision au motif que les conclusions n'étaient pas étayées par la preuve. Dans l'arrêt Singh, à la page 208, et dans l'arrêt Morgentaler, au paragraphe 120, la Cour suprême a cité en l'approuvant la conclusion du juge Décary selon laquelle il serait suffisant qu'un détenu démontre que sa santé serait détériorée à cause de son transfert dans une unité où des soins médicaux adéquats n'étaient pas offerts pour que l'on puisse conclure à une atteinte à la sécurité de sa personne.

[86]            Je pense qu'il est important de rappeler que, dans l'affaire Collin c. Lussier, l'État contrôlait à la fois le mécanisme de transfert du détenu et la qualité des services médicaux auxquels il aurait droit dans l'unité à sécurité maximale. L'atteinte au droit à la sécurité du détenu, si elle était établie, aurait été entièrement causée par « le comportement de l'État en tant qu'il fait observer et appliquer la loi » , comme la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt G. (J.), précité.

[87]            En l'espèce, l'application de l'exclusion prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv) ne met pas directement en péril la vie de M. Ramirez. Cette menace existera seulement si M. Ramirez est tenu de retourner au Mexique, son pays d'origine, et est incapable d'y obtenir des traitements médicaux adéquats. Par ailleurs, son droit à la vie serait nettement en jeu si la loi le privait de traitement pendant qu'il se trouve au Canada.


[88]            Même si je considérais que l'application du sous-alinéa 97(1)b)(iv) faisait entrer en jeu le droit à la sécurité de M. Ramirez, je ne suis pas convaincu que cette disposition contreviendrait aux principes de justice fondamentale. Le juge Lamer (plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada) a décrit ces principes dans l'arrêt Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503. Selon lui, les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. Comme il a été indiqué précédemment et comme il est expressément reconnu à l'article 6 de la Charte, les non-Canadiens n'ont pas les mêmes droits de demeurer au Canada que les Canadiens. Ils ont toutefois droit à un procès équitable et à d'autres garanties procédurales avant d'être renvoyés. M. Ramirez a eu plusieurs occasions d'établir que sa demande d'asile était valable parce qu'il était un réfugié ou parce qu'il serait exposé à la violence ou à des traitements cruels et inusités dans son pays d'origine. Sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui est toujours en instance lui donne également la possibilité d'obtenir le droit de s'établir au Canada. Il me semble que son état de santé et la disponibilité de soins médicaux adéquats dont il a besoin au Mexique seront des facteurs très pertinents dont le ministre tiendra compte au moment d'exercer son pouvoir discrétionnaire.


[89]            Dans l'arrêt Burns, précité, le Canada tentait activement d'extrader les personnes en cause vers un État où la peine de mort était infligée afin qu'elles y soient jugées pour meurtres. L'exécution étant une possibilité très réelle, le droit garanti à l'article 7 était en jeu. La Cour suprême a pris en considération les principes fondamentaux de la justice pénale appliqués au Canada et à l'étranger ainsi que le contexte de l'extradition. Soupesant ces principes, elle a conclu qu'extrader les personnes en cause sans obtenir l'assurance que la peine de mort ne leur serait pas infligée serait contraire à la justice fondamentale. De même, dans l'arrêt Suresh, précité, la Cour a mis en équilibre les intérêts du Canada dans la lutte contre le terrorisme avec le droit de l'appelant de ne pas être torturé dans son pays d'origine. L'article 7 entrait en jeu s'il existait un lien causal suffisant entre les actes du gouvernement canadien et les risques de torture. L'expulsion vers un pays qui pratique la torture est contraire à la justice fondamentale.

[90]            M. Ramirez peut exercer d'autres recours en vertu du droit canadien de l'immigration s'il veut être autorisé à demeurer au Canada et à continuer de recevoir des traitements. Il n'est pas nécessaire, aux fins de la présente demande, que je décide si l'exécution de la mesure de renvoi fera entrer en jeu le droit à la sécurité de M. Ramirez dans l'éventualité où sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire ne serait pas accueillie. Je suis convaincu que l'application du sous-alinéa 97(1)b)(iv) ne prive pas M. Ramirez de son droit à la vie et à la sécurité de sa personne qui est garanti par l'article 7 de la Charte.

La conclusion

[91]            Je conclus que l'agent d'ERAR n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a décidé que les demandeurs étaient exclus de l'application de l'article 97 en raison du sous-alinéa 97(1)b)(iv), ni lorsqu'il a refusé de prendre en compte des raisons d'ordre humanitaire, et que la preuve n'est pas suffisante pour décider si le régime législatif contrevient à la Charte. Au cas où cette dernière conclusion serait erronée, je conclus que les prétentions des demandeurs selon lesquelles la disposition législative contestée contrevient à l'article 7 et au paragraphe 15(1) de la Charte doivent également être rejetées. Par conséquent, la présente demande doit être rejetée.


Les questions à certifier

[92]            Les demandeurs ont proposé les questions suivantes à des fins de certification :

[TRADUCTION]

1.(A) Lorsqu'une personne susceptible d'être renvoyée du Canada est exposée à un risque personnalisé à sa vie parce que son pays ne fournit pas les traitements médicaux dont elle a besoin pour rester en vie, l'agent d'ERAR est-il tenu de décider que le défaut du pays de fournir les traitements est dû à son incapacité à fournir ce service médical (en raison d'un manque de ressources ou du fait que le traitement n'est même pas disponible dans le pays) avant que l'exception prévue au sous-alinéa 97(1)b)(iv) puisse s'appliquer?

(B) Si la preuve indique que le service médical est offert dans le pays où le demandeur d'ERAR est susceptible d'être renvoyé, mais que le pays ne le fournit pas aux personnes qui en ont besoin si elles n'ont pas les moyens de payer, l'agent d'ERAR est-il tenu de décider que le demandeur est exposé à un risque personnalisé à sa vie qui n'est pas attribuable à l'incapacité de son pays à fournir des services médicaux adéquats, mais au fait que celui-ci ne veut pas fournir ces services, et qu'en conséquence, le demandeur est une personne à protéger?

2. Lorsqu'un agent d'ERAR décide qu'un demandeur est exposé à un risque personnalisé à sa vie, mais que ce risque est attribuable à l'incapacité de son pays à fournir des services médicaux adéquats, et qu'il sait qu'une demande fondée sur des raisons « d'ordre humanitaire » visée au paragraphe 25(1) de la LIPR a été présentée, a-t-il compétence, en vertu du pouvoir conféré par le paragraphe 25(1) de la LIPR qui lui est délégué, pour décider que, pour des raisons d'ordre humanitaire, le demandeur ne devrait pas être renvoyé du Canada vers un endroit où sa vie est menacée en raison de l'indisponibilité de soins médicaux adéquats?

3. Si le sous-alinéa 97(1)b)(iv) est interprété correctement de manière à exclure la menace à la vie attribuable au fait que l'État ne veut pas fournir des soins médicaux adéquats, et que l'agent d'ERAR ne peut pas utiliser son pouvoir délégué prévu au paragraphe 25(1) pour autoriser une personne exposée à une menace à sa vie à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire, le régime législatif de la LIPR viole-t-il la Charte en ne protégeant pas la vie d'un demandeur d'ERAR qui a une déficience grave et qui a besoin, pour rester en vie, de soins médicaux qui ne lui seront pas offerts dans son pays d'origine et en les privant, lui et les membres de sa famille qui sont à sa charge, de la « sécurité de [leur] personne » d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale et qui ne peut se justifier en application de l'article premier de la Charte?

[93]            La question 1(a) a trait à l'interprétation de la disposition législative et le juge Russell y a répondu dans la décision Singh, précitée. La question 1(b) n'est pas directement en cause en l'espèce parce qu'il n'a pas été prouvé que le Mexique ne veut pas payer les traitements de dialyse. Par ailleurs, la Cour a répondu à la deuxième question concernant la compétence de l'agent d'ERAR de rendre une décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire dans plusieurs décisions qui ont été mentionnées précédemment.

[94]            Comme j'ai reconnu qu'il était possible que ma conclusion, selon laquelle la preuve n'était pas suffisante en l'espèce pour je puisse trancher les questions relatives à la Charte, soit erronée, je suis disposé à certifier une version modifiée de la troisième question des demandeurs. Cette question sera libellée comme suit :

[TRADUCTION] L'exclusion, en vertu de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, d'une menace à la vie causée par l'incapacité d'un pays à fournir des soins médicaux adéquats à une personne atteinte d'une maladie qui met sa vie en danger contrevient-elle à la Charte canadienne des droits et libertés d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale et qui ne peut se justifier en application de l'article premier de la Charte?


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. La question énoncée au paragraphe 94 des motifs qui accompagnent la présente ordonnance constitue une question grave de portée générale et est certifiée à ce titre.

                                                                         _ Richard G. Mosley _                    

                                                                                                     Juge                                  

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                             IMM-6045-04

INTITULÉ :                                                            KATIA MONTANO COVARRUBIAS,

ANGEL GABRIEL OLVERA RAMIREZ,

BEERI NOE OLVERA MONTANO,

ASAEL OLVERA MONTANO

et ELIEZER IVAN OLVERA MONTANO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 25 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                           LE 1ER SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Geraldine Sadoway                                                   POUR LES DEMANDEURS

Neeta Logsetty                                                  POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine Sadoway                                                   POUR LES DEMANDEURS

Parkdale Community Legal Services

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                      POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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