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Date : 20020419

Dossier : T-795-01

Référence neutre : 2002 CFPI 450

ENTRE :

                                    ROBERT THOMPSON

                                                                                                 demandeur

                                                         et

             LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1] Monsieur Robert Thompson (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 10 avril 2001 qui a été prise dans le cadre du Régime d'aide extraordinaire (le RAE) mis en oeuvre par le gouvernement du Canada aux fins de l'octroi d'une aide financière aux personnes qui avaient été infectées par le virus de l'immunodéficience humaine (le VIH) après avoir reçu du sang ou des produits sanguins au Canada depuis 1977. La demande d'aide financière du demandeur a été refusée.

LES FAITS

[2] Le demandeur est né en Ontario le 11 janvier 1952. Il déclare avoir fait l'objet d'un diagnostic de leucémie pendant son enfance, lorsqu'il avait trois ans et demi. Selon l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de la présente demande, le demandeur a reçu de nombreuses transfusions sanguines entre 1979 et le milieu des années 1980; il y a ensuite eu une rémission de la maladie.

[3] Au mois de janvier 1993, le demandeur a eu besoin de soins médicaux pour une blessure qu'il avait subie lorsqu'une voiture l'avait frappé pendant qu'il traversait la rue. L'examen médical qui a été effectué deux jours après l'accident a révélé une perforation du rectum. Le lien entre l'accident et cette blessure a été remis en question par le médecin traitant, mais le demandeur a de toute façon subi une opération et une colostomie a été pratiquée. Une analyse de sang a été effectuée, laquelle a révélé un faible compte des plaquettes.

[4] Ce faible compte a donné lieu à d'autres examens et, au mois de février 1994, le demandeur a fait l'objet d'un diagnostic d'infection par le VIH.


[5]         En 1997, le demandeur a été mis au courant de l'existence du RAE s'adressant aux personnes qui avaient été infectées par le VIH après avoir reçu du sang ou des produits sanguins au Canada entre 1977 et 1989. Le RAE prévoyait le paiement de certaines sommes à titre gracieux aux personnes qui étaient infectées par le VIH. La possibilité pour les personnes infectées par le VIH d'obtenir de l'aide financière a été offerte par le gouvernement fédéral au moyen du décret C.P. 1990 - 4/872 en date du 10 mai 1990 (le décret), tel qu'il a été modifié par les décrets C.P. 1991 - 5/456 du 7 mars 1991, C.P. - 7/2543 du 16 décembre 1991, C.P. 1994 - 529 du 5 mars 1994 et C.P. 1998 - 1462 du 26 août 1998. Cette dernière modification prévoyait le versement d'une somme globale s'élevant à 120 000 $ aux personnes qui avaient reçu du sang ou un produit sanguin infecté par le VIH.

[6]         Le décret, tel qu'il a été modifié, établissait les critères d'admissibilité à l'aide fournie par le régime. Le décret définit le « receveur de sang ou de produit sanguin infecté par le VIH » comme suit :

[TRADUCTION] [...] personne qui, de l'avis du ministre, compte tenu d'un examen médical indépendant, a reçu du sang ou un produit sanguin au Canada entre 1978 et 1989 et qui en conséquence a été infectée par le virus de l'immonodéficience humaine (le VIH) [...]


[7]         Un élément crucial de cette définition est l'obligation pour la personne qui présente une demande de convaincre le ministre de la Santé, compte tenu d'un examen médical indépendant, qu'elle a reçu du sang ou des produits sanguins au Canada et qu'elle a en conséquence été infectée par le VIH. La personne concernée doit en outre résider au Canada et doit, au moment où elle a reçu le sang ou les produits sanguins contaminés et où elle a été infectée, avoir eu le statut de citoyen canadien ou d'immigrant ayant reçu le droit d'établissement.

[8]         Santé Canada a choisi Liberty Health, une filiale de Liberty Mutual Insurance Company, pour procéder à la révision médicale de toutes les demandes soumises dans le cadre du RAE selon certains paramètres précis. Liberty Health est une société privée de gestion des prestations sanitaires. Elle est indépendante du gouvernement.

[9]         Le demandeur a présenté sa demande de prestations le 17 juillet 1997. La demande a été soumise après la date limite publiée aux fins de l'accès au RAE, mais le retard n'a pas été remis en question et la demande a été traitée. Dans le cadre du traitement de la demande, le demandeur devait prouver qu'il avait suivi un traitement médical pendant la période pertinente, et fournir notamment des renseignements concernant la réception de sang ou de produits sanguins. Plus précisément, il devait donner les noms et adresses des médecins traitants qui avait personnellement eu connaissance du fait qu'il avait reçu du sang ou des produits sanguins et du fait qu'il était infecté par le VIH ainsi que des tests qui avaient été effectués.


[10]       Le demandeur a initialement soumis sa demande ainsi qu'une preuve de citoyenneté et une lettre énonçant les motifs pour lesquels il devait être fait droit à sa demande. Il a également mentionné que la Société canadienne de la Croix-Rouge avait informé sa mère qu'il avait peut-être reçu du sang contaminé et qu'il devrait subir un test de détection du VIH. Le demandeur n'a fourni aucun des formulaires médicaux signés nécessaires et aucun résultat de test de dépistage du VIH. Il n'a pas soumis de documents d'un médecin ou de la Société canadienne de la Croix-Rouge confirmant qu'il avait reçu du sang ou des produits sanguins contaminés.

[11]       Au mois d'août 1997, une copie des résultats du test de dépistage du VIH subi par le demandeur a été transmise à Liberty Health. Par la suite, Liberty Health a reçu une copie des résultats du test subi par le demandeur, mais aucun renseignement concernant les identificateurs de «    risque présenté par le patient » n'y figurait.

[12]       Liberty Health a demandé au demandeur de fournir des renseignements supplémentaires au sujet de ses antécédents médicaux, y compris les noms et adresses des hôpitaux dans lesquels il avait reçu les transfusions, les noms et adresses de tous les médecins qu'il avait consultés entre 1981 et 1994, des formulaires de renseignements médicaux remplis et une copie de la communication que sa mère avait reçue de la Société canadienne de la Croix-Rouge.


[13]       Au mois d'octobre 1997, le demandeur a fourni les formulaires de renseignements médicaux que les docteurs Ross McKay et W.G. Ghesquiere avaient remplis. Ces médecins n'ont pas indiqué qu'ils avaient eu personnellement connaissance de la réception des transfusions sanguines reçues par le demandeur ou qu'ils étaient au courant d'autres facteurs de risque.

[14]       Le demandeur a par la suite informé Liberty Health qu'il n'avait pas en sa possession une copie de la lettre que la Société canadienne de la Croix-Rouge avait envoyée à sa mère et il a fourni les noms de deux autres médecins qu'il avait consultés pendant la période pertinente.

[15]       À la demande de Terry Buffone, gestionnaire du RAE à Santé Canada, la Société canadienne de la Croix-Rouge a procédé à un retraçage auprès des trois hôpitaux dans lesquels le demandeur avait reçu, selon ce qu'il avait déclaré, des transfusions sanguines au Canada. L'hôpital de l'Hôtel-Dieu, à St. Catharines, a fait savoir que le demandeur n'avait pas reçu de produits sanguins à cet endroit. L'hôpital St. Michael, à Toronto, a indiqué qu'il ne possédait aucun document montrant que le demandeur avait reçu des produits sanguins dans cet établissement, mais que selon certains documents, le demandeur avait été traité pour une jaunisse en 1973. L'hôpital de Toronto a fait savoir que des recherches avaient été effectuées dans les dossiers et qu'aucun document d'admission du demandeur à l'hôpital n'avait été trouvé pour les années 1970 ou 1980.


[16]       Liberty Health a demandé des renseignements additionnels au docteur Ghesquiere, qui a répondu au moyen d'une lettre en date du 4 mai 1999 et qui a mentionné que le demandeur avait été admis à l'hôpital au mois de janvier 1993 afin d'être traité pour une perforation du rectum. Il a également fait remarquer que le demandeur avait affirmé avoir subi cette blessure lorsqu'une voiture l'avait frappé pendant qu'il traversait la rue.

[17]       Les renseignements disponibles ont été examinés par le docteur S. Krajden, médecin vérificateur chez Liberty Health. Le docteur Krajden recommandait le rejet de la demande d'aide pour le motif que les renseignements fournis ne prouvaient pas directement que le demandeur avait subi une transfusion de sang ou de produits sanguins au Canada. Le demandeur a été informé du refus par une lettre en date du 29 juin 1999.

[18]       Il a par la suite été décidé que le demandeur avait par inadvertance été privé de la possibilité de faire régler sa demande dans le cadre d'une audience officielle, et ce, même si, dans le formulaire initial de demande, il avait demandé la tenue d'une audience. En fin de compte, une audience a eu lieu le 29 février 2000. Le demandeur y était représenté par un avocat. Le docteur Krajden, qui était le médecin vérificateur, et Mme Terry Buffone, gestionnaire du RAE à Santé Canada, étaient également présents, ainsi que l'avocat de Santé Canada. À l'audience, des notes ont été prises, lesquelles ont par la suite été remises au demandeur.


[19]       Le demandeur a présenté son cas et a passé en revue ses antécédents médicaux. Il a relaté qu'il avait fait l'objet d'un diagnostic de leucémie pendant sa tendre enfance et que, dans le cadre de son traitement, il avait été obligé de recevoir des transfusions de sang. Il a exprimé l'avis selon lequel l'absence de dossiers d'hôpital avait entravé les efforts qu'il avait faits en vue de démontrer qu'il avait subi des transfusions de sang. On a donné au demandeur une autre possibilité de trouver les renseignements pertinents et, par une lettre en date du 5 juillet 2000, l'avocat du demandeur a écrit à Liberty Health pour l'informer qu'aucun nouveau renseignement n'avait été trouvé.

[20]       À l'audience, le demandeur a encore une fois abordé la question de la communication que la Société canadienne de la Croix-Rouge avait faite à sa mère pour l'informer qu'il avait peut-être reçu du sang contaminé. Toutefois, le demandeur a affirmé qu'il ne savait pas trop si sa mère avait reçu une lettre ou un appel téléphonique.

[21]       Les antécédents médicaux du demandeur renfermaient des renseignements au sujet des opérations chirurgicales qu'il avait subies.


[22]       Le demandeur avait subi une discectomie, une appendicectomie, une vagotomie au milieu des années 1980 à St. Paul's, une colostomie au mois de mai 1993 et une inversion de la colostomie en 1994. Il ne pouvait pas indiquer les dates auxquelles il avait subi la discectomie et l'appendicectomie, mais les autres opérations avaient eu lieu entre le milieu des années 1980 et l'année 1994.

[23]       À la suite de l'audience qui a été tenue le 29 février 2000, le demandeur a eu la possibilité de chercher des renseignements additionnels à l'appui de sa demande. L'avocat du demandeur a écrit à Liberty Health le 24 mai 2000 pour faire savoir que des documents avaient été demandés aux organisations suivantes :

1.          Sick Children's Hospital, à Toronto;

2.          Le Royal Jubilee, à Victoria (Colombie-Britannique);

3.          L'hôpital St. Paul, (Colombie-Britannique);

4.          Le Toronto Hospital General Division;

5.          L'hôpital St. Michael, à Toronto;

6.          Les services de police de la ville de Victoria, au sujet de l'accident qui s'était produit en 1993.


[24]       L'avocat du demandeur a écrit à Liberty Health le 5 juillet 2001 pour faire savoir que des dossiers médicaux avaient été obtenus du Medical Services Plan de la Colombie-Britannique pour la période commençant le 1er janvier 1993; une copie de ces dossiers a été remise à Liberty Health. Les dossiers des services de police de la ville de Victoria et de l'hôpital St. Michael n'étaient plus disponibles. De plus, l'avocat a transmis une lettre et une copie d'un courriel envoyés par la soeur aînée du demandeur, dans lesquels il était question de la maladie dont le demandeur avait été atteint pendant sa tendre enfance, sa mère ayant décrit le demandeur comme étant « un bébé bleu » .

[25]       Tous les renseignements fournis par le demandeur, y compris la preuve présentée à l'audience du 29 février 2000 et les documents soumis par l'avocat du demandeur, ont été remis au docteur Krajden pour examen. Le docteur Krajden a préparé un rapport dans lequel il recommandait le rejet de la demande pour le motif que le demandeur n'avait pas présenté d'éléments de preuve indépendants indiquant qu'il avait reçu du sang en 1978, en 1979 ou au mois de juin 1980 jusqu'au milieu des années 1980, et qu'il avait été infecté par le VIH par suite des transmissions de sang. En second lieu, le médecin vérificateur n'était pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que même si le demandeur avait reçu du sang, la transfusion eût causé l'infection par le VIH.

[26]       Le médecin vérificateur a également noté les incohérences figurant dans la preuve fournie par le demandeur selon laquelle celui-ci avait reçu des produits sanguins pendant qu'il travaillait à l'extérieur du Canada.


[27]       Le docteur Krajden a tenu compte d'autres questions en vérifiant les antécédents médicaux soumis par le demandeur, y compris le fait que les symptômes d'infection par le VIH s'étaient manifestés tardivement et la question de savoir si un accident entre une voiture et un piéton pouvait causer une perforation du rectum. Le docteur Krajden a signalé les points ambigus ci-après énoncés, dans la preuve présentée par le demandeur :

[TRADUCTION] Étant donné l'absence de preuve indépendante de réception de sang et les points ambigus ci-après mentionnés, à savoir :

  • a)                    le moment où le sang a été reçu;

b)          la réception du sang à l'extérieur du Canada;

c)          la lettre de la Croix-Rouge à sa mère -- il a par la suite parlé d'un appel téléphonique;

d)                    le fait qu'il a été frappé par un véhicule à moteur et qu'il a subi une « perforation du rectum » -- il a par la suite affirmé qu'il avait été frappé à la hanche. Il importe de noter que ses médecins se posaient la même question au sujet de l'accident et du rectum perforé. [Souligné dans l'original.]

[28]       Le médecin a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Compte tenu de la preuve fournie par le demandeur, par ses médecins et par son représentant juridique, il n'existe aucun élément de preuve indépendant montrant que M. Thompson a reçu du sang en 1978 (no 2 -- notes au dossier) ou en 1979 (formulaire de la demande d'aide financière) ou depuis « le début de l'année 1980 jusqu'au milieu des années 1980 » (no 3 -- notes au dossier) et qu'il a été infecté par le VIH par suite des transfusions de sang. Même s'il a reçu du sang comme il l'allègue, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a été infecté par le VIH par suite de transfusions sanguines. Je recommande donc le rejet de la demande.

[29]       La recommandation que le docteur Krajden avait faite a été présentée à Mme Buffone, gestionnaire du RAE. Selon l'affidavit qui a été déposé dans la présente instance, Mme Buffone a retenu la recommandation. Elle a par la suite recommandé par écrit au sous-ministre adjoint invité, Direction de la promotion de la santé et des programmes, à Santé Canada, le rejet de la demande d'aide financière. Le sous-ministre adjoint invité a approuvé la recommandation.


[30]       Par une lettre en date du 10 avril 2001, le demandeur a reçu une notification écrite l'informant du rejet de la demande. La présente demande vise le contrôle judiciaire de cette décision.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[31]       Le demandeur, qui agissait pour son propre compte à l'audition de cette demande, soutient que le décideur a commis une erreur de droit en rejetant la demande d'aide financière. L'erreur de droit serait attribuable à une conclusion de fait manifestement déraisonnable, à savoir que le demandeur n'avait pas fourni de preuve indépendante montrant qu'il avait reçu du sang ou des produits sanguins au Canada pendant la période pertinente.

[32]       Le demandeur soutient que le médecin vérificateur n'a pas accordé d'importance à la preuve qu'il a présentée et qu'il est injustement pénalisé parce qu'il ne peut pas produire de dossiers médicaux, alors que ces dossiers ne sont pas disponibles parce que les hôpitaux en question ne conservent pas les dossiers pendant plus de sept ans. Le demandeur affirme qu'il n'exerce aucun contrôle sur la tenue de dossiers.


[33]       Le demandeur affirme en outre que le décideur n'a pas examiné la question des diverses périodes d'incubation pour le VIH. Il dit que la période d'incubation peut être très courte ou qu'elle peut atteindre dix ans. Dans son cas, le VIH a été découvert en 1994 à la suite d'une opération chirurgicale visant à inverser la colostomie qui avait été pratiquée en 1993, après qu'il eut été frappé par une voiture.

[34]       Enfin, à l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a affirmé qu'il [TRADUCTION] « croyai[t] » que le docteur Krajden avait fait preuve d'antisémitisme à son endroit.

ARGUMENTS DES DÉFENDEURS

[35]       Les défendeurs soutiennent que le décret par lequel un fonds d'indemnisation a été créé pour les personnes qui avaient reçu du sang ou des produits sanguins contaminés confère un large pouvoir discrétionnaire au ministre, mais que ce pouvoir ne peut être exercé que lorsqu'une révision médicale indépendante des circonstances dans lesquelles une demande particulière est soumise a été présentée au ministre. En l'espèce, on a procédé à une révision médicale indépendante et il a été conclu à l'absence d'une preuve indépendante digne de foi montant que le demandeur avait reçu du sang ou des produits sanguins au Canada pendant la période pertinente.

[36]       Il n'existe donc aucun fondement permettant au ministre d'accorder une indemnité. La révision médicale indépendante n'étaye pas l'allégation du demandeur.


[37]       Les défendeurs affirment en outre que la révision médicale indépendante a été effectuée par un médecin agréé et que la Cour devrait faire preuve de retenue à l'égard de l'expertise médicale de celui-ci. De plus, les défendeurs font remarquer qu'aucun des médecins qui ont fourni des renseignements au sujet des antécédents médicaux du demandeur ne prônait ou n'appuyait la thèse de ce dernier, à savoir qu'il avait été infecté par le VIH par suite de transfusions sanguines.

[38]       Les défendeurs soutiennent que la décision en question devrait être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Les défendeurs affirment que, lorsqu'elle est examinée par rapport à cette norme, la décision de refuser la demande n'est pas manifestement déraisonnable eu égard au dossier. En outre, la décision a été prise d'une façon équitable.

POINTS LITIGIEUX

[39]       Cette demande soulève deux questions :

1.          Était-il raisonnable pour le ministre de refuser la demande qui avait été soumise dans le cadre du RAE?

2.          Le décideur a-t-il respecté l'équité procédurale à l'égard du demandeur?

ANALYSE


[40]       Comme il en a ci-dessus été fait mention, le RAE a été créé par un décret qui prévoyait l'octroi d'une aide financière aux personnes qui avaient été infectées par le VIH après avoir reçu du sang ou des produits sanguins au Canada entre 1978 et 1989. L'admissibilité au régime d'indemnisation dépendait de la présentation d'une preuve médicale satisfaisante de la réception de sang ou de produits sanguins contaminés à un comité indépendant de révision médicale. Le comité était autorisé à faire une recommandation au ministre.

[41]       La décision ici en cause a été prise par le ministre à la suite de la révision de la demande par un comité indépendant de révision médicale. De fait, la demande a été révisée à deux reprises, d'abord compte tenu des documents soumis, puis à la suite d'une audience, le demandeur ayant eu la possibilité de fournir des renseignements additionnels, s'ils étaient disponibles. Il semble que le demandeur ait pleinement eu la possibilité de fournir tous les renseignements disponibles et de soumettre la preuve à l'appui de sa demande d'aide financière, et c'est ce que je conclus. Or, il a été conclu que ces renseignements étaient insuffisants.

[42]       Je retiens les arguments des défendeurs selon lesquels, en l'absence d'une recommandation favorable faite par le comité indépendant de révision médicale conformément au décret, le pouvoir discrétionnaire que possédait le ministre d'accorder de l'aide dans le cadre du RAE n'était pas exercé.


[43]       Dans la décision B.C. Landscape and Nursery Association Ltd. et autres c. Canada (Procureur général) (2000), 186 F.T.R. 62, la Cour examinait une décision ministérielle discrétionnaire. La décision en question avait été prise en vertu de l'article 3 du Règlement sur la protection des végétaux, DORS/95-212. Ce Règlement avait été adopté en application de la Loi sur la protection des végétaux, L.C. 1990, ch. 22.

[44]       L'article 3 du Règlement prévoit deux décisions distinctes, mais liées entre elles. L'une, une évaluation du risque, est une décision préliminaire. L'autre est une décision ministérielle au sujet des mesures qui sont indiquées dans les circonstances pour l'élimination des parasites ou pour la prévention de leur propagation, soit dans ce cas-là, la spongieuse nord-américaine.

[45]       La Cour a décrit comme suit les décisions qui étaient prises :

[...] Les décisions qui ont été prises étaient plutôt des décisions entièrement discrétionnaires concernant les choix entre les mesures autorisées visant à éliminer la SNA ou à en prévenir la propagation.

B.C. Landscape and Nursery Association Ltd. et autres, précité, page 70

[46]       La Cour a ensuite examiné la norme de contrôle d'une décision ministérielle discrétionnaire et, suivant l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, elle a conclu que la norme à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. En ce qui concerne la question particulière en cause, la Cour a dit ce qui suit :


À mon sens, l'article 3 du Règlement sur la protection des végétaux accorde au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait au test préliminaire. Il lui appartient de décider si, compte tenu des circonstances, des mesures de la lutte antiparasitaire sont nécessaires et justifiables quant aux coûts. Il lui incombe également de décider quelles sont les circonstances pertinentes qui ont des répercussions sur cette dernière question. Les termes utilisés dans cette disposition laissent une grande marge de manoeuvre au ministre.

[...]

Dans ces circonstances, une grande souplesse est justifiée à [l'endroit du ministre et des inspecteurs] et une retenue considérable à l'égard de leurs décisions est indiquée, sous réserve d'un contrôle judiciaire restreint et d'une imputabilité politique plus importante.

B.C. Landscape and Nursery Association Ltd. et autres, précité, page 70

[47]       À mon avis, la même approche s'applique en l'espèce. La décision ici en cause relève uniquement du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le décret. Le décret énonce les circonstances dans lesquelles le ministre peut accorder une aide financière dans le cadre du RAE. La conclusion tirée par un comité indépendant de révision médicale, selon laquelle la personne concernée a été infectée par le VIH par suite de la réception de sang ou de produits sanguins au Canada pendant une période définie constitue une facteur crucial. En l'absence de pareille conclusion, le ministre n'est pas autorisé à accorder de l'aide.

[48]       C'est ce qui est arrivé en l'espèce. Le comité indépendant de révision médicale a recommandé le rejet de la demande. Le rapport de ce comité, préparé par le docteur Krajden, est exhaustif. Le docteur Krajden est un médecin agréé. La question en litige, en ce qui concerne le lien entre le fait que le demandeur est infecté par le VIH et le fait qu'il a reçu du sang au Canada, a été examinée compte tenu des renseignements fournis par le demandeur.


[49]       À mon avis, ce rapport constitue une révision détaillée de la preuve et des renseignements soumis par le demandeur ainsi que d'autres renseignements qui ont été demandés pour son compte. Je note que la gestionnaire du Régime a demandé à la Société canadienne de la Croix-Rouge de communiquer avec les hôpitaux dans lesquels le demandeur affirme avoir été traité et a tenté d'obtenir les dossiers d'hôpital pour le compte de ce dernier.

[50]       Le rapport du docteur Krajden résume la preuve soumise par le demandeur et note les ambiguïtés figurant dans cette preuve. En particulier, le docteur Krajden a noté l'existence d'une contradiction dans la preuve fournie par le demandeur au sujet de la communication entre la Société canadienne de la Croix-Rouge et sa mère; à un moment donné, le demandeur avait indiqué que sa mère avait reçu une lettre; or, par la suite, il a affirmé qu'elle avait reçu un appel téléphonique.

[51]       La décision de recommander le rejet de la demande est à mon avis raisonnable. En l'absence d'une recommandation favorable de la part de l'autorité médicale en vue de la prise d'une décision favorable, je conclus que la décision du ministre n'est pas manifestement déraisonnable, eu égard aux circonstances susmentionnées.


[52]       Quant à la deuxième question que le demandeur a soulevée au sujet de la présumée omission de respecter l'équité procédurale en ce qui concerne les modalités de traitement de la demande, cette allégation n'est pas étayée par le dossier. Au contraire, le dossier montre que la gestionnaire du RAE, Mme Buffone, a aidé le demandeur à obtenir les dossiers médicaux, et ce, en lui offrant une aide financière lorsqu'il s'est agi de payer les copies des dossiers médicaux et, en ce qui concerne la Société canadienne de la Croix-Rouge, en demandant directement des renseignements pour le compte du demandeur.

[53]       J'examinerai enfin la question que le demandeur a soulevée lors de l'audition de la présente demande. Il a affirmé que le docteur Krajden s'était montré partial.

[54]       La question n'a pas été invoquée dans la demande de contrôle judiciaire et elle n'a pas été abordée dans le dossier de la demande. J'ai refusé d'entendre les arguments sur ce point, en l'absence d'un avis de la part du demandeur indiquant que la partialité constituait un fondement de la demande de contrôle judiciaire. Le fait que le demandeur agissait pour son propre compte ne permet pas à la Cour de ne pas tenir compte des règles de pratique et de procédure habituelles. À cet égard, je mentionnerai la décision Korompay c. Ontario Hydro, [1990] 3 C.F. D-26 (1re inst.).

[55]       En conclusion, j'estime que rien ne permet de modifier la décision que le ministre a prise le 10 avril 2001. La demande est rejetée, les dépens étant adjugés aux défendeurs.


ORDONNANCE

La demande est rejetée et les dépens sont adjugés aux défendeurs.

     

                        « E. Heneghan »                

Juge

  

Ottawa (Ontario)

Le 19 avril 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                              COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                                               T-795-01

INTITULÉ :                                                              Robert Thompson

c.

Le procureur général du Canada

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   le 26 mars 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                        Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                        le 19 avril 2002

  

COMPARUTIONS :

M. Robert Thompson                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

M. Curtis Workum                                                     POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Robert Thompson                                                POUR SON PROPRE COMPTE

M. Morris Rosenberg                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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