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Date : 20051031

Dossier : T-2273-01

Référence : 2005 CF 1471

ENTRE :

                                                              PHIL SHTUTMAN

                                                                                                                                      demandeur

                                              OCEANE MARINE SHIPPING, INC.

                                                                            et

                                                        MAERSK CANADA INC.

                                                                            et

                                                                 A.P. M0LLER

                                                                            et

      AKTIESELSKABET DAMPSKIBSSELSKABET SVENDBORD (SVENDBORG)

                                                                            et

                       DAMPSKIBSSELSKABET af 1912, AKTIESELSKAB (1912)

                                                                            et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE "DRAG0R MAERSK"

                                                                            et

                                               LE NAVIRE "DRAG0R MAERSK"

                                                                            et


LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE "MAERSK PERTH"

                                                                            et

                                                 LE NAVIRE "MAERSK PERTH"

                                                                                                                                      défendeurs

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX :

A.        INTRODUCTION

[1]                 Dans la présente action, Phil Shtutman, un homme d'affaires domicilié à Montréal, présente une réclamation portant sur une cargaison qu'il avait, au début de l'instruction, limitée à une seule catégorie de défendeurs : les propriétaires du navire Dragor Maersk ( « le navire » ), c'est-à-dire Svendbord et 1912 qui ont reconnu avoir été à juste titre constitués défendeurs ( « les défendeurs » ).

[2]                 M. Shtutman prétend qu'un conteneur immatriculé MAEU 7107169 ( « le conteneur » ), dont les portes ont été scellées par le plomb numéro 03383 ( « le plomb » ) et transportant des pièces d'équipement d'occasion - principalement un générateur de marque Faguay ainsi qu'un chariot élévateur électrique de marque Raymond - qu'il a vendues pour la somme de 120 450 $US à Bavaria International Garage Inc. ( « Bavaria » ), une entreprise exerçant ses activités à Conakry (Guinée), est arrivé sans encombre au port de Conakry le 29 décembre 2000. Il affirme cependant qu'alors que Maersk Guinée, le mandataire des défendeurs dans ce pays, en avait la garde, le conteneur a soit été livré par erreur au mauvais destinataire le 8 mars 2001, soit son contenu a été volé avant la livraison à cette date.

[3]                En l'espèce, il s'agit principalement pour le demandeur de réfuter la défense selon laquelle il ne se serait pas acquitté du fardeau initial qui lui incombait de prouver que les marchandises ont été perdues alors qu'elles se trouvaient sous la garde des défendeurs, c'est-à-dire de prouver la perte qu'il aurait subie. La résolution de cette question litigieuse dépend essentiellement de la recevabilité d'une preuve documentaire de ouï-dire, vu que le demandeur n'a appelé aucun témoin guinéen à la barre pour déposer au soutien de ses allégations. Elle soulève également la question de la méthode convenable de mesure du préjudice, c'est-à-dire la soi-disant règle de la valeur marchande saine à destination (VMSD).


[4]                En ce qui concerne les défendeurs, ils allèguent principalement - ce que conteste le demandeur - que le libellé du connaissement émis par leur mandataire Maersk Inc. à Atlanta ( « Maersk Atlanta » ) aurait exclu toute responsabilité ou tout préjudice ou, subsidiairement, un montant d'évaluation du préjudice moindre que ce que prévoient les Règles de La Haye-Visby - ce que conteste également le demandeur.

[5]                Les parties conviennent que le transport du conteneur était régi par les Règles de La Haye-Visby, telles qu'elles ont été incorporées en droit canadien par la Loi sur le transport des marchandises par eau, laquelle a été abrogée et remplacée par la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Les défendeurs reconnaissent l'obligation qui leur est faite de remettre au bon destinataire le conteneur correctement plombé.

B.         LA PREUVE

[6]                 Les faits qui ne sont pas contestés sont les suivants :

(1)        Au mois d'août 2000, le demandeur a conclu avec Bavaria un contrat de vente des marchandises. La livraison à Bavaria devait avoir lieu à la gare de triage des conteneurs du port de Conakry, après que Bavaria eut pris des dispositions avec sa banque pour garantir le paiement à M. Shtutman des marchandises, soit un montant de 190 865,07 $CAN constituant lquivalent du prix en dollars américains susmentionné.

(2)        Cette transaction internationale était une première pour le demandeur, qui venait de prendre sa retraite de l'industrie de la construction. Pour des conseils en ce qui concerne les transactions internationales et leur financement, il se fiait à son ami Aaron Green, lui-même un importateur/exportateur expérimenté.

(3)        Le demandeur a retenu les services d'un transitaire, Québec International Transport Inc. ( « QIT » ), lequel a passé un contrat avec Oceane Marine Shipping Inc. ( « Oceane » ) dont le siège se trouve aux États-Unis. Oceane a acheté de l'espace en vrac à Maersk Sealand sur les navires des défendeurs desservant le Canada, l'Europe et l'Afrique occidentale.

(4)        Un conteneur vide immatriculé MAEU 7107169 a été livré au début du mois de septembre 2000 à l'entrepôt loué par le demandeur à Montréal. Les défendeurs ne contestent pas que le conteneur a été rempli correctement par le demandeur avec les marchandises, puis scellé correctement au moyen du plomb numéro 03383.

(5)        Les défendeurs ont pris possession du conteneur au port de Montréal et l'ont transporté à la gare de triage des conteneurs à Halifax, oùil est arrivé au début de décembre 2000.


(6)        Le 3 décembre 2000, en sa qualité de transporteur, Oceane a émis au demandeur un connaissement pour le conteneur, port payé. Ce connaissement, portant numéro 211211, désignait le demandeur comme expéditeur/exportateur, Bavaria comme destinataire, le Dragor Maersk comme transporteur exportateur, Halifax comme lieu d'embarquement, Algésiras (Espagne) comme port étranger de débarquement, QIT comme agent transitaire et Maersk Guinée comme entité devant être notifiée.

(7)        Le 4 décembre 2000, Maersk Atlanta, faisant affaire sous la raison sociale Maersk Ligne, a émis à l'égard du conteneur le connaissement de transport combiné numéro ATL236 423, sur lequel Oceane figurait comme expéditeur/exportateur, Bavaria comme destinataire, Montréal comme lieu de réception, Halifax comme port d'embarquement, le Dragor Maersk comme navire transporteur et Conakry comme port de déchargement. Le connaissement précisait que le transport devait se faire de CY à CY (d'une gare de triage de conteneurs àune autre), qu'il était émis àAtlanta et que le conteneur avait été embarquésur le navire à Halifax le 4 décembre 2000.

(8)        Le conteneur a été débarqué au port de Conakry le 29 décembre 2000, avec son plomb intact. Il a effectué la traversée d'Algésiras (Espagne) au port de Conakry à bord du M/V Thor Lone.

(9)       Bavaria a fait défaut de payer les marchandises et de les réclamer au port de Conakry. Le demandeur s'est tourné vers son ami Aaron Green qui, grâce à ses contacts, aurait trouvé un nouvel acheteur et agent de vente à Conakry en la personne du juge Mohamed Lamine Diawara ( « M. Diawara » ). Le 26 janvier 2001, le demandeur a écrit une lettre (pièce P-14) adressée « à qui de droit » et dont voici le libellé :

Comme vous avez pu le constater, les articles situés au port de Conakry, dont la liste des items est présente sur la page suivante, n'ont pas été payés par Bavaria International Garage. Alors, nous autorisons que .... M. Diawara...

prends ces articles et complètes [sic] tous papiers nécessaires de douanes pour la délivrance des items présentes sur la page suivante, CONTAINER #MAEU7107169 ... .

NB Cette lettre a été envoyée à ... Mohammed Lamine Diawara, M. le Directeur National de la Douane, M. le Directeur de Maersk.     [non souligné dans l'original]


(10)     Des mesures ont été prises pour substituer M. Diawara àBavaria comme destinataire désigné sur les deux connaissements émis, c'est-à-dire le connaissement de Maersk Atlanta àOceane et le connaissement d'Oceane àM. Shtutman. Au choix du demandeur, la modification de l'identité du destinataire s'est faite sans que de nouveaux connaissements soient émis, la livraison devant être effectuée directement à M. Diawara sans la production des connaissements originaux. Le 1er mars 2001, Maersk Atlanta a transmis des instructions appropriées à cet effet àMaersk Guinée (pièces D-5 et D-7).

[7]                 Les faits sur lesquels les parties ne s'entendent pas concernent essentiellement les événements qui se sont produits à la gare de triage des conteneurs du port de Conakry le 8 mars 2001, lorsque Maersk Guinée s'est départi du conteneur.

[8]                 À l'appui de sa prétention selon laquelle Maersk Guinée n'a pas acheminé le conteneur au bon destinataire, le demandeur se fonde sur deux documents émis ce jour-làpar les employés de Maersk Guinée. La pièce P-23 est le Bordereau de livraison No 6859, un formulaire imprimé sur lequel une écriture manuscrite identifiait Bavaria comme client. Ce document renvoie également à Amara Soumah -de K.T.T. Transit -, identifie le numéro du camion devant prendre livraison du conteneur et, sous la rubrique « Marques » , on peut lire « MAEU 710716.9, (illisible), 013383, livréconforme » . [Non soulignédans l'original.]

[9]                 Le deuxième document sur lequel s'appuie le demandeur est la pièce P-22, un autre formulaire de Maersk Guinée intitulé Ordre de mouvement interchance [sic]. Cette pièce identifie également Bavaria comme client et, sous la rubriqueSignature client, on peut lire : Amara Soumah (KTT Transit). Sous la rubrique Remarques apparaissent les lettres R.A.S., c'est-à-dire « rien àsignaler » . Le numéro du plomb n'a pas été inscrit sur le formulaire imprimé, pièce P-22, dans l'énoncé suivant : « Plomb No... Intact à la réception » .

[10]            M. Shtutman a également déposé en preuve des copies des documents suivants qu'il a reçus, mais dont l'avocat des défendeurs a contesté la recevabilité pour cause de ouï-dire :

a)          la pièce P-24, apparemment envoyée par Mohamed Lamine Diawara, datée du 17 février 2001 et signée par Le Directeur général Oussaief Mohamed, et dont voici le libellé :

[traduction]

Nous avons reçu votre conteneur No MAEU7107169. Il était ouvert sans plomb, sans cadenas sur la porte, et les marchandises que vous avez indiquées dans votre lettre du vendredi 26 janvier 2001 par l'intermédiaire de votre notaire n'y étaient pas.


Veuillez contacter votre agence maritime pour nous faire état des marchandises perdues qui se trouvaient à l'intérieur du conteneur. Pour votre gouverne, nous allons vous envoyer les preuves nécessaires par D.H.L. de la S.G.S, de la police internationale et d'Interpol pour confirmer nos problèmes.

Aucun paiement ne vous sera envoyéjusqu'à ce que nous recevions les marchandises convenues. [Non soulignédans l'original.]

[Les deux parties ont admis qu'aucune n'avait reçu les rapports de la S.G.S., de la police ou d'Interpol.]

b)          La pièce P-28, une lettre adressée par M. Diawara à M. Shtutman et qui aurait été signée par le premier, est datée du 20 mars 2001; en voici la teneur :

Je tiens àvous informer que le conteneur No 7107169 40 pieds débarqué au Port de Conakry le 29 décembre 2000 ne contenait pas la marchandise déclarée sur le connaissement No 211211 et la facture.

Il ne renferme que des effets personnels usagés, tel [sic] que : Chaises, Tables et Habits il était sans plomb et ouvert.

Un Huissier de Justice a fait le constat, son rapport est confirmé par la Douane Nationale Guinéenne, la S.G.S. et l'Interpool [sic] de Conakry, il vous sera transmis dans les plus brefs délais.

Je ne pourrai pas payé [sic] une marchandise non reçue et je tiens au remboursement de tous les frais dépensés pour la sortie de ce conteneur avec des dommages-intérêts.

Cette lettre porte un certain nombre de cachets, dont l'un proviendrait de Maersk Guinée, Service Clientèle, face auquel sont disposés les mots S. Contentieux, (illisible), effets personnels. Un autre cachet proviendrait du S.G.S. L'autre cachet est illisible.

c)          La pièce P-30 consiste en un document qui aurait été imprimé sur du papier à en-tête de Maersk Guinée, intitulé « Attestation » , daté à Conakry du 20 juin 2001 et émis par « Le Service Contencieux » [sic]; en voici la teneur :

La Compagnie Maritime Maersk Guinée atteste que le conteneur No MAEU71071169 était sans plomb, et que le contenu n'était pas conforme à celui du Connaissement et de la facture pro forma.


Attestation délivrée à Monsieur Mohamed Lamire Diawara pour servir et valoir ce que droit. [Non souligné dans l'original.]

d)          La pièce P-25 est un document intitulé « Dénonciation du constat » , imprimésur papier à en-tête d'un huissier, daté à Conakry du 8 mars 2001, adressé au demandeur à titre de « Exploit [sic] de Procès-verbal de dénonciation du constat en date du 8 mars 2001 » . La pièce consiste en une série d'autres documents dont un Procès-verbal de dénonciation d'un constat daté du 10 mars 2001, un Procès-verbal de constat de l'inventaire des marchandises; une Facture de dépenses pour la sortie de container datée du 20 mars 2001, signée par M. Diawara et comprenant une rubrique indiquant le paiement de droits de douane, une copie de la lettre de M. Shtutman du 26 janvier 2001 et, enfin, une copie de la lettre de M. Diawara du 20 mars 2001 à M. Shtutman.

[11]            Je complète l'énumération de la preuve documentaire en renvoyant aux documents suivants :

a)          P-26, c'est-à-dire un courriel destiné à Maersk Atlanta du 15 mars 2001 provenant de M. Mory Keita, responsable de l'expédition pour Maersk Guinée ayant déposé àl'instance, et indiquant que M. Diawara [traduction] « ne s'est pas encore présenté et incapable de le contacter, son numéro de téléphone abv étant incorrect. Veuillez revoir le dossier et nous aviser du bon numéro... » . M. Keita a avisé Maersk Atlanta que si le destinataire ne prenait pas possession du chargement avant la fin du mois, celui-ci serait saisi par les douanes et vendu aux enchères.

b)          Un courriel de M. Keita àMaersk Atlanta datant du 16 mars 2001, déposé comme pièce P-27, dans lequel celui-ci demande : [traduction ] « veuillez contacter instamment l'expéditeur de votre côté et nous aviser de l'identité de la personne à qui le chargement doit être remis ainsi que son adresse exacte » . M. Keita soulignait également que [traduction] « les frais d'entreposage et de surestaries augmentent de jour en jour et les marchandises en question pourraient être saisies par les douanes et vendues aux enchères dans 12 jours au plus tard à compter d'aujourd'hui » .

c)          Un courriel du 17 mars 2001, de M. Keita à Maersk Atlanta, déposé comme pièce D-9, indiquant [traduction] « Remarqué, selon le système, que le chargement a été remis à M. Diawara depuis le 01.03.08. Affaire considérée close » .


[12]            Comme je l'ai déjà indiqué, le demandeur n'a pas appelé M. Diawara à témoigner au procès, non plus que quiconque à Conakry qui aurait eu connaissance des événements. En outre, après avoir été avisé du problème, M. Shtutman n'a désigné aucun enquêteur à Conakry. M. Shtutman, M. Green et des fonctionnaires de QIT ont déposé en faveur du demandeur, et M. Keita a déposé en faveur des défendeurs.

[13]            Il n'est pas nécessaire de résumer la preuve du demandeur. Hormis les objections fondées sur le ouï-dire, cette preuve est pour l'essentiel incontestée - comme en témoigne le paragraphe 6 des présents motifs. Personne n'a eu une connaissance personnelle de ce qui s'est passé au port de Conakry après l'arrivée du conteneur et, en particulier, de ce qui s'y est passé le 8 mars 2001.

[14]            Voici les principaux aspects de la déposition de M. Keita :

1)          La pièce P-30 - c'est-à-dire l'attestation - est un faux, principalement parce que Maersk Guinée ne dispose d'aucun Service contentieux, que l'en-tête figurant sur le document n'apparaissait pas en bonne et due forme et que la personne ayant apposé le cachet indiquant que le document avait été vu par « le contrôleur » était inconnue.

2)          La pièce P-28 est d'une authenticitédouteuse et, bien qu'il ait reconnu l'apparence d'authenticité du cachet de Maersk sur la lettre du 20 mars 2001, la mention selon laquelle le document aurait été vu par Le Service Contentieux de Maersk - inexistant - lui a fait perdre toute authenticité.

3)          La mention de Bavaria comme client sur les pièces P-22 et P-23 est un ajout délibéré et volontaire des employés de Maersk. Il a déposé que la procédure de substitution de M. Diawara àBavaria aux douanes nationales était longue et compliquée, et que Maersk Guinée s'inquiétait de la possibilité que le conteneur soit saisi par les douanes au détriment du destinataire.

4)          Il a reconnu qu'il ne se trouvait pas à Conakry le 8 mars 2001. Il a reconnu également qu'un document justificatif, un Bon à délivré[sic], manquait au dossier de Maersk Guinée. Malgrécela, il ressort de son examen du dossier chez Maersk Guinée que M. Diawara s'était présenté au bureau de Maersk Guinée et s'était identifiéen compagnie de M. Amara Soumah de KTT Transit; il était à ce titre la personne mandatée par M. Diawara pour prendre des dispositions en vue de recueillir le conteneur.


5)          Il a déposé que M. Diawara avait reçu les marchandises en bon état, parce que les deux documents (P-22 et P-23) portaient des inscriptions selon lesquelles le conteneur avait été « Livréconforme » .

C.         ANALYSE

1)          Les principes juridiques

a)          En ce qui concerne les réclamations portant sur une                                cargaison

[15]            Dans plusieurs décisions (voir Francosteel Corp. c. Fednav Ltd. (1990), 37 F.T.R. 184; Mediterranean Shipping Co. S.A. Geneva c. Sipco Inc., [2002] 3 C.F. 125; et Nova Steel Ltd. et al. c. Lithuanian Shipping Company , [2002] CFPI 100), la Cour a adopté les propos tenus par le professeur Tetley dans son ouvrage Maritime Cargo Claims en matière de fardeau et d'ordre de présentation de la preuve. Le juge Blais avait écrit dans l'affaire Mediterranean Shipping, précitée :

                [62]          Àla page 133 de Marine Cargo Claims, précité, Tetley déclare qu'en matière de demandes d'indemnitépour pertes ou avaries de marchandises, il existe trois principes de preuve qui reviennent constamment dans toute la jurisprudence relative aux règles de La Haye et les règles de La Haye-Visby. Voici comment Tetley formule ces principes [aux pages 133, 137 et 139] :

                                [traduction] [. . .] Le transporteur est présuméresponsable de la perte ou de l'avarie subie par les marchandises reçues en bon état lorsqu'elles sont constatées manquantes ou en mauvais état au débarquement.

                                [. . .]

                                [. . .] les parties sont en règle générale tenues de faire la preuve de tous les faits dont ils ont eu connaissance.

                                [. . .]

                                [. . .] la charge de la preuve n'oblige pas la partie sur qui elle repose à faire la preuve de toutes les circonstances jusqu'à l'absurdité, mais à rapporter la preuve des faits dans la mesure du raisonnable.


                [63]           Il explique aussi, à la page 142, que bien que les règles de La Haye-Visby ne précisent pas l'ordre dans lequel le créancier maritime sur facultés et la personne qu'il poursuit doivent présenter leur preuve, il existe une similitude frappante en ce qui concerne l'ordre de présentation de la preuve exigépar les tribunaux des divers pays qui ont adoptéles règles de La Haye-Visby. Cet ordre est le suivant, aux pages 142 et 143 : [non souligné dans l'original]

                                [traduction]

                                (i) Le demandeur doit d'abord faire la preuve de sa perte;

                                (ii) Le transporteur doit ensuite prouver: a) la cause de la perte; b) qu'il a exercéune diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question; c) qu'il est dégagé de toute responsabilité en vertu d'une des clauses d'exonération de responsabilité prévues aux règles;

                                (iii) Le demandeur peut ensuite invoquer divers moyens;

                                (iv) Finalement, il y a un moyen terme où les deux parties peuvent rapporter diverses autres preuves supplémentaires.

                1) Ce que le demandeur doit prouver:

                Au départ, la charge de la preuve incombe au demandeur, qui doit prouver les six                éléments suivants pour établir le bien-fondéde sa cause:

                                a) Le demandeur est le propriétaire des marchandises et/ou est la                          personne qui a le droit de présenter la demande;

                                b) Le contrat ou le délit;

                                c) La personne visée par la demande est la personne responsable;

                                d) La perte ou le dommage a eu lieu alors que les marchandises se                       trouvaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, on établit                  habituellement l'état dans lequel étaient les marchandises lorsque le                     transporteur les a reçues et leur état lors du déchargement;

                                e) L'ampleur matérielle du dommage ou de la perte;

                                f) La valeur pécuniaire réelle de la perte ou du dommage.


                2) Ce que le transporteur doit prouver:

                Le transporteur doit alors prouver les trois éléments suivants:

                                a) La cause de la perte;

                                b) La diligence raisonnable exercée pour mettre le navire en bon état de navigabilité en ce qui concerne la perte en question;

                                c) L'un des moyens d'exonération suivants:

                                                (i) une erreur dans la navigation ou dans la conduite du navire;

                                                (ii) un incendie;

                                                (iii) un péril de la mer ou un autre moyen d'exonération analogue, c'est-à -dire les cas de force majeure, les faits de guerre, les faits d'ennemis publics, la contrainte de prince, la quarantaine, les grèves, les émeutes, et les sauvetages;

                                                (iv) des actes ou des omissions du chargeur;

                                                (v) un vice propre à la marchandise;

                                                (vi) une insuffisance d'emballage;

                                                (vii) des vices cachés;

                                                (viii) toute autre cause.

                3) Moyens que le demandeur peut alors invoquer:

                                a) Négligence lors du chargement;

                                b) Négligence lors de l'arrimage;


                                c) Absence d'une partie de la cargaison;

                                d) Négligence lors du déchargement. [Renvois omis.]

                [64]           Voici ce que le juge Rouleau a déclaré, dans le jugement Francosteel Corp. c. Fednav Limited (1990), 37 F.T.R. 184 (C.F. 1re inst.), au sujet du fardeau de la preuve en matière de négligence [à la page 194] :

                                Les précédents sont clairs: il incombe au demandeur de prouver que les biens ont été endommagés au moment où ils étaient entre les mains du transporteur. Pour ce faire, il cherche habituellement à montrer que les biens ont été remis au transporteur en bon état et qu'ils ont été reçus endommagés. Le transporteur doit ensuite illustrer que les dommages s'inscrivent dans une clause d'exemption prévue dans les règles de La Haye; s'il réussit, il incombe au demandeur de prouver que les dégâts sont le résultat d'une négligence de la part du transporteur. Si toutefois ce dernier ne peut établir que les dégâts font l'objet d'une exemption, il lui appartient alors de prouver que sa propre négligence ne serait pas la source des pertes. (Voir Vancouver SS. Co. c. Herdman & Sons (1933), 45 Ll. L. Rep. 223; Kruger Inc. et al c. Baltic Shipping Co. (1989), 57 D.L.R. (4th) 498, à la p. 502; Associated Metals et Minerals Corp. c. Etelac Suomin Laiva (1989), A.M.C. 677; Caemint Food Inc. (1981), A.M.C. 1801).

                [65]           Pour décider si les parties ont satisfait aux règles de preuve exposées par Tetley, je vais maintenant évaluer la preuve écrite et les témoignages donnés par les témoins au procès.

b)          En ce qui concerne le ouï-dire

[16]            La question du ouï-dire découle du contexte ci-après exposé :

a)          aucune des parties à l'instance n'a tiré parti de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, selon lequel lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce, après avis donnérégulièrement.


b)          bien que les parties se soient mutuellement signifié des avis demandant d'admettre la véracité de faits ou l'authenticité de documents en application de l'article 255 des Règles de la Cour fédérale (1998), les aveux ont été rares. Les défendeurs ont tout particulièrement niél'authenticité des pièces P-14, P-22, P-23, P-24, P-25, P-28 et P-30 au motif que ces documents provenaient de tierces parties et que les défendeurs avaient le droit d'en contre-interroger les auteurs avant d'en reconnaître l'authenticité ainsi que la véracité des faits y mentionnés. Pour sa part, le demandeur a nié que le conteneur avait été livré à M. Diawara le 8 mars 2001, que la pièce P-30 (l'attestation) était un faux et que la pièce P-28 ne portait pas le cachet de Maersk Guinée ou de la Société générale de surveillance (la S.G.S.).

[17]            Suivant les règles traditionnelles en matière de ouï-dire, les objections des défendeurs en ce qui concerne l'irrecevabilité des documents du demandeur pour établir la véracité des faits qui y sont énoncés étaient valables (voir les pages 540 et 541 de l'arrêt Khan c. La Reine, [1990] 2 R.C.S. 531, où la Cour suprême du Canada a analysé sa décision antérieure sur cette question dans l'arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608).

[18]            Toutefois, cela ne clôt pas la question, vu l'évolution de la règle du ouï-dire au Canada, ses exceptions ainsi que les autres situations ne relevant pas des catégories traditionnelles d'exceptions àla règle du ouï-dire. Le ouï-dire peut être recevable afin dtablir la véracité du contenu d'une déclaration, orale ou écrite, si cette déclaration satisfait aux critères de fiabilité et de nécessité. (Voir l'arrêt Khan, précité, ainsi que l'arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, aux paragraphes 153 à 156.)

[19]            Selon l'approche fondée sur des principes, la première condition d'admissibilité est la fiabilité. Si une déclaration relatée n'est pas fiable, il n'est même pas nécessaire de se demander si les circonstances en rendent l'admission nécessaire (voir l'arrêt Starr, précité, au paragraphe 209).

[20]            Une déclaration est fiable si les circonstances dans lesquelles elle a été faite offrent des garanties circonstancielles de fiabilité suffisantes pour l'emporter sur les risques inhérents à la preuve par ouï-dire (le témoignage n'a pas été fait sous serment, absence de contre-interrogatoire, aucune possibilité d'évaluer le comportement). (Voir l'arrêt Mapara c. La Reine, [2005] CSC 23.)

[21]            L'approche fondée sur des principes servant à déterminer l'admissibilité d'une preuve de ouï-dire établit une distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité absolue. Voici le raisonnement du juge Iacobucci sur cette question au paragraphe 215 de l'arrêt Starr, précité :


                215           Àcet égard, lorsque la fiabilité d'une déclaration est examinée selon la méthode fondée sur des principes, il importe d'établir une distinction entre le seuil de fiabilitéet la fiabilitéabsolue. Seul le seuil de fiabilité est pertinent relativement à l'admissibilité: voir Hawkins, précité, à la p. 1084. Là encore, il ne convient pas, dans les circonstances du présent pourvoi, de fournir une liste détaillée des facteurs qui peuvent influer sur le seuil de fiabilité. Toutefois, notre jurisprudence est utile dans une certaine mesure à ce sujet. Le seuil de fiabiliténe concerne pas la question de savoir si la déclaration est véridique ou non; c'est une question de fiabilitéabsolue. Il concerne plutôt la question de savoir si les circonstances ayant entouréla déclaration elle-même offrent des garanties circonstancielles de fiabilité. Ces garanties pourraient découler du fait que le déclarant n'avait aucune raison de mentir (voir Khan et Smith, précités) ou du fait qu'il y avait des mesures de protection qui permettaient de déceler les mensonges (voir Hawkins, U. (F.J.) et B. (K.G.), précités). [Non souligné dans l'original.]

[22]            Et le juge d'ajouter, au paragraphe 217 :

                217          Àl'étape de l'admissibilité de la preuve par ouï-dire, le juge du procès ne devrait pas tenir compte de la réputation générale de sincéritédu déclarant, ni d'aucune déclaration antérieure ou ultérieure, compatible ou incompatible. Ces facteurs n'ont pas trait aux circonstances de la déclaration elle-même. De même, je ne tiendrais pas compte de la présence d'une preuve corroborante ou contradictoire. Sur ce point, je suis d'accord avec l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario R. c. C. (B.) (1993), 12 O.R. (3d) 608; voir également Idaho c. Wright, 497 U.S. 805 (1990). En résumé, en vertu de la méthode fondée sur des principes, le tribunal ne doit pas empiéter sur la compétence du juge des faits ni subordonner l'admissibilité de la preuve par ouï-dire à la question de savoir si la preuve est absolument fiable. Il devra cependant examiner si les circonstances ayant entouré la déclaration confèrent suffisamment de crédibilitépour pouvoir conclure que le seuil de fiabilité est atteint.

[23]            Je noterai qu'il appartient au juge des faits de se prononcer sur la fiabilité absolue de la déclaration et le poids à lui accorder (voir l'arrêt R. c. Hawkins, [1996] 3 R.C.S. 1043, au paragraphe 75), et que le juge du procès est toujours habilité, en vertu de son pouvoir discrétionnaire résiduel en common law, à exclure la déclaration. Comme l'ont écrit le Juge en chef à l'époque et le juge Iacobucci au paragraphe 85 de l'arrêt Hawkins, précité :

                85            [...] Même dans le cas où une déclaration relatée particulière satisfait aux critères de la nécessitéet de la fiabilité en vertu de l'analyse réformée, cette déclaration est toujours assujettie au pouvoir discrétionnaire résiduel que possède le juge d'exclure la déclaration lorsque « sa valeur probante est faible et que l'accusépourrait subir un préjudice indu » [...].

D.         CONCLUSIONS

a)          Le demandeur s'est-il acquittéde son fardeau de preuve              initial?


[24]            Selon le professeur Tetley, le demandeur s'acquitte de son fardeau de preuve initial en établissant les six faits énumérés à la page 16 des présents motifs. L'avocat des défendeurs reconnaît que le demandeur a fait la preuve de quatre de ces six faits. Et, comme je l'ai souligné, l'avocat des défendeurs prétend que le demandeur n'a pas démontré que la perte ou le dommage s'est produit alors que le transporteur avait la garde du bien, ni prouvé la valeur pécuniaire réelle de la perte par vol.

[25]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs. Àmon avis, M. Shtutman n'a pas démontré que la perte des marchandises se trouvant àl'intérieur du conteneur est survenue alors que le conteneur était sous la garde de Maersk-Guinée, soit en raison d'un défaut de livraison, soit en raison d'un vol.

[26]            L'avocat du demandeur a plaidé le défaut de livraison à Bavaria le 8 mars 2001. Il renvoie au Bordereau de Livraison ainsi qul'Ordre de mouvement interchange.

[27]            M. Mory Keita, responsable du service des expéditions de Maersk-Guinée au cours des onze dernières années, a témoigné, après avoir examiné le dossier et s'être renseigné, sur les raisons pour lesquelles le nom Bavaria figurait à titre de client sur ces documents. Il craignait que si les marchandises n'étaient pas enlevées de la gare de triage des conteneurs sous peu, le conteneur serait saisi et son contenu serait vendu.

[28]            L'avocat du demandeur a mis en doute la crédibilité de M. Keita et fait ressortir les courriels datés des 15,16 et 17 mars 2001.

[29]            À mon avis, rien dans la preuve ne permet de conclure que M. Keita n'est pas crédible. Je reconnais que son témoignage est crédible. De toute évidence, il connaissait très bien les affaires de Maersk-Guinée au port de Conakry au cours de la période pertinente.

[30]            M. Keita a reconnu avoir commis une erreur en envoyant les courriels des 15 et 16 mars 2001 pour aviser Maersk Atlanta que M. Diawara n'avait pas pris possession du conteneur le 8 mars 2001, une erreur dont il n'a eu connaissance que lorsqu'il a vérifié le système (voir la pièce D-9).

[31]            Les pièces P-26 et P-27 font clairement état les inquiétudes qu'il avait à l'idée que les douanes guinéennes puissent saisir le conteneur et vendre aux enchères les marchandises s'y trouvant, ce qui vient corroborer son explication quant à savoir pourquoi le nom Bavaria apparaissait sur les pièces P-22 et P-23.


[32]            L'explication de M. Keita en ce qui concerne la fausseté de la pièce P-30 (l'attestation) est convaincante. Je conclus que dans l'ensemble, le numéro de plomb manuscrit sur la pièce P-22 était une erreur typographique vu la note « Livréconforme » . Cette preuve est plausible dans les circonstances et ne permet pas de tirer une inférence selon laquelle le plomb original aurait été enlevé, les marchandises à l'intérieur du conteneur volées alors qu'elles étaient sous la garde de Maersk Guinée et un nouveau plomb substituéà l'ancien. À mon avis, ce ne serait que pure conjecture. L'avocat du demandeur ne disposait d'aucune autre preuve admissible à l'appui de sa théorie subsidiaire d'un vol survenu dans la gare de triage des conteneurs alors que les biens étaient sous la garde de Maersk-Guinée.

[33]            Le demandeur ne sait pas ce qui s'est passé au port de Conakry après le déchargement du conteneur le 29 décembre 2000. Il n'a déposé aucune preuve indépendante sur ce qui a pu se passer au port le 8 mars 2001.

[34]            Les pièces P-24 et P-28, qui auraient toutes deux été envoyées par M. Diawara, ainsi que la pièce P-25, la lettre du huissier, ne sont pas admissibles parce qu'elles constituent du ouï-dire et ne peuvent se justifier dans le cadre de l'approche consacrée dans l'arrêt Khan, précité, étant donnéque les circonstances dans lesquelles s'inscrivent les pièces invoquées par le demandeur ne révèlent pas les indices circonstanciels de véracité propres àleur conférer la fiabilité requise pour l'emporter sur les risques inhérents à la preuve par ouï-dire.

[35]            Les circonstances nous révèlent très peu de choses sur l'identité de M. Diawara, la nature de l'arrangement que celui-ci a pris avec le demandeur; autrement dit, était-il un simple agent de ventes embauché pour vendre les marchandises que Bavaria n'a pas achetées?

[36]            En outre, les déclarations de M. Diawara n'ont pas été faites avant que les problèmes entre lui et M. Shtutman aient été révélés et identifiés, ou avant qu'il en ait été avisé.

[37]            Enfin, je trouve très étrange que M. Diawara n'ait pas avisé Maersk Guinée des problèmes concernant la cargaison. En bref, M. Diawara ou KTT Transit aurait dû être appelé à témoigner afin d'écarter les risques du ouï-dire, car je ne suis pas convaincu que le facteur de fiabilité énoncé dans l'arrêt Khan, précité, ait été rempli.

[38]            Quoi qu'il en soit, compte tenu des circonstances relatives à la fiabilitéabsolue, je n'accorderais aucune importance à ces documents vu leur faible valeur probante.


[39]            Cette conclusion suffit pour justifier le rejet de l'action du demandeur. Toutefois, au cas où j'aurais tort, je traiterai brièvement de la prétention des défendeurs concernant l'exonération ou la limitation de responsabilité.

b)         L' exonération ou la limitation de responsabilité

(i)          L' exonération de responsabilité

[40]            Les défendeurs invoquent les clauses d'exonération et de limitation de responsabilité contenues dans le connaissement de transport combiné ( « le connaissement de Maersk » ) émis par Maersk Atlanta à Oceane (pièce D-2).

[41]            Les défendeurs prétendent que, bien que les Règles de La Haye-Visby (les Règles) régissent le transport du conteneur et des marchandises qui s'y trouvent, elles ne s'appliquent pas après le déchargement du conteneur au-dessus de la coupée du Thor Lone le 29 décembre 2000, à son arrivée au port de Conakry. Selon eux, il en est ainsi en raison de la définition de « transport de marchandises » à l'alinéa 1e) des Règles, selon lequel « transport de marchandises » couvre le temps écoulé depuis le chargement des marchandises à bord du navire jusqu'à leur déchargement du navire.

[42]            L'argument des défendeurs en faveur de l'exonération se fonde sur l'alinéa 5(3)b) du connaissement de Maersk. Pour replacer cet argument dans son contexte, je reproduirai ci-après une partie de l'article 5.1 ainsi que l'article 5.3 du connaissement de Maersk :

[traduction]

5.              RESPONSABILITÉDU TRANSPORTEUR

Le transporteur endosse la responsabilité à partir du lieu de réception indiqué ci-après, ou entre le port de chargement et le port de déchargement, ou du lieu de livraison indiquéci-après, de la manière suivante : [Non souligné dans l'original.]

[43]            L'article 5.3 intitulé[traduction] « Transport àdestination et en provenance de pays autres que les États-Unis » prévoit :

[traduction]


a)             Sous réserve des dispositions de l'alinéa b) du présent article, si la perte ou le dommage s'est produit entre le moment de la réception des marchandises par le transporteur au port de chargement et le moment de la livraison par le transporteur au port de déchargement, ou au cours de toute période antérieure ou postérieure de transport par eau, la responsabilitédu transporteur est déterminée conformément, soit aux Règles de La Haye-Visby lorsque celles-ci sont obligatoires au lieu de réceptionou au port de chargement où le premier transport par eau prend place à bord du navire de haute mer, soit - dans tous les autres cas - conformément aux dispositions de la Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement du 25 août 1924 (les Règles de La Haye) (sous réserve de l'exception selon laquelle l'article 9 ne s'applique pas et la limite de responsabilité visée au paragraphe 5 de l'article 4 est fixée conformément à l'article 6 ci-dessous).

b)             Lorsque le transport demandédébute au port de chargement et/ou se termine au port de déchargement, le transporteur n'encourt aucune responsabilitédu fait d'une perte ou d'un dommage causéaux marchandises qui sont en sa possession réelle ou présumée avant le chargement ou après le déchargement au-dessus de la coupée du navire ou, le cas échéant, sur la rampe du navire, quelle qu'en soit la cause. [Non soulignédans l'original.]

(ii)         La limitation de responsabilité

[44]            Les défendeurs invoquent l'alinéa 6.2c) du connaissement de Maersk à l'appui de la limitation de responsabilité. L'article 6 est coiffé du titre [traduction] « Montant de l'indemnité » , et voici ce qu'en dit son paragraphe 2 :

[traduction]

2.              En cas d'application ci-après des Règles de La Haye, la responsabilitémaximale du transporteur ne saurait en aucun cas excéder 100 livres sterling ayant cours légal au Royaume-Uni par paquet ou par unité, à moins que la nature ou la valeur de ces marchandises ait été déclarée par l'expéditeur avant l'expédition et inscrite à l'endos du connaissement, et que des frais de transport supplémentaires aient été payés.

a)            Sous réserve des dispositions du paragraphe 5.7 et des alinéas b), c) et d) du présent article, si le transporteur est tenu de verser une indemnité pour la perte ou les dommages causés aux marchandises, cette indemnité est calculée sur la base de la valeur facturée des marchandises, plus les frais de transport et l'assurance si ceux-ci ont été payés.


b)             Si les marchandises n'ont pas de valeur facturée, l'indemnité est calculée selon la valeurs desdites marchandises au lieu et au moment de leur livraison, réelle ou présumée, au marchand conformément au contrat. La valeur des marchandises est fixée selon le prix à la bourse des marchandises; ou, en l'absence d'un tel prix, selon la valeur marchande actuelle; ou, en l'absence d'un prix à la bourse des marchandises ou d'une valeur marchande actuelle, selon la valeur normale des marchandises de même nature et de même qualité.

c)              Cependant, l'indemniténe peut excéder deux                               dollars américains par kilo de poids brut des marchandises                     perdues ou endommagées. [Non soulignédans l'original.]

[45]            Je dois mentionner que, selon l'avocat du demandeur, rien ne nous permettait de dire que ces dispositions particulières du connaissement de Maersk régissaient le transport du conteneur. À mon avis, cet argument est sans fondement.

[46]            Lorsque le connaissement de Maersk a été déposé comme pièce D-2, les conditions inscrites au verso ont été également reproduites mais en petit caractère. L'avocat des défendeurs a été en mesure de fournir à la Cour une version agrandie de ces conditions en déposant un connaissement en blanc qui serait habituellement émis par Maersk Atlanta. J'ai demandé à M. Keita de comparer les deux documents et, sur la base de ses connaissances, de confirmer à la Cour si d'après son expérience il s'agissait des mêmes documents. Il a confirmé qu'il s'agissait des mêmes documents. J'ai pu comparer les conditions figurant à l'endos de la pièce D-2 avec le texte agrandi et je confirme moi aussi que les deux documents sont identiques.

[47]            L'avocat du demandeur a prétendu également que les clauses d'exonération ou de limitation de responsabilité dans le connaissement de Maersk contrevenaient àl'article III.8 des Règles de La Haye-Visby et, partant, qu'elles étaient nulles et non avenues. Voici le libellé de cet article :

8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsabilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictées dans le présent article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes règles sera nul, non avenu et sans effet.

Une clause cédant le bénéfice de l'assurance au transporteur ou toute clause semblable sera considérée comme exonérant le transporteur de sa responsabilité.


[48]            Au terme de l'audience, j'ai demandé aux parties de me fournir des sources supplémentaires sur cette question, ce qu'elles ont fait.

[49]            À cet égard, je renvoie à l'article VII des Règles, intitulé « Restrictions à l'application des règles » et dont voici le libellé :

Aucune disposition des présentes règles ne défend à un transporteur ou à un chargeur d'insérer dans un contrat des stipulations, conditions, réserves ou exonérationsrelatives aux obligations et responsabilités du transporteur en eau du navire pour la perte ou les dommages survenant aux marchandises, ou concernant leur garde, soin et manutention, antérieurement au chargement et postérieurement au déchargement du navire sur lequel les marchandises sont transportées par eau.

[50]            Je ne peux souscrire à la thèse de l'avocat du demandeur selon laquelle le paragraphe III.8 des Règles rend nulles et non avenues les dispositions du connaissement de Maersk concernant l'exonération et la limitation de responsabilité.

[51]            Pour l'essentiel, la jurisprudence et la doctrine relatives aux demandes d'indemnité pour perte de marchandises établissent que les parties jouissent de la libertécontractuelle visée à l'article VII des Règles tant avant qu'après l'application obligatoire de celles-ci, soit entre le chargement et le déchargement d'un navire (voir Gaskell, N., Bills of Lading and Contract (London) : Lloyds Law Press, 2000, à la page 257; et Gold, E. et al, Maritime Law, (Toronto), Irwin Law, 2003, aux pages 442 à 446).

[52]            Je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs qu'en ce qui concerne le connaissement de Maersk dont il est ici question, les parties ont spécifiquement convenu d'étendre l'application des Règles au-delàde la durée obligatoire, mais qu'en ce faisant elles ont exclu l'application de certaines parties des Règles de la manière autorisée explicitement par l'article VII.

[53]            Dans l'arrêt Zhi Jiang Kou, [1991] 1 Lloyds' Rep. 493, la Cour d'appel de la Nouvelle-Galles du Sud a soutenu la position des défendeurs relativement à l'incorporation partielle des Règles de La Haye.


[54]            L'avocat du demandeur a cité l'arrêt Primex Forest Products Ltd. c. Harken Towing Co., [1997] B.C.J. No. 1644. Cet arrêt ntaye pas la prétention du demandeur. À mon sens, la clause d'exonération de responsabilité contenue dans le contrat de remorquage a été jugée inapplicable non pas parce que l'article III.8 interdit l'incorporation partielle des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby, mais bien en raison du caractère contradictoire et vague des clauses d'exonération de responsabilité.

[55]            L'avocat du demandeur a invoqué deux autres arrêts dont je ne conçois pas la pertinence, étant donné qu'ils ne portent ni l'un ni l'autre sur l'application de l'article III.8 des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby.

[56]            Enfin, je renvoie à la décision de la Cour d'appel du Royaume-Uni dans Motis Exports Ltd. c. 1912 and Svendborg, [2000] 1 Lloyds' Rep. 211.

[57]            Cette affaire est pertinente parce qu'elle porte sur l'interprétation des dispositions de l'alinéa 5.3b) du connaissement de Maersk. L'alinéa 5.3b) en cause dans cette affaire est libellé de manière identique à l'alinéa 5.3b) de la pièce D-2.

[58]            La Cour d'appel a jugé qu'il convenait d'interpréter l'alinéa 5.3b) du connaissement de Maersk de manière à ne pas exclure la responsabilité en cas de faute de livraison, même sur la foi d'un faux connaissement. Cependant, la Cour a interprété cette disposition comme s'appliquant au vol par la prise de possession sans le consentement du transporteur.

[59]            J'ajouterais que la Cour d'appel du Royaume-Uni a renvoyé à l'article VII des Règles de La Haye-Visby, déclarant que cette disposition autorisait le transporteur à invoquer une exonération ou une limitation de responsabilité en cas de perte ou de dommage aux marchandises qui sont sous sa garde avant le chargement et après le déchargement du navire.

[60]            L'action du demandeur reposait sur deux arguments : une livraison erronée faite au mauvais destinataire ou, subsidiairement, un vol commis dans la gare de triage des conteneurs du port de Conakry. Pour les motifs déjà exposés, le demandeur ne m'a convaincu à lgard ni de l'un, ni de l'autre.

[61]            Les défendeurs ont déposé des preuves positives portant que les marchandises ont été livrées à la bonne personne, M. Diawara.

[62]            Si les pièces P-24, P-28 et P-25 avaient été recevables, elles auraient établi que M. Diawara a reçu le conteneur ouvert, sans plomb et sans les marchandises convenues, laissant ainsi croire en toute logique à la thèse du vol.


[63]            Je conclus qu'un seul des deux événements suivants a pu se produire. Si le vol s'est produit à la gare de triage des conteneurs, le connaissement de Maersk exclut la responsabilité. Si le vol s'est produit après la livraison, les défendeurs n'engagent pas leur responsabilité. Compte tenu de cette conclusion, je n'ai pas à me pencher sur la façon dont il convient d'interpréter la clause de limitation de responsabilitédans le connaissement de Maersk, ni sur la question soulevée par les défendeurs en ce qui concerne la mesure du préjudice, dite règle de la valeur marchande saine à destination, laquelle a été traitée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Redpath Industries Ltd. c. Cisco (Le), [1994] 2 C.F. 279.

[64]            Pour tous ces motifs, l'action du demandeur contre les défendeurs appropriés est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »

-----------------------------

Juge             

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B            


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-2273-01

INTITULÉ:                                         PHIL SHTUTMAN c. OCEAN MARINE SHIPPING INC. ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :               Les 14, 15 et 16 juin 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :            

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 octobre 2005

COMPARUTIONS:

Jean-François Bilodeau

POUR LE DEMANDEUR

Jean-Marie Fontaine

Gassim Bangoura

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robinson Sheppard Shapiro                                                POUR LE DEMANDEUR

800 Place Victoria

Bureau 4600

Montréal (Québec), H4Z 1H6

Borden Ladner Gervais LLP                                                            POUR LES DÉFENDEURS

1000, rue de la Gauchetière Ouest

Bureau 900

Montréal (Québec), H3B 5H4

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