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Date : 19991004


Dossier : T-1368-98

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 1999

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Pelletier

ENTRE :

     DANNY DUCAS, GARY GOTTER, JOHN WRIGHT,

     DARRIO GRITTI, FRAN KATZ et TIM LAW

     demandeurs


     et


     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE et ORDONNANCE

[1]      En novembre 1994, les demandeurs ont fait appel des résultats d'un concours à des postes de coordonnateur d'équipe au ministère du Revenu national. En faisant appel, les demandeurs exerçaient les droits que leur confère l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-331. La procédure applicable à ce genre d'appel est précisée dans le Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, dont le texte a été modifié à diverses époques. L'article 25 du Règlement imposait aux appelants l'obligation de notifier par écrit à l'employeur les allégations dont il serait fait état dans le cadre de l'appel. Il advint que certains des demandeurs étaient représentés par leur représentant syndical alors que d'autres avaient choisi d'assurer eux-mêmes leur représentation. M. Ducas était parmi ceux qui avaient décidé d'agir en leur propre nom. Il s'est avéré difficile d'établir une version définitive des allégations et c'est pour cela que Mme Robinson, la présidente chargée de cette affaire, a écrit à M. Ducas, le 10 novembre 1995, pour lui transmettre des instructions concernant la mise au point des allégations. Étant donné le rôle joué par cette lettre dans la décision dont est saisie la Cour, le passage pertinent est reproduit ci-dessous :

     [traduction]

     Étant donné que ces appels ont été interjetés en novembre 1994, je veux que l'affaire soit tranchée au fond sans nouveau retard. J'ose espérer que vous réglerez la question de votre représentation dans les meilleurs délais et que vous pourrez vous faire communiquer les éléments nécessaires à la préparation de votre dossier. Vos allégations devront être communiquées au représentant du Ministère le 5 décembre 1995 au plus tard afin que l'audience puisse effectivement avoir lieu, comme prévu, le 13 décembre, et le 14 si nécessaire.

[2]      Toute une série de mesures ont été prises afin de transmettre, avant la date prévue pour l'audience, les allégations faites par les employés. Rappelons notamment que :

     1-      Le 4 décembre 1995, M. Ducas a lui-même porté à Mme Sturch, représentante de l'employeur, le texte de certaines de ces allégations, se rendant pour cela à son bureau. Mme Sturch n'étant pas là pour le recevoir, M. Ducas a remis les documents à une collègue de Mme Sturch qui a indiqué qu'elle veillerait à ce que cette dernière les reçoive.
     2-      Mme Gee, qui assurait la représentation de certains des demandeurs, a transmis par télécopie, le 8 décembre 1995, plusieurs allégations à Mme Sturch. M. Ducas était présent lorsque la télécopie a été envoyée et il confirme que les choses se sont effectivement produites ainsi, mais aucun document attestant la transmission par télécopie n'a été déposé.
     3-      Mme Gee a transmis à Mme Sturch d'autres allégations au moyen de deux télécopies distinctes en date du 11 décembre 1995. M. Ducas était encore une fois présent et il confirme l'envoi des deux télécopies, mais aucun document attestant la transmission n'a été déposé.

[3]      En raison de l'opposition de l'employeur à l'égard de la divulgation de certains tests standard, l'audience n'a pas eu lieu comme prévu les 13 et 14 décembre 1995. L'opposition fut à l'origine d'une demande déposée devant la Cour fédérale, et qui a finalement fait l'objet d'un règlement en 1998. Mais, à cette date, Mme Robinson avait pris sa retraite et ne pouvait donc plus entendre la cause, de sorte que M. Ojalammi (le président) fut nommé pour statuer sur le litige. L'audience a été fixée du 1er au 3 juin 1998.

[4]      Le 12 mai 1998, un résumé de l'ensemble des allégations avancées jusque-là a été transmis à Mme Sturch aux fins de l'audience. Deux semaines environ avant le début de l'audience, celle-ci a demandé à M. Ducas et à Mme Gee des précisions concernant les allégations. À l'audience, Mme Sturch fit valoir que les allégations transmises les 4, 8 et 11 décembre 1995 n'avaient pas été régulièrement produites devant la Commission puisqu'elle-même ne les avait pas reçues en 1995, date à laquelle elles avaient été demandées, et que, dans la mesure où, selon elle, ces allégations avaient été avancées pour la première fois en 1998, elles ne respectaient pas les instructions données par Mme Robinson dans sa lettre du 10 novembre 1995.

[5]      Le président a entendu les témoignages relatifs au bien-fondé de la demande ainsi qu'à la question du respect des délais concernant la divulgation des allégations. Il a conclu que la lettre de Mme Robinson, en date du 10 novembre 1995, constituait une instruction obligatoire concernant la divulgation des allégations et, qu'étant donné qu'il ne pouvait pas dire si les allégations en date des 4, 8 et 11 décembre 1995 avaient effectivement été transmises ou reçues (puisqu'il n'avait aucune raison de ne pas croire l'une ou l'autre des parties), il lui était impossible de conclure que les allégations avaient été divulguées comme l'exigeait la lettre de Mme Robinson. Il décida donc de refuser d'admettre les allégations des 4, 8 et 11 décembre 1995. Avec l'assentiment de l'ensemble des parties, l'audience fut alors ajournée afin que puisse être déposée une demande de contrôle judiciaire visant la décision du président.


[6]      Le président a exposé sa position en ces termes :

     [traduction]

     " À l'audience, j'ai fait savoir que je n'admettrais aucune allégation qui n'avait pas été reçue avant la date limite prévue par mon prédécesseur, soit le 5 décembre 1995. Étant donné que les parties avaient déjà achevé la communication de l'ensemble des renseignements nécessaires, autres que les tests standard, avant que mon prédécesseur n'envoie sa lettre en date du 10 novembre 1995, j'ai fait savoir que la lettre prévoyait un délai plus que suffisant relativement à la formulation et à la présentation des allégations. ... J'ai dit, cependant, que si des circonstances exceptionnelles avaient empêché que les allégations soient présentées au plus tard le 5 décembre 1995, je souhaitais qu'on me les fasse connaître. "
     " Cela dit, je ne saurais conclure que les allégations, autres que celles en date du 15 septembre 1995, peuvent être considérées comme ayant été reçues au plus tard le 5 décembre 1995. Étant donné qu'il incombait aux appelants de déposer les allégations en question, et qu'aucune circonstance exceptionnelle n'a été invoquée à l'audience d'appel pour justifier, voire atténuer, le dépassement des délais, je confirme la décision que j'ai rendue à l'audience : je n'admettrai aucune allégation qui n'a pas été communiquée au Ministère le 5 décembre 1995 au plus tard. "

[7]      On fait valoir comme motif principal de la présente demande que le président s'est trompé en considérant la lettre de Mme Robinson en date du 11 novembre 1995 comme une instruction ayant un caractère obligatoire. Les demandeurs estiment que, en l'absence d'éléments portant à conclure que cela porterait préjudice au défendeur, l'équité impose au président de tenir compte des allégations communiquées tardivement. Le défendeur estime pour sa part que c'est à juste titre que le président a considéré comme il l'a fait la lettre en date du 11 novembre 1995; qu'il était en droit d'examiner, ce qu'il a effectivement fait, la requête des demandeurs sollicitant l'autorisation de se fonder sur les allégations tardives, et qu'il était parfaitement en droit de rejeter cette demande après l'avoir examinée.

[8]      C'est à tort que le président a estimé que l'instruction transmise par Mme Robinson avait pour effet d'exclure toute allégation produite après la date prévue, alors que la raison d'être de cette instruction n'avait plus cours. Cette directive ou ordonnance devait faciliter la tenue de l'audience de l'appel prévue pour les 13 et 14 décembre 1995. Si l'audience avait effectivement eu lieu à cette date, Mme Robinson aurait eu à se prononcer sur le respect ou le non-respect de son ordonnance. Une fois l'audience ajournée, la raison d'être de l'ordonnance disparaissait.

[9]      Lorsque l'audience a repris devant le président Ojalammi, la question qui se posait était celle du moment de la divulgation des allégations sur lesquelles entendaient se fonder les demandeurs. L'ordonnance de Mme Robinson constituait un facteur dont il y avait lieu de tenir compte pour se prononcer sur ce point mais elle n'aurait pas dû être considérée comme un élément déterminant étant donné qu'elle n'avait plus aucune raison d'être. Le président aurait dû examiner la question au regard de l'importance des allégations supplémentaires, de l'existence ou non de préjudice pour le défendeur, et de l'opportunité de régler une affaire qui durait depuis longtemps. Étant donné l'ajournement exigé par la demande dont est saisie la Cour, l'employeur a en main, depuis déjà plus d'un an, l'ensemble des allégations comprenant à la fois les nouvelles allégations et les anciennes. Rien ne s'oppose dorénavant à ce que l'employeur y réponde.

[10]      En se prononçant comme il l'a fait, le président Ojalammi n'a pas tenu compte d'un des principes de l'équité procédurale en privant les demandeurs du droit de présenter l'ensemble de leurs éléments de preuve. Sa décision est donc susceptible d'annulation en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[11]      Pour ces motifs, la Cour ordonne l'annulation de l'ordonnance par laquelle le président Ojalammi a refusé d'admettre les allégations qui n'avaient pas été communiquées à l'employeur avant le 5 décembre 1995, et renvoit l'affaire devant le président Ojalammi afin qu'il se prononce au vu des allégations communiquées au représentant de l'employeur le 12 mai 1998.

     O R D O N N A N C E

     La décision par laquelle le président Ojalammi a refusé d'admettre toute allégation qui n'avait pas été communiquée à l'employeur avant le 5 décembre 1995 est annulée, et l'affaire est renvoyée à M. Ojalammi afin d'être tranchée au vu de l'ensemble des allégations communiquées au représentant de l'employeur le 12 mai 1998.



     J. D. Denis Pelletier

     Juge



Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-1368-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Danny Ducas, Gary Gotter, John Wright, Darrio Gritti, Fran Katz et Tim Law c. Le Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 5 mai 1999






MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU 4 OCTOBRE 1999




ONT COMPARU :

Andrew J. Raven                          pour les demandeurs         

J. Sanderson Graham                      pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)                          pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          pour le défendeur

__________________

1      21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.
     21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

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