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Date : 20051018

Dossier : IMM-417-05

Référence : 2005 CF 1423

Winnipeg (Manitoba), le 18 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

ITALO JESUS ORTIZ ROMERO

VERONICE DE LOS TELEDO

ANGIE ANABEL ORTIZ TOLEDO

ALLISON VERONIC ORTIZ TOLEDO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 janvier 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle elle a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger, parce que l’État leur assurait une protection adéquate en Équateur; en outre, la Commission a conclu que si le demandeur avait signalé la fusillade aux autorités, l’État leur aurait accordé sa protection.

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs, un mari, son épouse et leurs deux enfants mineurs, sont citoyens de l’Équateur. Le demandeur principal, M. Italo Ortiz (le demandeur), prétend craindre avec raison d’être persécuté par des éléments criminels en Équateur qui veulent le tuer ainsi que sa famille, ou à tout le moins leur faire du mal. Les demandes d’asile des autres demandeurs sont fondées sur celle de M. Italo Ortiz.

 

[3]               Le demandeur était employé par une agence de voyage dans la ville de Quito (Équateur). En février 2003, le demandeur et son ancien employeur ont signalé au Service des enquêtes des actes de fraude concernant les cartes de crédit dans lesquels était impliqué un des clients de l’agence. Cela a donné lieu à une enquête visant particulièrement une certaine Marta Hurtado Borbua, une parente de Lucio Gutierrez Borbua, qui était président de l’Équateur à l’époque.

 

[4]               Devant la Commission, le demandeur a déclaré dans sa déposition que lui et sa famille avaient commencé à recevoir des menaces par téléphone en mai 2003, et qu’ils avaient été sérieusement attaqués à deux reprises par deux agresseurs liés à Marta Hurtado. Plus précisément :

 

(i)  Le 14 novembre 2003, il s’est fait attaquer ainsi que son épouse, ses deux filles et son père dans une station-service par deux hommes qui ont essayé de le poignarder et qui l’ont battu. Le père du demandeur est venu à sa rescousse, il s’est fait poignarder et il a dû se faire hospitaliser. Les deux filles du demandeur ont été terrorisées par cet incident. Par la suite, le demandeur a changé de résidence et a déménagé dans un lieu où personne ne les trouverait. Cependant, le 18 novembre 2003, le demandeur a commencé à recevoir des menaces par téléphone à sa nouvelle résidence. Au cours de l’un de ces appels de menace, l’interlocuteur a dit à la fille du demandeur, qui avait répondu au téléphone, que son père était mort.

 

(ii)  La deuxième agression a eu lieu le 10 décembre 2003. Le demandeur se rendait à sa résidence en voiture avec ses filles. Il conduisait la voiture de son beau-père afin d’éviter de se faire repérer. À 22 h environ, deux hommes chevauchant une motocyclette se sont arrêtés devant sa voiture et le passager a sorti un revolver et s’est mis à tirer. Le demandeur et son épouse se sont jetés sur le plancher de la voiture afin d’éviter les balles. La première balle a fendu le pare-brise et la deuxième l’a fait éclater.

 

[5]               Lorsque le demandeur a signalé la première attaque à la police, le demandeur a obtenu une ordonnance de protection valable pendant 30 jours contre Marta Hurtado et son gendre, qu’il a interprétée comme une garantie que la police agirait contre les personnes qui [TRADUCTION]

« s’en prendraient à lui, en paroles ou en actes ».

 

[6]               L’épouse du demandeur a signalé la deuxième attaque à la Police nationale de l’Équateur.  La copie du rapport de police figure dans le dossier certifié du tribunal et il signale la fusillade qui a eu lieu le 10 décembre 2003.

 

[7]               Le 14 décembre 2003, quatre jours après la prétendue fusillade, le demandeur a quitté l’Équateur. En janvier 2004, le demandeur est arrivé au Canada et il a fait une demande d’asile.

 


LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]               La présente demande soulève les deux questions suivantes :

(1)    La conclusion tirée par la Commission, selon laquelle le demandeur n’avait pas signalé aux autorités la prétendue fusillade du 10 décembre 2003, était-elle manifestement déraisonnable?

(2)    La Commission a-t-elle fait erreur lorsqu’elle a conclu que l’État peut assurer une protection adéquate au demandeur en Équateur?

 

ANALYSE

1re question en litige – La Commission a-t-elle tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable en ne tenant pas compte d’éléments de preuve ou en les interprétant de manière erronée?

 

 

[9]               Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas signalé aux autorités la deuxième fusillade qui aurait eu lieu le 10 décembre 2003. La Commission a déclaré, à la page 3 de sa décision : 

[sic] Le demandeur déclare avoir signalé, environ une semaine après l’incident, l’agression dont il a été victime à la station‑service le 14 novembre 2003. Il n’a toutefois pas signalé l’incident où on lui aurait tiré dessus le 19 décembre 2003. […] Je conclus que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures logiques pour chercher la protection qui, à mon avis, lui aurait été probablement accordée.

 

Cette conclusion déforme la preuve et elle ne tient pas compte des documents produits devant la Commission. L’épouse de demandeur a bel et bien signalé à la police la fusillade du 10 décembre 2003. La conclusion tirée par la Commission, selon laquelle le demandeur n’avait pas signalé aux autorités la fusillade en cause, était clairement erronée et manifestement déraisonnable.

 

[10]           Le défendeur soutient que l’erreur de la Commission est sans conséquence sur le fait que, en fin de compte, elle a conclu que l’État pouvait assurer au demandeur une protection adéquate. Je ne suis pas d’accord. Je suis d’avis que la conclusion erronée était de nature à contribuer en partie à la décision globale, et que c’est ce qui s’est produit; elle a donc eu une incidence, au sens de l’arrêt Schaaf c. Canada (M.E.I.), [1984] 2 C.F. 334, rendu par la Cour d’appel fédérale.

 

[11]           La Commission a conclu que la preuve documentaire indiquait que l’Équateur avait une magistrature, une force de police nationale, et une force de police municipale à Quito qui auraient assuré au demandeur une protection adéquate de l’État. La Commission s’est prononcée ainsi à la page 3 de sa décision: 

« […] Je conclus que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures logiques pour chercher la protection qui, à mon avis, lui aurait été probablement accordée ».

 

 

La Cour est d’avis que la Commission s’est appuyée sur cette conclusion de fait manifestement erronée et déraisonnable pour ensuite conclure que :

1.  le demandeur n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour demander à l’État de lui accorder sa protection;

2.  si le demandeur avait sollicité cette protection, elle lui aurait été probablement accordée.

 

En fait, la preuve montre que le demandeur a téléphoné deux fois à la police immédiatement après la fusillade du 10 décembre et que celle-ci n’a pas réagi, malgré le fait qu’une ordonnance de protection avait été rendue au profit du demandeur à la suite de l’attaque du 14 novembre 2003. La Cour est d’avis que l’on peut raisonnablement penser que la Commission n’aurait pas conclu au caractère adéquat de la protection de l’État dont aurait disposé le demandeur en Équateur si elle avait compris que le demandeur avait signalé aux autorités la fusillade du 10 décembre et que la police n’avait pris aucune mesure à ce sujet. 

 

CONCLUSION

 

 

[12]           Comme la Cour a conclu que la conclusion de fait erronée a eu une incidence sur la décision de la Commission, il n’est pas nécessaire d’examiner la deuxième question, c’est-à-dire celle de savoir si c’est à tort que la Commission a conclu que l’État pouvait assurer une protection adéquate au demandeur en Équateur. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[13]           Les deux parties ont informé la Cour que la présente demande ne soulève aucune question grave de portée générale qui devrait être certifiée en vue d’un appel. La Cour convient qu’aucune question ne sera certifiée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

 

La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 janvier 2005 par la Commission est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour réexamen.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER  :                                       IMM-417-05

 

INTITULÉ :                                       ITALO JESUS ORTIZ ROMERO

VERONICE DE LOS TELEDO

ANGIE ANABEL ORTIZ TOLEDO

ALLISON VERONIC ORTIZ TOLEDO

 c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 OCTOBRE 2005

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 OCTOBRE 2005

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Matas

Winnipeg (Manitoba)                            POUR LES DEMANDEURS

 

 

Omar Siddiqui

Ministère de la Justice

Winnipeg (Manitoba)                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)                                           POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                      POUR LE DÉFENDEUR

 

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