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                                                                                                                                           Date : 20010507

                                                                                                                              Dossier : IMM-2128-00

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 441

Toronto (Ontario), le lundi 7 mai 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

KENAN FIKRET TCHAOUCH

                                                                                                                                                     demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 M. Tchaouch est un citoyen bulgare âgé de 29 ans qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention du fait de son origine ethnique turque. Il présente une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 3 avril 2000, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                 M. Tchaouch a témoigné que, pendant que les communistes étaient au pouvoir en Bulgarie, il était harcelé et persécuté à cause de son origine ethnique turque. Il a déclaré qu'après la chute du communisme, le gouvernement avait continué à maltraiter les Turcs. M. Tchaouch a témoigné qu'on lui donnait de mauvaises notes à l'école même s'il réussissait dans ses études et qu'il ne pouvait pas trouver d'emploi à cause de son origine ethnique.

[3]                 M. Tchaouch a témoigné qu'il avait ouvert un petit café, à Rousse, au mois de septembre 1997. Initialement, il avait des clients de toutes les nationalités, mais par la suite seuls des Turcs fréquentaient le café. M. Tchaouch a déclaré que son commerce avait été rentable pendant les six premiers mois, tant que des agents de police ne lui avaient pas rendu visite au mois de mars 1998. Il a déclaré que des agents de la police du contrôle des prix effectuaient un contrôle presque tous les jours, ce qui nuisait à son commerce, puisqu'il ne pouvait pas servir les clients et que ces derniers ne se sentaient pas à l'aise en présence d'agents de police et qu'ils évitaient son café. M. Tchaouch a également déclaré que les agents de police avaient commencé à le harceler en se présentant tout le temps à son café. Il a affirmé que les agents de police lui rendaient visite parce que de nombreux Turcs se réunissaient dans certains endroits et que, selon certaines rumeurs, les Turcs songeaient à demander l'autonomie en Bulgarie.


[4]                 Le café de M. Tchaouch a été endommagé par des vandales à deux reprises. La première fois, on a cassé la vitre de la porte avant. La seconde fois, on a cassé la vitrine principale. On a inscrit les mots [TRADUCTION] « À bas les Turcs! » dans les locaux. M. Tchaouch a déclaré avoir signalé les événements à la police, qui n'a rien fait.

[5]                 Le 28 avril 1998, le café a été incendié. M. Tchaouch a déclaré avoir attendu pour avoir un compte rendu de l'événement; il dit qu'il a communiqué avec les services de police et le service des incendies, mais qu'on lui a répondu que l'enquête était encore en cours. Il a déclaré qu'il avait commencé à reconstruire les locaux, mais que le 1er juin 1998, des agents de police l'avaient interrogé au sujet de l'incendie et l'avaient battu en tentant de lui faire avouer qu'il avait mis le feu aux locaux. M. Tchaouch a déclaré qu'il était allé à l'hôpital, mais qu'on lui avait dit qu'il n'y avait rien à faire. Il a par la suite consulté un médecin, qui a pris une radiographie. La radiographie a révélé une fêlure à un os du dos.

[6]                 M. Tchaouch a affirmé qu'après s'être rétabli, il avait versé de l'argent à un employé, à l'aéroport, pour que celui-ci l'aide à quitter la Bulgarie le 20 novembre 1998. Il est entré au Canada et a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention.


[7]                 La SSR a conclu que les questions de crédibilité et de discrimination par rapport à la persécution étaient déterminantes. La formation a conclu qu'à l'époque où les communistes étaient au pouvoir, la minorité turque en Bulgarie était persécutée. Toutefois, elle a exprimé l'avis selon lequel des changements durables s'étaient produits après la chute des communistes. En ce qui concerne les événements qui se sont produits pendant les années 1990, il a été conclu que M. Tchaouch avait été victime de discrimination plutôt que de persécution, de sorte que le succès de la revendication dépendait des événements relatés par M. Tchaouch qui s'étaient produits en 1998.

[8]                 En ce qui concerne ces événements, la SSR a conclu que le témoignage de M. Tchaouch était invraisemblable, et ce, pour un certain nombre de raisons. En fin de compte, la SSR a conclu qu'elle ne pouvait pas retenir le témoignage en l'absence d'un plus grand nombre d'éléments de preuve convaincants, comme un rapport d'enquête du service des incendies ou une preuve montrant que M. Tchaouch avait assuré le suivi avec persistance de façon que des poursuites soient engagées en justice contre la police après qu'il eut été battu. On a affirmé que les actes de vandalisme constituaient de la discrimination plutôt que de la persécution.

[9]                 M. Tchaouch n'a pas contesté la conclusion de la formation selon laquelle le succès de sa revendication dépendait des événements qui s'étaient produits en 1998.


[10]            Par l'entremise de son avocat, M. Tchaouch a reconnu que la SSR possédait une compétence exclusive pour déterminer la vraisemblance de son témoignage et que, dans la mesure où les inférences que la SSR avait faites n'étaient pas manifestement déraisonnables, les conclusions qu'elle avait tirées ne pouvaient pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Toutefois, M. Tchaouch a soutenu que l'effet cumulatif des conclusions tirées par la formation au sujet de la vraisemblance donnaient lieu à un résultat manifestement déraisonnable. Il faut donc examiner chacune des préoccupations de M. Tchaouch en ce qui concerne les conclusions de vraisemblance.

[11]            M. Tchaouch a soutenu que la conclusion selon laquelle il n'était pas vraisemblable que les visites de la police aient nui au succès de son commerce puisqu'il était florissant était fondée sur une mauvaise appréciation de la preuve. Il a affirmé avoir témoigné que le commerce n'avait été rentable que pendant les six premiers mois, tant que la police n'avait pas commencé sa campagne de harcèlement. Toutefois, en réponse aux questions qui lui ont été posées par la formation, M. Tchaouch a témoigné avoir ouvert son commerce avec l'aide financière de sa famille (qui lui avait fourni environ 1 000 $) et qu'au moment de la destruction des locaux, il avait économisé environ 1 500 $. Étant donné ce témoignage, je ne puis conclure que la conclusion de la SSR selon laquelle le commerce était prospère, de sorte qu'il n'était pas vraisemblable que la police ait nui à son succès, était abusive ou qu'elle a été tirée sans tenir compte de la preuve.

[12]            M. Tchaouch a également soutenu que la conclusion de la SSR selon laquelle les visites que la police du contrôle des prix effectuaient à son café faisaient partie des réformes préconisées par le Fonds monétaire international n'était pas étayée par la preuve. Toutefois, il a omis de soumettre des éléments de preuve à la Cour à l'appui de cette assertion. La remarque que la SSR avait faite au sujet du contrôle des prix en Bulgarie était accompagnée d'une note de bas de page concernant un document d'appréciation du pays intitulé [TRADUCTION] « Historique économique » . M. Tchaouch n'a donc pas établi que la conclusion de la SSR n'était pas étayée par la preuve.


[13]            Le reste de la contestation de M. Tchaouch, en ce qui concerne les conclusions relatives à la vraisemblance, était fondé sur l'assertion selon laquelle la formation n'avait pas tenu compte de la preuve documentaire, qui établissait que les personnes d'origine turque étaient continuellement harcelées et brutalisées comme il l'avait témoigné.

[14]            Malheureusement, aucun document n'a été présenté en preuve devant la Cour à l'appui de cette prétention.

[15]            Je remarque toutefois que devant la SSR, l'avocat de M. Tchaouch a affirmé que [TRADUCTION] « la documentation relative à la situation dans le pays qui a été mise à votre disposition [...] étaye les deux points de vue » . L'agent chargé de la revendication a répondu ce qui suit :

[TRADUCTION]

L'avocat affirme que la preuve documentaire étaye deux points de vue et qu'en général, les renseignements sur les minorités s'appliquent aux personnes d'origine ethnique turque. Avec égards, je ne souscris pas à cette assertion, et en particulier à celle selon laquelle les documents étayent deux points de vue.

À mon avis, le fait, par exemple, que l'International Helsinki Federation Report, à la page 3.1.1, renferme une section sur la protection des minorités ethniques et qu'à la page 3.1.8, il n'est même pas fait mention des personnes d'origine ethnique turque indique le point jusqu'auquel la situation des personnes d'origine ethnique turque ne ressemble aucunement à celle des autres minorités en Bulgarie, en particulier, les Rom. De même, le Bulgaria Helsinki Committees Report - soit un ONG local - traite de la Bulgarie. À la page 3.2.14, dans la section sur les minorités, il n'est pas fait mention des personnes d'origine ethnique turque et des actes de persécution commis contre celles-ci.


Il importe en outre de noter que dans la preuve documentaire, il est ici et là fait mention des procès et de la condamnation d'agents de police et de membres de la sécurité, en ce qui concerne des accusations découlant des mauvais traitements infligés aux personnes d'origine ethnique turque, en 1989. Ainsi, on trouve pareille mention à la page 3.2.1 et une autre dans le British Home Office Report on Bulgaria, ce rapport étant fondé sur diverses sources et renfermant un résumé à ce sujet. Cependant, à la page 3.3.30, il est fait mention d'un procès remontant à l'année 1993 d'anciens représentants de la sécurité de l'État, par suite des mauvais traitements infligés aux personnes d'origine ethnique turque à Rousse, soit, fait intéressant, la ville où l'intéressé a vécu pendant un certain nombre d'années. Les assertions de l'intéressé selon lesquelles il est impossible de se plaindre de la police devraient peut-être également être considérées par rapport à ces renseignements.

[16]            Je puis uniquement conclure que M. Tchaouch n'a pas établi que, compte tenu du dossier, la SSR ne pouvait pas avec raison conclure que le comportement de la police n'était « pas la perfection, et [qu'il pouvait] y avoir d'autres groupes dans la société bulgare qui [étaient] tellement marginalisés qu'ils continu[aient] à être victimes des excès de la police, mais [que] la preuve documentaire n'appu[yait] pas la prétention que [c'était] le cas des Turcs de souche » .

[17]            Cela étant, je conclus que les conclusions que la SSR a tirées au sujet de la vraisemblance du témoignage de M. Tchaouch ne peuvent pas être considérées comme manifestement déraisonnables, et ce, que ce soit isolément ou ensemble.

[18]            La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[19]            Les avocats n'ont proposé aucune question à certifier et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

[20]            LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Toronto (Ontario),

le 7 mai 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         IMM-2128-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       KENAN FIKRET TCHAOUCH

c.

MCI

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE JEUDI 19 AVRIL 201

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                                  LE LUNDI 7 MAI 201

ONT COMPARU

M. John Grice                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mme Marissa Bielski                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. John Brice                                                                    

Avocat

1110, avenue Finch ouest

Bureau 706

North York (Ontario)

M3J 2T2                                                                            POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                       

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LE DÉFENDEUR

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