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     Date : 19990813

     Dossier : IMM-5200-98

Ottawa (Ontario), le vendredi 13 août 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE


LEONARD ZOGA,

ERANDA ZOGA,

KATRIN ZOGA,

demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.



ORDONNANCE


La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est infirmée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audition et réexamen.

     " Frederick E. Gibson "

     Juge

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.





Date : 19990813


Dossier : IMM-5200-98


ENTRE


LEONARD ZOGA,

ERANDA ZOGA,

KATRIN ZOGA,

demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Ces motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention visés au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. L'avis de décision de la SSR est daté du 16 septembre 1998.

[2]      Les demandeurs sont un mari et sa conjointe ainsi que leur fille mineure. Ils sont tous citoyens albanais. Dans ses motifs de décision, la SSR a fait les remarques suivantes :

[TRADUCTION]
Le demandeur a allégué qu'à cause de ses convictions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir sa famille, il craint d'être persécuté par les membres d'une autre famille qui se querellait depuis de nombreuses années avec sa famille au sujet d'une propriété; il craint également d'être persécuté par la police.

Les revendications d'Eranda Zoga et de Katrin Zoga dépendent de celle du demandeur.

[3]      L'exposé de la SSR, en ce qui concerne les personnes qui persécuteraient le demandeur, est incomplet. Lors du témoignage que le demandeur a présenté devant la SSR, les propos suivants ont été tenus :

[TRADUCTION]
L'avocat :          Très bien. Par conséquent, si la famille Alushi a la maison, ils ont la maison, ils ont la propriété, pourquoi voudraient-ils s'en prendre à vous si vous retourniez dans votre pays?
Le demandeur :          J'appuie le Parti démocratique, mais je ne suis pas lié aux gens qui ont fondé le Parti démocratique; je suis démocrate. Comment pourraient-ils aimer les gens qui sont démocrates? Je lutterai toujours pour les droits des gens. Je lutterai toujours pour la liberté d'expression. Ce sont des choses qui n'ont jamais existé. C'est pourquoi je dis que si je retourne en Albanie, ma vie sera en danger.
L'avocat :          Et qui vous en voudra?
Le demandeur :          En premier lieu, le gouvernement et en second lieu, la famille Alushi, qui forme le gouvernement2.

[4]      En fait, la documentation dont disposait la SSR révèle que le demandeur et les membres de sa famille ont toujours eu des problèmes avec une autre famille, la famille Alushi, qui était étroitement liée au Parti communiste, en Albanie, et qui était liée au gouvernement communiste lui-même. Plus récemment, le demandeur a eu des problèmes avec le Parti démocratique, qui a remplacé le régime communiste et dont il a déjà été membre et partisan. Ce gouvernement a maintenant été remplacé par un gouvernement socialiste, qui est généralement reconnu comme étant dominé par d'anciens membres du Parti communiste et par leurs successeurs. Par conséquent, il serait possible de dire qu'en premier lieu, le demandeur craint le gouvernement actuel et qu'en second lieu, il craint " [...] la famille Alushi, qui forme le gouvernement ", et enfin qu'il craint le Parti démocratique.

[5]      Le différend qui oppose la famille du demandeur et la famille Alushi se rapporte à une propriété située à Vlore ou aux environs de cette ville; le demandeur affirme que cette propriété appartient bel et bien à sa famille et que sa famille possède un acte qui a été enregistré à l'hôtel de ville de Vlore. Dans l'exposé figurant dans son Formulaire de renseignements personnels, le demandeur a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]
C'était la famille Alushi et le chef de cette famille, Bari Alushi, qui contestaient le droit de propriété. M. Alushi était secrétaire du Parti communiste à Vlore et il possédait de larges pouvoirs. D'après ce que mes parents me disent, la famille de Bari Alushi a toujours menacé et provoqué ma famille. Ils ont physiquement fait du mal à ma famille et ont fait en sorte que les membres de ma famille soient emprisonnés; mon grand-père en particulier a été victime d'un coup monté et a été emprisonné en 1965.
Mon grand-père, Faslli Zoga, a refusé de permettre que nos propriétés soient confisquées par l'État et qu'elles soient divisées. Il a essayé de les conserver. Il a subi un procès et a été emprisonné pour s'être élevé contre le régime communiste et pour avoir dénoncé la confiscation de terrains privés en disant que cela était illégal. Le gouvernement l'a emprisonné et il a été condamné à une peine de 20 ans pour ses idées démocratiques; il est mort de tuberculose en prison vers 1970.
Même lorsqu'il est décédé, il a été maltraité; il a été enterré par les autorités carcérales dans une tombe non identifiée. Ce n'est qu'en 1985 que la famille a pu prendre des dispositions pour que mon grand-père ait un enterrement convenable.
Vers 1965, on a expulsé la famille Zoga de Vlore et on l'a internée dans un endroit destiné aux personnes qui posaient des problèmes politiques, à Llakatund. La famille Alushi s'est emparée des propriétés même si nous possédions en fait les actes juridiques initiaux.

[6]      Par conséquent, selon la documentation dont disposait la SSR, il existait un rapport étroit entre la querelle avec la famille Alushi et l'ancien gouvernement communiste et, de l'avis du demandeur du moins, avec le gouvernement socialiste qui a remplacé l'ancien gouvernement.

[7]      Dans des motifs remarquablement brefs pour une revendication aussi complexe que celle dont elle était saisie, la SSR a conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]
Les craintes que le demandeur éprouvait à l'égard de la police ou des autorités semblent maintenant apaisées, étant donné que ces autorités ne seraient plus au pouvoir et qu'elles ne se préoccuperaient probablement pas du fait que l'on a attesté la régularité d'élections antérieures.
Nous concluons donc qu'il n'existe aucune possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté en raison de ses opinions politiques.
En ce qui concerne la crainte éprouvée à l'égard de l'" autre famille " qui revendique la propriété, cette famille est apparemment maintenant en possession de la propriété; de toute évidence, en quittant le pays, le demandeur a renoncé à son droit.
La formation ne connaît pas le fondement sur lequel repose la revendication de la propriété par l'autre famille. Même si cette famille n'a pas droit à la propriété, cela équivaudrait à un acte criminel et non à un motif prévu par la Convention. Il est malheureux qu'un litige de nature foncière mène au meurtre, mais nous ne croyons pas que cela soit lié à un motif reconnu par la Convention. Par conséquent, compte tenu de la preuve dont nous disposons, nous concluons que le demandeur Leonard Zoga n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[8]      Avec égards, je conclus que l'analyse susmentionnée est incomplète, qu'à certains égards, elle est ambiguë, que d'une façon générale elle n'est pas claire et qu'elle montre que la SSR a interprété d'une façon erronée ou exposé d'une façon inexacte une bonne partie de la preuve dont elle disposait ou qu'elle a omis d'en tenir compte.

[9]      Comme je l'ai déjà dit, le demandeur déclare être démocrate. Les éléments dont disposait la SSR démontraient que le demandeur était un partisan acharné des idées démocratiques. Je conclus que rien ne permettait à la SSR de conclure en se fondant sur la preuve dont elle disposait que, compte tenu des idées politiques bien arrêtées du demandeur, " [...] il n'existe aucune possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté en raison de ses opinions politiques ". La preuve dans son ensemble semblerait montrer que cela est erroné, et ce, quel que soit le gouvernement qui est au pouvoir en Albanie.

[10]      Il est difficile de comprendre comment la SSR conclurait que le demandeur avait " de toute évidence " renoncé au droit qu'il avait sur la propriété visée par le litige simplement parce qu'il n'était plus en Albanie.

[11]      La conclusion selon laquelle la revendication de la propriété par la famille Alushi, si elle n'est pas fondée, équivaudrait uniquement à un acte criminel et ne pourrait donc pas servir de fondement aux fins de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention paraît aller à l'encontre de la réalité, à savoir que des actes criminels peuvent être commis pour un motif reconnu par la Convention; la preuve montre sans équivoque que la famille Alushi possède, ou du moins possédait, un énorme pouvoir politique.

[12]      Dans l'arrêt Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, la Cour a dit ce qui suit :

Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration impose à la section du statut l'obligation de "motiver par écrit" toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.
     [citations omises]

Les motifs de la SSR ne sont tout simplement pas suffisamment clairs, précis et intelligibles.

[13]      Dans l'arrêt Sagharichi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration4, Monsieur le juge Marceau a fait les remarques suivantes :

Toutefois, il reste que, dans tous les cas, il incombe à la Section du statut de réfugié de tirer sa conclusion dans le contexte factuel particulier, en effectuant une analyse minutieuse de la preuve présentée et en soupesant comme il convient les divers éléments de la preuve, et que l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée à moins que la conclusion tirée ne semble arbitraire ou déraisonnable.

[14]      En l'espèce, on ne peut tout simplement pas dire que la SSR a effectué une analyse minutieuse de la preuve présentée et a soupesé comme il convient les divers éléments de preuve.

[15]      Par conséquent, si la totalité de la preuve dont disposait la SSR avait été analysée de la façon appropriée, il aurait peut-être été raisonnablement loisible à la SSR de tirer la conclusion qu'elle a tirée, mais compte tenu des motifs que cette dernière a donnés, il est impossible de déterminer que cette conclusion n'était ni arbitraire ni déraisonnable.

[16]      Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SSR est infirmée et la revendication est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour réexamen par une formation différente.

[17]      Ni l'un ni l'autre avocat n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.



     " Frederick E. Gibson "

     Juge

Ottawa (Ontario)

le 13 août 1999

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-5200-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Leonard Zoga et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto

DATE DE L'AUDIENCE :      le 6 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 13 août 1999


ONT COMPARU :

Michael Crane      POUR LE DEMANDEUR

Kevin Lunney      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

     2      Dossier du tribunal, page 238.

     3      17 juin 1992, dossier du greffe : A-717-90, (C.A.F.).

     4      (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.).

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