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Date : 20050418

Dossier : IMM-4271-04

Référence : 2005 CF 517

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

THAVENDRARAJAH KRISHNAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

APERÇU

[1]                La justice exige qu'une décision ne soit pas rendue de façon arbitraire. Les motifs qui la soutiennent doivent démontrer une logique inhérente, même si ce n'est pas celle de l'instance révisionnelle. Ces motifs doivent être chargés de signification et les actes et comportements pertinents d'un individu doivent y être appréciés à la lumière des circonstances dans une situation donnée.


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                La présente est une demande de contrôle judiciaire, en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (LIPR), d'une décision par laquelle la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section d'appel) a confirmé, le 20 avril 2004, la décision de la Section d'arbitrage de prendre une mesure d'expulsion contre le demandeur en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi sur l'immigration[2].

CONTEXTE

[3]                Le demandeur, M. Thavendrarajah Krishnan, est né au Sri Lanka en 1978. Il est venu au Canada en 1992 et y a obtenu le statut de réfugié. Il s'est vu octroyer le statut de résident permanent le 25 juillet 1995. Il n'est pas citoyen canadien.

[4]                Entre le 13 juillet 1998 et le 27 avril 2001, 15 condamnations ont été inscrites contre M. Krishnan. Il a été reconnu coupable de fraude, de falsification, de voies de fait, de

possession de biens criminellement obtenus, d'introduction par effraction dans une habitation et d'entrave à un agent de la paix.


[5]                Le 20 août 1999, M. Krishnan a été déclaré coupable de possession de biens criminellement obtenus d'une valeur dépassant cinq mille dollars, contrevenant ainsi à l'article 354 du Code criminel[3]. Même si M. Krishnan a été condamné à sept jours de prison, il était passible d'un emprisonnement maximal de dix ans.

[6]                L'alinéa 27(1) d) de la Loi traite du cas d'un résident permanent qui a été reconnu coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale pour laquelle une peine d'emprisonnement maximale égale ou supérieure à cinq ans peut être imposée. Le 17 janvier 2002, M. Krishnan a été frappé d'une mesure d'expulsion en vertu du paragraphe 32(2) de la Loi, qui prévoit :

32.          (2) S'il conclut que l'intéressé est un résident permanent se trouvant dans l'une des situations visées au paragraphe 27(1), l'arbitre, sous réserve des paragraphes (2.1) et 32.1(2), prend une mesure d'expulsion contre lui.

32.           (2) Where an adjudicator decides that a person who is the subject of an inquiry is a permanent resident described in subsection 27(1), the adjudicator shall, subject to subsections (2.1) and 32.1(2), make a deportation order against that person.

[7]                Le 22 janvier 2002, M. Krishnan a été remis en liberté sous certaines conditions.

[8]    M. Krishnan a interjeté appel de la décision de la Commission conformément au paragraphe 70(1) de la Loi. Il n'a pas contesté la légalité de la mesure d'expulsion mais a plutôt fait valoir que son renvoi devrait être suspendu, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, en vertu de l'alinéa 70(1) b) de la Loi qui dispose :


70.           (1) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), les résidents permanents et les titulaires de permis de retour en cours de validité et conformes aux règlements peuvent faire appel devant la Section d'appel d'une mesure de renvoi ou de renvoi conditionnel en invoquant les moyens suivants :

[¼]

                b) le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada.

70.           (1) Subject to subsections (4) and (5), where a removal order or conditional removal order is made against a permanent resident or against a person lawfully in possession of a valid returning resident permit issued to that person pursuant to the regulations, that person may appeal to the Appeals Division on either or both of the following grounds, namely,

¼

            (b) on the ground that, having regard to all the circumstances of the case, the person should not be removed from Canada.

[9]                La décision faisant l'objet du contrôle judiciaire est celle de la Section d'appel, rendue le 20 avril 2004.

DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[10] La Section d'appel s'est penchée sur les principes posés dans les arrêts Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4] et Ribic c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[5]. Dans Chieu, la Cour suprême du Canada a confirmé que les facteurs énoncés dans l'arrêt Ribic, sont les facteurs à considérer dans une affaire portée en appel. De plus, la Cour suprême confirme qu'il incombe à l'appelant de faire la preuve qu'il ne devrait pas être renvoyé du Canada. La Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 90 :


Les facteurs énoncés dans Ribic, précité, demeurent les facteurs à considérer par la S.A.I. dans un appel en vertu de l'al. 70(1)b). Dans le cadre d'un tel appel, il incombe à l'individu faisant face au renvoi d'établir les motifs exceptionnels pour lesquels on devrait lui permettre de demeurer au Canada.

[11]            Les facteurs énoncés dans l'affaire Ribic (dont la Section d'appel a tenu compte dans ses motifs) sont les suivants :

a)          la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de l'expulsion;

b)          la possibilité de réinsertion ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d'admissibilité qui sont à l'origine de la mesure d'expulsion;

c)          le temps passé au Canada par l'appelant et son degré d'établissement;

d)          la présence de membres de la famille au Canada et les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille;

e)          le soutien dont bénéficie l'appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l'importance des difficultés que causerait à l'appelant le retour dans le pays de sa nationalité;

f)           tout autre facteur pertinent en l'espèce.


[12]            Deux facteurs ont joué un rôle primordial dans la conclusion de l'appel, à savoir les remords exprimés par M. Krishnan et la possibilité de sa réinsertion sociale. La décision de la Section d'appel en ce qui concerne le potentiel de réinsertion de M. Krishnan est centrée sur ses liens allégués avec un gang de rue tamoul, connu sous le nom de A.K. Kannon. La Commission a jugé que M. Krishnan [traduction] « était, et demeure, un membre du gang de rue A.K. Kannon » , qu'il y a [traduction] « de fortes chances que l'appelant récidive et que la possibilité de réinsertion est faible » .

[13]            Pour rendre la décision de rejeter l'appel, la Section d'appel a pris en considération les facteurs suivants :

a)          le temps que le demandeur a passé au Canada;

b)          le fait que son établissement économique au Canada est pratiquement inexistant (il ne possède aucun bien de valeur, il a occupé par intermittence des emplois non spécialisés lorsqu'il n'était pas incarcéré, il a vécu en grande partie de l'aide sociale, de petits travaux et d'aumône);

c)          le fait que le demandeur n'a pas fait d'études au-delà de la onzième année et ne possède aucune formation spécifique à un métier ou à une profession;

d)          le fait que le demandeur a occupé un certain nombre de domiciles, mais qu'il a vécu principalement avec son frère;

e)          le fait que le demandeur a prétendu avoir une relation intime avec Elilarasy Anandarajah;

f)           le frère du demandeur s'est engagé à lui fournir un soutien financier et affectif;

g)          la mère et la soeur du demandeur, alors qu'elles étaient au Canada, ont décidé de ne pas témoigner lors de l'audience ni d'offrir leur appui;

h)          le seul enfant directement touché dans cette affaire est le neveu du demandeur et aucune preuve n'indique que l'enfant est à sa charge;

i)           la famille du demandeur ne dépend pas de lui sur le plan financier;

j)           même si la famille du demandeur va s'ennuyer de lui s'il est renvoyé du Canada, elle ne subira pas de préjudice indu;

k)          les condamnations criminelles du demandeur sont graves. Ses activités criminelles sont récurrentes, gratuites et dangereuses;

l)           le demandeur n'a pas été déclaré coupable d'une infraction au cours des deux dernières années et demie;


m)         le témoignage du demandeur était contradictoire, intéressé, peu plausible et non crédible;

n)          le demandeur n'a pas exprimé de remords pour son comportement criminel et a minimisé l'importance de son implication;

o)          le demandeur n'a pas apprécié ni reconnu l'ampleur de ses crimes;

p)          le demandeur a démontré un manque de volonté consternant au moment d'assumer la responsabilité de ses actes. Dans son témoignage concernant ses condamnations criminelles, le demandeur a fourni pratiquement la même explication - il n'avait rien fait de mal; son rôle dans les actes criminels se résumait en fait à celui d'observateur innocent; son implication était effectivement mineure et il ne se souvenait pas très bien de ce qui s'était passé;

q)          le témoignage du demandeur indique qu'il est prêt à dire ou à faire n'importe quoi afin de demeurer au Canada. Ses versions des événements ayant entraîné des condamnations criminelles n'étaient pas crédibles. La Commission préfère la version des événements exposée dans les différents rapports de police;

r)           le demandeur avait été membre du gang A.K. Kannan, et selon la preuve produite, il l'est demeuré. Il y avait une preuve irréfutable indiquant qu'il avait déjà participé à des activités de gang, qu'il avait commis des infractions criminelles avec des membres du gang et qu'il fréquentait des membres du gang.

s)          la Commission a conclu que le demandeur n'avait pas coupé les liens avec son gang. En premier lieu, la Commission a noté que le demandeur a même refusé de reconnaître la possibilité que certains de ses associés puissent être des membres du gang A.K. Kannan. Deuxièmement, le manque général de crédibilité du demandeur et sa facilité à mentir à la police et aux autorités de l'immigration n'appuyaient pas sa déclaration, à savoir qu'il ne faisait plus de gangstérisme. Par exemple, lorsqu'il ne s'est pas présenté à une entrevue d'immigration, il a dit que c'était parce qu'il avait perdu son téléphone cellulaire. Une agente d'immigration a alors composé son numéro et c'est son « frère » qui a répondu; ce dernier lui a demandé grossièrement ce qu'elle voulait et il l'a traité de [traduction] « garce » avant de raccrocher. Aucune preuve satisfaisante n'a été soumise expliquant pourquoi il ne pouvait pas trouver son téléphone alors son « frère » y aurait eu accès. De plus, le demandeur a dit aux autorités de l'immigration qu'il ne s'était pas rendu à l'entrevue parce que des personnes qu'il ne connaissait pas essayaient de le tuer. Il a ensuite avoué qu'il avait menti, qu'il avait dit que quelqu'un essayait de le tuer afin de ne pas être accusé d'infraction à la loi. La Commission a conclu que le demandeur mentirait lorsqu'il serait avantageux pour lui de le faire;


t)           la Comission a conclu, selon la prépondérance de la preuve, qu'il était probable que le demandeur commette d'autres infractions et que la possibilité de réinsertion était faible, compte tenu du fait qu'il n'avait pas commis d'infraction dans les dernières années;

u)          la Commission est d'avis que le renvoi du Canada causerait des difficultés pour le demandeur, mais pas de manière excessive;

v)          la Commission a tenu compte de la blessure à la jambe du demandeur et la preuve soumise concernant son état de santé;

w)         la Commission a pris en considération la question des conditions qui prévalent dans le pays où le demandeur serait renvoyé mais, suivant la décision de la Cour Suprême dans l'affaire Chieu, elle a noté qu'une évaluation de ces conditions n'était pas possible puisque le pays de renvoi n'était pas encore déterminé;

x)          la Commission a examiné la possibilité d'accorder au demandeur un sursis assortis de conditions, mais elle en a décidé autrement, en raison du fait qu'il a récidivé pendant sa période de probation, qu'il a été condamné pour défaut de se conformer à une ordonnance de probation et défaut de se conformer à un engagement;

y)          la Commission a examiné le témoignage du frère du demandeur, à savoir que lui et sa famille s'occuperaient du demandeur et prendraient les dispositions nécessaires à sa réinsertion. La Commission a noté que les efforts déployés par la famille afin de tenir le demandeur à l'écart du monde criminel se sont avérés vains. Le demandeur a de fait déclaré qu'il n'avait pas tenu compte des bons conseils de sa famille dans le passé, mais aucun élément de preuve satisfaisant n'a été fourni quant à la possibilité que la situation soit différente à l'avenir. Le frère du demandeur a également dit qu'il en savait très peu sur les activités criminelles du demandeur;

z)          la Commission a tenu compte de la jurisprudence qui commande à la Section d'appel d'exercer son pouvoir discrétionnaire conformément aux objectifs de Loi sur l'immigration de 1976, dont la garantie de la sécurité et de l'ordre public au Canada.

[14]       La Section d'appel a conclu que M. Krishnan n'a pas démontré, selon la prépondérance de la preuve, qu'il ne devrait pas être renvoyé du Canada, et elle a rejeté l'appel.


QUESTIONS

[15]       1. La Commission a t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait déjà été membre d'un gang ou qu'il l'est demeuré?

2. La Commission a t-elle fait abstraction de la preuve, ou a-t-elle mal énoncé la preuve lorsqu'elle a affirmé que le demandeur n'avait pas exprimé de remords?

3. La Commission a t-elle fait abstraction de la preuve en concluant que le demandeur constituait une menace pour la sécurité publique et qu'il était probable qu'il récidive?

ANALYSE

Norme de contrôle

[16]       Il est admis que si le pouvoir discrétionnaire de la Section d'appel a été exercé de bonne foi, sans l'influence d'aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n'a le droit d'intervenir, même si elle aurait pu exercer ce pouvoir discrétionnaire autrement s'il lui avait appartenu. (Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration)[6]; Jessani c. Canada[7]; Grewal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8]; Vong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9]).


[17]       De plus, les conclusions tirées par la Section d'appel sur les questions de fait et les questions touchant la prépondérance de la preuve devraient être maintenues, à moins qu'elles ne soient manifestement déraisonnables (Tse c. Canada (Secrétaire d'État)[10]).

[18]       Il incombe à M. Krishnan, déclaré interdit de territoire et passible d'une mesure d'expulsion, de démontrer qu'en égard à l'ensemble des circonstances de l'affaire, il ne devrait pas être renvoyé du Canada (Chieu[11]).

1. La Commission a t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait déjà été membre d'un gang et qu'il l'est demeuré?

[19]       La question dont a été saisie la Section d'appel ne portait pas sur la définition d'un gang criminel pour l'application de l'alinéa 19(1c.2) de la Loi (maintenant le paragraphe 37(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[12]). La question était plutôt de savoir si M. Krishnan avait démontré qu'il existait des motifs exceptionnels pour lesquels il devrait pouvoir demeurer au Canada. Par conséquent, le critère plus large énoncé dans Chieu était celui qui convenait et il a été correctement appliqué en l'espèce. La Section d'appel a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris des activités de gangstérisme, avant de conclure qu'il n'existait pas de motifs exceptionnels lui permettant de demeurer au Canada.


[20]       Il était loisible à la Section d'appel d'avoir des motifs raisonnables de croire que M. Krishnan avait été membre du gang A.K. Kannon et qu'il était impliqué dans des activités de gangstérisme. Il était également loisible à la Section d'appel de conclure qu'il n'avait pas rompu tous les liens avec son gang, compte tenu du fait qu'il a même refusé d'admettre la possibilité que certains de ses anciens associés étaient membres d'un gang et que les éléments de preuve concernant plusieurs aspects de ses activités criminelles n'étaient ni dignes de foi ni crédibles. Étant donné la preuve déposée, y compris les antécédents criminels de M. Krishnan, son refus d'assumer la responsabilité de ses actes et son empressement à mentir à son avantage, la Section d'appel n'a pas cru que ses liens avec le monde criminel étaient rompus. Il était loisible à la Section d'appel de tirer cette conclusion.


[21]       Plus précisément, bien que M. Krishnan nie que l'incident survenu le 20 août 1999, dans lequel il était impliqué, était relié à un gang, la Section d'appel a jugé son témoignage non sincère et sa version des faits suspecte. De plus, M. Krishnan a avoué avoir participé aux incidents du mois d'avril 1999 dans lesquels était impliqué Kandeepan Poopalasingham (un membre en règle du gang) [traduction] « pour être accepté comme ami et pour avoir l'air _cool_ aux yeux des spectateurs » . De plus, la raison qu'a donné M. Krishnan pour sa participation à la bagarre du mois d'avril - montrer qu'il était un leader afin d'être respecté - rejoint sa volonté de s'établir comme membre du gang en démontrant un penchant pour la violence et une volonté de participer aux actes de violence commis par le gang. L'agent Ragell a déclaré que ce penchant pour la violence aurait aidé M. Krishnan à devenir un membre principal du gang.

[22]       La Section d'appel a jugée le témoignage de l'agent Ragell crédible et digne de foi et l'a préféré à celui de M. Krishnan. Il était loisible à la Section d'appel de tirer cette conclusion en tant qu'arbitre des faits en litige (Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[13]). Il faut lire le témoignage de l'agent Ragell en entier pour l'apprécier à sa juste valeur. On comprend alors qu'il appuie la conclusion de la Section d'appel, à savoir que M. Krishnan avait été un membre essentiel et était toujours membre au moment de l'audience. Par exemple, selon M. Krishnan, l'agent Ragell a admis qu'il n'avait pas participé activement aux activités du gang depuis sa dernière condamnation en avril 2001, tout en indiquant que la participation active de plusieurs membres avait soudainement diminué vers la fin de 2001 à la suite des arrestations associées au Projet 1050. Cependant, l'agent Ragell a affirmé que M. Krishnan est demeuré dans le même secteur et a continué de fréquenter les mêmes personnes, ce qui indique un lien continu avec le gang. À la lumière du témoignage de l'agent Ragell, à savoir que l'adhésion à ce gang s'établit par association, il était loisible à la Section d'appel de conclure que M. Krishnan était demeuré membre du gang.


[23]       En réponse aux observations de M. Krishnan concernant son évasion d'une garde légale, la Cour note que l'agent Ragell a déclaré qu'il est possible que tous les renseignements n'aient pas été mis à la disposition de la poursuite avant l'enregistrement du plaidoyer; il semble plutôt que des renseignements erronés aient été délibérément soumis à la Cour. M. Krishnan ne peut se plaindre alors qu'il en a tiré des avantages; si l'information, à savoir que cet incident était relié à un gang, avait été disponible, la peine infligée aurait pu être modifiée à son détriment.

[24]       La Section d'appel a examiné la preuve documentaire qui indique que M. Krishnan était un membre du gang. Cependant elle n'a pas fondé sa conclusion, à savoir que M. Krishnan était membre d'un gang, exclusivement sur la preuve documentaire telle que « corroborée » par l'agent Ragell. La Section d'appel a plutôt considéré l'absence d'un témoignage crédible et digne de foi dans l'appréciation de son implication criminelle. Il était loisible à la Section d'appel de tenir compte du témoignage de vive voix de M. Krishnan, ainsi que de la preuve documentaire qu'elle considérait crédible et digne de foi, pour apprécier ce facteur.

2. La Commission a t-elle fait abstraction de la preuve, ou a-t-elle mal énoncé la preuve, lorsqu'elle a affirmé que le demandeur n'avait pas exprimé de remords?


[25]       M. Krishnan n'a pas démontré que la Section d'appel a commis une erreur dans son examen des remords de M. Krishnan pour les nombreux crimes qu'il a commis. La Section d'appel a fourni bon nombre d'exemples illustrant les raisons pour lesquelles elle n'a pas reconnu que M. Krishnan avait des remords, dont le fait qu'il n'a pas cessé de minimiser son implication et sa culpabilité. Il était loisible à la Section d'appel d'arriver à cette conclusion eu égard à la preuve. Les « erreurs » alléguées par M. Krishnan ne concernent pas ses remords, mais plutôt les raisons qu'il a données relativement à sa participation aux activités criminelles. Les éléments de preuve contenus dans l'affidavit de M. Krishnan concernant ses remords ont été examinés par la Section d'appel. Le fait qu'elle ait tiré sur ce point une conclusion défavorable à son endroit ne justifie pas, sans autres motifs sérieux, une demande de contrôle judiciaire.

3. La Commission a t-elle fait abstraction de la preuve en concluant que le demandeur constituait une menace pour la sécurité publique et qu'il était probable qu'il récidive?

[26]       M. Krishnan fait valoir que la Section d'appel a fait abstraction de la preuve, à savoir que, pendant plus de deux ans, il s'était conformé aux mêmes conditions strictes que la Commission d'appel avait jugé qu'il ne pourrait pas respecter. Il a de plus affirmé qu'il n'avait été reconnu coupable d'aucune infraction et qu'aucune accusation criminelle n'avait été portée contre lui au cours des deux dernières années et demie.

[27]       La Cour est d'avis qu'il était loisible à la Section d'appel de conclure que M. Krishnan constituait une menace pour la société et qu'il était probable qu'il récidive, vu la preuve indiquant qu'il ne s'était pas conformé à une ordonnance de probation et à un engagement, et qu'il était prêt à mentir pour éviter de se faire prendre en défaut, et vu le témoignage de l'agent Ragell, à savoir que M. Krishnan a continué de fréquenter des membres du gang ayant des antécédents judiciaires.


CONCLUSION

[28]       En résumé, la Section d'appel a examiné convenablement l'ensemble de la preuve dont elle a été saisie et, au moment d'apprécier et de soupeser toutes les circonstances de l'affaire, a conclu que l'appel de M. Krishnan devait être rejeté. Les motifs de l'appel attestent que tous les facteurs pertinents, favorables comme défavorables, ont été adéquatement examinés par la Section d'appel. Les arguments de M. Krishnan traduisent son désaccord quant au poids qu'a accordé la Section d'appel à la preuve, et pour ce motif, sa demande ne peut être accueillie. La question de la prépondérance de la preuve relève de la compétence de la Section d'appel, qui agit en tant que juge des faits (Suresh c. Canada[14], Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[15]).

[29]       La Section d'appel a accordé beaucoup de poids à la gravité des crimes et à l'absence de remords de Krishnan. Pour évaluer la possibilité de sa réinsertion sociale, la Section d'appel a noté son refus d'assumer la responsabilité de ses actes ainsi que les excuses qu'il a données pour expliquer ses activités criminelles. La Section d'appel a également tenu compte de la réticence de M. Krishnan à admettre son implication dans un gang criminel et de reconnaître la possibilité


que certains de ses associés soient des membres d'un gang. La Section d'appel a également accordé du poids au fait que, bien que son frère se soit déclaré prêt à aider M. Krishnan à ne pas commettre d'autres crimes, il n'a jamais réussi. En outre, la Section d'appel a pris en considération le fait que M. Krishnan n'est pas parfaitement établi au Canada (finances/emploi/logement) et que, même si certains membres de sa famille seraient déçus de le voir quitter le pays, sa famille ne dépend pas de lui. Étant donné tous ces faits, la conclusion de la Section d'appel de l'immigration, à savoir que M. Krishnan n'a pas démontré les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être renvoyé du Canada, est raisonnable. La Section d'appel n'a pas fondé sa conclusion sur un seul facteur mais sur l'appréciation adéquate de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

[30]       Pour ces motifs, la Cour répond aux trois questions par la négative. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n'est certifiée.

« Michel M. J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4271-04

INTITULÉ :                                                    THAVENDRARAJAH KRISHNAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 avril 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    Monsieur le juge Shore

EN DATE DU :                                               18 avril 2005

COMPARUTIONS :

David Orman                                                     POUR LE DEMANDEUR

Alexis Singer                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. David Orman                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

JOHN H. SIMS c.r.                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

Sous-procureur général



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] L.R. 1985, ch. I-2 (La Loi).

[3] L.R.C. 1985, ch. 46.

[4] [2002] 1 R.C.S. 84.

[5] [1985] I. A.B.D. no 4 (QL).

[6] [1974] R.C.S. 875,26 D.L.R. (3d) 216.

[7] [2001] A.C.F. no 662 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 16.

[8] [2003] CF 960, [2003] A.C.F. no 1223 (QL).

[9] 2004 CF 1317, [2003] A.C.F. no. 1616 (QL).

[10] [1993] A.C.F. no 1396 (C.F. 1ère inst.) (QL).

[11] Précité, au paragraphe 57.

[12] L.C. 2001, ch. 27.

[13] 2004 CF 1661, [2004] A.C.F. no 2114 (QL) paragraphe 18.

[14] 2002 CSC 1, [2002] A.C.S. no 3 (QL), aux paragraphes 34 à 37.

[15] 2002 CAF 125, [2002] A.C.F no 457 (QL), au paragraphe 11.

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