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Date : 20050415

Dossier : IMM-2907-04

Référence : 2005 CF 509

ENTRE :

                                                    MOHSEN ESMAEILI-TARKI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Mohsen Esmaeili-Tarki (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de la décision datée du 12 mars 2004 par laquelle le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre ou le défendeur) a refusé d'appliquer l'exception à l'interdiction de territoire prévue à l'article 34 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le ministre n'était pas convaincu que la présence du demandeur au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

[2]                Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision du ministre et lui renvoyant l'affaire pour réexamen. Il sollicite en outre une directive portant que, s'il n'y a pas de nouveaux éléments de preuve susceptibles de prouver que sa présence au Canada serait préjudiciable à l'intérêt national, une exception ministérielle et la résidence permanente devraient lui être accordées.

[3]                Le demandeur ajoute que, si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, il fera valoir qu'il existe des « raisons spéciales » justifiant une ordonnance lui adjugeant les dépens.

Contexte

[4]                Le demandeur est citoyen de l'Iran. Il a été victime de violence dans son pays en raison de sa participation aux activités du Mojahedin-E-Khalq (le MEK). La violence et les menaces permanentes dont il a fait l'objet l'ont incité à quitter l'Iran en novembre 1997. Après avoir été en transit pendant quelques mois, il est arrivé au Canada et a revendiqué le statut de réfugié le 3 mars 1998. Le 5 janvier 1999, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié lui a accordé le statut de réfugié au sens de la Convention.

[5]                Le ou vers le 28 février 1999, le demandeur a demandé le statut de résident permanent au Canada. À la suite de sa demande, il a été interrogé par un agent du SCRS au Centre d'immigration du Canada à Scarborough.


[6]                Le demandeur s'est présenté à une deuxième entrevue, celle-là avec un agent d'immigration, au Centre de Scarborough le 24 mai 2001. Lors de cette entrevue, on lui a demandé de décrire sa participation aux activités du MEK et sa situation au Canada depuis son arrivée. Le demandeur affirme que, lors de cette entrevue, l'agent lui a expliqué qu'une décision serait prise concernant la question de savoir s'il était interdit de territoire en raison de sa participation aux activités du MEK et, le cas échéant, qu'on déciderait s'il y avait lieu de demander au ministre de faire un examen favorable de son cas.

[7]                Tandis que le demandeur attendait une réponse à la question de savoir s'il pourrait faire l'objet d'un examen favorable, il s'est passé beaucoup de choses dans son dossier à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

[8]                Le 23 juillet 2001, Jessie Annand, du bureau de Scarborough, a adressé une note de service à Ian Taylor, directeur de l'Examen sécuritaire :

[Traduction] M. Esmaeili Tarki a été interrogé conformément à votre demande afin de déterminer s'il est inadmissible au Canada en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi. L'entrevue a eu lieu le 24 mai 2001; aucun interprète n'a été demandé.

M. Esmaeili Tarki déclare qu'il n'était pas membre du MEK, mais l'un de ses sympathisants. Il admet avoir distribué des tracts et participé à des activités de financement pour le MEK. Il a également accepté des appels téléphoniques pour le compte de l'organisation. Il a commencé à prendre part à ces activités en 1994 parce qu'il s'opposait au régime. Cette organisation était vaste et opposée au régime. Il avait également un ami dans l'organisation. Il a participé aux activités du MEK pendant deux ans et il a arrêté après un accident de voiture. Il admet avoir assisté à une réunion du MEK à Toronto en 1998, par curiosité. Il dit y être resté une heure et demie, après quoi il est rentré chez lui. Il ne veut plus y être mêlé et il refuserait de recueillir des fonds si on le lui demandait.


À mon avis, M. Esmaeili Tarki est visée par la définition énoncée à la division 19(1)f)(iii)(B). Il y a des motifs raisonnables de croire qu'il a été membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des actes de terrorisme, à savoir le MEK. Je suis également d'avis qu'il y a des motifs d'ordre humanitaire suffisants pour faire un examen favorable de la demande dans ce cas.

Le client est arrivé au Canada en mars 1998 et il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 5 janvier 1999. Depuis son arrivée, M. Esmaeili Tarki a suivi des cours d'anglais langue seconde à la Overlea Blvd. School et au Centennial College. Il parle désormais très bien l'anglais. Il suit actuellement des cours d'informatique au centre d'éducation des adultes de Yorkdale (les cours se sont terminés en juin 2001). Il travaille au Canada depuis 1998 et a économisé 1 000 dollars. Il déclare qu'il n'a pas de biens au Canada ou à l'étranger ni d'autres comptes bancaires. Il vit seul actuellement, mais il désire épouser sa compagne actuelle. Il a été accepté à l'université. Il a subi avec succès les examens médicaux et les vérifications de la GRC.

Compte tenu du fait que M. Esmaeili Tarki a le statut de réfugié au sens de la Convention, qu'il s'est établi au pays et qu'il ne participe pas aux activités du MEK depuis 1998, je recommande un examen favorable du cas et je sollicite votre approbation pour que le traitement de sa demande d'établissement puisse se poursuivre sans qu'il ait à quitter le Canada.

[9]                Des courriels ont été échangés entre Hélène Beauchamp, analyste à l'Examen sécuritaire des cas, et l'agent d'immigration pour informer ce dernier qu'il fallait une autre recommandation (avec motifs à l'appui) pour l'application de l'exception ministérielle. C'est ce qu'a fait Jessie Annand le 24 août 2001.

[10]            Le 3 juin 2002, CIC a remis une note de service au ministre lui recommandant d'appliquer l'exception au demandeur. L'honorable Denis Coderre, alors ministre responsable, n'a pas donné son approbation en réponse à la note de service du 19 juin 2002.

[11]            Une note manuscrite au dossier (auteur inconnu), qui porte l'en-tête de CIC et la date du 28 juin 2002, contient ce qui suit :

[Traduction] Note au dossier : Ai parlé avec Luc Fournier, du CM, ce jour.

Le refus du ministre a-t-il à voir avec l'âge du demandeur, la durée de séjour au Canada, [illisible] qu'il ne participe pas aux activités du MEK? Reverrai cette question avec le CM en août.

[12]            En février 2004 ou vers cette époque, CIC a été informé que le ministre n'appliquerait pas l'exception au demandeur. Rien dans le dossier n'indique si le ministre Coderre ou son successeur a réexaminé le cas du demandeur et, s'il n'y a eu aucun examen ultérieur, on n'explique pas pourquoi il a fallu environ un an et demi pour que le cabinet du ministre informe officiellement CIC de la décision prise en juin 2002.

[13]            CIC a été prié d'envoyer au demandeur la lettre l'informant de la décision du ministre. Les parties pertinentes de cette lettre, signée par T. Argyrides de CIC et datée du 12 mars 2004, sont les suivantes :

[Traduction] La présente concerne votre demande d'application de l'exception ministérielle prévue au paragraphe 34(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

J'ai le regret de vous informer que cette exception ne s'applique pas dans votre cas parce que vous n'avez pas convaincu le ministre que votre présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.


Il a donc été décidé que votre demande de résidence permanente doit être rejetée puisque vous êtes visé par la division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi sur l'immigration et l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il a cependant été conclu que votre vie et votre liberté seraient menacées si vous étiez renvoyé dans votre pays de résidence habituelle, et vous avez obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention. C'est pourquoi vous serez autorisé à rester au Canada et à jouir de sa protection conformément à la Convention de Genève aussi longtemps que vous y resterez et que vous ne ferez rien pour devenir par ailleurs inadmissible. Vous pouvez travailler et étudier au Canada à condition d'obtenir un permis de travail ou un permis d'études.

[14]            CIC n'a pas fourni au demandeur les motifs écrits de la décision du ministre.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]            Les questions en litige sont les suivantes :

1.          La décision du défendeur selon laquelle la présence du demandeur au Canada serait préjudiciable pour l'intérêt national est-elle étayée par des éléments de preuve?

2.          Le ministre était-il tenu de motiver sa décision?

Observations du demandeur

[16]            Le demandeur fait valoir que la décision du ministre était fondée sur « [traduction] une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait » en ce sens qu'il n'y a aucun élément de preuve pour étayer sa conclusion.


[17]            Le demandeur a invoqué les facteurs suivants : la nature de sa participation aux activités du MEK, notamment le peu de temps pendant lequel il l'a fait et son faible degré de participation, le fait qu'il n'a pas participé à des actes de terrorisme ou de violence, le fait qu'il n'a pas participé aux activités du MEK depuis qu'il a quitté l'Iran et est arrivé au Canada, ses antécédents civils, ses antécédents de travail, sa situation au Canada et le fait que rien n'indique qu'il a constitué ou qu'il puisse constituer dans l'avenir un danger pour la sécurité ou pour le public au Canada. Le demandeur a dit que ces facteurs sont conformes aux lignes directrices publiées par CIC.

[18]            Il fait valoir que toutes les considérations énoncées dans les lignes directrices de CIC ainsi que les recommandations de CIC au ministre lui étaient favorables. En conséquence, il affirme que la décision défavorable du ministre est abusive ou arbitraire parce qu'il n'a pas appliqué sa propre politique.

[19]            Le demandeur a soutenu que le ministre aurait dû motiver sa décision.

Observations du défendeur

[20]            Le défendeur a fait valoir que la nature de la participation passée du demandeur aux activités du MEK devait être prise en considération ainsi que la durée de cette participation. Le demandeur a participé à des activités de financement pour le MEK et il a assisté à une réunion du MEK au Canada.

[21]            Le défendeur a soutenu que le ministre pouvait s'appuyer sur ces éléments de preuve pour prendre sa décision.

[22]            Le défendeur a ajouté que le ministre pouvait s'appuyer sur le fait que le demandeur n'avait pas manifesté de remords d'avoir participé aux activités du MEK et qu'il ne s'est pas détourné de l'organisation.

[23]            Le défendeur a déclaré que le ministre n'avait pas à motiver sa décision.

Dispositions législatives pertinentes

[24]            L'article 34 de la LIPR prévoit ce qui suit :

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants: . . .

c) se livrer au terrorisme;

[...]

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for . . .

©) engaging in terrorism;

...

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or ©).

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.


Analyse et décision

[25]            Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la conclusion du ministre selon laquelle il n'a pas prouvé que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. Comme il s'agit d'une décision discrétionnaire du ministre, elle doit faire l'objet de la plus grande retenue. La norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[26]            Première question

La décision du défendeur selon laquelle la présence du demandeur au Canada serait préjudiciable pour l'intérêt national est-elle étayée par des éléments de preuve?

L'examen du dossier en l'espèce révèle que les fonctionnaires du Ministère ont systématiquement approuvé et recommandé l'application de l'exception ministérielle. Il ressort du dossier que, lorsqu'il n'a pas accordé son approbation, le ministre disposait des mêmes éléments d'information que ses fonctionnaires. Il n'a pas motivé sa décision et rien dans le dossier ne permet de penser qu'il disposait de nouveaux renseignements ou éléments de preuve.


[27]            Il n'y a aucun doute que l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre doit faire l'objet de la plus grande retenue, mais sa décision doit être étayée par les éléments de preuve. Le défendeur a prétendu que le fait que le demandeur avait recueilli des fonds pour l'organisation terroriste et qu'il n'avait pas dénoncé spécifiquement le groupe était suffisant pour étayer la décision du ministre. Quant au premier point, il me semble que la politique même du Ministère prévoit que, dans certaines circonstances, le ministre peut faire bénéficier d'une exception les personnes qui, comme le demandeur, ont été membres d'organisations terroristes. J'aimerais souligner que, concernant le deuxième point, le demandeur n'a pas été interrogé à cet égard. Les notes d'entrevue avec le fonctionnaire contiennent notamment ce qui suit :

[Traduction] Le client dit qu'il est loin de tout ça désormais, qu'il ne veut pas y être mêlé. Il veut reprendre une vie normale. Il n'a plus rien à voir avec tout cela.

[28]            J'ai examiné tout le dossier et je suis d'avis que la décision du ministre n'est pas étayée par la preuve et doit donc être annulée. Je ne vois pas, d'après le dossier, sur quoi il s'est appuyé pour tirer une conclusion différente de celle que lui avaient recommandée ses fonctionnaires. Il est évident que le ministre peut arriver à une conclusion différente de ses fonctionnaires, mais cette décision doit être étayée par des éléments de preuve, ce qui, selon moi, n'est pas le cas en l'espèce.

[29]            La demande de contrôle judiciaire est par conséquent accueillie et l'affaire est renvoyée au ministre pour réexamen.

[30]            Compte tenu de ma conclusion sur la première question, je n'ai pas à examiner la deuxième.

[31]            Les parties ont une semaine à partir de la date de la présente décision pour me proposer une question de portée générale en vue de sa certification et trois jours de plus pour répondre à toute question proposée.

« John A. O'Keefe »

                                                                                                     Juge                          

Toronto (Ontario)

15 avril 2005                

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-2907-04

INTITULÉ :                                                    MOHSEN ESMAEILI-TARKI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 AVRIL 2005                             

COMPARUTIONS :

Douglas Lehrer

POUR LE DEMANDEUR

Kevin Lunney

POUR LE DÉFENDEUR                   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vander Vennen Lehrer

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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