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     Date : 19991027

     Dossier : T-1215-98


Ottawa (Ontario), le 27 octobre 1999

En présence de madame le juge McGillis


ENTRE :

     JEFFREY M. WHYTE

     demandeur

         - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur


     JUGEMENT

     La demande est accueillie avec dépens. La décision du président indépendant datée du 26 mai 1998 est annulée et la Cour ordonne la tenue d"une nouvelle audience devant un nouveau président indépendant. La nouvelle audience sera tenue conformément aux motifs du jugement rendu aujourd"hui.

                             D. McGillis

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


     Date : 19991027

     Dossier : T-1215-98


ENTRE :

     JEFFREY M. WHYTE

     demandeur

         - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeur

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge McGillis

INTRODUCTION

[1]      Le demandeur est un détenu à l"établissement à sécurité maximale de Millhaven à Bath (Ontario) (ci-après " établissement "). Il possède un casier judiciaire chargé et purge présentement une peine d"emprisonnement de 17 ans pour un homicide involontaire coupable et pour possession d"une arme à autorisation restreinte non enregistrée.

[2]      Le 23 mars 1998, le demandeur était le " détenu préposé au service des repas " de sa rangée de cellules et il avait la responsabilité de vérifier la qualité et le nombre de plateaux de

nourriture livrés par les préposés du service alimentaire. Ce jour là, il y a eu une altercation pendant laquelle un ou plusieurs détenus auraient crié après les préposés du service alimentaire, entraînant une grave émeute au cours de laquelle des feux ont été allumés, des lumières ont été fracassées et des grenades lacrymogènes ont été lancées dans la rangée de cellules. À la suite de l"altercation, le demandeur a été placé en isolement pour quatre jours.

[3]      Le 24 mars 1998, le demandeur a été accusé de deux infractions disciplinaires relativement à sa présumée participation à des activités susceptibles de mettre en danger la sécurité de l"établissement : premièrement, avoir agi de manière irrespectueuse envers les préposés du service alimentaire en [TRADUCTION] " criant des critiques sur la nourriture ", un fait [TRADUCTION] " considéré comme l"élément déclencheur de l"altercation " dans la rangée de cellules; deuxièmement, [TRADUCTION] " avoir fracassé des lumières dans la rangée de cellules pendant l"altercation ". Les accusations étaient des " infractions disciplinaires graves " au sens du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , DORS/92-620.

[4]      Le 21 avril 1998, le demandeur a comparu devant le président indépendant à l"établissement Millhaven et il était représenté par une avocate qui a demandé la divulgation des rapports, si les préposés du service alimentaire en avaient déposé. Le lendemain, Paul Empey, le coordonnateur des Opérations correctionnelles de l"établissement, a laissé un message à l"avocate selon lequel [TRADUCTION] " [...] aucun préposé du service alimentaire n"avait déposé de rapport et il n"y avait aucune information sur l"identité des préposés du service alimentaire ".

[5]      Le 26 mai 1998, le demandeur a comparu devant le président indépendant avec son avocate et il a inscrit des plaidoyers de non culpabilité aux deux accusations. L"avocate du demandeur a informé le président indépendant qu"on ne lui avait pas fourni les noms des préposés du service alimentaire. Elle a demandé un ajournement au motif que le demandeur serait privé de son droit à une défense pleine et entière et de son droit à un procès équitable en ce qui a trait aux accusations à moins que les noms des préposés du service alimentaire soient fournis. Elle a également informé le président indépendant de la discussion entre le demandeur et un des préposés du service alimentaire alors qu"il était en isolation. Le président indépendant n"a pas accordé l"ajournement demandé et a tenu l"audition. Il a traité les deux accusations comme s"il s"agissait d"un seul fait et a entendu les accusations en même temps.

[6]      Le demandeur a été déclaré coupable des infractions et condamné à 12 jours d"isolement disciplinaire.

[7]      Le demandeur et Paul Empey, le coordonnateur des Opérations correctionnelles à l"établissement, ont déposé des affidavits relatifs à l"instance.

[8]      Au cours de son contre-interrogatoire portant sur son affidavit déposé à l"instance, le demandeur a témoigné qu"il y avait approximativement huit à dix préposés du service alimentaire qui travaillaient en tant qu"employés de l"établissement, et qu"il ne connaissait aucun de leurs noms. Alors qu"il était en isolement à la suite de l"altercation, le demandeur a demandé aux trois ou quatre préposés du service alimentaire qui lui ont apporté ses repas s"ils étaient présents lors de l"altercation, comme il tentait d"établir l"identité des préposés du service alimentaire mentionnés dans la première accusation. Un des préposés du service alimentaire a déclaré qu"il était présent lors de l"altercation, et que le demandeur n"avait pas crié après lui et n"avait pas été impoli envers lui. Le préposé du service alimentaire a également déclaré qu"il n"avait pas vu le demandeur se quereller avec quiconque. Le demandeur n"a pas demandé le nom du préposé du service alimentaire, comme il était [TRADUCTION] " certain " que son avocate allait obtenir les noms. En ce qui concerne l"agente de correction qui a porté les accusations pour les infractions disciplinaires, le demandeur a témoigné qu"elle [TRADUCTION] " n"était pas présente " au début de l"altercation, [TRADUCTION] " qu"elle avait été appelée après son commencement " et qu"elle était [TRADUCTION] " dans le corridor adjacent ". Le demandeur a également déclaré que bien que l"agente de correction ait d"abord témoigné à l"audition disciplinaire qu"elle l"avait vu se quereller avec les préposés du service alimentaire, elle a déclaré ultérieurement qu"en réalité elle ne l"avait pas vu se quereller avec les préposés du service alimentaire, mais que son [TRADUCTION] " [...] nom était un des noms de personnes mentionnées comme étant présentes dans la rangée de cellules à ce moment-là ", et [TRADUCTION] " [...] quelque chose au sujet d"avoir entendu [sa] voix ".

[9]      L"affidavit de Paul Empey, le coordonnateur des Opérations correctionnelles de l"établissement, contredit la version de ce qui s"est passé donnée par le demandeur lors de l"audition tenue le 26 mai 1998 devant le président indépendant. Dans son affidavit, M. Empey a déclaré que l"agente de correction avait vu le demandeur [TRADUCTION] " [...] qui criait et [...] fracassait des ampoules dans la rangée de cellules ". Quant aux préposés du service alimentaire, M. Empey a fait remarquer qu"ils portent un insigne d"identité et sont fréquemment en contact avec les détenus. Par ailleurs, aucun des préposés du service alimentaire " [...] n"avait produit de rapport d"incident et il n"y avait pas d"information sur l"identité des préposés du service alimentaire ". Finalement, le demandeur aurait dû entreprendre d"autres démarches pour déterminer l"identité des préposés du service alimentaire plutôt que de le demander à M. Empey.

[10]      La transcription de l"audience n"est pas disponible vu le défaut de fonctionnement du magnétophone.

QUESTION EN LITIGE

[11]      La question sur laquelle la Cour doit se prononcer est de savoir si le président indépendant a manqué à l"obligation d"agir équitablement en n"appelant pas les préposés du service alimentaire comme témoins à l"audition.

ANALYSE

[12]      Le cadre réglementaire régissant la tenue d"une audition relative à une infraction disciplinaire est prévu par le Règlement sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition . Les paragraphes 27(2), 30(1), 31(1) et 33(1) sont pertinents quant à la présente affaire.

[13]      En vertu du paragraphe 27(2) du Règlement sur le service correctionnel et la mise en liberté sous condition, l"audition relative à une infraction disciplinaire grave doit être tenue par un président indépendant, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas celles de l"espèce. Lorsqu"une altercation donne lieu à plus d"une infraction disciplinaire, le paragraphe 30(1) requiert par son libellé impératif que " toutes ces accusations doivent être entendues en même temps ". La procédure à suivre à l"audition d"une infraction disciplinaire est indiquée au paragraphe 31(1). La disposition prévoit, entre autres choses, que la personne qui tient l"audition doit appeler des témoins au nom du détenu et doit fournir au détenu une possibilité raisonnable de poser des questions aux témoins. Finalement, le paragraphe 33(1) prévoit qu"une audition devant un président indépendant doit être enregistrée. Par souci de commodité, je reproduis ci-après les paragraphes 27(2), 30(1), 31(1) et 33(1) :

27. (2) A hearing of a serious disciplinary offence shall be conducted by an independent chairperson, except in extraordinary circumstances where the independent chairperson or another independent chairperson is not available within a reasonable period of time, in which case the institutional head may conduct the hearing.

30. (1) Where the conduct of an inmate that involves a single action, simultaneous actions or a chain of uninterrupted actions gives rise to more than one disciplinary charge, all of the charges shall be heard together.

31. (1) The person who conducts a hearing of a disciplinary offence shall give the inmate who is charged a reasonable opportunity at the hearing to

     (a) question witnesses through the person conducting the hearing, introduce evidence, call witnesses on the inmate's behalf and examine exhibits and documents to be considered in the taking of the decision; and
     (b) make submissions during all phases of the hearing, including submissions respecting the appropriate sanction.

27. (2) L'audition relative à une infraction disciplinaire grave doit être tenue par un président indépendant sauf que, dans les cas exceptionnels où le président indépendant ne peut tenir l'audition et ne peut être remplacé par un autre président indépendant dans un délai raisonnable, le directeur du pénitencier peut la tenir à sa place.

30. (1) Lorsque la conduite du détenu, qu'elle comprenne un seul acte, des actes simultanés ou une série d'actes continus, fait l'objet de plus d'une accusation d'infraction disciplinaire, toutes ces accusations doivent être entendues en même temps.

31. (1) Au cours de l'audition disciplinaire, la personne qui tient l'audition doit, dans des limites raisonnables, donner au détenu qui est accusé la possibilité :

a) d'interroger des témoins par l'intermédiaire de la personne qui tient l'audition, de présenter des éléments de preuve, d'appeler des témoins en sa faveur et d'examiner les pièces et les documents qui vont être pris en considération pour arriver à la décision;
b) de présenter ses observations durant chaque phase de l'audition, y compris quant à la peine qui s'impose.

33. (1) The Service shall ensure that all hearings of disciplinary offences are recorded in such a manner as to make a full review of any hearing possible.

33. (1) Le Service doit veiller à ce que toutes les auditions disciplinaires soient enregistrées de manière qu'elles puissent faire l'objet d'une révision complète.

[14]      En l"espèce, l"infraction disciplinaire consistant à [TRADUCTION] " avoir agi de manière irrespectueuse envers les préposés du service alimentaire " a été entendue en même temps que l"infraction d" [TRADUCTION] " avoir fracassé des lumières dans la rangée de cellules ". L"allégation selon laquelle la conduite du demandeur lors de l"infraction relative aux préposés du service alimentaire [TRADUCTION]" [...] était considérée comme l"élément déclencheur de l"altercation " dans la rangée de cellules, fait ressortir la gravité de l"infraction qui aurait été commise relativement aux préposés du service alimentaire. Vu la position dans laquelle se trouvait le demandeur au moment de l"audition, soit qu"au moins un des préposés du service alimentaire aurait pu témoigner favorablement pour sa défense, le président indépendant aurait dû ordonner à l"établissement de révéler les noms des préposés du service alimentaire qui étaient de service au moment en question pour permettre à l"avocate du demandeur de déterminer si l"un d"eux devait être appelé à témoigner pour le compte du demandeur. Bien que M. Empey ait indiqué dans son affidavit que les préposés du service alimentaire n"avaient pas produit de rapports d"incident et qu"il n"y avait " pas d"information " sur leur l"identité, il n"a pas affirmé qu"il n"était pas possible d"établir qui était de service ce jour-là. En effet, il serait vraiment difficile à croire que les agents d"un établissement à sécurité maximale ne puissent fournir, pour toute date donnée, les noms des employés qui étaient de service.

[15]      Par ailleurs, vu la preuve contradictoire au dossier relativement à l"essence du témoignage de l"agente de correction à l"audition, il est impossible pour la Cour de déterminer, sans transcription, quelle preuve a été présentée à l"audition devant le président indépendant. Dans le cas où l"agente de correction aurait témoigné, tel que le demandeur l"a indiqué lors de son contre-interrogatoire, qu"elle n"était pas présente au moment où l"altercation a débuté et n"a pas réellement vu le demandeur crier après les préposés du service alimentaire étant donné qu"elle était " dans le corridor adjacent ", le témoignage d"un préposé du service alimentaire directement impliqué dans l"incident serait décisif pour évaluer la fiabilité et la valeur probante du témoignage de l"agente. Cependant, vu le défaut de fonctionnement de l"équipement d"enregistrement, la Cour ne peut examiner la preuve présentée à l"audition et n"a, pour se prononcer, que les versions contradictoires déposées en preuve dans le dossier de l"instance.

[16]      En de telles circonstances, je conclus que le président indépendant a manqué à l"obligation d"agir équitablement en n"exigant pas qu"un agent de l"établissement fournisse à l"avocate du demandeur les noms des préposés du service alimentaire qui étaient de service au moment en question.

DÉCISION

[17]      La demande est accueillie avec dépens. La décision du président indépendant datée du 26 mai 1998 est annulée et la Cour ordonne une nouvelle audition devant un nouveau président


indépendant. La nouvelle audience sera tenue conformément aux motifs du présent jugement.


                                 D. McGillis

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 27 octobre 1999







Traduction certifiée conforme


Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :              T-1215-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Jeffrey M. Whyte c. Le procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 21 octobre 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :      LE JUGE MCGILLIS

EN DATE DU :              27 octobre 1999

ONT COMPARU :

Jodi Whyte                          POUR LE DEMANDEUR

Bruce MacNaughton                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS AU DOSSIER :

Jodi Whyte                          POUR LE DEMANDEUR

Kingston (Ontario)

        

Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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