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Date : 19981009


Dossier : T-2746-95

Entre :

     MONSIEUR JEAN PAULIN, plaignant dans une plainte

     à la Commission canadienne des droits de la

     personne contre la Gendarmerie Royale

     du Canada, le 23 mars 1995

     Requérant

     - c. -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA pour une décision

     rendue par la Commission canadienne des droits

     de la personne

     Intimé

     - et -

     LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

     Mise en cause

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ:

[1]      Il s"agit ici d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre de la décision rendue le 24 novembre 1995 par la Commission canadienne des droits de la personne ("la Commission") rejetant la plainte de discrimination de la partie requérante ("le requérant") fondée sur l"âge en matière d"emploi à l'encontre de la Gendarmerie Royale du Canada ("la GRC") et refusant de référer au Tribunal l"examen d"une plainte fondée sur les articles de la Loi canadienne sur les droits de la personne ("la Loi").

1. Les faits

[2]      Le requérant était un employé de la GRC depuis 1986 et agissait à titre de constable spécial au quartier général de la section de protection exécutive et diplomatique. À cette époque, son travail était satisfaisant. En août 1990, il a été transféré à Liverpool en Nouvelle-Écosse pour entraînement en vue d'être promu au poste de gendarme. Le changement de situation lui a causé du stress l'obligeant à s'absenter de son travail du 22 novembre 1990 jusqu'en avril 1991. À son retour au travail à Liverpool le requérant a demandé un transfert mais la GRC n'a pu trouver un poste qui lui convenait. Il est donc retourné en congé de maladie en juillet 1991.

[3]      Au cours de cette période de maladie le requérant a atteint l'âge de 56 ans, ce qui est l'âge de retraite d'un gendarme ou d'un gendarme spécial en vertu des dispositions de l'alinéa 26(3)(c) du Règlement sur la pension de retraite de la Gendarmerie Royale du Canada, DORS/87-126, 26 février 1987 ("le Règlement").

[4]      Le paragraphe 26(5) du Règlement prévoit également que le futur retraité peut obtenir une prolongation de service jusqu'à ce qu'il atteigne l'âge de 60 ans s'il en fait la demande par écrit au Commissaire au moins un mois avant d'atteindre l'âge de retraite correspondant à son grade. Selon la procédure interne suivie par la GRC le futur retraité est avisé avant l'échéance, mais tel ne fut pas le cas ici. Attendu que le requérant était en congé de maladie, la GRC avait perdu contact avec lui.

[5]      À ce chapitre, il faut retenir que le Règlement n'exige pas que la GRC envoie un tel avis. Il faut souligner également que cette prolongation n'est pas automatique. Le paragraphe 26(6) du Règlement prévoit certaines conditions, y compris celle à l'effet que le futur retraitant soit "en bonne santé physique et mentale". La GRC a clairement indiqué que, même si le requérant en avait fait la demande, elle ne lui aurait pas accordé sa prolongation vu sa santé mentale.

[6]      Donc, le 23 mars 1995, le requérant déposait une plainte à la Commission à l"encontre de la GRC et le 25 septembre 1995 le rapport complet de l'enquête était préparé et remis aux parties. Ledit rapport recommandait à la Commission qu"aucune autre procédure n"était justifiée. Suite à la transmission à la Commission des commentaires du requérant et de la GRC, la Commission rejetait la plainte de discrimination du requérant le 24 novembre 1995.

2. Questions en litige

[7]      Il y a vraiment trois questions en litige:

1) la Commission a-t-elle respecté son obligation d'équité de procédure relativement à la plainte du requérant?

2) la conclusion de la Commission est-elle une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance?

3) le cas échéant, est-ce que cette Cour peut référer l'affaire au Tribunal ou doit-elle se limiter à renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle l'examine de nouveau?

3. Les allégations du requérant

[8]      Le requérant allègue que l"exigence en matière d'équité de procédure n'a pas été respectée puisque la Commission n'a pas tenu compte d'un fait manifestement important pour la détermination du bien-fondé de la plainte: le rapport d'enquête ne mentionne pas que des rapports médicaux du requérant font état de sa capacité à exercer un emploi au sein de la GRC.

[9]      Effectivement, deux rapports médicaux ont été déposés. Le premier en date du 31 octobre 1991, de la part du psychologue C.J.A. Hayes. Ce rapport très complet, étalé sur dix pages, traite des symptômes psychologiques du requérant. Il en vient à des conclusions précises. Le requérant ne peut prendre ses propres décisions et permet aux autres de les prendre pour lui. Il éprouve de la difficulté à initier des projets. Il se sent impuissant et inconfortable quand il est seul. Il accepte difficilement la critique. Au chapitre des recommandations, le psychologue traite de la compétence du requérant à remplir les fonctions d'un policier. Il conclut qu'il ne présente pas le profile normal d'une personne occupant ce poste. Par ailleurs, il pourrait réussir s'il était placé à l'Aéroport international de Halifax. Le dernier paragraphe du rapport résume l'évaluation médicale du psychologue Hayes:

                 4. PLACEMENT AT HALIFAX INTERNATIONAL AIRPORT: The data from the 16 PF suggested that he currently does not fit the normal pattern of a person in police work. However, the data suggested that he would do well in structured situations not demanding adaptability. In some ways airport work would be similar to his work with embassy service. He would be able to carry out the majority of the work presented him at the International Airport. My reasoning is based on the work being similar to the work he was doing in the Embassy. However, the concern about his being able to take charge quickly, to act promptly, and to act boldly if the situation called for prompt action would be one that he would likely have great difficulty in passing.                 

[10]      Le deuxième rapport médical en date du 5 mai 1993 est une lettre d'une page du psychologue R.F. Musten. Ce dernier reconnaît les problèmes émotifs du requérant mais ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas retourner au travail. Les deux derniers paragraphes de cette lettre se lisent comme suit:

                 In general, I see no reason why Mr. Paulin could not return to duty. Clearly this man's confidence has been shaken both by how he was removed from his duties and by the continuing uncertainty regarding how the RCMP intends dealing with him. Thus I would suggest that he be reintegrated into duties that first give him a chance to feel that he is providing a useful role and second give him a chance to regain his confidence.                 
                 Given the RCMP deals with this man in a reasonable and compassionate manner, I see no reason why he cannot be returned to duties.                 

4. Conclusions

[11]      Il y a une présomption bien établie que les documents déposés devant un Tribunal sont considérés par lui. De plus, le rapport d'enquête de la Commission réfère aux évaluations psychologiques aux paragraphes 17 et 26 qui se lisent comme suit:

                 17. The complainant underwent a psychological assessment one year after his posting to Liverpool, in which he was diagnosed as suffering from a dependent personality disorder and a distress syndrome characterized by depression anxiety and nervousness. The psychologist advised the respondent that these conditions were the result of the complainant's work related difficulties, and would abate once his work situation was resolved. The psychologist concluded that the complainant does not fit the normal pattern of a person in police work, and should be restricted to routine operational duties.                 
                 26. The evidence shows that the complainant reached maximum age for his rank (56) in June 1993. However, the compainant was on sick leave at the time, and his age was not discovered until October 1994. By this time, the complainant had been on sick leave due to stress for more than three years, and his service record and psychological assessments confirm that he was not capable of performing police duties. While members may continue service to age 60, in order to receive an extension, they must be capable of performing their duties. Given the complainant's extended absences due to stress and his poor service record, the decision was made that an extension of service was not justified. The complainant accepted a cash termination and he was retired effective November 23, 1994.                 
                 (mon soulignement)                 

[12]      Quant à l'équité de procédure, il appert de la preuve que la Commission a fait enquête sur le contenu de la plainte de discrimination, que le rapport d'enquête a été transmis au requérant et que la Commission lui a donné l'occasion de soumettre ses observations avant de prendre sa décision.

[13]      Rien au dossier ne démontre que la décision de la Commission rejetant la plainte du requérant est une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose. Effectivement, la preuve au dossier est à l'effet que les problèmes subis par le requérant n'étaient pas dûs à son âge mais à des facteurs psychologiques. La preuve indique également que la GRC a tenté de lui trouver des fonctions qu'il pourrait remplir. Elle lui a même offert un travail de bureau qu'il a refusé.

5. Renvoi direct au Tribunal

[14]      La requête demande à cette Cour une ordonnance référant l'affaire directement au Tribunal. Même s'il y avait lieu d'accorder ce contrôle judiciaire, ce n'est pas au Tribunal mais bien à la Commission qu'il faudrait retourner l'affaire. Le pouvoir de la Commission de rejeter une plainte est purement discrétionnaire en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. C'est donc que cette Cour ne peut lui imposer une ordonnance de la nature d'un mandamus; elle se limite à renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle l'examine de nouveau1. En l'espèce, le contrôle judiciaire n'est pas accordé.

[15]      En conséquence, la requête est rejetée.

OTTAWA, Ontario

le 9 octobre 1998

    

     Juge

__________________

     1      Voir Morisset c. C.C.D.P. , 52 F.T.R. 190, pp. 190 et 197 et Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada , [1982] 2 R.C.S. 2.

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