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Date : 20010606

         Dossier : IMM-4812-00

                                                                                                                   

                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 609

Entre :

                             DEENA ABDULLA YUSUF ALI

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -             

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon :

1. Introduction

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, visant la décision rendue le 22 août 2000 par une formation d'un seul membre de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), par laquelle celle-ci a conclu que la revendication de la demanderesse ne devrait pas être rétablie.


2. Exposé des faits

[2]    La SSR a résumé les faits de la manière suivante à la page 1 de sa décision :

La requérante, une citoyenne de Bahreïn, est entrée au Canada en novembre 1996 à titre de visiteur et a déposé une demande de statut de réfugié, laquelle a été soumise à la SSR le 27 février 1997. Les notes prises au point d'entrée indiquent que, le 31 décembre 1996, des représentants officiels du Canada à l'étranger ont transmis une mise en garde à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) concernant une lettre envoyée par l'employeur de la requérante (par l'intermédiaire de l'ambassade britannique). L'employeur y alléguait que la requérante avait été congédiée parce qu'elle avait utilisé le papier à en-tête et les sceaux officiels de son employeur dans le but de retirer, sans autorisation, des fonds provenant de différentes banques de Bahreïn. La ministre a demandé une copie du Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la requérante.

Le formulaire (FRP), daté du 25 mars 1997, a été déposé le 1er avril 1997. Au soutien de sa demande du statut de réfugié, la requérante alléguait avoir été victime de harcèlement sexuel de la part d'un fonctionnaire de police chargé d'enquêter à son sujet dans une affaire d'emprunt bancaire. La date d'audience avait été fixée au 11 septembre 1997. Le 5 septembre 1997, le conseil de la requérante a transmis une déclaration de cette dernière, signée le 12 août 1997, avisant qu'elle renonçait à sa revendication du statut de réfugié.

Le 18 mai 2000, la requérante a déposé la présente requête en rétablissement. Dans son affidavit, elle allègue qu'elle a renoncé à la revendication parce qu'elle a épousé un citoyen canadien et s'attendait à être parrainée. Or, son conjoint n'a pas déposé de demande de parrainage et, le 15 février 2000, une mesure d'expulsion conditionnelle a été prise contre elle.

[3]                 La SSR a rejeté la requête en rétablissement le 22 août 2000, jugeant que les motifs militant en faveur du rétablissement de la revendication du statut de réfugié de la demanderesse étaient insuffisants et qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice d'y faire droit.


3. Questions en litige

a. La SSR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve par affidavit de la demanderesse?

b. La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'avait pas expliqué en quoi sa situation avait changé depuis qu'elle a renoncé à sa revendication?

c. La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant à un retard injustifié dans la présentation de la requête en rétablissement?

d. La SSR a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable en concluant que les motifs pour lesquels la revendication devrait être rétablie étaient insuffisants et qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice d'accorder le rétablissement?

4. Prétentions des parties

[4]                 La SSR expose à la page 3 de sa décision :


La requérante affirme sous serment qu'elle a renoncé à la revendication parce qu'elle a épousé un citoyen canadien. Dans les documents au dossier, le conseil de la ministre souligne que la requérante n'a fourni aucun renseignement à propos de son mariage allégué, et que l'acte de mariage n'est pas déposé en preuve au soutien de son affidavit. La requérante a répliqué en affirmant qu'elle [TRADUCTION] « avait témoigné sous serment et que la preuve de son mariage avec un Canadien n'a pas été contredite » . Or, si la requérante demande à la SSR de lui accorder un redressement discrétionnaire, il lui incombe de fournir la meilleure preuve possible à l'appui de sa demande, par exemple des renseignements à l'égard de son époux, la date de son mariage, la nature du statut de son époux au Canada et la preuve du mariage. Il n'aurait pas été difficile de fournir de tels éléments au soutien de son affidavit. En l'absence d'une telle preuve, j'estime que la requérante n'a pas établi de façon suffisante son mariage avec un citoyen canadien.

[5]                 Selon la demanderesse, l'erreur de la SSR consiste à avoir jugé que la demanderesse n'avait pas établi de façon suffisante son mariage avec un citoyen canadien. La SSR disposait du témoignage sous serment de la demanderesse, témoignage qui n'a pas été contredit, selon lequel elle avait épousé un Canadien. Il y a lieu de présumer de la véracité de ce témoignage à moins qu'il n'y ait des motifs valables d'en douter. Même s'il lui était loisible de conclure à la faiblesse du témoignage de la demanderesse vu l'absence de détails, la SSR ne disposait d'aucun fondement en droit pour écarter le témoignage de façon intégrale. Les erreurs commises par la SSR dans ses conclusions subséquentes découlent de cette erreur.

[6]                 Le ministre fait valoir que, de manière raisonnable, la SSR exigeait que certains renseignements soient fournis au soutien de la déclaration vague de la demanderesse qu'elle avait épousé un citoyen canadien.   

La situation évolutive de la demanderesse

[7]                 La SSR expose à la page 5 de sa décision :

De plus, bien que la requérante n'ait pas été entendue au fond, elle a volontairement renoncé à sa revendication. À mon avis, cela signifie qu'elle ne réclamait plus de protection. Enfin, la requérante n'a pas fourni de preuve supplémentaire pour démontrer que, depuis la renonciation, sa situation n'est plus la même.


[8]                 La demanderesse affirme qu'elle n'a pas renoncé à sa revendication parce qu'elle ne craignait plus d'être persécutée à Bahreïn. Elle y a renoncé parce que son mariage avec un Canadien lui a donné la possibilité de revendiquer autrement son droit de demeurer au Canada. Il était déraisonnable pour la SSR de conclure que la demanderesse a renoncé à sa revendication au motif qu'elle ne désirait plus bénéficier de la protection du Canada. La SSR a également commis une erreur en statuant que la demanderesse n'avait pas produit d'éléments de preuve additionnels pour démontrer en quoi sa situation avait changé depuis la renonciation. Deux incidents significatifs se sont produits et ont eu pour effet de changer sa situation : son époux ne l'a pas parrainée et une mesure d'expulsion a été prise à son endroit le 15 février 2000.

[9]                 Le ministre plaide que la demanderesse avait retenu les services d'un avocat au moment de renoncer à sa revendication et qu'en l'absence de preuve à l'effet contraire, elle aurait dû connaître les conséquences découlant de cette renonciation. L'avis de renonciation de la demanderesse n'a été transmis à la SSR que six jours avant la tenue de l'audience. Ces faits, auxquels s'ajoute le retard qu'accusait la demanderesse dans sa démarche pour régulariser son statut au Canada, étaient suffisants pour étayer l'inférence de la SSR selon laquelle elle ne réclamait désormais plus de protection.

Le retard dans la présentation d'une demande de rétablissement

[10]            La SSR s'exprime en ces termes à la page 5 de sa décision :


Le requérant qui renonce à la revendication est présuméne plus craindre la persécution dans le pays de référence pour différentes raisons, notamment à cause d'un parrainage ou parce que les conditions du pays peuvent avoir changé. Si le motif de la renonciation ne tient plus, il est alors important pour le requérant de démontrer qu'il a agi rapidement pour demander le rétablissement. Autrement, dès le retrait de la revendication, la mesure de renvoi conditionnel est exécutoire, et un délai peut signifier soit que le requérant manque d'intérêt pour régulariser son statut d'immigrant, soit qu'il ne craint plus de retourner dans son pays.

En l'espèce, la requérante allègue qu'elle a renoncé à la revendication en septembre 1997 parce qu'elle a épousé un citoyen canadien et qu'elle s'attendait à ce qu'il la parraine. Toutefois, au 15 mai 2000 (date de son affidavit) son conjoint [TRADUCTION] « n'avait pas déposé de demande de parrainage » . La requérante déclare, presque trois ans après le présumé mariage, qu'une demande de parrainage n'a jamais été déposée, et il n'y a aucune indication de rupture du mariage. Cela présume résolues un certain nombre de questions, dont la moindre n'est pas de savoir pourquoi la requérante n'a pas jugé opportun de présenter plus tôt sa requête en rétablissement.

J'estime que la présente requête a été présentée tardivement. En l'absence d'une explication raisonnable justifiant pourquoi la requérante a attendu aussi longtemps pour faire sa demande de rétablissement alors qu'un parrainage n'était pas déposé, j'en viens à la conclusion qu'elle a présenté sa requête en rétablissement avec un retard injustifié.

[11]            La demanderesse prétend que la conclusion tirée par la SSR qu'il y avait un retard injustifié dans la présentation de la requête en rétablissement est déraisonnable. L'événement déclencheur pour la demanderesse a consisté en la prise d'une mesure d'expulsion à son endroit le 15 février 2000, après quoi elle a présenté, dans les trois mois qui ont suivi, une demande de rétablissement de la revendication du statut de réfugié.


[12]            Le ministre soutient qu'il était raisonnable pour la SSR de s'attendre à ce que la demanderesse régularise son statut au Canada dans les meilleurs délais si elle craignait d'être persécutée à Bahreïn. Il est peu vraisemblable qu'une personne craignant pour sa vie attende des années avant de chercher à régulariser son statut et n'agisse qu'une fois une mesure d'expulsion prise à son endroit. En outre, la demanderesse a attendu pendant une période additionnelle de trois mois à compter de la prise de la mesure d'expulsion avant d'agir. Son attitude pourrait facilement laisser croire à de l'indifférence de sa part pour sa propre revendication.    

L'intérêt de la justice

[13]            La SSR explique ce qui suit à la page 5 de sa décision :

Il n'y a pas eu d'audience au fond pour statuer sur la revendication de la requérante.

Le conseil de la ministre soutient que, puisque la Section d'arbitrage a conclu que la requérante est une personne visée par le sous-alinéa 19(1)c.1)(ii), elle sera vraisemblablement exclue de l'application de la Convention en vertu de l'article 1Fb) même si le tribunal faisait droit à sa demande de rétablissement. Je conviens cependant avec le conseil de la requérante qu'il faille répondre à différentes questions d'ordre juridique pour déterminer si l'exclusion s'applique.

Toutefois, s'agissant de l'inclusion, plusieurs questions de crédibilité se dégagent d'emblée du dossier. Par exemple, les prétentions de l'employeur, selon les notes prises au point d'entrée, sont incompatibles avec l'exposé de la requérante et commandent de vérifier si elle était effectivement impliquée dans cette affaire criminelle.

De plus, bien que la requérante n'ait pas été entendue au fond, elle a volontairement renoncé à sa revendication. À mon avis, cela signifie qu'elle ne réclamait plus de protection. Enfin, la requérante n'a pas fourni de preuve supplémentaire pour démontrer que, depuis la renonciation, sa situation n'est plus la même.

En tenant compte de ce qui précède, j'estime qu'il n'y a pas de bonnes raisons de statuer sur le bien-fondé de la revendication. Toutefois, ma position ne se veut pas déterminante quant à la revendication elle-même - mon évaluation s'attarde uniquement à découvrir si les faits mis en preuve démontrent que l'intérêt de la justice justifie le rétablissement de la revendication.


[14]            La demanderesse prétend que la SSR a commis une erreur en concluant que les motifs pour lesquels la revendication devrait être rétablie étaient insuffisants et qu'il n'était pas dans l'intérêt de la justice d'accorder le rétablissement. La demanderesse a déposé de graves allégations quant à sa sécurité à Bahreïn et pourrait s'exposer à de graves risques si elle y retournait, notamment à des menaces à sa sécurité physique et à sa liberté.

[15]            Le ministre affirme que les conclusions tirées par la SSR étaient raisonnables dans les circonstances. En l'occurrence, la demanderesse était elle-même son pire ennemi. En refusant de révéler l'identité de son époux canadien, elle s'est elle-même placée dans la position d'un témoin qui refuse de témoigner et qui, partant, n'est pas susceptible d'être valablement contre-interrogé. L'avocat de la demanderesse a plaidé hardiment que celle-ci craignait encore les conditions existantes à Bahreïn, mais ses agissements laissent croire le contraire.

L'effet cumulatif

[16]            La demanderesse soutient que l'effet cumulatif de ces conclusions équivaut à une erreur de droit. [Molina c. M.E.I. (1975), 12 N.R. 317 (C.A.F.)] Cependant, la Cour estime que la SSR a disposé correctement de la requête en rétablissement de la revendication du statut de réfugié de la demanderesse.


5. Ordonnance recherchée

[17]            Le ministre sollicite le rejet de la présente demande. La Cour est de cet avis. La demande est rejetée. Interrogés sur l'opportunité de proposer une question aux fins de la certification, les deux avocats ont répondu par la négative.                                                                      

« F.C. Muldoon »          

                                                                                                             Juge                              

Toronto (Ontario)

Le 6 juin 2001                                                                                                                     

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                  Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                                               IMM-4812-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :              DEENA ABDULLA YUSUF ALI

                                                                                              demanderesse

- et -                 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 MONSIEUR LE JUGE MULDOON

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE MARDI 5 JUIN 2001

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

EN DATE DU :                                                  MERCREDI 6 JUIN 2001

COMPARUTIONS :                         M. Richard M. Addinall

Pour la demanderesse

Mme Leena A. Jaakkimainen

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

M. Richard M. Addinall

Avocat

203 - 1407, rue Yonge

Toronto (Ontario)

M4T 1Y7

Pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Date : 20010606

                                                            Dossier : IMM-4812-00

ENTRE :

DEENA ABDULLA YUSUF ALI

                                                                                          demanderesse

- et -                 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                  défendeur

                                                   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                   


Date : 20010605

Dossier : IMM-4812-00

Toronto (Ontario), mardi le 5 juin 2001

En présence de :         Monsieur le juge Muldoon

                                                                                                                   

Entre :

DEENA ABDULLA YUSUF ALI

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                                           ORDONNANCE

VU la demande d'autorisation pour les fins du contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 août 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, par laquelle la SSR a refusé de rétablir la revendication du statut de réfugié de la demanderesse; et vu les allégations déposées par les avocats respectifs des parties en ce jour, pour les motifs rendus oralement à l'audience,


LA COUR ORDONNE que la demande présentée par la demanderesse soit rejetée; comme en ont convenu les avocats, il n'y a pas lieu de certifier de question.

     « F.C. Muldoon »

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

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