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Date: 20040525

Dossier : T-1178-02

Référence: 2004 CF 760

Ottawa, Ontario, ce 25ième jour de mai 2004

Présent:           L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                         MICHEL VILLENEUVE

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                                       CONNEXIM, SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

                                                                                                                                                           

Défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'un contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre, Me Maureen Flynn, du tribunal d'arbitrage émise le 21 juin 2002, dans laquelle elle a annulé l'ordre de paiement pour la somme de 5 730,20 $ émis par l'Inspecteur Direction Travail, Développement des ressources humaines Canada (l'inspecteur) datée le 4 octobre 2001 en faveur du demandeur.


RÉSUMÉ

[2]                Il s'agit d'un appel en matière de recouvrement de salaire déposé en vertu de la section XVI de la Partie III du Code. Par ordre de paiement émis par l'Inspecteur le 4 octobre 2001, la somme de 5 509,81 $ a été réclamée à titre de salaire auquel devait s'ajouter une indemnité de congé annuel (4%), soit 220,39 $ pour un total de 5 730,22 $. Conformément aux dispositions du Code, la défenderesse a émis un chèque certifié au montant de 5 730, 20 $ à l'ordre du Receveur général du Canada et en appela de la décision de l'inspecteur.

[3]                Par ailleurs, la demande fut amendée lors de la deuxième journée de l'audition pour réclamer la somme de 10 863, 47 $ qui se détaille de la façon suivante:

a.          salaire en temps supplémentaire qui serait dû pour toutes les heures de travail effectuées au-delà de la limite quotidienne de huit heures ou de la limite hebdomadaire de quarante heures établies à l'article 169 (1) du Code canadien du travail, L.R. 1985, ch. L-2 (ci-après « Code » ) (5 956.17 $);

b.          l'indemnité de congé annuel de 6% du salaire et des heures supplémentaires travaillées pour l'année 1999-2000 (3 631.34 $);

c.          du remboursement d'une semaine de congé annuel (959.55 $); et

d.          de l'intérêt de 2% pour la période du 18 septembre 2000 au 1er mai 2002

(316.41 $).


LA LOI

[4]                Les dispositions de la partie III du Code les plus pertinentes aux fins de la présente demande sont les suivantes:

Section I - Durée du Travail

Règle générale:

169(1) Sauf disposition contraire prévue sous le régime de la présente section:

a)         la durée normale du travail est de huit heures par jour et de quarante heures par semaine;

b)          il est interdit à l'employeur de faire ou laisser travailler un employé au-delà de cette durée;

       (2) Pour les établissements où la nature du travail nécessite une répartition irrégulière des heures de travail, les horaires journaliers et hebdomadaires sont établis, conformément aux règlements, de manière que leur moyenne sur deux semaines ou plus corresponde à la durée normale journalière ou hebdomadaire.

Durée

(2.1)                 Les horaires journaliers ou hebdomadaires calculés à titre de moyenne conformément au paragraphe (2) demeurent en vigueur :


a)          dans le cas où l'employeur et le syndicat s'entendent par écrit sur le calcul de la moyenne, jusqu'à l'expiration de l'entente ou de la période plus courte qu'ils fixent;

b)          dans le cas contraire, pendant trois ans au maximum, dans le cas contraire, pendant trois ans au maximum.

Modifications de l'horaire de travail:

170 [...]

           (2)         Sous réserve du paragraphe (3), l'employeur peut fixer, modifier ou annuler un horaire de travail qui est applicable à des employés non liés par une convention collective et dont la durée est supérieure à la durée normale du travail, si les conditions suivantes sont réunies:

a.          la moyenne hebdomadaire calculée sur deux semaines ou plus, n'excède pas quarante heures;

b.          l'horaire, sa modification ou son annulation a été approuvés par au moins soixante-dix pour cent des employés concernés.

           (3)         Dans le cas visé au paragraphe (2), l'employeur est tenu d'afficher dans des endroits facilement accessibles où les employés pourront le consulter un avis de l'adoption du nouvel horaire, de sa modification ou de son annulation pendant au moins trente jours avant leur prise d'effet.


Scrutin:

172.1(1)           Dans le cas où un horaire est fixé, modifié ou annulé en vertu du paragraphe 170(2) ou 172(2), un employé concerné peut, avant l'expiration d'un délai de quatre-vingt-dix jours suivant la prise d'effet du nouvel horaire, de sa modification ou de son annulation, demander à un inspecteur la tenue d'un scrutin pour déterminer si soixante-dix pour cent des employés concernés sont en faveur de cette mesure.

Conséquences de l'absence d'approbation:

172(6)               Si le résultat du scrutin démontre que moins de soixante-dix pour cent des employés concernés sont en faveur de l'horaire modifié, de la modification ou de l'annulation, l'employeur est tenu dans les trente jours suivant la date de l'avis que lui envoie le directeur régional de se conformer aux résultats du scrutin.

[...]


Appel:

251.11(1)          Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l'inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l'ordre ou de sa copie, ou de l'avis.

251.12(1)          Le ministre, saisi d'un appel, désigne en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'appel et lui transmet l'ordre de paiement ou l'avis de plainte non fondée ainsi que le document que l'appelant a fait parvenir au ministre en vertu du paragraphe 251.11(1).

[...]

(4)         L'arbitre peut rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en oeuvre de sa décision et peut notamment, par ordonnance:

a)          confirmer, annuler ou modifier - en totalité ou en partie - un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée; [...]

(6)         Les ordonnances de l'arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

(7)         Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre du présent article.


LES FAITS

[5]                Le 1er février 1999, l'entreprise Connexim (la défenderesse) est créée afin d'offrir des services de gestion de réseau à Bell Canada, hydro-Québec et le monde des affaires. À ce titre, Connexim effectue de la télésurveillance à distance pour gérer les pannes de réseaux pour ses divers clients. Avant la création de Connexim, l'entreprise Bell Advance offrait ces mêmes services.

[6]                Le demandeur a travaillé chez Bell Advance avant sa fermeture et fut embauché à la même fonction chez Connexim. Avant le transfert des activités de gestion du réseaux de Bell Advance à Connexim, l'équipe dont faisait partie le demandeur devait assurer un suivi 24 sur 24 heures, 7 jours par semaine. Pour ce faire, les employés se répartissaient les heures en plage horaire de 12.5 heures consécutives sur 3 jours continus par semaine pour un total en moyenne de 37.5 heures par semaine. Cependant, pour les fins du calcul de temps supplémentaire, les heures étaient réparties sur deux semaines.


[7]                Au moment de sa création, Connexim a maintenu les mêmes horaires de travail que l'équipe du demandeur avait connu chez Bell Advance.    Les employés qui étaient appelés à travailler une journée de plus que prévu à l'horaire, se voyaient rémunérer à taux et demi et à taux double pour une deuxième journée supplémentaire. De plus, les employés étaient rémunérés à taux majoré pour les heures travaillées au-delà de 75 heures de moyenne réparties sur deux semaines. L'horaire modifié ne fut pas approuvé par les employés pendant la période d'emploi du demandeur auprès de Connexim.

[8]                Le directeur de l'équipe, M. Réjean Savage, ainsi que le chef analyste responsable de la confection des horaires, M. Pierre Trudeau, affirmaient n'avoir reçu aucune plainte d'aucun employé concernant l'aménagement des horaires, ni du demandeur. Le 17 juillet 2000, le demandeur remet sa démission effective pour le 31 juillet 2000. L'arbitre fait constat de la lettre de démission dans la sentence arbitrale et reprend les propos suivants du demandeur : « Sachez que j'ai apprécié le temps passé ici, que ce soit avec mes collègues de travail qu'au niveau de mes fonctions occupées » .

[9]                Cependant, suite à son départ Connexim réclame une semaine de vacances payée en trop au demandeur. Pour sa part, le demandeur conteste cette réclamation et demande 6% de vacances après un an de service et ce, tel que prévu par son contrat d'emploi. De plus, le demandeur réclame une indemnité de départ.

[10]            Devant le refus de Connexim de lui verser une indemnité de départ et l'indemnité de vacances de 6%, le demandeur logea une plainte auprès de Développement des ressources humaines Canada. L'arbitre note que « c'est alors qu'il apprît que la légalité des horaires aménagés par la défenderesse était contestable, il décida donc de déposer une plainte à cet


effet » .

[11]            Après le départ du demandeur, soit le 1er août 2001, un avis de renouvellement de modification de l'horaire a été affiché conformément à l'article 170 du Code et à cette époque, par voie de sondage, plus de 90% des employés visés ont approuvé l'horaire. La très grande majorité des employés consultés étaient à l'emploi depuis le début des activités de Connexim.

PRÉTENTIONS DES PARTIES


[12]            Le demandeur qui se représente lui même reprend essentiellement les conclusions de l'inspecteur qui a jugé que l'absence de consultation formelle des employés conjuguée à l'absence d'un affichage formel invalidait les horaires modifiés. Le demandeur soutient également qu'aucune autre preuve d'approbation n'était en conséquence admissible, l'objectif de la loi étant de permettre aux employés de refuser l'établissement d'un horaire modifié. Le défaut d'avoir respecté ces deux obligations invaliderait donc les horaires et en conséquence la règle générale de l'article 169 du Code s'applique. De là, la réclamation pour paiement d'heures supplémentaires non payées pour toutes les heures de travail effectuées au-delà de la limite journalière de 8 heures ou la limite hebdomadaire de quarante heures contrairement à la position de l'employeur qui selon l'horaire modifié paie du temps supplémentaire sur du temps travaillé selon une moyenne de deux semaines de plus de 37.5 heures par semaine. Suite à son départ, le demandeur réclame une semaine de vacances non payée le tout conformément à un document provenant de l'employeur "rémunération globale". En dernier lieu, le demandeur plaide que l'arbitre a démontré à son égard de l'hostilité ce qui a créé chez lui une appréhension de partialité à son égard.

[13]            La défenderesse prétend essentiellement que l'affichage d'un avis en vertu du paragraphe (2) de l'article 170 du Code constitue une formalité et que le défaut d'y pourvoir n'invalide pas les horaires établis. Selon la décision arbitrale du 18 avril 2001 et en se référant à l'affaire Baxter Aviation Ltd. c. WesForth and Brian White head, l'approbation requise peut être obtenue autrement que par un vote formel.    Selon l'arbitre, l'approbation de l'horaire modifié par les employés peut être tacite. D'ailleurs, plus de 90% des employés après le départ du demandeur, ont approuvé l'horaire modifié. Concernant les vacances, l'employeur prétend que le demandeur les avait prises. En réponse au reproche de partialité concernant l'arbitre, le défendeur le réfute.

LA DÉCISION ARBITRALE

[14]            L'arbitre a identifié trois questions en litige, soit:

a.          Est-ce qu'une approbation tacite d'un horaire est suffisante au sens de l'article 170(2) (b)?

b.          Est-ce que le défaut d'afficher l'avis en vertu de l'article 170(3) invalide l'entente intervenue en vertu de l'article 170(2)(b)? et


c.          Est-ce que M. Villeneuve a droit à un préavis de deux semaines ainsi qu'à une indemnité de départ et une indemnité de vacances?

[15]            En décidant de la première question l'arbitre a conclu:

Dans la présente affaire, avant son embauche au sein de Connexim, M. Villeneuve était assujetti à un horaire modifié ainsi que tous les membres de son équipe. La preuve prépondérante démontre que plus de soixante-dix pour cent des employés embauchés en février 1999 étaient toujours en faveur d'un horaire modifié, et ce, après deux ans et demi d'application chez Connexim (août 2001).

[16]            De plus, en se référant à la décision arbitrale du 18 avril 2001 dans l'affaire Baxter Aviation Ltd. v. WesForth and Brian White head, l'arbitre a conclu que:

l'horaire modifié était, dans les faits au moment de la période d'embauche de M. Villeneuve, approuvé par au moins soixante-dix pour cent des employés concernés chez Connexim, et ce tel que requis en vertu de l'article 170 (2)(b).

[17]            En décidant de la deuxième question l'arbitre a conclu:

L'affichage de l'avis en vertu des paragraphes (2) et (3) de l'article 170 du Code constitue clairement une formalité. Dans la présente affaire, l'employeur Connexim aurait dû afficher ledit avis pour une période de trente jours avant la mise en application de l'horaire modifié. La violation de cette disposition entraîne-t-elle cependant la nullité de l'application de l'horaire modifié implanté par ailleurs dans le respect des autres conditions imposées?

[...]


L'objet de l'avis vise à permettre aux parties de se préparer à l'établissement du nouvel horaire et à assurer une période de vérification de la compréhension de la condition de travail nouvellement proposée. Prononcer la nullité de l'accord en raison du défaut de publier un avis d'un horaire que les employés appliquaient depuis plusieurs années semble compromettre l'objectif poursuivi par le législateur. Cet objectif étant de permettre un horaire modifié dans des établissements où la nature du travail le nécessite, ce qui est le cas dans le genre d'entreprise de Connexim, tout en assurant que les employés y adhèrent dans une proportion d'au moins soixante-dix pour cent.

[...]

[...] M. Villeneuve [...] n'a subi aucun préjudice. Par ailleurs, l'aménagement des horaires était conforme aux prescriptions de la Loi et même offrait des modalités supérieures au Code.

[...]

En somme, en appliquant les règles d'interprétation applicables à une formalité imposée par une loi, le tribunal conclut que, dans la présente affaire, l'omission d'avoir affiché l'avis requis en vertu des paragraphes (2) et (3) de l'article 170 n'entraîne pas la nullité de l'horaire modifié.

[18]            En décidant de la troisième question l'arbitre a conclu qu'un préavis n'est dû que dans les cas de licenciement individuel, non pas lors d'un départ volontaire du salarié et qu'il en serait de même quant à l'indemnité de départ.    L'arbitre a aussi décidé que, puisque le demandeur avait déjà pris des vacances, qu'il n'avait aucun droit à un montant additionnel à ce titre.

NORME DE CONTRÔLE


[19]            Dans la présente affaire la décision de l'arbitre repose sur une détermination des faits concernant les heures travaillées par le demandeur, les journées de vacances prises pendant son emploi auprès de la défenderesse ainsi que sur des conclusions concernant l'horaire de travail: son affichage, sa modification et l'approbation des employés (à l'horaire comme tel et aux modifications). Cette décision repose également sur une analyse de la section III du Code ainsi que l'interprétation faite par l'arbitre de l'intention du législateur notamment concernant les articles 166, 169, 170, 172.1 et 174 du Code. En l'espèce, il s'agit donc d'une question de faits et de droit.

[20]            Tel qu'énoncé par cette Cour dans les arrêts Trépanier c. Cogéco Radio-Télévision Inc. [2002] A.C.F. no 1431 et Lamontagne c. Climan Transportations Services (2747-7173 Québec Inc.) [2000] A.C.F. no 2063, il a été clairement établi qu'en ce qui a trait aux décisions rendues par un arbitre nommé en vertu du paragraphe 242(1) du Code, lorsque la question en est une de faits et de droit qui relève de la compétence du tribunal, la norme de contrôle est alors celle de la décision manifestement déraisonnable. De plus, selon l'arrêt Canadian Freightways Limited c. Canada (Procureur général) [2003] A.C.F. no 552,            il en est de même pour les décisions émanant d'un agent d'appel nommé en vertu de l'article 145.1(1) du Code. Je reprends l'explication de cette norme énoncée par La Cour suprême du Canada dans l'arrêt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, p. 1003 et 1004 à l'effet que:

[...] un tribunal administratif [...] protégé par une clause privative[...] a le droit de commettre des erreurs, même des erreurs graves, pourvu qu'il n'agisse pas de façon déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire.

[21]            Le juge Teitelbaum a repris cette explication dans l'arrêt Jabre c. Middle East Airlines (Air Liban) [1998] A.C.F. no 1227 que j'inclus ici afin de bien clarifier le rôle que doit jouer cette Cour dans le contrôle judiciaire de la présente affaire:


Qu'importe, par conséquent, que la Cour soit ou non d'accord sur la conclusion tire par le tribunal dans la cause qui lui est soumise; elle n'interviendra que si la décision est entachée d'une erreur de droit telle qu'elle constitue une interprétation fautive des dispositions législatives sur lesquelles elle s'appuie, si elle se fonde sur des conclusions de fait dénuées de preuve ou si le tribunal a outrepassé sa compétence d'une autre façon. Pour que la décision d'un arbitre soit tenue pour manifestement déraisonnable, il faut que la Cour la juge nettement irrationnelle du fait qu'aucune preuve ne l'appuie.

CRITÈRE D'IMPARTIALITÉ

[22]            Pour bien comprendre la notion de partialité ou de l'apparence de celle-ci dans le cadre d'une décision arbitrale, il est important d'identifier le critère applicable lors de l'évaluation des faits du dossier. Le critère tel qu'énoncé dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, (ci-après « R.c. S. » ), est le même pour tout tribunal et est celui de la personne raisonnable, bien informée, possédant les éléments factuels de la situation et qui a comme objectif de se demander si un juge ou en l'espèce un arbitre, dans de telles circonstances, démontre de la partialité ou une apparence de celle-ci:

Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est bien établi. Comme en fait état la juge Abella, il s'agit de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité: R.c. S. par 111 et 112 le juge Cory, Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394-395, le juge de Grandpré. Une allégation ne suffit pas pour conclure à une partialité réelle ou perçue. La personne qui allègue la partialité doit en établir l'existence (R. c. S. précité), par. 114 et Miglin c. Miglin [2003] 1 R.C.S. 303 au par. 26, page 324.

[23]            Pour réussir dans le cadre d'une telle requête, la preuve à l'appui de celle-ci doit regrouper plus que de simples allégations de partialité ou d'apparence de celle-ci. De plus, tel qu'énoncé dans R. c. S. précité aux paragraphes 113 et 114, la preuve doit être telle qu'elle établisse l'existence de partialité ou d'apparence de celle-ci et le fardeau de celle-ci repose entièrement sur les épaules de celui qui en allègue l'existence:

Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C'est une conclusion qu'il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l'intégrité judiciaire. De fait, l'allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu'existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d'agir. C'est toutefois une décision sérieuse qu'on ne doit pas prendre à la légère.

La charge d'établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l'existence: Bertram, précité, à la p. 28; Lin, précité, au par. 30. De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l'espèce.

ANALYSE

[24]            Le demandeur se représentant lui-même, soulève une multitude de doléances qui sont en grande partie pas appuyées par un affidavit. Ayant dit ceci, je me propose de commenter les arguments tenant compte des documents déposés par les parties, de la décision arbitrale, des mémoires soumis et de la plaidoirie.


[25]            Le demandeur prétend qu'il n'a pas été entendu et que l'arbitre a démontré à son égard une certaine hostilité ainsi qu'un parti pris en refusant d'émettre des subpoenas à certaines personnes pour qu'il puisse établir sa preuve. L'affidavit du demandeur mentionne qu'un subpoena fut refusé soit celui demandant à l'employeur de déposer un organigramme. La preuve documentaire démontre que l'employeur a déposé l'organigramme lors de l'audition et qu'il n'y avait pas lieu d'émettre un subpoena. En ce qui concerne les autres subpoenas mentionnés dans son mémoire, je note que l'affidavit du demandeur n'en fait pas mention. Toutefois, je suis satisfait que la présence de M. Bleau et de M. Joanisse n'était pas nécessaire car, selon la preuve présentée en salle d'audience, le dossier contient les documents que ces personnes auraient déposés. En ce qui concerne la présence de l'inspecteur, Lucette St-Jacques, un subpoena n'était pas nécessaire car son dossier a été déposé intégralement et présenté à l'arbitre. Le dossier était donc disponible au demandeur pour consultation et référence si nécessaire.

[26]            Le demandeur se plaint de la teneur d'une lettre que lui faisait parvenir l'arbitre en date du 26 avril 2002 (concernant le travail de sa conjointe à titre de sa représentante devant l'arbitre) qui se lit en partie de la façon suivante:

"De toute évidence, Mme Isabo Deschamps, vous n'êtes pas familière avec les règles fondamentales de justice naturelle et d'administration de la preuve. Je vous rappelle que, suite à votre intervention téléphonique et malgré ma décision en vous accordant l'opportunité d'ajouter à votre réclamation un pourcentage de 6% au lieu de 4% à titre d'indemnité de vacances. Cependant, afin de permettre à Connexim de se préparer en conséquence, je vous ai demandé de produire par écrit une réclamation amendée, et ce, dans le respect des règles de justice naturelle les plus élémentaires.

Quant à vos demandes de production de plaidoirie écrite et d'émission de subpoena, en tant que maître de la preuve et de la procédure, je les juge dilatoires, déraisonnables et non pertinentes. Votre conjoint peut affirmer s'il a reçu ou non 6% ou 4% à titre d'indemnité de vacance. Je vous rappelle également que le tribunal est d'office saisi du rapport de l'inspecteur.

Enfin, soyez avisés qu'à défaut de produire ladite réclamation écrite d'ici le jeudi 2 mai, le tribunal refusera de vous entendre sur l'amendement."

[27]            Il y a aucun doute que cette lettre démontre une certaine frustration de la part de l'arbitre, sans doute résultant de son interaction avec la représentante du demandeur, mais je ne suis pas convaincu qu'il s'agit d'une démonstration de partialité. Pour en arriver à cette conclusion, j'ai non seulement pris en considération la lettre comme telle, mais aussi les éléments mentionnés dans celle-ci. Notamment, le demandeur a pu modifier sa réclamation avec l'accord de l'arbitre, et le refus d'émettre les subpoenas était compréhensible étant donné les documents déposés au dossier qui en droit étaient suffisants pour établir sa preuve.    Du point de vue d'un observateur impartial, au fait des normes de procédure devant les tribunaux administratifs, il appert que le demandeur n'avait pas la pleine compréhension de la situation alors qu'il exigeait des subpoenas pour établir une preuve qui était déjà faite.

[28]            Le demandeur considère que le raisonnement juridique de l'arbitre, lorsqu'elle a conclu que l'approbation des employés a un horaire modifié peut être acquise de manière tacite (selon le paragraphe 170(2)b) du Code) et que l'affichage de la modification n'est pas une exigence (selon le paragraphe 170(3) du Code), est erroné et illégal. Pour ce faire, le demandeur énumère une liste de reproches qui démontrent selon lui la mauvaise compréhension et mauvaise interprétation qui entachent la conclusion de l'arbitre. À titre d'exemple, je reprends certains de ses reproches:

-           le défendeur avait le fardeau de la preuve en ce qui concerne l'approbation de ses employés et il ne s'est pas bien acquitté de ce fardeau étant ainsi en désaccord avec la conclusion de l'arbitre;


-           l'arbitre n'a pas bien compris l'enjeu de l'audience;

-           l'arbitre déforme mes propos;

-           l'arbitre a fait une interprétation abusive du Code parce que la sentence arbitrale dans la section "les autres réclamations" ne fait aucune référence et que l'interprétation de l'article 170 ne reflète pas le libellé du dit article;

-           les références à l'auteur Paul-André Côté ont un caractère incertain amenant ainsi une interprétation abusive des mots.

[29]            Le demandeur exprime ainsi un désaccord à l'égard de la sentence arbitrale mais les reproches démontrent essentiellement qu'il croit que l'arbitre a tout simplement fait une erreur et qu'il est d'avis que contrairement a celles de l'arbitre, sa position et son interprétation du Code devraient être retenues. Or, tel qu'énoncé dans les paragraphes précédents, une demande de contrôle judiciaire dans une affaire comme celle-ci ne constitue pas un appel d'une décision, mais est plutôt une demande de révision afin d'assurer que le tribunal administratif n'a pas excédé son pouvoir , ni commis d'erreur manifestement déraisonnable.


[30]            Toutefois, et ce dans le but de bien faire comprendre au demandeur que son point de vue a été pris en considération, j'ai étudié la décision arbitrale et, lors de la plaidoirie, j'ai soulevé certaines préoccupations que j'avais avec la décision. Basé sur les résultats de cette démarche, je suis d'avis que, quoique la décision arbitrale concernant la demande de paiement pour heures supplémentaires non payées aurait pu être écrite de façon plus explicite afin de la rendre plus facile à saisir, elle est bien fondée et je la comprends.

[31]            L'arbitre, ayant conclu que les employés pouvaient donner une approbation tacite à une modification d'horaire et à la non exigence de l'affichage, a décidé de maintenir l'horaire modifié qui prévoyait le paiement pour heures supplémentaires lorsque les heures travaillées échelonnées sur 2 semaines totalisant en moyenne plus de 37.5 heures. Tandis que le calcul de 5 956.17 $ qui a été fait par l'inspecteur était basé sur le total des heures travaillées de plus de 8 heures par jour et de plus de quarante heures par semaine. Le raisonnement juridique de l'arbitre pour conclure sur ces deux points m'apparaît adéquat et ne soulève pas à mes yeux une erreur de droit de l'ordre du « manifestement déraisonnable » qui justifierait l'intervention de la Cour. Tel que mentionné ci-haut, la décision aurait pu être rédigé de façon plus claire en y faisant les liens appropriés mais elle en demeure pas moins compréhensible pour le lecteur informé.

[32]            Est-ce que l'arbitre aurait dû se préoccuper des heures supplémentaires non rémunérées selon l'horaire modifié?    Selon le paragraphe 11 de son mémoire le demandeur prétend qu'un montant lui est dû mais son affidavit ne mentionne que: « ... la moyenne hebdomadaire travaillée (calculée sur deux semaines) excédait quelques fois quarante heures par semaine » . Par contre le défendeur prétend que les heures supplémentaires étaient rémunérées.

[33]            Tel que déjà mentionné, le demandeur prétend au paragraphe 11 de son mémoire que des heures supplémentaires ne lui ont pas été payées pour la période de travail du 10/02 au 23/02 de l'année 2000 et il invite la Cour à consulter son relevé de paiement (#00066) où aucun paiement n'apparaîtrait. Toutefois, après une révision du relevé suivant (#00064) en date du 8 mars 2000, on note qu'un paiement pour 3.5 heures supplémentaires est inclus pour cette période de travail. En plus, une révision des documents soumis par le demandeur révèle que 9 relevés de paiement démontrent que des heures supplémentaires ont été payées au demandeur sur une période d'environ 1 an. En conséquence, je constate que les documents faisaient état des paiements pour les heures supplémentaires en question et que l'arbitre n'avait donc pas besoin de se préoccuper de cet aspect du dossier.

[34]            Le demandeur n'est pas satisfait des motifs et du rejet de sa réclamation pour une semaine d'indemnité de vacances.

Quant à l'indemnité de vacances, M. Villeneuve a droit conformément à la politique de l'entreprise à l'indemnité acquise au moment de son départ, et compte tenu qu'il avait déjà pris des vacances, il n'a droit à aucun montant additionnel à ce titre.

Décision arbitrale page 9


[35]            Le demandeur aurait aimé que l'arbitre précise s'il s'agissait de 6% ou 4% et qu'une référence au document "réclamation globale" soit faite. Cependant, l'arbitre à la page 3 de la décision, note que le défendeur avait réclamé une semaine de vacances payée en trop et qu'en contrepartie, le demandeur prétend que l'indemnité de vacances est de 6%. Par ailleurs, le demandeur reconnaît avoir pris une semaine de vacances. Selon les motifs de l'arbitre, il apparaît que cette dernière se réfère à la politique de l'entreprise concernant l'indemnisation de vacances, donc au 6% tel que prévu au document "rémunération globale". À mon avis la décision aurait pu être plus précise sur ce point, mais l'imprécision ne justifie pas une conclusion à l'effet que la décision est manifestement déraisonnable.

[36]            Ayant révisé l'ensemble du dossier, les arguments des parties, la décision arbitrale et la jurisprudence pertinente, j'en conclus que la décision arbitrale n'est pas manifestement déraisonnable et que l'arbitre n'a pas exhibé à l'égard du demandeur une apparence de partialité, ni de la partialité.

[37]            En ce qui concerne la demande des dépens faite par la partie défenderesse, j'invite les parties à me soumettre leur position écrite et ce, dans les 15 jours de la réception de la présente. Je note que le demandeur n'en demandait pas dans son mémoire et j'ose croire que les parties pourront s'entendre à cet égard.

                                           JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT:

-           La demande de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre de Me Flynn du Tribunal d'arbitrage en date du 21 juin 2002 est rejetée.


-           Je réserve ma juridiction concernant les dépens.

"Simon Noël"

           

            Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-1178-02

INTITULÉ :               MICHEL VILLENEUVE c. CONNEXIM, SOCIÉTÉ

EN COMMANDITE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 21 avril 2004

MOTIFS:                  L'HONORABLE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   Le 25 mai 2004

COMPARUTIONS :

M. Michel Villeneuve        DEMANDEUR, SE REPRÉSENTANT LUI-                                                                          MÊME

Me Pascal Rochefort           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Michel Villeneuve

Montréal (Québec)             DEMANDEUR, SE REPRÉSENTANT LUI-

       MÊME                   

Me Pascal Rochefort

Montréal, Québec               POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE


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