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Date : 20060412

Dossier : IMM-421-06

Référence : 2006 CF 486

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

ENTRE :

KAILESHAN THANABALASINGHAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]                Il s'agit des motifs de ma décision refusant de surseoir à la mesure d'expulsion vers le Sri Lanka prononcée contre le demandeur. Cette ordonnance a été rendue le 24 mars 2006 et j'avais alors signalé que j'en exposerais les motifs ultérieurement.

[2]                Je suis tenu d'appliquer le critère à trois volets établi dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 587,(1988) 86 NR 302 (C.A.F.), selon lequel le demandeur doit prouver que la demande principale pose une question sérieuse, qu'un préjudice irréparable sera causé avant que ne soit tranchée sa demande principale de contrôle judiciaire et que la prépondérance des inconvénients est favorable à l'octroi du sursis.

[3]                Le demandeur possède un lourd casier judiciaire, à commencer par une série de déclarations de culpabilité au criminel pour des infractions commises avec violence ou avec des armes. Ce casier a pour sa part prolongé les litiges en matière d'immigration.

[4]                Je n'ai pas l'intention d'entrer dans les détails des faits en cause puisqu'ils sont bien établis dans les décisions antérieures de la Cour et de la Cour d'appel fédérale dans les affaires suivantes : Canada c. Thanabalasingham, [2002] A.C.F. no 1619, 2002 CFPI 1196 (où le juge John O'Keefe a suspendu une ordonnance libérant le demandeur, détenu en vertu de la législation sur l'immigration); Canada c. Thanabalasingham, [2003] 4 C.F. 491, [2003] A.C.F. no 503, 2003 CFPI 354 (où le juge James Russell a suspendu une ordonnance libérant le demandeur, détenu en vertu de la législation sur l'immigration); Canada c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 523, [2003] A.C.F. no 1548, 2003 CF 1225 (où la juge Johanne Gauthier a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par la Couronne concernant la libération du demandeur, détenu en vertu de la législation sur l'immigration); Canada c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 572, [2004] A.C.F. no 15, 2004 CAF 4 (C.A.F.) (où la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de la juge Gauthier); Thanabalasingham c. Canada, [2005] A.C.F. no 185,2005 CF 72 (où le juge J. François Lemieux a annulé l'évaluation du ministre selon laquelle le demandeur constituait un danger); et, finalement, Canada c. Thanabalasingham, [2006] A.C.F. no 20, 2006 CAF 14 (C.A.F.) (où la Cour d'appel fédérale a infirmé la décision du juge Lemieux pour le motif que le demandeur disposait d'un autre recours, soit un appel à la Section d'appel de l'immigration (SAI)).

[5]                La demande principale du demandeur vise une décision défavorable rendue par la SAI le 6 janvier 2006. Cette décision expose en détail l'implication du demandeur dans des activités criminelles et de gang, y compris dans plusieurs affaires pour lesquelles le demandeur n'a jamais été accusé. Entre autres choses, la Commission a conclu ceci :

·         Les infractions criminelles commises par le demandeur sont graves en raison de l'utilisation d'armes et de la manière dont ces armes devaient être utilisées.   

·         Le demandeur a reconnu avoir commis une attaque à la machette et il avait l'habitude de garder une machette dans sa voiture.

·         Le demandeur a tenté d'obtenir une arme de poing que d'autres individus devaient utiliser dans un affrontement avec un gang rival. Il savait qu'il pouvait en résulter un homicide, mais il était prêt à une telle conséquence parce que l'une des cibles n'était pas un ami.

·         Indépendamment du témoignage du demandeur selon lequel il a cessé de s'associer à des membres de gang en 1997, il a continué jusqu'en 2001 à visiter des chefs de gang emprisonnés (le demandeur a lui-même été incarcéré entre octobre 2001 et janvier 2004). Il a déclaré que ces visites aux chefs de gang constituaient des actes purement humanitaires.   

·         Le demandeur a reconnu s'être parjuré à de nombreuses reprises dans le but d'être libéré. Quand il a finalement réussi, il n'a rien tenté pour rétablir les faits pendant que la Cour examinait son dossier lors des différents contrôles énumérés ci-dessus.

·         Le demandeur a continué d'atténuer ses liens avec le gang dans son témoignage devant la Commission et, à cet égard, il manquait de crédibilité.

·         Le témoignage du demandeur était souvent évasif; par exemple, il a déclaré être incapable de se souvenir s'il avait jamais utilisé sa machette contre quiconque, outre l'incident où il l'avait utilisée pour commettre des voies de fait.

·         Le témoignage de l'agent de police Furlong au sujet de l'implication actuelle du demandeur dans un gang et dans des activités criminelles était crédible.

·         Le demandeur était un membre haut placé d'un gang criminel de Toronto, occupant la place laissée vacante par d'autres chefs emprisonnés.

·         Le demandeur a envoyé un membre violent du gang en rencontrer d'autres qui l'avaient incriminé, et ce, selon lui, dans le but innocent qu'ils rétractent leur « faux » témoignage.

·         Des membres de la famille du demandeur ont menti pour lui dans le cadre de procédures d'immigration antérieures.

·         À la lumière du dossier criminel du demandeur, de son parjure et du fait qu'il refuse toujours d'admettre sa responsabilité, ses chances de réinsertion sociale étaient faibles.

·         L'importance du préjudice auquel serait exposée la famille du demandeur ne compensait pas la gravité de ses infractions ni le risque qu'il continue à représenter pour la sécurité publique.

·         Le demandeur n'a pas prouvé qu'il risquerait sérieusement de subir un préjudice s'il retournait au Sri Lanka.

·         Le demandeur a passé plus de la moitié de sa vie au Sri Lanka et a vécu à Colombo. Il a également fait de bonnes études et possède les compétences pour se faire engager. Il parle le tamoul. Il pourrait facilement s'ajuster à la situation au Sri Lanka.

[6]                La Commission a résumé ses conclusions de la façon suivante :

[85]       En conclusion, l'appelant n'a pas démontré, dans les circonstances de la présente affaire, qu'il ne devrait pas être renvoyer du Canada. Le tribunal a accordé beaucoup d'importance à la gravité des infractions, au contexte dans lequel elles ont été commises, aux possibilités de récidive de l'appelant et à la nécessité de protéger la société canadienne. Bien que le tribunal ait pris en considération la durée de résidence de l'appelant et ses liens avec sa famille au Canada, ainsi que l'intérêt supérieur de son enfant, ces facteurs favorables sont nettement surpassés par les facteurs négatifs en l'espèce. À la lumière des considérations défavorables, en particulier la nécessité de protéger la société canadienne et le contournement d'une interdiction relative aux armes à feu par l'appelant dans le passé, le présent cas ne se prête pas à un sursis d'exécution de la mesure de renvoi.

[86]       Par conséquent, l'appel est rejeté en droit et eu égard aux circonstances particulières de l'espèce.

[7]                L'avocate du demandeur soutient que la demande satisfait aux exigences énoncées dans l'arrêt Toth, précité, et que le sursis devrait être accordé. Elle a avancé avec compétence un certain nombre d'arguments en vue d'établir qu'une question sérieuse avait été soulevée dans la demande principale de contrôle judiciaire. Bien que la plupart de ces arguments soient fondés sur des faits, et seraient donc difficiles à prouver, je suis convaincu que le demandeur a rempli l'exigence minimale relativement peu élevée de ce volet. Ce sont les questions de préjudice irréparable et de prépondérance des inconvénients qui m'ont amené à tirer une conclusion défavorable au demandeur.        

Préjudice irréparable

[8]                Le demandeur prétend qu'il subira un préjudice irréparable s'il est expulsé. Plus précisément, il affirme qu'il risque sérieusement d'être victime de sévices, que sa famille canadienne subira inévitablement des conséquences néfastes et que son droit au recours ultime deviendra théorique s'il est renvoyé vers le Sri Lanka.   

[9]                Le demandeur s'appuie sur des preuves documentaires et par affidavit indiquant que le conflit au Sri Lanka s'est récemment intensifié, comme le démontrent l'accroissement des actes hostiles dans le Nord et le resserrement des mesures de sécurité dans le Sud. Il prétend que ces évènements ont compromis le cessez-le-feu et que les jeunes hommes tamouls sont de nouveau la cible des TLET et des forces du gouvernement. Il affirme également être particulièrement vulnérable en raison de sa réputation de présumé membre d'un gang tamoul au Canada - bien que, selon lui, dans les faits, il ne soit pas ainsi engagé.

[10]            Le défendeur est d'avis que le demandeur n'a pas prouvé l'existence d'un risque sérieux de préjudice s'il retournait au Sri Lanka et que les facteurs de risque le concernant n'étaient pas différents quant au fond de ceux examinés par la SAI plus tôt cette année. Le défendeur s'appuie sur un ensemble considérable de preuves par affidavit provenant de témoins bien informés se trouvant au Sri Lanka pour établir que plusieurs jeunes Tamouls dans une situation semblable à celle du demandeur n'ont pas été persécutés au Sri Lanka après y avoir été expulsés.

[11]            En l'espèce, j'accepte sans réserve la preuve par affidavit soumise par le défendeur indiquant que ce qu'ont vécu à ce jour les jeunes hommes tamouls expulsés du Canada vers le Sri Lanka n'était pas indûment préjudiciable. Bien que ces personnes aient parfois été brièvement détenues et interrogées, elles n'ont pas été maltraitées. En outre, le cessez-le-feu au Sri Lanka tient toujours et les négociations de paix prévues prouvent qu'il existe encore une volonté politique de trouver une solution au conflit.

[12]            À l'opposé, les affidavits sur lesquels s'appuie le demandeur sont peu fiables, conjecturaux et fondés en grande partie sur des sources anonymes et des rumeurs. Deux affidavits soumis par le demandeur le jour de l'audience sont particulièrement suspects. Tous deux provenaient d'amis du demandeur et le moment de leur production n'a pas laissé suffisamment de temps au défendeur pour en vérifier l'information. Je n'accorde aucune valeur à ces affidavits étant donné la tendance passée du demandeur et de certains de ses alliés à faire de fausses déclarations.

[13]            La prétention du demandeur selon laquelle il risque d'être persécuté dans le Nord du pays par les TLET pour la simple raison qu'il ne possède pas de famille ni de réseau de contacts à Colombo n'est pas de bonne foi. Le demandeur a fait de bonnes études et possède les compétences pour se faire engager. Il a déjà habité à Colombo et il pourrait facilement s'ajuster à la situation là-bas. S'il craint autant qu'il le laisse croire d'aller dans le Nord, le motif prétendu de cette crainte n'est aucunement plausible.   

[14]            En ce qui concerne le préjudice causé à sa famille, je conviens que la séparation causera des difficultés considérables à la famille du demandeur. Dans une certaine mesure, le comportement criminel du demandeur et, en particulier, ses longues périodes de détention et d'incarcération passées ont presque certainement causé des épreuves à son épouse et à sa famille. En fait, il est difficile de comprendre comment une personne pourvue d'autant d'intelligence et de potentiel que le demandeur a pu choisir d'imposer de telles épreuves à ses proches. Le demandeur a pris de nombreuses mauvaises décisions dans sa vie et, en ce qui le concerne, il ne doit les conséquences de la séparation qu'à lui-même. Bien que les difficultés émotives et financières auxquelles devront faire face les membres innocents de sa famille sont véritables et profondes, elles ne se distinguent pas des effets négatifs inhérents à toute situation où un membre de la famille est expulsé. Je ne peux exprimer ce point de vue de manière plus claire qu'en m'appuyant sur la décision du juge Denis Pelletier dans Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403, où il affirme au paragraphe 21 :

21         Ce sont là les conséquences déplaisantes et désagréables d'une expulsion. Mais pour que l'expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d'expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L'expulsion s'accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés. Il n'y a rien de plus dans la situation de M. Melo que les conséquences normales d'une expulsion. Il ne s'agit pas de l'expulsion d'une femme de 73 ans qui s'est occupée de son mari âgé, qui à son tour s'est occupé d'elle, comme c'était le cas dans Belkin, précitée. Il ne s'agit pas non plus de l'expulsion d'une personne qui est le seul soutien d'un grand-parent aveugle et malade, comme c'était le cas dans Richards c. Canada [Voir Note 2 ci-dessous]. Monsieur Melo n'est pas renvoyé dans un endroit aussi inhospitalier que l'Albanie avec son jeune enfant, comme c'était le cas pour M. Abazi [Voir Note 3 ci-dessous]. Aussi triste que soit la situation, elle n'entraîne pas de conséquences autres que les conséquences inhérentes à l'expulsion.

Note 2 : [1999] A.C.F. no 890

Note 3 : Abazi c. Canada, non publiée, IMM-6259-99

[15]            En ce qui a trait à la question de savoir si l'expulsion rendra théorique la demande de contrôle judiciaire du demandeur, j'adopte le point de vue de la juge Eleanor Dawson dans une affaire semblable, Ariyarathnam c. Canada (IMM-8121-04), où elle a conclu :

[traduction] Après avoir examiné un à un chacun des motifs avancés, je suis convaincue que, dans le contexte d'une mesure d'expulsion, la simple absence du pays pendant le traitement de la demande de contrôle judiciaire ne constitue pas un préjudice irréparable. Voir : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 206 (C.A.F.), au paragraphe 14, pour un exposé de ce qui constituerait une fausse « victoire » ; et Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1200, au paragraphe 20.

[16]            En définitive, je conclus que le demandeur n'a pas prouvé l'existence d'un préjudice irréparable selon la prépondérance des probabilités.

Prépondérance des inconvénients

[17]            Je suis également convaincu que la prépondérance des inconvénients en l'espèce favorise clairement le défendeur. Comme la SAI, je suis d'avis que le demandeur continue à représenter un risque pour le public canadien et qu'on ne doit donc pas lui permettre de demeurer ici.

[18]            Aussi, les antécédents criminels du demandeur constituent un facteur favorisant fortement le défendeur dans la présente affaire. Les observations du juge John Evans dans Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[2005] A.C.F. no 698, 2005 CAF 148 (C.A.F.), au paragraphe 47, s'appliquent de la même manière en l'espèce :

47         Cependant, si j'avais décidé que le renvoi de M. Tesoro causerait un préjudice irréparable, parce que les effets de la séparation familiale étaient plus que de simples inconvénients, j'aurais situé ce préjudice au bas de l'échelle de gravité et j'aurais conclu que, selon la prépondérance des inconvénients, il devait céder le pas devant l'intérêt du public dans le renvoi rapide du Canada de ceux jugés interdits de territoire pour cause de grande criminalité. Si l'on veut que l'administration du droit de l'immigration soit crédible, il faut que le renvoi des personnes visées par une mesure d'expulsion soit la règle, et que l'octroi d'un sursis en attendant l'issue d'une instance judiciaire, l'exception.

[19]            En conclusion, j'adopte la position proposée par l'avocat du défendeur dans la présente requête quand il déclare :

[traduction]

101       Chaque année, la Cour entend des centaines de demandes de sursis. Bien qu'ils soient entrés illégalement, de nombreux demandeurs travaillent dur et observent la loi; ils ne sont ici que pour améliorer leur vie et celle de leur famille. Néanmoins, afin de respecter le système d'immigration et la loi, la Cour est tenue de rejeter la plupart des requêtes présentées par ces candidats immigrants. En l'espèce, nous avons affaire à un immigrant qui a eu la chance de se construire une vie meilleure au Canada et de contribuer à la société canadienne. Il a choisi de ne pas le faire et s'est plutôt engagé dans des activités criminelles graves et violentes, violant et mettant en danger la paix et la sécurité du public canadien. Dans les circonstances, octroyer un sursis, à l'humble avis du défendeur, serait contraire à l'esprit, aux principes et aux objectifs de la LIPR, sans parler des principes sous-tendant le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'octroyer la réparation demandée.     

[20]            C'est pour ces motifs que j'ai précédemment rejeté la requête du demandeur visant à faire surseoir à la mesure d'expulsion.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-421-06

INTITULÉ :                                                    KAILESHAN THANABALASINGHAM

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                                        ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LES 21 ET 22 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :                                   LE 12 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

Gregory George

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

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