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Date : 20051117

Dossier : IMM-6133-05

Référence : 2005 FC 1546

ENTRE :

XINZHI DENG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Au moyen de la requête déposée le 21 octobre 2005 et entendue le 14 novembre 2005, le demandeur réclame une ordonnance de sursis d'exécution des procédures dont est saisi Puttaveeraiah Prabhakara, membre de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, concernant la demande de statut de réfugié du demandeur, jusqu'à ce qu'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, à laquelle se greffe la présente requête, soit pleinement examinée et fasse l'objet d'une décision.

[2]                La requête en autorisation et le contrôle judiciaire dont il est question portent sur une décision de la SPR datée du 5 octobre 2005 donnant pour instruction à l'avocat du demandeur de formuler des demandes fondées uniquement sur les mérites de la demande de statut de réfugié du demandeur au plus tard le 21 octobre 2005 et refusant de rendre une décision sur toute autre question soulevée par l'avocat du demandeur dans une demande présentée en vertu de la règle 44 des Règles de la section du statut de réfugié[1].

[3]                Le contexte dans lequel s'inscrit la requête dont la Cour est saisie est décrit ci-après.

[4]                Le demandeur a été admis au Canada le 24 janvier 2003, avec un visa de visiteur de six mois.

[5]                Le 26 janvier 2004, la Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada effectuait une enquête sur l'admissibilité du demandeur. Le demandeur était représenté par un avocat lors de l'audience.

[6]                Le 25 avril 2004, avec l'aide de l'avocat, le demandeur a présenté son formulaire de renseignements personnels relativement à une demande d'asile de sa part.

[7]                Le 13 mai 2004, le demandeur a été frappé d'une interdiction de territoire au Canada parce que l'on croyait qu'il avait été reconnu coupable de crimes graves dans son pays d'origine. Le 31 mai 2004, le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle de cette décision. Le 26 juillet 2004, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée parce que le demandeur n'avait pas présenté sa demande dans le délai alloué.

[8]                La revendication du statut de réfugié au sens de la convention présentée par le demandeur devait être entendue le 26 juillet 2004. À sa demande, cette audience a été ajournée. La première journée de l'audience sur sa revendication a eu lieu le 16 mars 2005, en même temps que l'audition d'une autre personne. Après une deuxième journée d'audience, l'audience s'est conclue avec une entente selon laquelle l'avocat qui représentait alors le demandeur, et qui l'avait représenté durant les deux journées d'audience, produirait des observations écrites sur cette demande au plus tard le 12 août 2005. L'agent de protection des réfugiés qui a pris part à l'audience a déposé et signifié ses observations écrites le 24 juin 2005.

[9]                À un certain moment, en juillet 2005, le demandeur a retenu les services d'un nouvel avocat. Le 28 juillet 2005, le demandeur a, par l'intermédiaire de son nouvel avocat, présenté une demande écrite, conformément aux règles 43 et 44 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, en vue d'obtenir les ordonnances suivantes :

                        [TRADUCTION]

1.         Qu'une date soit fixée pour la détermination, par la Section, de la validité constitutionnelle de l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés...;

2.         Que des copies des enregistrements des délibérations antérieures ainsi que de leurs transcriptions soient remises à l'avocat du demandeur;

3.         Que, après réception par l'avocat du demandeur des enregistrements et des transcriptions, une date soit fixée, au besoin, pour déterminer si des preuves orales ou documentaires doivent être rayées, en tout ou en partie, des délibérations;

4.         Que, après réception par l'avocat du demandeur des enregistrements et des transcriptions, une date soit fixée pour la reprise ou la poursuite des délibérations, selon le cas, où le demandeur pourra présenter des preuves orales ou documentaires complètes à l'appui de sa requête;

5.         Que, une fois déterminée la manière de poursuivre ou reprendre les délibérations, on détermine si, dans l'intérêt de la justice, les deux requêtes du demandeur devraient être traitées séparément;

6.         Que le demandeur soit autorisé à présenter, par l'intermédiaire de son avocat, des observations orales à l'appui de sa requête, conformément à l'article 60 des [Règles de la Section de la protection des réfugiés];

7.         Que l'avocat du demandeur soit autorisé à formuler des observations orales devant la Section concernant la requête en cause, et qu'une date soit fixée à cet fin;

8.       Que la date limite de présentation des observations écrites à la Section par l'avocat du demandeur soit reportée ou annulée, en attendant la détermination de tous les éléments susmentionnés;

[10]            En fait, le nouvel avocat du demandeur cherchait à obtenir que la demande de statut de réfugié au sens de la Convention dont la SPR était saisie soit reprise au début, malgré le fait que l'audience devant la SPR était close. La demande était fondée essentiellement sur de prétendus manquements à l'équité et à la justice naturelle ainsi que sur une nouvelle requête selon laquelle l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[2] était inconstitutionnel « [TRADUCTION] ... parce qu'il demeure vague dans sa définition du critère (par l'adoption du paragraphe F de l'article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés) d'admissibilité au statut de réfugié au sens de la Convention » . En outre, l'avocat affirmait que cet article « violait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne du demandeur et portait atteinte à ce droit en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[3] » .

[11]            Dans une lettre datée du 5 octobre 2005, le nouvel avocat du demandeur est avisé par un agent de gestion des cas de la SPR que le président de l'audience du demandeur concernant son statut de réfugié avait précisé :

Votre demande d'audience orale a été rejetée. Vous êtes prié de présenter des observations écrites uniquement sur les mérites de la requête en cause au plus tard le 21 octobre 2005.

[12]            Le 11 octobre 2005, le nouvel avocat du demandeur a donc déposé la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire rattachée à la requête dont la Cour est saisie. Par cette demande, le demandeur vise à obtenir un contrôle de la décision du membre de la SPR agissant à titre de président au sujet de sa demande de statut de réfugié au sens de la convention. Dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, le demandeur réclame le redressement suivant :

1.        Que le membre [agissant à titre de président] se fasse retirer le droit de poursuivre l'audience et de rendre une décision sur la demande d'asile du demandeur;

2.        Que la question d'ordre constitutionnel concernant l'article 98 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés soit tranchée par la Cour fédérale;

3.        Que la demande d'asile du demandeur soit étudiée dans le cadre d'une nouvelle audience devant un autre membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié;

4.        Tout autre redressement que l'honorable Cour considérera juste.

[13]            Devant la Cour, les avocats étaient d'accord pour dire que la requête dont la Cour était saisie correspondait à une suspension des procédures et que le critère à trois volets bien connu, utilisé dans l'affaire R.J.R.-MacDonald Inc. c. Canada (vérificateur général)[4] devrait s'appliquer. Toutefois, cela étant dit, l'avocat du demandeur a insisté sur le fait que je ne devrais pas entendre la requête. À l'appui de cette affirmation, il a cité Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne)[5], dans laquelle le juge Sexton avait écrit, au nom de la Cour, au paragraphe 16 de ses motifs :

Dans sa plaidoirie, l'avocat de M. Zündel a soutenu que, s'il avait attendu que le Tribunal statue sur le bien-fondé de la plainte, le paragraphe 18.1(2) [...] de la Loi sur la Cour fédérale [...] l'aurait privé de la possibilité de solliciter le contrôle judiciaire des deux décisions en cause dans le présent appel.

[références omises]

[14]            Après avoir cité le paragraphe 18.1(2), le juge Sexton poursuit au paragraphe 17 de ses motifs :

Étant donné que j'ai conclu que les décisions rendues par un tribunal dans le cours d'une instance dont il est saisi ne peuvent toutes et chacune faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire, il s'ensuit que le mot « décision » figurant au paragraphe 18.1(2) ne peut pas se rapporter à toutes les décisions interlocutoires qu'un tribunal rend. Une partie contre laquelle une ordonnance interlocutoire a été rendue n'est donc pas tenue d'interjeter immédiatement appel afin de préserver ses droits. À mon avis, le délai prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale ne commence à courir que lorsque la décision finale a été rendue dans l'instance. Si la décision finale du Tribunal est portée en appel, toute objection aux procédures engagées au cours de l'audition de l'appel peut être soulevée à ce moment-là.

[15]            L'avocat du demandeur a aussi cité Szczecka c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[6], où le juge Letourneau a écrit au nom de la Cour, à la page 335, concernant une demande contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire rendue par le prédécesseur de la SPR :

Voilà pourquoi il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié.

[Non souligné dans l'original.]

[16]            L'avocat du demandeur insistait sur le fait qu'on était en présence de « circonstances spéciales » . À l'appui de cette affirmation, il cite l'affaire Howe c. Institut des comptables agréés de l'Ontario[7], où le juge Laskin, dans un jugement dissident, écrivait à la page 503 :

[TRADUCTION] Dans l'affaire Prousky c. Law Society of Upper Canada [...], la Cour divisionnaire a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire du comité de discipline du barreau, et la présente Cour a refusé l'autorisation pour la seule raison que la demande était prématurée...

[références et une partie du texte omis]

[17]            Le juge Laskin poursuit :

[TRADUCTION] Cependant, quand une décision équivaut à un manquement du tribunal à son devoir d'agir équitablement, ou à une entorse à la justice naturelle, d'autres considérations entrent en ligne de compte. Une entorse à la justice naturelle est l'équivalent d'une erreur juridique. Dans la langue du droit administratif, un tribunal qui a le pouvoir de rendre une décision perd ce pouvoir ou dépasse la limite de ses pouvoirs si, en rendant cette décision, il fait une entorse à la justice naturelle...

En cas d'erreur juridictionnelle découlant d'une entorse à la justice naturelle survenue au cours des délibérations, une cour a le droit d'intervenir pour corriger l'erreur, mais la partie touchée a un droit d'appel. C'était là la principale raison de la forte dissidence du juge Dickson dans l'affaire Harelkin c. Université de Regina...

[références omises]

[18]            L'avocat du demandeur insiste sur le fait que la décision interlocutoire de la SPR pour laquelle il demande un contrôle recèle une erreur juridictionnelle causée par une entorse à la justice naturelle survenue pendant les délibérations et que la présente Cour devrait donc intervenir et, pour préserver le statu quo, devrait accorder la suspension des procédures devant la SPR qui est maintenant demandée à la Cour. L'avocat fait valoir que les faits soumis à la Cour constituent précisément le genre de « circonstances spéciales » dont parlait le juge Letourneau dans la décision Szczecka, précitée.

[19]            En outre, l'avocat du demandeur reconnaît que le paragraphe 162(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés exige que la SPR et les autres sections de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié traitent les affaires dont elles sont saisies « dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et avec célérité » , mais que, dans le cas qui nous occupe, les considérations d'équité et de justice naturelle ne permettent tout simplement pas à la SPR de disposer comme elle l'a fait, sommairement et sans raison, de la demande présentée à la SPR par le demandeur en vertu de la règle 44.

[20]            Considérant ce qui précède, je conclus que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire à laquelle se greffe la requête de sursis d'exécution dont la Cour est maintenant saisie n'est pas fondée. Les procédures en sont aux dernières étapes, à la SPR. Il y a eu deux jours d'audience. L'agent de protection des réfugiés a déposé et signifié ses observations écrites avant la fin de juin 2005. Les observations écrites présentées au nom du demandeur étaient attendues à la mi-août 2005. Aucune observation n'a été déposée au nom du demandeur dans le délai alloué. Aucune observation n'a été déposée non plus par le nouvel avocat du demandeur durant la période de prolongation du délai accordée par la SPR. Tout ce qu'il reste à faire, pour la SPR, c'est de rendre sa décision. Une fois que ce sera fait, on peut demander un contrôle judiciaire, et je ne vois aucune question soulevée au nom du demandeur dans sa requête présentée en vertu de la Règle 44, ni dans la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui sous-tend cette requête, qui ne puisse être soulevée dans une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision finale de la SPR. Je suis convaincu qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice de reporter encore cette décision.

[21]            Le demandeur a exercé son droit de changer d'avocat à une étape très avancée de la procédure devant la SPR. Bien sûr, il en avait le droit, mais je conclus qu'il n'a pas le droit, parce qu'il a exercé ce droit, de réclamer que la procédure soit reprise au début devant la SPR. Néanmoins, le résultat sera le même si, une fois la décision finale de la SPR rendue, une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire est présentée et qu'on accède à cette requête du demandeur.

[22]            En conséquence, cette requête pour une suspension de la procédure devant la SPR sera rejetée sans considération du critère à trois volets pour une telle suspension. Cela étant dit, si je devais m'en remettre au critère à trois volets, je conclurais que le demandeur n'a tout simplement pas réussi à démontrer qu'il subirait un préjudice irréparable s'il n'obtenait pas la suspension voulue.

[23]            La possibilité de certification d'une question qui autoriserait un appel de ma décision n'a pas été soulevée. Je suis sûr que cette possibilité ne s'applique tout simplement pas à cette requête pour une injonction dans le contexte d'une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire de la SPR.

[24]            L'avocat du défendeur insiste sur le fait que, si le défendeur a gain de cause à l'égard de la requête, comme ce sera effectivement le cas, on est en présence de circonstances spéciales qui justifient l'adjudication des dépens en faveur du défendeur. L'avocat du demandeur insiste sur le fait que les circonstances assez particulières concernant cette requête et la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sur laquelle elle se fonde justifieraient l'application de la règle générale voulant qu'aucuns dépens ne soient adjugés. À cet égard, je privilégie la thèse de l'avocat du demandeur. Aucuns dépens ne seront adjugés.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 17 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Isabelle Rochon, trad. a.


LA COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6133-05

INTITULÉ :                                        XINZHI DENG

demandeur

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                14 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE :                                                LE 17 NOVEMBRE 2005   

COMPARUTIONS :

Edward F. Hung                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Gordon Lee                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Edward F. Hung

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                      POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

                                                                              John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR



[1]               DORS/93-45.

[2]               L.C. 2001, ch. 27

[3]               Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. 1985, Appendice II, no 44), annexe B de la Loi de 1982

                sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)

[4]               [1994] 1 R.C.S. 311

[5]               [2000] 4 C.F. 255 (C.A.F.)

[6]               (1993), D.L.R. (4th) 333 (C.A.F.)

[7]               (1994), 19 O.R. (3d) 483 (C.A.)

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