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                                                                                                                               Date : 20050930

                                                                                                                    Dossier : IMM-9224-04

                                                                                                               Référence : 2005 CF 1331

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                        ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                          - et -

                                                                Ange MOKONO

                                                                                                                                        Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 14 juillet 2004, statuant que le demandeur est un « réfugié » au sens de la Convention, et une « personne à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

[2]         En début d'audition devant moi, l'avocate du défendeur a verbalement demandé une remise aux fins de pouvoir faire entendre le commissaire Menotti Iaricci. La requête, à laquelle s'est opposé l'avocat du demandeur, a été rejetée sur le banc, au motif qu'elle était tardive et qu'elle ntait appuyée d'aucune preuve pouvant justifier ce retard manifeste.


                                                                     * * * * * * * *

[3]         Le 28 mars 2002, Ange Mokono, le défendeur, est arrivéau Canada où il a fait une demande d'asile.

[4]         Le 14 février 2003, la Commission a informé le ministère que la demande d'asile de monsieur Mokono pouvait soulever l'application de l'article 1Fa) de la Convention de Genève et a demandé à ce que le ministère fasse part de ses intentions.

[5]         Le 20 mars 2003, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, par son représentant, a informé la Commission qu'il entendait participer à l'audition de monsieur Mokono, étant d'avis que la revendication mettait en cause l'article 1Fa) de la Convention.

[6]         Les audiences ont été tenues les 13 mai 2003, 2 juillet 2003, 5 mars 2004, 6 mai 2004 et 7 juin 2004.

[7]         Le 26 août 2004, la Commission a transmis aux parties un avis de décision, selon laquelle elle reconnaissait au demandeur la qualité de réfugié et accueillait sa demande d'asile. Aucun motif n'accompagnait cet avis de décision.

[8]         Le 30 août 2004, le représentant du ministre a demandé à la Commission que des motifs écrits soient fournis aux parties en rapport avec cette décision.


[9]         Le 25 octobre 2004, la Commission a transmis au défendeur des motifs de décision « incomplets » . Dans sa lettre, la Commission indique qu'il ntait pas possible de transmettre des motifs complets, en raison du départ du commissaire, monsieur Menotti Iaricci, ainsi que des portions inaudibles de la cassette des motifs.

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[10]       La disposition pertinente de la Loi est la suivante :


   169. Les dispositions qui suivent s'appliquent aux décisions, autres qu'interlocutoires, des sections_:

[. . .]

d) le rejet de la demande d'asile par la Section de la protection des réfugiés est motivé par écrit et les motifs sont transmis au demandeur et au ministre;

e) les motifs écrits sont transmis à la personne en cause et au ministre sur demande faite dans les dix jours suivant la notification ou dans les cas prévus par les règles de la Commission;

[. . .]

   169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

[. . .]

(d) if the Refugee Protection Division rejects a claim, written reasons must be provided to the claimant and the Minister;

(e) if the person who is the subject of proceedings before the Board or the Minister requests reasons for a decision within 10 days of notification of the decision, or in circumstances set out in the rules of the Board, the Division must provide written reasons;

[. . .]


[11]       La disposition pertinente des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, (les Règles) est la suivante :


   61. (3) Dans le cas où elle indique dans les motifs de sa décision qu'elle accueille la demande d'asile après avoir conclu que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne s'appliquent pas, la Section transmet au demandeur d'asile et au ministre, avec l'avis de décision, les motifs écrits de la décision.

   61. (3) If the reasons of the Division indicate that it has allowed a claim for refugee protection after determining that sections E or F of Article 1 of the Refugee Convention do not apply, the Division must provide the notice of decision and written reasons for the decision to the claimant and the Minister.


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[12]       Dans sa décision, la CISR a récité les allégations de fait du défendeur. Sous le titre « Analyse » , après avoir mentionné l'intervention du ministre, elle écrit qu'après « une analyse approfondie de la preuve soumise tant testimoniale que documentaire, le tribunal estime que le demandeur [M. Mokono] s'est déchargé du fardeau de démontrer qu'il a une crainte bien fondée de persécution au Congo Brazzaville en raison d'opinions politiques imputées et de son (inaudible) » et que « [l]e tribunal en est arrivé à la conclusion que le demandeur [M. Mokono] est (inaudible) selon la Convention pour les raisons suivantes. » Par la suite, la décision réfère strictement et brièvement à l'acceptation de l'identité du défendeur, monsieur Mokono.

                                                                     * * * * * * * *

[13]       Lorsque la Commission rejette une demande d'asile, elle a l'obligation de fournir des motifs écrits (alinéa 169e) de la Loi). Lorsque l'affaire soulève l'application d'une « clause d'exclusion » , comme en l'espèce, le paragraphe 61(3) des Règles impose une obligation supplémentaire de fournir des motifs écrits. Même dans le cas où la Commission accueille la demande d'asile, elle a l'obligation de fournir des motifs écrits à la personne en cause et au ministre sur demande faite dans les dix jours (alinéa 169f) de la Loi). Le demandeur s'est conformé à l'alinéa 169f) de la Loi et a demandé que des motifs écrits soient fournis aux parties en rapport avec cette décision. Les seuls motifs écrits qu'il a reçus sont ceux du 14 juillet 2004, qui indiquent qu'ils sont incomplets.

[14]       Au-delà de la simple obligation de fournir des motifs écrits, la Commission a l'obligation de fournir des motifs adéquats. Dans l'affaire Mehterian c. ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1992] A.C.F. no 545, la Cour d'appel fédérale a expliqué que pour satisfaire à l'obligation de motivation « il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler » (voir aussi, Canada (M.C.I.) c. Mbouko, 2005 CF 126, [2005] A.C.F. no 175). Autant le demandeur d'asile a le droit de connaître les motifs pour lesquels sa demande n'a pas été accueillie, autant le ministre a le droit de connaître les motifs pour lesquels la demande d'asile a été accueillie.


[15]       Dans la présente affaire, les motifs fournis par la Commission au soutien de sa décision sont clairement incomplets et inadéquats. Ils ne permettent pas de savoir comment elle est arrivée à sa décision, ni de comprendre pourquoi la demande du demandeur d'asile a été accueillie. La Commission n'indique pas non plus quel traitement elle a réservé à l'argument du ministre selon lequel le demandeur d'asile était exclu de la définition de réfugié, étant visé à l'article 1Fa) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. Sur ce dernier point, les motifs sont inexistants.

[16]       Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire, renvoyée devant la CISR différemment constituée pour nouvelle considération.

[17]       L'avocate du défendeur a demandé l'adjudication de dépens en faveur de ce dernier, même si la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, reprochant à la CISR de ne pas avoir été pour le moins diligente dans cette affaire. Cette demande est refusée sur la base de l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, et en considération du fait qu'on ne peut reprocher au demandeur de faire valoir ses droits procéduraux.

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 30 septembre 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9224-04

INTITULÉ :                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. Ange MOKONO

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 22 septembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                                   Le 30 septembre 2005        

COMPARUTIONS :

Me François Joyal                                          POUR LE DEMANDEUR

Me Marie José Lcuyer                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Marie José Lcuyer                                      POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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